[TRADUCTION]
Citation : DR c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 399
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
Partie appelante : | D. R. |
Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Représentante ou représentant : | Dennis Kopitas |
Décision portée en appel : | Décision rendue par la division générale le 25 novembre 2024 (GE-24-2472) |
Membre du Tribunal : | Solange Losier |
Mode d’audience : | Vidéoconférence |
Date de l’audience : | Le 21 février 2025 |
Personnes présentes à l’audience : | Intimée Représentant de l’appelant |
Date de la décision : | Le 21 avril 2025 |
Numéro de dossier : | AD-24-845 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel de D. R. est accueilli. La division générale a commis une erreur de droit dans sa décision.
[2] J’ai remplacé cette décision par la mienne. D. R. n’est pas exclu du bénéfice des prestations à compter du 12 novembre 2023, parce que sa conduite ne constituait pas une inconduite délibérée.
Aperçu
[3] D. R. est le prestataire. Il travaillait à temps plein comme gardien de sécurité et a cessé de travailler en raison d’un manque de travail à son lieu de travail. Il a demandé et reçu des prestations régulières d’assurance-emploi (prestations). Une période de prestations a été établie au 4 juin 2023.
[4] La Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) a décidé rétroactivement qu’il avait volontairement quitté son emploi sans justification le 12 novembre 2023Note de bas de page 1. Selon elle, il est parti volontairement lorsqu’il a omis de reprendre le travail. Cela a donné lieu à un avis de dette pour le trop-payé de prestationsNote de bas de page 2.
[5] La division générale a décidé que le prestataire n’avait pas quitté volontairement son emploi, mais qu’il avait plutôt été congédié de son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 3. Elle a conclu qu’il avait été congédié pour avoir omis de travailler durant deux quarts de travail ou de communiquer avec son employeur au plus tard le 15 novembre 2023 (date limite mentionnée dans la lettre d’avertissement)Note de bas de page 4. Elle a conclu qu’il n’était pas admissible aux prestationsNote de bas de page 5.
[6] Le prestataire a présenté une demande à la division d’appel, faisant valoir que la division générale avait commis plusieurs erreurs susceptibles de contrôle judiciaire dans sa décisionNote de bas de page 6.
[7] J’ai conclu que la division générale avait commis une erreur de droit dans sa décisionNote de bas de page 7. J’ai remplacé cette décision par la mienne. Le prestataire a été congédié de son emploi, mais il n’est pas exclu du bénéfice des prestations, parce que sa conduite ne constituait pas une inconduite délibérée.
Question préliminaire
[8] Les nouveaux éléments de preuve sont des éléments de preuve dont la division générale ne disposait pas au moment de rendre sa décision. En général, la division d’appel n’accepte pas de nouveaux éléments de preuveNote de bas de page 8. En effet, elle n’est pas la juge des faits ni celle qui réentend l’affaire. Son rôle est de réviser la décision de la division générale en fonction des mêmes éléments de preuveNote de bas de page 9.
[9] Il y a quelques exceptions où un nouvel élément de preuve peut être admis (c.-à-d. s’il fournit uniquement des informations générales, s’il met en évidence des conclusions faites sans preuve à l’appui, ou s’il démontre que le Tribunal a agi injustement)Note de bas de page 10.
[10] Dans le cadre de sa demande adressée à la division d’appel, le prestataire a présenté une liste des demandes d’emploi qu’il avait présentéesNote de bas de page 11. J’estime qu’il s’agit d’un nouvel élément de preuve qui n’a pas été présenté à la division générale.
[11] Je n’accepte pas les nouveaux éléments preuves (les demandes d’emploi), parce qu’ils n’appartiennent à aucune des exceptions prévues par la loi. De plus, les activités de recherche d’emploi du prestataire ne sont pas pertinentes aux fins du présent appel. La seule question en litige est l’exclusion du prestataire du bénéfice des prestations en application de l’article 30(1) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), inconduite ou départ volontaireNote de bas de page 12.
Question en litige
[12] Je me suis concentrée sur les questions suivantes :
- a) La division générale a-t-elle mal appliqué l’article 49(2) de la Loi sur l’AE — soit la disposition relative au « bénéfice du doute »?
- b) La division générale a-t-elle ignoré les relevés d’emploi au dossier?
