[TRADUCTION]
Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c GD, 2025 TSS 420
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
Partie appelante : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Représentante ou représentant : | Jessica Murdoch |
Partie intimée : | G. D. |
Décision portée en appel : | Décision de la division générale datée du 23 décembre 2024 (GE-24-3636) |
Membre du Tribunal : | Elizabeth Usprich |
Mode d’audience : | Téléconférence |
Date de l’audience : | Le 12 mars 2025 |
Personnes présentes à l’audience : | Représentante de l’appelante Intimé |
Date de la décision : | Le 24 avril 2025 |
Numéro de dossier : | AD-25-21 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est rejeté.
[2] La division générale a commis une erreur de droit. J’ai rendu la décision qu’elle aurait dû rendre, mais le résultat reste le même.
Aperçu
[3] G. D. est le prestataire dans cet appel. Il a demandé des prestations d’assurance-emploi lorsqu’il est parti en congé en février 2024.
[4] Le prestataire a d’abord reçu des prestations en février 2024. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a ensuite réexaminé sa demande. Elle a décidé qu’il n’aurait pas dû recevoir de prestations parce qu’il avait quitté volontairement son emploi sans justification en février 2024.
[5] Le prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision, mais elle n’a pas changé d’avis. Le prestataire a donc fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.
[6] La division générale a accueilli l’appel. Elle a décidé que le prestataire était parti en congé pour une période indéterminée en février 2024. Elle a jugé que la Commission n’avait pas prouvé qu’il avait quitté volontairement son emploi à ce moment-là. Le prestataire n’était donc pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi pour cette raison.
[7] La Commission a porté la décision de la division générale en appel à la division d’appel du Tribunal. Elle soutient que la division générale a commis des erreurs de droit.
[8] La division générale a commis une erreur de droit. J’ai rendu la décision qu’elle aurait dû rendre. La division générale n’a pas appliqué la jurisprudence établie qui lui permet de décider si la relation d’emploi a pris fin, et dans l’affirmative, à quel moment.
[9] Le prestataire est parti en congé, mais l’employeur a ensuite mis fin à la relation d’emploi. Le prestataire n’est pas exclu du bénéfice des prestations pour cette raison.
Questions en litige
[10] Les questions en litige dans cet appel sont les suivantes :
- a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en n’appliquant pas la jurisprudence contraignante sur la question de savoir si l’emploi du prestataire avait pris fin et, si oui, à quel moment?
- b) Dans l’affirmative, comment l’erreur devrait-elle être corrigée?
Analyse
[10] Je peux intervenir seulement si la division générale a commis une erreur. La division d’appel ne peut examiner que certains moyens d’appelNote de bas de page 1. En bref, le prestataire doit démontrer que la division générale a fait l’une des choses suivantes :
- elle n’a pas assuré l’équité du processus;
- elle a tranché une question qu’elle n’aurait pas dû trancher ou n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher (erreur de compétence);
- elle a commis une erreur de droit;
- elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
La division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas décidé si l’emploi du prestataire avait pris fin
[11] La question que la division générale devait trancher était la suivante : le prestataire a-t-il volontairement quitté son emploi? La Commission avait exclu le prestataire du bénéfice des prestations à partir de sa dernière journée de travail, soit le 8 février 2024. La division générale a ensuite uniquement examiné si l’emploi du prestataire avait pris fin à cette date.
[12] La division générale a bien énoncé le critère juridique du départ volontaireNote de bas de page 2. Si le prestataire avait le choix de rester, il a quitté volontairement son emploiNote de bas de page 3. Cependant, la division générale devait d’abord décider si la relation d’emploi avait pris fin. Si c’était le cas, elle devrait alors décider la date à laquelle cela s’était produit. Autrement dit, le Tribunal n’est pas lié par la date que la Commission retientNote de bas de page 4.
La loi
[13] Il y a un article de la Loi sur l’assurance-emploi qui énonce deux raisons pour lesquelles une personne peut être exclue du bénéfice des prestations : 1) elle quitte volontairement son emploi sans justification et 2) elle est congédiée en raison d’une inconduiteNote de bas de page 5. Il est parfois difficile de dire si une personne a démissionné ou si elle a quitté volontairement son emploi. La loi prévoit que dans ces situations, le Tribunal n’est pas lié par la décision de la CommissionNote de bas de page 6. L’exclusion peut être fondée sur l’une ou l’autre des deux raisons, à condition qu’elle soit appuyée par la preuveNote de bas de page 7.
