[TRADUCTION]
Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c SP, 2025 TSS 407
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
Partie appelante : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Représentante ou représentant : | Jessica Murdoch |
Partie intimée : | P. S. |
Décision portée en appel : | Décision de la division générale le 20 janvier 2025 (GE-24-4067) |
Membre du Tribunal : | Stephen Bergen |
Mode d’audience : | Téléconférence |
Date de l’audience : | Le 8 avril 2025 |
Personnes présentes à l’audience : | Appelante Représentant de l’intimée |
Date de la décision : | Le 23 avril 2025 |
Numéro de dossier : | AD-25-92 |
Sur cette page
Décision
[1] Je rejette l’appel.
Aperçu
[2] P. S. est l’appelante. Je l’appellerai la prestataire parce que le présent appel porte sur sa demande de prestations d’assurance-emploi. L’intimée est la Commission de l’assurance-emploi du Canada, que j’appellerai la Commission.
[3] La prestataire était fâchée que son employeur modifie son poste et la nature de ses fonctions, et qu’il lui exige de travailler dans un autre magasin. En réponse, elle lui a envoyé un courriel dans lequel elle lui a fait part de ses préoccupations. Elle lui a indiqué que les modalités qu’il lui proposait étaient inacceptables et lui a suggéré d’autres modalités qui permettraient de répondre en partie à ses préoccupations. L’employeur a répondu qu’il acceptait sa démission et qu’elle serait congédiée immédiatement. Lorsqu’elle a insisté sur le fait qu’elle n’avait pas l’intention de démissionner, l’employeur n’a pas voulu changer d’idée.
[4] La prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi, mais la Commission a rejeté sa demande, soutenant que l’appelante avait quitté volontairement son emploi sans justification. La prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision, mais celle-ci n’a pas changé sa décision.
[5] La prestataire a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, qui a accueilli son appel. La division générale a décidé qu’elle n’avait pas quitté volontairement son emploi. La Commission a répondu en faisant appel de la décision de la division générale à la division d’appel.
[6] Je rejette l’appel. La Commission ne m’a pas convaincu que la division générale a commis une erreur.
Questions en litige
[7] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :
- a) La division générale a-t-elle commis une erreur de fait en concluant que la prestataire n’avait pas la possibilité de conserver son emploi en :
- Ignorant la preuve montrant que la prestataire pensait qu’elle aurait pu conserver son emploi?
- Ignorant la preuve montrant que la prestataire comprenait qu’elle pourrait être congédiée à la suite de son courriel?
- b) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en :
- Se fondant sur une jurisprudence non applicable?
- N’évaluant pas si la prestataire était « fondée à » quitter volontairement son emploi?
- N’évaluant pas si la prestataire a été congédiée pour inconduite?
Analyse
[8] La division d’appel peut seulement examiner les erreurs qui correspondent à l’un des moyens d’appel suivants :
- a) Le processus d’audience de la division générale était inéquitable d’une façon ou d’une autre.
- b) La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher, ou elle a tranché une question sans avoir le pouvoir de le faire (erreur de compétence).
- c) La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.
- d) La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.
La division générale a-t-elle commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu que la prestataire n’avait pas la possibilité de conserver son emploi?
Preuve que la prestataire n’était pas certaine d’avoir la possibilité de rester
[9] La Commission soutient que la division générale a ignoré le témoignage de la prestataire. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait la possibilité de conserver son emploi, la prestataire a répondu [traduction] « peut-être ». Selon la Commission, il s’agit d’une preuve qu’elle avait la possibilité de rester.
[10] La membre de la division générale a demandé à la prestataire si elle avait la possibilité de rester à son emploi si elle acceptait les conditions de l’employeur. La Commission a raison de dire que la prestataire a répondu « peut-être ».
[11] Cependant, « peut-être » n’est pas la même chose que « oui ». La prestataire a déclaré qu’elle avait fait part de ce qu’elle a décrit comme son [traduction] « point de vue personnel » sur la questionNote de bas de page 2. Son opinion ne confirme pas qu’elle avait objectivement la possibilité de rester. De plus, la prestataire a nuancé sa déclaration en ajoutant que l’employeur ne lui avait pas donné l’option de resterNote de bas de page 3.
[12] La discussion de la division générale sur la façon dont [traduction] « l’employeur ne lui a pas donné l’option de rester » suit immédiatement sa discussion sur la façon dont la prestataire n’avait pas eu l’intention de démissionner lorsqu’elle a envoyé son courriel du 7 août. À mon avis, sa conclusion selon laquelle l’employeur ne lui avait pas donné l’option de rester est une conclusion selon laquelle l’employeur ne lui a pas donné l’option une fois qu’il a reçu son courriel.
[13] Cela concorde avec le courriel soumis en preuve. L’employeur a répondu au courriel initial de la prestataire dans un délai d’environ trois heures pour lui dire qu’il acceptait sa démission et qu’il la congédiait [traduction] « immédiatementNote de bas de page 4 ». La prestataire a répondu au courriel de l’employeur quelques minutes plus tard pour préciser qu’elle n’avait pas l’intention de démissionnerNote de bas de page 5.