- c) Si oui, comment l’erreur ou les erreurs devraient-elles être corrigées?
Analyse
[13] Il peut y avoir erreur de droit lorsque la division générale n’applique pas la bonne loi ou qu’elle se réfère à la bonne loi sans en comprendre la teneur ou sans l’appliquer correctementNote de bas de page 13.
[14] Il y a erreur de fait lorsque la division générale fonde sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 14. Autrement dit, si la division générale tire une conclusion de fait qui est importante pour sa décision, mais qu’elle faire une erreur quant aux faits ou ignore ou néglige des éléments de preuve importants, je peux intervenir.
[15] N’importe lequel de ces types d’erreurs me permettrait d’intervenir dans la décision de la division généraleNote de bas de page 15.
La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en s’appuyant sur la disposition relative au bénéfice du doute?
[16] Oui. La division générale a commis une erreur de droit en appliquant la disposition relative au bénéfice du doute (article 49(2) de la Loi sur l’AE) dans le cadre de son évaluation de la question juridique. Il s’agit d’une disposition discrétionnaire que seule la Commission applique.
[17] L’article 49(2) de la Loi sur l’AE dispose :
La Commission accorde le bénéfice du doute au prestataire dans la détermination de l’existence de circonstances ou de conditions ayant pour effet de le rendre inadmissible au bénéfice des prestations aux termes des articles 31, 32 ou 33, ou de l’en exclure aux termes de l’article 30, si les éléments de preuve présentés de part et d’autre à cet égard sont équivalents.
[18] Au paragraphe 35 de sa décision, la division générale a affirmé que [traduction] « [l]orsque les éléments de preuve attestant que le prestataire a démissionné ou a été licencié sont à peu près équivalents, le bénéfice du doute doit être accordé au prestataire, car le fardeau de la preuve incombe à la Commission ».
[19] Devant la division d’appel, le prestataire a fait valoir que la division générale avait commis une erreur en ne lui accordant pas le bénéfice du doute.
[20] La Commission a convenu que la division générale avait peut-être mal compris la disposition relative au bénéfice du doute énoncée à l’article 49(2) de la Loi sur l’AE, mais elle soutient que cela n’a pas changé l’issue de l’appel, parce que la disposition ne s’applique pas et n’a eu aucune incidence en l’espèceNote de bas de page 16.
[21] La Commission a expliqué que la division générale n’avait pas à appliquer la disposition, parce qu’il n’en tient qu’à elle de le faire ou non.
[22] La division générale n’a pas cité l’article 49(2) de la Loi sur l’AE, mais je crois qu’elle a appliqué le « bénéfice du doute » au paragraphe 35 de sa décision, dans son évaluation de la question juridique.
[23] Je suis d’accord en partie avec la Commission pour dire que, lorsque la question juridique est le départ volontaire ou l’inconduite, le résultat est le même dans les deux cas, soit l’exclusion du bénéfice des prestations en application de l’article 30(1) de la Loi sur l’AE. Toutefois, le critère juridique prévu dans le cas d’un départ volontaire est différent de celui qui s’applique à l’inconduite. La jurisprudence est également différente. L’évaluation de la question juridique est une étape importante, et je ne peux pas me concentrer uniquement sur le résultat (c.-à-d. l’exclusion du bénéfice des prestations).
[24] La Commission a soutenu devant la division d’appel que la question juridique correcte est le [traduction] « départ volontaire pour refus de reprendre son emploi », et non l’inconduite, ce qui donne à penser qu’elle n’est pas d’accord avec la décision de la division générale sur la question juridique, bien qu’elle approuve le résultat qu’est l’exclusion du bénéfice des prestations.
[25] J’estime que la division générale a commis une erreur de droit dans sa décision lorsqu’elle a conclu que les éléments de preuve qui concernaient la question de savoir si le prestataire avait démissionné ou s’il avait commis une inconduite étaient [traduction] « à peu près égaux » et que le bénéfice du doute [traduction] « doit » être accordé au prestataireNote de bas de page 17. Ce faisant, elle a appliqué l’article 49(2) de la Loi sur l’AE. La disposition relative au bénéfice du doute est une disposition discrétionnaire que la Commission applique lorsqu’elle juge que les éléments de preuve sont équivalents. Ce n’est pas à la division générale de l’appliquer.