[14] Le Tribunal peut donc se prononcer sur la fin d’une relation d’emploi. S’il décide que la relation d’emploi a pris fin, il peut aussi évaluer si une personne a été congédiée (ou mise à pied) ou si elle a quitté volontairement son emploi.
La division générale devait décider si l’emploi avait pris fin
[15] La division générale a adopté une approche étroite et n’a analysé que la question de savoir si le prestataire avait quitté volontairement son emploi le 8 février 2024. Pourtant, la question à laquelle il fallait répondre était de savoir si l’emploi du prestataire avait pris fin.
[16] Dans l’affirmative, la division générale devait examiner quand il avait pris fin. Elle devait ensuite évaluer si le prestataire était exclu du bénéfice des prestations au titre de l’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi. Pour ce faire, elle devait analyser s’il avait le choix de rester.
[17] Le prestataire a déclaré à la division générale que [traduction] « tout le monde a été mis à piedNote de bas de page 8 ». La division générale disposait d’éléments de preuve montrant que la relation d’emploi avait pris finNote de bas de page 9. Elle aurait dû trancher la question, mais elle n’a pas fait d’analyse à ce sujet. En se concentrant uniquement sur la date du 8 février 2024 que la Commission avait retenue, la division générale n’a pas appliqué correctement le critère juridique qu’elle avait énoncé.
Réparation
[18] Il y a deux principales façons dont je peux corriger l’erreur que j’ai relevée. Je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je peux aussi lui renvoyer l’affaire si l’audience n’a pas été équitable ou s’il n’y a pas assez de renseignements pour rendre une décisionNote de bas de page 10.
[19] Les deux parties ont convenu qu’elles n’avaient aucun renseignement supplémentaire à fournir. Elles ont déclaré que je devais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je suis d’accord.
Les faits acceptés par les parties à l’audience de la division d’appel
[20] À l’audience de la division d’appel, les parties ont convenu que le prestataire était parti en congé après le 8 février 2024. Elles ont aussi reconnu que le congé n’avait pas de date de fin prévueNote de bas de page 11 et que la relation d’emploi avait pris fin le 9 mai 2024Note de bas de page 12. Le prestataire a convenu qu’il ne travaillait plus pour l’employeur et qu’il n’était plus en congé.
La relation d’emploi a pris fin
[21] Il n’est pas contesté que le prestataire est parti en congé pour une période indéterminée en février 2024. Pourtant, sa relation avec son employeur a changé en mai 2024 parce que celui-ci a produit un relevé d’emploi. Cette action a mis fin à la relation d’emploi.
Le prestataire était en congé du 9 février 2024 au 8 mai 2024
[22] Les parties conviennent que le prestataire était en congé pour des raisons personnelles à compter du 9 février 2024. L’emploi du prestataire était inhabituel. Il résidait en Nouvelle-Écosse et participait à un grand projet en Colombie-Britannique. Le prestataire a estimé qu’il y avait environ 5 000 personnes travaillant sur ce projet. L’employeur les faisait voyager par avion. Le personnel arrivait ainsi pour des rotations de 20 jours, avant de repartir pour des pauses de 7 jours.
[23] Avant que sa rotation ne se termine le 8 février 2024, le prestataire a parlé à son contremaîtreNote de bas de page 13. Il lui a dit que son père avait le cancer et qu’il devait rentrer chez lui pour l’accompagner à ses traitements. Le contremaître a dit au prestataire de parler à son délégué syndical et aux ressources humaines s’il ne pouvait pas revenirNote de bas de page 14.
[24] Le prestataire a ensuite téléphoné à son délégué syndical, qui a communiqué avec les ressources humaines alors que le prestataire était en ligne. Le prestataire a déclaré qu’on lui avait dit de prendre le temps dont il avait besoinNote de bas de page 15. Il a également dit qu’il ne savait pas combien de temps il devrait s’absenter. Le prestataire croyait donc qu’il était en congé pour une période indéterminée.
L’exception prévue à l’article 30(1)(b) de la Loi sur l’assurance-emploi ne s’applique pas
[25] L’article 30(1)(b) de la Loi sur l’assurance-emploi prévoit l’exception suivante : une personne est exclue du bénéfice des prestations à moins qu’elle ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33. Une personne en congé sans justification pourrait tomber sous le coup de l’article 32 de cette même loi et ne pas être exclue du bénéfice des prestations.
