Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : KS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 392

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : K. S.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (693987) datée du 7 janvier 2025 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : John Rattray
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 12 mars 2025
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 24 mars 2025
Numéro de dossier : GE-25-493

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelant n’a pas démontré qu’il était fondé (c’est-à-dire qu’il avait une raison acceptable selon la loi) à quitter son emploi quand il l’a fait. L’appelant n’était pas fondé à quitter son emploi parce qu’il disposait d’autres solutions raisonnables. Par conséquent, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] L’appelant a quitté son emploi le 26 juillet 2024 après avoir remis sa démission le 15 juillet 2024. Il a demandé des prestations d’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons de son départ. Elle a décidé qu’il avait quitté volontairement son emploi sans justification et qu’elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations.

[4] Je dois décider si l’appelant a prouvé que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.

[5] La Commission affirme qu’au lieu de quitter son emploi quand il l’a fait, l’appelant aurait pu trouver un emploi ailleurs, refaire la formation obligatoire ou communiquer avec les ressources humaines avant de démissionner. Elle ajoute qu’il n’a pas démontré que ses conditions de travail étaient intolérables.

[6] L’appelant n’est pas d’accord et affirme que son employeur n’a pas réglé les problèmes persistants qu’il avait signalés, notamment la clarification de son rôle, le défaut de lui fournir la formation nécessaire en temps opportun et le harcèlement. Il affirme que son départ n’était pas volontaire parce qu’il estime avoir été congédié de manière déguisée.

Question que je dois examiner en premier

J’accepte les documents déposés après l’audience

[7] À l’audience, j’ai accepté que des documents supplémentaires soient ajoutés au dossier à condition qu’ils soient déposés rapidement. L’appelant a fourni les documents supplémentaires en temps opportun et j’ai donné à la Commission l’occasion de présenter des observations en réponse. La Commission a choisi de ne pas présenter d’observations supplémentaires. J’admets ces documents en preuveNote de bas de page 1.

Question en litige

[8] L’appelant est-il exclu du bénéfice des prestations parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification?

[9] Pour répondre à cette question, je dois d’abord examiner si l’appelant a quitté volontairement son emploi. Je dois ensuite décider s’il était fondé à le faire.

Analyse

L’appelant conteste avoir quitté volontairement son emploi

[10] Je dois d’abord décider si l’appelant a quitté volontairement son emploi. Il incombe à la Commission de le prouver selon la prépondérance des probabilitésNote de bas de page 2. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelant a quitté volontairement son emploi.

[11] Il est assez simple de déterminer si une personne a quitté volontairement son emploi. La question à se poser est la suivante : la personne avait-elle le choix de resterNote de bas de page 3?

[12] L’appelant affirme que son départ n’était pas volontaire parce qu’il a démissionné sous la contrainte en raison de conditions de travail intolérables.

[13] La Commission soutient que l’appelant a quitté volontairement son emploi.

L’appelant a-t-il quitté volontairement son emploi?

[14] Oui, je conclus que l’appelant a quitté volontairement son emploi. Je tire cette conclusion pour les raisons suivantes.

[15] Je juge crédible son témoignage selon lequel il a quitté son emploi sous la contrainte en raison de conditions de travail intolérables. Il avait cependant le choix. Il a déclaré qu’il avait choisi de partir et qu’il aurait pu rester.

[16] Je dois maintenant déterminer si l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi et s’il s’agissait de la seule solution raisonnable dans son cas. Pour évaluer s’il était fondé à quitter son emploi, j’examinerai les points qu’il a soulevés concernant son départ sous la contrainte.

Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi

[17] Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi quand il l’a fait.

[18] La loi prévoit qu’une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 4. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver qu’on est fondé à le faire.

[19] La loi explique ce que veut dire « être fondé à ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ était la seule solution raisonnable dans son cas. Elle dit qu’il faut tenir compte de toutes les circonstancesNote de bas de page 5.

[20] L’appelant est responsable de prouver qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 6.

[21] Pour décider si l’appelant était fondé à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances entourant son départ. La loi énonce certaines des circonstances que je dois prendre en compteNote de bas de page 7.

[22] Une fois que j’aurai établi les circonstances qui s’appliquent à l’appelant, celui-ci devra démontrer qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi quand il l’a faitNote de bas de page 8.