La division générale a-t-elle ignoré les relevés d’emploi (RE) du prestataire au dossier?
[26] Non. La division générale n’a pas ignoré les RE au dossier; elle ne les a simplement pas mentionnés dans sa décision. Je peux présumer qu’elle a tenu compte de tous les éléments de preuve au dossier, y compris les RE.
[27] Trois RE avaient été déposés devant la division généraleNote de bas de page 18 :
RE no 1 | Produit le 1er août 2023 | Code : autre/à la demande de l’employéNote de bas de page 19 |
---|---|---|
RE no 2 | Produit le 13 décembre 2023 | Code : départ volontaire/abandon d’emploiNote de bas de page 20 |
RE no 3 | Produit le 22 juillet 2024 | Code : manque de travail/fin de saison ou de contratNote de bas de page 21 |
[28] Le prestataire soutient que la division générale a commis une erreur en ignorant des éléments de preuve importants, précisément le RE no 3 produit le 22 juillet 2024. Il affirme que le RE no 3 prouve que son emploi a pris fin en raison d’un [traduction] « manque de travail ».
[29] La Commission convient que la division générale n’a pas tenu compte du RE no 3, mais affirme que l’issue aurait été la même de toute façon (c.‑à‑d. qu’il y aurait eu exclusion du bénéfice des prestations). Elle soutient que seules les circonstances qui existaient au moment où le prestataire a quitté son emploi, en novembre 2023, sont pertinentesNote de bas de page 22.
[30] La Commission affirme que le RE no 3 n’était pas pertinent de toute façon, parce qu’il a été produit des mois après que le prestataire a eu quitté son emploi. Il a été produit seulement après que le prestataire a eu exercé un recours contre son employeur, et l’affaire a été réglée à la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO).
[31] Je n’étais pas convaincue que la division générale avait commis une erreur en ignorant l’un ou l’autre des RE au dossier. Je m’explique.
[32] La décision de la division générale ne fait expressément référence à aucun des RE, mais elle n’a pas à faire référence à chaque élément de preuve au dossier. Je peux présumer que la division générale a tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui avaient été présentés.
[33] Selon la jurisprudence, un tribunal administratif chargé de tirer des conclusions de fait est présumé avoir tenu compte de tous les éléments de preuve dont il est saisi et n’est pas tenu de mentionner chacun des éléments de preuve dans ses motifsNote de bas de page 23. En l’espèce, il n’y a aucune raison d’écarter cette présomption.
[34] La division générale devait déterminer ce qui avait causé la cessation d’emploi, le 16 novembre 2023. C’est cette semaine-là que le prestataire a été exclu du bénéfice des prestations.
[35] La période pertinente est le moment où le prestataire a cessé de travailler, et non plusieurs mois après que son différend a été réglé à la CRTO et que son son RE no 3 a été produit en conséquence.
[36] La division générale devait apprécier les éléments de preuve et tirer ses propres conclusions quant à ce qui s’était passé à la période pertinenteNote de bas de page 24. Le dossier montre que le RE no 3 et le procès-verbal du règlement (règlement) à la CRTO faisaient partie du dossierNote de bas de page 25.
[37] La division générale a conclu que le prestataire avait été congédié le 15 novembre 2023, en raison de son inconduiteNote de bas de page 26. Elle a commis une erreur de fait mineure, parce que le prestataire a plutôt été congédié [traduction] « le 16 novembre 2023Note de bas de page 27 ».
[38] La division générale a écrit au prestataire avant l’audience pour lui expliquer sa compétence. Elle lui a expliqué qu’elle n’était pas liée par le règlement et qu’elle devait appliquer la Loi sur l’AENote de bas de page 28.
[39] Cela est conforme à la jurisprudence. La Cour d’appel fédérale (CAF) a confirmé que le Tribunal n’est pas lié par la manière dont les motifs de congédiement peuvent être qualifiés par l’employeur et l’employé ou un tiersNote de bas de page 29. La division générale a reconnu à juste titre l’étroitesse de son rôleNote de bas de page 30.
[40] Je peux présumer que la division générale était au courant des RE au dossier, même si elle ne les a pas expressément mentionnés dans sa décision.