[26] La Commission a reconnu que l’article 32 ne s’appliquait pas dans ce cas-ciNote de bas de page 16 parce que le congé de l’appelant ne répondait pas aux critères qui y sont énoncés.
Le prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi le 9 mai 2024
[27] Pour les raisons qui suivent, je conclus que c’est l’employeur qui a mis fin à la relation d’emploi le 9 mai 2024. Je dois décider si le prestataire avait le choix de resterNote de bas de page 17. Je conclus qu’il n’avait pas ce choix. Son employeur a pris la décision de mettre fin à la relation d’emploi.
La relation d’emploi a pris fin lorsque l’employeur a produit un relevé d’emploi
[28] Le 9 mai 2024, l’employeur du prestataire a produit un relevé d’emploi indiquant qu’il avait démissionnéNote de bas de page 18. Il n’y a aucun commentaire sur la raison pour laquelle le relevé d’emploi a été produit à ce moment-là.
[29] La Commission a communiqué avec l’employeur au sujet du relevé d’emploiNote de bas de page 19. L’employeur a déclaré qu’il considérait que le prestataire avait abandonné son emploi parce qu’il n’avait pas donné de nouvelles. L’employeur a ajouté que c’était pour cela qu’il avait indiqué que la raison de la cessation d’emploi était une démission.
[30] Le prestataire a écrit à son syndicat au sujet du fait que l’employeur avait produit le relevé d’emploi de manière tout à fait inattendueNote de bas de page 20. Le prestataire a expliqué qu’il n’avait pas démissionné ou abandonné son emploi. Il croyait que l’employeur communiquerait avec lui avant de prendre une mesure aussi radicale. Le prestataire a envoyé un courriel à son délégué syndical le 29 octobre 2024. Deux jours plus tard, l’employeur a produit un nouveau relevé d’emploiNote de bas de page 21. Celui-ci indique que le prestataire a été mis à pied en raison d’un manque de travail.
[31] La Commission soutient que le deuxième relevé d’emploi n’est pas aussi crédible. Elle affirme que les employeurs modifient un relevé d’emploi pour ne nombreuses raisons, par exemple en raison d’une action civile. Je suis d’accord, mais je ne suis pas convaincue que ce soit le cas dans cette affaire. Rien ne laisse croire qu’il y ait eu un quelconque type d’action civile. La seule raison pour laquelle l’employeur semble avoir si rapidement modifié le relevé d’emploi est que le prestataire a écrit à son syndicat.
[32] Aucun problème de rendement au travail n’a été relevé dans le cas du prestataire. Il semblait être un employé respecté. L’employeur a accepté qu’il parte en congé pour une durée indéterminée parce que son père suivait des traitements contre le cancer. Rien n’indique qu’il y ait eu des incidents au travail. Tous les éléments de preuve dont je dispose laissent croire que le prestataire avait une bonne relation de travail avec son employeur.
[33] L’employeur n’a jamais témoigné devant la division générale, de sorte que nous ne connaissons pas directement son point de vue sur cette question. Au lieu de cela, nous n’avons que le compte rendu que la Commission a fait d’un appel téléphonique.
[34] J’accepte le témoignage non contesté du prestataire selon lequel des milliers de personnes travaillaient sur ce projet. J’estime qu’il est plus probable qu’improbable que l’employeur ait commis une erreur en produisant le relevé d’emploi. Vu l’étendue du personnel, il est possible que la personne qui a rempli le relevé d’emploi n’ait pas compris sa situation en raison. L’employeur n’a pas clairement informé le prestataire qu’il devait faire un suivi avec lui de temps à autre. Le prestataire a déclaré qu’il ne savait pas que l’employeur s’attendait à ce qu’il communique avec lui. Il a également déclaré qu’il croyait que l’employeur le contacteraitNote de bas de page 22.
[35] Dès que le prestataire a demandé à l’employeur, par l’intermédiaire de son syndicat, de modifier la raison de la cessation d’emploi, cela a été fait immédiatement. L’employeur n’était pas obligé de le faire. Comme nous ne disposons pas du témoignage de l’employeur à ce sujet, il est impossible de savoir pourquoi il a agi de la sorte.