Les circonstances entourant le départ de l’appelant

[23] L’appelant affirme que quatre des circonstances prévues par la loi s’appliquentNote de bas de page 9. Plus précisément, il dit qu’il y a eu une modification de ses conditions de rémunération, qu’il effectuait un excès d’heures supplémentaires, qu’il y a eu une modification importante de ses fonctions et que son employeur se livrait à des pratiques illégales.

Modification des conditions de rémunération

[24] L’appelant affirme que ses conditions de rémunérations ont été modifiées parce qu’il ne progressait pas au sein de l’entreprise comme prévu. Il craignait que cela ait une incidence sur sa prime ainsi que sur ses futures augmentations salariales et ses perspectives de carrière.

[25] L’offre d’emploi de l’appelant indiquait qu’il avait droit à une prime annuelle correspondant à 10 % de son salaire. Elle précisait que le montant de la prime, si elle était versée, varierait en fonction des résultats de l’entreprise et du rendement individuelNote de bas de page 10. L’offre d’emploi ne mentionnait pas que l’appelant serait promu dans un délai précis.

[26] Je reconnais que l’appelant était préoccupé par ses revenus à long terme et ses perspectives de carrière. Cependant, je considère que la preuve est insuffisante pour établir qu’il y a eu une modification importante de ses conditions de rémunération parce que son offre d’emploi ne précisait pas de date pour les augmentations salariales futures.

Excès d’heures supplémentaires

[27] L’appelant a déclaré avoir été embauché comme responsable et qu’il ne s’attendait donc pas à être rémunéré pour ses heures supplémentaires. Cependant, il affirme que sa charge de travail était excessive, ce qui l’obligeait à travailler jusqu’à 9 à 10 heures par jour et à être disponible les soirs et les fins de semaine. Il a déclaré que cela nuisait à sa santé.

[28] Je conclus que l’appelant n’était pas tenu d’effectuer un excès d’heures supplémentaires. Pour parvenir à cette conclusion, je m’appuie à la fois sur le témoignage de l’appelant selon lequel il ne s’attendait pas à être rémunéré pour ses heures supplémentaires et sur l’accord qu’il a signé dans lequel il s’engageait à travailler plus de 8 heures par jour et plus de 48 heures par semaineNote de bas de page 11.

Modification importante des fonctions

[29] L’appelant a déclaré avoir été embauché en tant que responsable de la qualité opérationnelle, mais qu’il s’agissait en réalité d’un rôle de spécialiste. Il affirme qu’il ne travaillait pas en tant que responsable ou spécialiste. Il a dit qu’il s’agissait d’un poste de premier échelon dans le cadre duquel il révisait des documents.

[30] Au cours de l’audience, l’appelant a déclaré que dans son domaine, la fabrication est fortement réglementée et soumise à de nombreux contrôles. L’employeur exigeait que d’autres personnes embauchées pour de postes similaires et lui suivent tous les modules de sa formation interne. L’appelant a dit qu’en raison de retards et de problèmes avec divers membres du personnel, il n’avait pas pu terminer le dernier module sur les écarts et que sa formation avait été prolongée inutilement. Il n’était donc pas en mesure de travailler de manière indépendante comme le prévoyait sa description de poste et s’était vu confier à plusieurs reprises des tâches de révision de documents.

[31] L’appelant a déclaré que la révision des documents était considérée comme un [traduction] « travail de merde » plus adapté aux personnes aux études ou qui débutaient.

[32] Je considère que les fonctions de l’appelant ont été modifiées de façon importante. J’estime que c’est le cas parce qu’il a été engagé pour assurer le contrôle et l’orientation de la qualité, en travaillant de manière indépendante avec beaucoup d’autonomie et de pouvoirs décisionnelsNote de bas de page 12. Bien que le rôle pour lequel il a été engagé comprenne la vérification de certains dossiers et registres, ses tâches réelles ont été considérablement limitées.

Pratiques de l’employeur contraires au droit

[33] L’appelant a déclaré qu’il avait le sentiment qu’on ne lui avait pas permis de terminer la formation sur les écarts parce qu’il avait précédemment soulevé des préoccupations concernant les pratiques de son employeur. L’appelant a dit que certains membres du personnel ne respectaient pas les exigences réglementaires en matière d’écarts et qu’il avait consigné ses préoccupations par écrit. Ces préoccupations comprenaient le retrait de documents de dossiers et l’approbation des rapports sur les écarts.