[41] J’estime que la division générale n’a pas ignoré d’éléments de preuve importants, y compris les RE au dossierNote de bas de page 31. La division générale a correctement considéré la période pertinente, soit la période à laquelle le prestataire a cessé de travailler, en novembre 2023Note de bas de page 32. Elle n’était pas liée par le RE no 3, parce que celui-ci a été produit plusieurs mois après la cessation d’emploi, en réponse à un règlement intervenu entre le prestataire et l’employeur.
Le prestataire soutient que la division générale a commis d’autres erreurs susceptibles de contrôle judiciaire
[42] Le prestataire a fait valoir que la division générale avait commis plusieurs autres erreurs susceptibles de contrôle judiciaire. J’ai déjà constaté que la division générale avait commis une erreur de droit qui me permet d’intervenir. Je n’ai pas à me pencher sur d’autres erreurs alléguées à ce stade-ci. Je me pencherai maintenant sur la façon de corriger l’erreur.
Corriger l’erreur
Pour corriger l’erreur, je remplacerai la décision par la mienne
[43] Il y a deux options pour corriger une erreur de la division générale. Je peux soit renvoyer le dossier à la division générale pour réexamen, soit rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 33. Si je remplace la décision de la division générale par la mienne, je peux tirer les conclusions de fait nécessairesNote de bas de page 34.
[44] Si les parties ont eu une occasion pleine et équitable de présenter leurs éléments de preuve à la division générale, il serait alors normalement approprié de remplacer la décision de la division générale par la mienne.
[45] Le prestataire affirme que je devrais remplacer la décision par la mienne. Selon lui, il y a eu trop d’erreurs pour que l’affaire soit renvoyée à la division générale. Il soutient que si je remplace la décision par la mienne, je devrais conclure que la Commission n’a pas réussi à démontrer s’il s’agissait d’un cas de départ volontaire ou d’un cas d’inconduite.
[46] Cela dit, le prestataire ne pense pas avoir eu une occasion complète et équitable de présenter ses arguments sur toutes les questions pertinentes.
[47] La Commission dit que je devrais remplacer la décision de la division générale par la mienne et conclure que le prestataire a volontairement quitté son emploi en refusant de le reprendre. Elle soutient que l’exclusion du bénéfice des prestations devrait être maintenue à compter de la semaine du 12 novembre 2023.
[48] Pour corriger l’erreur, je remplacerai la décision par la mienne. Le dossier est complet. Je suis convaincue que les parties ont eu une occasion pleine et équitable de présenter leurs arguments sur toutes les questions pertinentes. Bien que le prestataire ne soit pas d’accord avec la décision de la division générale, cela ne signifie pas qu’il n’a pas eu l’occasion pleine et équitable de présenter ses arguments.
Quelle est la question juridique — est-il question d’une inconduite ou d’un départ volontaire?
[49] Parfois, les faits de l’affaire font qu’il est difficile de dire si la question juridique est le « départ volontaire » ou l’« inconduite ». La Commission a également fait part de cette difficulté lorsqu’elle a présenté ses arguments écrits à la division généraleNote de bas de page 35.
[50] L’article 30(1) de la Loi sur l’AE impose une exclusion du bénéfice des prestations si la personne a quitté volontairement son emploi sans justification ou si elle a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 36.
[51] Au sens de l’article 29(b.1)(ii) de la Loi sur l’AE, est assimilé à un départ volontaire le refus de reprendre son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où la personne est censée reprendre son emploi.
[52] J’ai demandé aux parties ce qu’elles pensaient de la question juridique dans cette affaire : départ volontaire ou inconduite?
[53] Le prestataire soutient qu’il ne s’agissait pas d’un départ volontaire, ni d’une inconduite, parce que la Commission n’a prouvé ni l’un ni l’autre.
[54] La Commission soutient que la question juridique est le départ volontaire selon l’article 29b.1)(ii) de la Loi sur l’AE. Elle affirme que le prestataire a volontairement quitté son emploi lorsqu’il a refusé de reprendre son emploi.
Le prestataire a-t-il volontairement quitté son emploi en refusant de le reprendre?
[55] Non. Le prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi. Il n’a pas eu l’option de garder son emploi. La preuve montre que l’employeur a pris la décision de mettre fin officiellement à son emploi le 16 novembre 2023Note de bas de page 37.