[36] Il reste à analyser la modification de la raison de la cessation d’emploi indiquée dans le relevé d’emploi. Je trouve le témoignage du prestataire convaincant. Il a déclaré qu’il pensait que l’employeur le contacterait au sujet de son retour au travail. Il n’avait pas connaissance d’une politique précisant qu’il devait communiquer avec lui. Le prestataire était aussi conscient que les activités ralentissaient et que des mises à pied étaient à prévoir. Il a toujours dit qu’il n’avait jamais quitté son emploiNote de bas de page 23. J’admets que le prestataire n’a pas démissionné. Par conséquent, je n’accepte pas la raison de la cessation d’emploi qui figure dans le premier relevé d’emploi.
[37] Je préfère la raison de la cessation d’emploi indiquée dans le deuxième relevé d’emploi. Le prestataire a témoigné au sujet de son congé d’une durée indéterminée et du fait que des collègues étaient mis à pied en mai 2024. La simultanéité de la mise à pied d’autres personnes et de la production du relevé d’emploi par l’employeur est convaincante. Il est tout à fait possible que le premier relevé d’emploi ait été rempli par une personne qui n’était pas au courant de toute la situation. Je reconnais que le relevé d’emploi a été corrigé en raison de l’intervention du délégué syndical du prestataire.
Le fait que le prestataire n’ait pas communiqué avec son employeur ne signifie pas qu’il a abandonné son emploi
[38] De plus, je juge que le prestataire n’a pas abandonné son emploi. Il croyait que son employeur allait communiquer avec lui au sujet de son retour au travail. Le prestataire n’a pas refusé de retourner au travailNote de bas de page 24. Il croyait qu’il était en congé pour une période indéterminée.
[39] J’accepte le témoignage du prestataire selon lequel les traitements contre le cancer de son père n’étaient pas terminésNote de bas de page 25. Son père recevait plutôt des traitements, puis prenait une pause pour évaluer leur efficacité. Le type de traitement a donc changé, mais son père était toujours atteint d’un cancer que l’on traitait activement.
[40] La Commission a noté que le prestataire a dit qu’il n’avait pas communiqué avec son employeur lorsque les cinq ou six derniers traitements de son père avaient pris fin parce qu’il avait alors des problèmes relationnelsNote de bas de page 26.
[41] Le témoignage du prestataire devant la division générale était différent. Il a déclaré qu’après la fin des traitements de son père, il avait dû se rendre en Floride pour régler un problèmeNote de bas de page 27. Le prestataire a passé environ deux mois en Floride. Par la suite, il a déclaré avoir eu d’autres problèmes avec son médecin de famille qui prenait sa retraite, qu’il n’avait pas pu faire renouveler ses ordonnances et qu’il avait dû renouveler son permis de conduire de classe 2Note de bas de page 28.
[42] Le prestataire admet avec le recul qu’il aurait dû essayer de rester en contact avec son employeur. Cela aurait pu réduire les risques de confusion entre eux. Il est important de comprendre que cette relation d’emploi était inhabituelle en raison de l’ampleur du projet. Le prestataire a déclaré que des milliers de personnes y participaient, et il n’avait donc pas de relation personnelle avec l’employeur.
[43] Le prestataire a affirmé à la division générale qu’il croyait que son employeur communiquerait avec lui pour prendre une décision concernant son retour au travail. Il pensait cela parce que d’autres personnes toujours sur le site lui disaient que les activités ralentissaient et que des mises à pied étaient prévues. Le prestataire a dit à la division générale que ces personnes avaient été mises à pied en mai 2024Note de bas de page 29, ce qui coïncide avec le moment où son employeur a produit le relevé d’emploi.
[44] Je conclus en fonction de la preuve que l’employeur a mis à pied le prestataire en mai 2024. L’employeur a mis fin à la relation d’emploi alors que le prestataire était parti en congé d’une durée indéterminée.
[45] Ainsi, le prestataire n’a pas quitté volontairement ou abandonné son emploi. Il était en congé pour une période indéterminée. Cela a changé lorsque l’employeur a produit un relevé d’emploi en mai 2024, ce qui a mis fin à la relation d’emploi. Le prestataire n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi pour cette raison.
Conclusion
[46] L’appel est rejeté.
[47] La division générale a commis une erreur de droit. J’ai rendu la décision qu’elle aurait dû rendre, mais le résultat reste le même.