[34] L’appelant a déclaré qu’il avait été retardé dans ses démarches en tant que responsable de la qualité opérationnelle parce qu’il avait refusé d’approuver des écarts contraires à la loi. Dans ses observations détaillées, il a décrit avec soin les procédures suivies et sa réaction lorsqu’il avait échoué à une évaluation sur un point parce que la directrice adjointe responsable des révisions avait conclu qu’il n’avait pas retiré un document d’un dossier. Il affirme que le retrait du document en question aurait constitué une violation réglementaire.

[35] L’appelant a documenté plusieurs exemples de situations dans lesquelles il estime ne pas avoir été reconnu à sa juste valeur ou soutenu de manière adéquate pour avoir recommandé la suppression de processus ou de contrôles qu’il jugeait redondantsNote de bas de page 13. Dans un autre cas, il a écrit que son supérieur hiérarchique n’était pas satisfait de sa décision de ne pas signaler un écart pour une balance défectueuseNote de bas de page 14.

[36] Il ressort clairement d’un examen attentif du témoignage détaillé et des nombreux documents fournis par l’appelant qu’il y a une part de jugement dans la gestion de la qualité opérationnelle. Ce jugement est exercé dans un cadre réglementaire complexe. La direction souhaitait que l’appelant apprenne et travaille selon les méthodes de l’employeur, mais l’appelant avait son propre point de vue.

[37] J’admets que l’appelant avait une perspective différente de celle de certains autres membres du personnel au sujet de pratiques, de processus et de contrôles particuliers. Toutefois, selon la prépondérance des probabilités, je ne peux pas conclure que cela rend les pratiques de l’employeur contraires au droit. Il n’y a pas assez d’éléments de preuve pour tirer cette conclusion.

Examen de toutes les circonstances

[38] D’après le témoignage de l’appelante et la preuve, je conclus que les circonstances étaient les suivantes dans les mois précédant son départ :

  • Depuis que l’appelant avait un nouveau gestionnaire, l’environnement de travail était « beaucoup » plus agréableNote de bas de page 15.
  • Ses préoccupations concernant sa charge de travail l’ont amené à demander de l’aide pour la révision des registresNote de bas de page 16.
  • Comme son supérieur hiérarchique direct avait approuvé son module sur les écarts, il s’attendait à que la révision finale par la directrice adjointe ne soit qu’une formalité.
  • La directrice adjointe avait axé sa révision sur un point particulier et demandé des détails précis sur un dossier qu’il avait terminé environ deux mois auparavantNote de bas de page 17.
  • Il trouvait cela injuste parce qu’il avait répondu à toutes les questions sauf une ou deux.
  • Il estimait que la directrice adjointe essayait intentionnellement de le faire échouer à nouveauNote de bas de page 18.
  • On lui a demandé de relire le rapport sur les écartsNote de bas de page 19.
  • Son gestionnaire lui a suggéré de retourner voir la directrice adjointe après avoir lu le rapport sur les écartsNote de bas de page 20.
  • Il a choisi de partir parce qu’il ne souhaitait pas continuer à travailler dans cet environnement et se sentait humiliéNote de bas de page 21.
  • Il sentait qu’on le retardait dans sa formation et qu’on lui confiait trop de tâches subalternes.
  • Il craignait que ses perspectives de carrière et son salaire en pâtissent.

[39] Même si l’appelant se sentait sous-estimé et soumis à des pressions pour qu’il approuve illégalement des écarts, il affirme qu’il serait resté en poste s’il avait réussi l’évaluation sur les écarts.

L’appelant avait d’autres solutions raisonnables

[40] Je dois maintenant vérifier si le départ de l’appelant était la seule solution raisonnable à ce moment-là.

[41] L’appelant affirme que c’était le cas pour les raisons suivantes :

  • Il avait fait part de ses préoccupations à la haute direction, mais celle-ci n’y avait pas donné suite.
  • Son supérieur hiérarchique l’avait découragé de s’adresser aux ressources humaines.
  • Il craignait à l’idée de porter plainte par la voie officielle au cas où sa plainte serait transmise à son supérieur hiérarchique.
  • Il n’avait pas réussi à obtenir un autre poste au sein de l’entreprise.
  • Il n’avait pas réussi à trouver un autre poste ailleurs.
  • Il lui était difficile de trouver un autre emploi tout en travaillant.
  • Il avait des difficultés à dormir et buvait.
  • Il se sentait humilié et subissait un stress important.