[56] Je n’ai pas été convaincue par l’argument de la Commission selon lequel le départ volontaire est la question juridique en l’espèce. Mes motifs sont exposés ci-après.
[57] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Peace, la CAF affirme que « [e]n vertu du paragraphe 30(1), la question de savoir si un employé a quitté volontairement son emploi est une question simple. La question qu’il faut se poser est la suivante : l’employé avait-il le choix de rester ou de quitterNote de bas de page 38? ».
[58] La lettre de l’employeur montre que ce dernier a pris la décision de mettre fin à l’emploi, sauf qu’il a décrit la situation comme une [traduction] « démission sous la forme d’un abandon d’emploiNote de bas de page 39 ». L’employeur avait peut-être des raisons de décrire la situation ainsi, mais il est clair que c’est l’employeur qui a amorcé la cessation d’emploi, le 16 novembre 2023, et non le prestataire.
[59] À mon avis, l’article 29b)(ii) de la Loi sur l’AE exige un certain degré de précision. Pour conclure que la personne a quitté volontairement son emploi en refusant de le reprendre, il faut qu’il y ait une date à laquelle elle est censée retourner au travail ou une date à laquelle elle est attendue au travail. Ensuite, il doit y avoir des éléments de preuve montrant que la personne a omis de le faire.
[60] Je ne vois aucun élément de preuve étayant que le prestataire a refusé de reprendre son emploi ou qu’il devait reprendre le travail à une certaine date.
[61] J’ajoute également que je n’ai trouvé aucun élément de preuve montrant qu’il y avait des quarts de travail disponibles, qu’il aurait pu faire, sur la [traduction] « liste de remplacement », ni que l’employeur lui a demandé de faire un quart de travail donné, mais qu’il ne l’a pas fait.
[62] La lettre d’avertissement envoyée par l’employeur ne mentionnait pas de date précise de retour au travail ni de quart de travail qu’il devait faireNote de bas de page 40.
[63] Je ne suis pas liée par les conclusions tirées par l’agent des normes d’emploi au cours de l’enquête du ministère du Travail (MT). Cela dit, celui-ci a également conclu que le prestataire n’avait pas abandonné son emploi. Il a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve montrant que le prestataire était attendu au travail à une date quelconque et qu’il ne s’était pas présenté pour faire un ou plusieurs quarts de travailNote de bas de page 41.
[64] La question juridique en l’espèce n’est pas le départ volontaire, mais l’inconduite. L’employeur a congédié le prestataire le 16 novembre 2023, de sorte que le prestataire n’avait pas l’option de rester employé.
[65] Je conclus que l’article 29(b)(ii) de la Loi sur l’AR ne s’applique pas en l’espèce. Je ne vois aucun élément de preuve montrant que le prestataire a refusé de reprendre son emploi, qu’il était censé le faire à une date précise et qu’il ne l’a pas fait.
[66] Je me demanderai maintenant si le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite, au vu de la Loi sur l’AE et compte tenu de la jurisprudence pertinente.
Inconduite
Critère juridique lié à l’inconduite
[67] La Loi sur l’AE dispose que la personne qui est congédiée pour inconduite est exclue du bénéfice des prestationsNote de bas de page 42.
[68] L’inconduite n’est pas définie dans la Loi sur l’AE, mais la CAF a établi une définition dans Mishibinijima c Canada (Procureur général), décrivant l’« inconduite » comme un comportement délibéré, c’est‑à‑dire un comportement conscient, voulu ou intentionnelNote de bas de page 43. Cela comprend également une conduite imprudente qui est presque délibéréeNote de bas de page 44.
[69] Il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédiéNote de bas de page 45. En d’autres termes, l’inconduite est un acte qui est intentionnel et qui est susceptible de mener à une perte d’emploi.
[70] Dans Bellavance, la CAF a décidé qu’une violation délibérée de la politique de l’employeur constitue une inconduiteNote de bas de page 46.
Quand et pourquoi le prestataire a-t-il été congédié de son emploi?
[71] Je conclus que le prestataire a été congédié de son emploi le 16 novembre 2023, pour deux raisonsNote de bas de page 47.
[72] Tout d’abord, le prestataire a été congédié parce que, pendant sa mise à pied, il n’est pas resté actif sur la liste de remplacement, laquelle l’obligeait à faire deux quarts de travail chaque mois.
[73] Deuxièmement, j’estime qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire ait été congédié en guise de représailles pour avoir exercé un recours contre son employeur auprès du MT.
[74] Permettez-moi d’expliquer pourquoi je pense que tel est le cas et de mettre en contexte la situation ayant mené à son congédiement, le 16 novembre 2023.
[75] Le prestataire travaillait à temps plein comme gardien de sécurité. Il a été mis à pied à son lieu de travail le 2 juin 2023, et a demandé à l’employeur de lui remettre son RE. L’employeur était réticent à lui en remettre un, faisant valoir qu’il lui trouverait autre chose et que son nom serait inscrit sur la liste de remplacement. Le dossier indique que la Commission a dû établir un RE provisoire pour permettre au prestataire de recevoir des prestationsNote de bas de page 48. L’employeur n’a produit ce RE particulier que le 1er août 2023, en sélectionnant le motif « autre/à la demande de l’employé »Note de bas de page 49.
[76] Le 23 août 2023, le prestataire a exercé un recours contre son employeur auprès du MT, afin de demander une indemnité de préavis, un versement salarial, et une paye de vacances, notammentNote de bas de page 50. Le 30 novembre 2023, le MT menait toujours son enquêteNote de bas de page 51.
[77] Le 8 mars 2024, quelques mois après le congédiement du prestataire, l’agent des normes d’emploi a déterminé que l’employeur avait contrevenu à la Loi sur les normes d’emploi et a rendu une ordonnance contre l’entrepriseNote de bas de page 52. L’employeur a été sommé de verser au prestataire une indemnité de cessation d’emploi et une paye de vacances s’élevant à 1 767,44 $Note de bas de page 53. Or, les choses ne se sont pas arrêtées là, parce que l’employeur a interjeté appel de cette décision auprès de la CRTO.
[78] Le 17 juillet 2024, le prestataire et l’employeur ont fini par régler leur différend à la CRTO. Leur règlement fait partie du dossier en l’espèceNote de bas de page 54. L’employeur a accepté de verser la somme indiquée ci-dessus, a produit le RE no 3, dans lequel il était précisé que le prestataire avait cessé de travailler en juin 2023 en raison d’un « manque de travail ». Il n’y a eu aucune admission de conduite répréhensible.
[79] Je conclus donc que le prestataire a été congédié pour deux raisons. Il a été congédié pour ne pas être demeuré actif sur la liste de remplacement et ne pas avoir fait deux quarts de travail par mois. Je pense également que l’employeur l’a congédié en guise de représailles, parce qu’un différend juridique les opposait depuis sa mise à pied, en juin 2023.
[80] Je dois ensuite me demander si la conduite du prestataire constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’AE et compte tenu de la jurisprudence pertinente.
La conduite du prestataire constitue-t-elle une inconduite délibérée?
[81] Non. J’estime que la conduite du prestataire, en ne restant pas actif sur la liste de remplacement et en ne faisant pas deux quarts de travail par mois, ne constitue pas une inconduite délibérée, pour les raisons suivantes.
[82] Le prestataire a soutenu ne pas avoir reçu la lettre d’avertissement du 8 novembre 2023 dans laquelle l’employeur lui demandait une réponse au plus tard le 15 novembre 2023, sans quoi il risquait le congédiementNote de bas de page 55. J’accepte que cela soit vrai. Je souligne que la division générale a admis cette possibilité dans sa décisionNote de bas de page 56.
[83] J’ai accordé ma préférence au témoignage du prestataire plutôt qu’à celui de l’employeur sur cette question. L’employeur a dit à la Commission qu’il avait envoyé au prestataire [traduction] « de multiples lettres et tenté à plusieurs reprises de communiquer par écrit avec le client, sans réponse ». L’employeur a dit à la Commission qu’il lui enverrait les documentsNote de bas de page 57.
[84] L’employeur a envoyé à la Commission trois séries de documents, soit le contrat d’emploi, des communications écrites entre l’employeur et le prestataire et la lettre d’avis de modification des effectifs (lettre de mise en à pied datée du 29 mai 2023). La Commission a décrit les différents documents qu’elle a reçus de l’employeurNote de bas de page 58.