[42] La Commission n’est pas d’accord et affirme que l’appelant aurait pu :

  • trouver un emploi ailleurs avant de démissionner;
  • refaire la formation obligatoire;
  • communiquer plus tôt avec les ressources humaines.

[43] La Commission soutient également que l’appelant n’avait pas démontré que les conditions de travail étaient intolérables parce que l’employeur avait écouté ses préoccupations et remplacé la personne responsable de sa formation. La Commission affirme qu’il était raisonnable de refaire la formation parce que l’employeur avait des raisons valables de ne pas faire passer l’appelant.

[44] Je juge que l’appelant disposait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi. En tirant cette conclusion, je n’estime pas que chacune de ces solutions l’aurait nécessairement satisfait. Toutefois, le fait de les avoir envisagées lui aurait permis de s’acquitter de l’obligation que lui impose la Loi sur l’assurance-emploi d’explorer les autres solutions raisonnables.

[45] Je considère que l’appelant n’a pas démontré que ses conditions de travail étaient intolérables parce qu’il a déclaré qu’il serait resté s’il avait réussi son évaluation sur les écarts. Cela signifie qu’il est plus probable qu’improbable que les conditions n’étaient pas intolérables parce qu’il était disposé à travailler en respectant la culture réglementaire de l’employeur.

[46] J’estime également qu’une solution raisonnable aurait été de relire le rapport sur les écarts comme l’avait demandé la directrice adjointe et comme l’avait recommandé son gestionnaire. Sa décision de ne pas le faire a rendu certaine la possibilité qu’il ne soit pas autorisé à assumer l’ensemble de ses fonctions. La demande de relire ce rapport n’impliquait pas nécessairement un nouveau retard important dans sa formation.

[47] Je juge aussi que l’appelant aurait pu faire part de ses préoccupations directement aux ressources humaines. Dans son témoignage, il a reconnu que s’il avait vraiment voulu localiser les ressources humaines et communiquer avec elles, il aurait pu le faire. Je ne retiens pas son argument selon lequel il ne pouvait pas signaler ses préoccupations par courriel parce qu’il craignait que son supérieur en soit informé. Il était prêt à quitter son emploi et avait déjà fait part de ses préoccupations directement à la direction par le passé.

[48] Dans les circonstances, rien ne l’empêchait de faire part de ses préoccupations directement aux ressources humaines. En communiquant avec elles après avoir remis sa démission, il a renoncé à une solution raisonnable qui lui aurait permis d’obtenir de l’aide afin de résoudre ses préoccupations avant de démissionner.

[49] Je juge que l’appelant aurait aussi pu demander un congé. Il a affirmé qu’il n’y avait pas pensé. Un congé lui aurait permis de maintenir sa relation d’emploi et de se consacrer à ses problèmes de santé, de se préparer à une autre évaluation sur les écarts ou de rechercher un nouvel emploi. L’appelant a déclaré qu’il était difficile de mener une recherche d’emploi efficace tout en occupant un poste exigeant.

[50] De plus, j’estime que l’appelant aurait pu consulter son médecin et discuter de ses préoccupations concernant son stress, son manque de sommeil et sa consommation d’alcool. Je considère qu’il aurait été raisonnable de demander l’avis de son médecin, qui aurait pu l’aider à répondre à ses préoccupations, lui conseiller de demander un congé ou de quitter son emploi.

[51] Compte tenu de toutes les circonstances qui existaient lorsque l’appelant a démissionné, son départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas pour les raisons mentionnées ci-dessus.

[52] Cela signifie que l’appelant n’était pas fondé à quitter son emploi. Il avait une bonne raison de le faire et avait pris sa décision après en avoir discuté avec sa famille, qui le soutenait. Malheureusement pour lui, comme je l’ai mentionné plus haut, la loi exige une justification.

Conclusion

[53] Je conclus que l’appelant est exclu du bénéfice des prestations.

[54] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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