[85] J’ai examiné les documents, plus précisément l’échange de courriels entre l’employeur et le prestataireNote de bas de page 59. Ils ont communiqué entre eux entre le 30 mai 2023 et le 1er juin 2023. Le prestataire demandait à son employeur sa dernière paye à la suite de sa mise en disponibilité, son RE, une indemnité de préavis de deux semaines et sa paye de vacances. L’employeur a répondu qu’il était [traduction] « toujours employé » et qu’il cherchait d’autre travail pour lui, et l’a invité à se renseigner sur les quarts de travail disponibles et à indiquer ses disponibilités.
[86] Le prestataire a fait savoir qu’il travaillerait avec l’employeur, tout en recevant des prestations d’assurance-emploi. Encore une fois, le prestataire a dit à son employeur qu’il souhaitait obtenir les éléments susmentionnés. L’employeur a soutenu qu’il avait toujours un emploi. Dans sont dernier courriel, le prestataire faisait savoir qu’il lui faudrait aller de l’avant et déposer une réclamation devant le MTNote de bas de page 60.
[87] L’échange de courriels dont il est question ci-dessus me fait penser que le prestataire a communiqué activement par courriel avec son employeur après sa mise en disponibilité. Cependant, je ne vois aucun élément de preuve étayant que l’employeur a envoyé au prestataire d’autres courriels ou communications écrites entre juin 2023 et sa lettre d’avertissement du 8 novembre 2023.
[88] Je ne crois donc pas que l’employeur a envoyé [traduction] « de multiples lettres et tenté à plusieurs reprises de communiquer par écrit avec le client, sans réponse », comme il l’a affirmé à la Commission. L’employeur n’a déposé aucun élément de preuve à ce sujet.
[89] À mon avis, les éléments de preuve montrent que plusieurs mois se sont écoulés sans qu’il y ait quelque communication que ce soit de la part de l’employeur, ce qui est conforme à la version des faits du prestataire, que je trouve crédible.
[90] L’employeur n’a pas non plus fourni d’élément de preuve à la Commission afin d’étayer que la lettre d’avertissement du 8 novembre 2023 avait été envoyée par courriel au prestataireNote de bas de page 61.
[91] Je crois le prestataire lorsqu’il affirme ne pas avoir reçu la lettre d’avertissement du 8 novembre 2023. De plus, je ne vois pas pourquoi le prestataire n’aurait pas tenu compte d’un courriel aussi important venant de son employeur, d’autant plus qu’il a répondu immédiatement à la lettre de congédiement après l’avoir reçue, le 19 novembre 2023, et qu’il a nié avoir démissionnéNote de bas de page 62.
[92] Selon moi, il est davantage probable que l’employeur ne lui a pas envoyé la lettre d’avertissement, sachant que cela entraînerait la cessation d’emploi. Autrement dit, si le prestataire ne la recevait pas, il ne pouvait obéir aux directives et répondre avant la date limite.
[93] Je n’ai pas compétence pour aborder ou sanctionner les actions de l’employeur, parce qu’il y a d’autres tribunes pour le faire. Mon rôle est d’évaluer si la conduite du prestataire constituait une inconduite délibérée au sens de la Loi sur l’AE et compte tenu de la jurisprudence pertinente.
[94] Je ne peux que supposer, à la lumière des éléments de preuve dont je dispose, que l’employeur a pu être tenté de mettre fin à l’emploi du prestataire, d’autant plus que ce dernier avait présenté une réclamation au MT concernant des questions en suspens liées à sa mise en disponibilité. Je pense que c’est ce qui l’a amené à congédier le prestataire, 16 novembre 2023.
[95] Qu’est-ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait? L’employeur affirme que le prestataire n’était pas actif sur la liste de remplacement, qui l’obligeait à faire deux quarts par moisNote de bas de page 63.
[96] Le prestataire ne conteste pas qu’il n’a pas tenu l’employeur au courant de ses disponibilités et qu’il n’a pas choisi deux quarts de travail par mois sur la liste de remplacement pendant sa période de mise en disponibilitéNote de bas de page 64.
[97] J’ai examiné le contrat d’emploi figurant au dossierNote de bas de page 65. Selon ce document, le prestataire reconnaissait qu’après l’avoir fait travailler à temps plein dans un lieu donné, l’employeur se réservait le droit de le retourner à la liste de remplacementNote de bas de page 66. Par la suite, j’ai consulté le manuel des politiques et procédures de l’employeur (politique).
[98] L’article 4.2.5 de la politique, sous [traduction] « situation d’emploi », précise qu’un emploi peut être offert à temps plein, à temps partiel régulier, en partage d’emploi ou de façon occasionnelle, selon les besoins et la disponibilité au travailNote de bas de page 67.
[99] L’article 4.2.6 de la politique, sous [traduction] « maintien du contact », se lit comme suitNote de bas de page 68 :
[traduction]
Les employés occasionnels et les employés qui sont entre deux affectations doivent maintenir un contact avec le Centre des opérations ou l’adjoint local aux opérations au moins une fois toutes les deux semaines pour confirmer leurs disponibilités. Le défaut d’accepter une offre de travail trois (3) fois ou de maintenir le contact peut être considéré comme une non-disponibilité pour le travail et entraîner des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement.
[100] Dans la politique, il n’y a aucune mention de la liste de remplacement, ni de l’obligation de faire deux quarts de travail par mois pour demeurer actif. L’exigence de maintenir le contact au moins une fois toutes les deux semaines pour confirmer la disponibilité s’applique aux employés considérés comme [traduction] « occasionnels ».
[101] Selon la politique, le fait de ne pas accepter une proposition de travail trois (3) fois ou de ne pas maintenir le contact constitue une violation et est susceptible de congédiement. Cela dit, je ne vois aucun élément de preuve selon lequel le prestataire s’est vu offrir du travail trois fois et qu’il l’a refusé. Ainsi, il n’a pas enfreint la politique à cet égard.
[102] La lettre de mise en disponibilité (datée du 19 mai 2023) indique que l’employeur communiquera avec le prestataire [traduction] « au cours de la semaine prochaine » pour discuter de nouvelles possibilités d’emploi qui pourraient s’offrir ou éventuellement s’offrir, mais cela ne s’est jamais produit. La lettre invitait également le prestataire à [traduction] « choisir au moins deux quarts de travail par mois afin de demeurer actif dans le systèmeNote de bas de page 69 ».
[103] Après avoir examiné le contrat d’emploi, la politique et la lettre de mise en disponibilité, je ne considère pas que la conduite du prestataire (défaut de maintenir un contact toutes les deux semaines ou de prendre deux quarts de travail par mois sur la liste de remplacement) constitue une inconduite délibérée de quelque façon que ce soit. Le prestataire n’a pas enfreint la politique ni les instructions de l’employeur de façon délibérée. Il aurait pu être plus proactif et mentionner ses disponibilités pour les quarts de travail, mais il éprouvait des problèmes avec le système utilisé par l’employeur (Track Tik).
[104] La situation du prestataire est un peu particulière, parce qu’il avait intenté un recours judiciaire contre son employeur et que le MT enquêtait sur sa réclamation (la décision initiale était en sa faveur, mais l’affaire a été portée en appel par l’employeur et réglée à la CRTO)Note de bas de page 70. Je pense que cela a influé sur le déroulement des choses dans son emploi.
[105] Le prestataire savait-il ou aurait-il dû savoir que sa conduite mènerait à son congédiement? Non, je ne pense pas qu’il savait ou aurait dû savoir quelles étaient les conséquences, parce qu’il n’a pas reçu la lettre d’avertissement du 8 novembre 2023 de l’employeur. Aucun élément de preuve ne donne à penser que la lettre lui a été transmise par courriel ou par la poste. La politique mentionne le congédiement, mais elle ne fait pas expressément référence à la liste de remplacement. De plus, la lettre de mise en disponibilité l’invitant à choisir des quarts de travail sur la liste de remplacement ne fait pas mention des conséquences d’une omission de le faire.
[106] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la conduite du prestataire ne constitue pas une inconduite délibérée au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.
Conclusion
[107] L’appel du prestataire est accueilli. La division générale a commis une erreur de droit en appliquant l’article 49(2) de la Loi sur l’AE.
[108] J’ai remplacé cette décision par la mienne. Le prestataire a été congédié de son emploi, mais sa conduite ne constituait pas une inconduite délibérée. Il n’est pas exclu du bénéfice des prestations.