[14] La division générale n’a pas commis d’erreur de fait en ignorant ou en interprétant mal ces éléments de preuve.
Preuve que la prestataire a compris qu’elle pourrait être congédiée
[15] La Commission soutient également que la division générale a ignoré le segment du courriel que la prestataire a envoyé le 7 août dans lequel elle disait qu’elle comprendrait si l’employeur voulait la congédier pour avoir refusé les changements proposés. Selon la Commission, il s’agissait d’une preuve que la prestataire a commencé à mettre fin à son emploi en refusant les changements.
[16] La division générale n’a pas commis d’erreur en ignorant la preuve de la prestataire selon laquelle elle savait qu’elle pourrait être congédiée.
[17] Je reconnais que la division générale n’a pas tenu compte de la compréhension de la prestataire dans son analyse. Cependant, la division générale était clairement au courant de la preuve et l’a comprise. De plus, sa décision indique précisément comment la prestataire a écrit qu’elle [traduction] « comprenait si l’employeur avait choisi de mettre fin à son emploi en raison de son refus de travailler au nouveau lieu de travailNote de bas de page 6 ».
[18] La division générale a fondé sa décision sur les conclusions suivantes : le congédiement n’était pas la seule conséquence logique du courriel de la prestataire, la prestataire avait l’intention de transmettre le courriel uniquement pour inciter l’employeur à répondre à ses préoccupations et elle n’avait pas l’intention de démissionner ni d’inciter l’employeur à la congédier. Le fait que la prestataire ait compris que l’employeur pourrait ne pas vouloir négocier n’est pas si important dans la décision pour que la division générale l’inclue explicitement dans son analyse. Je peux présumer que la division générale a compris et examiné ces éléments de preuveNote de bas de page 7.
La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en se fondant sur une jurisprudence non applicable lorsqu’elle a conclu que la prestataire n’avait pas réduit sa disponibilité?
[19] La division générale n’a pas commis d’erreur de droit en citant la décision Canada (Procureur général) c CôtéNote de bas de page 8 et en ne la suivant pas.
[20] La division générale a cité Côté afin de souligner le principe selon lequel une partie prestataire qui avise son employeur qu’elle est moins disponible qu’auparavant « quitte volontairement » son emploi parce qu’elle demande essentiellement à être congédiée. La division générale a déclaré que ce principe nes’appliquait pas dans ces circonstances, parce que la prestataire n’avait pas avisé son employeur qu’elle était moins disponible. La Commission soutient que le vrai problème est que la prestataire a refusé de se conformer à une directive de l’employeur, et non qu’elle a réduit sa disponibilité.
[21] La Commission ne dit pas que Côté représente un principe juridique que la division générale était tenue de suivre ou bien qu’elle aurait dû appliquer ce principe. L’appel de la Commission ne conteste pas la conclusion de la division générale selon laquelle la prestataire n’a pas avisé l’employeur qu’elle était moins disponible. Elle n’a pas laissé entendre que le refus de la prestataire de se conformer à une directive de son employeur est analogue à la situation où une partie prestataire réduit sa disponibilité, de sorte que la division générale aurait dû appliquer le principe énoncé dans l’arrêt Côté.
[22] Comme la Commission n’a pas présenté ces arguments, je ne les ai pas pris en considération.
[23] La Commission soutient plutôt que la division générale a commis une erreur en citant Côté et en utilisant la « logique de cette décision » pour expliquer sa propre décision selon laquelle la prestataire a été congédiée.
[24] Je ne suis pas d’accord. La division générale n’a pas cité Côté parce que la décision, ou sa logique appuyaient l’argument selon lequel la prestataire avait quitté volontairement son emploi. Elle devait décider si la prestataire avait volontairement quitté son emploi et, ce faisant, elle a examiné la décision Côté parce qu’elle représentait une contestation potentielle de l’argument de la prestataire selon lequel elle n’avait pas quitté volontairement son emploi.
[25] Il s’agissait donc d’une application tout à fait appropriée de la décision Côté.
La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d’évaluer si la prestataire était fondée à quitter son emploi?
[26] La division générale n’a pas commis d’erreur de droit en omettant d’évaluer si la prestataire était fondée à quitter volontairement son emploi.
[27] Une fois que la division générale a conclu que la prestataire n’avait pas quitté volontairement son emploi, il n’était pas logique qu’elle analyse si elle était fondée à quitter volontairement son emploi.
[28] Conclure que la prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi revient à conclure qu’elle n’avait pas le choix de rester ou de partirNote de bas de page 9. La prestataire n’avait pas d’autre choix que de partir. De plus, elle avait d’autres solutions raisonnables que de partir.
La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d’évaluer si le congédiement de la prestataire était dû à une inconduite?
[29] La Commission a soutenu que la division générale avait commis une erreur de droit en omettant d’examiner si la prestataire avait été congédiée pour inconduite.
[30] La Commission a d’abord exclu la prestataire du bénéfice des prestations au motif qu’elle avait quitté volontairement son emploi sans justification. Malgré cela, la division générale avait le pouvoir d’examiner si la prestataire devait être exclue pour avoir été congédiée en raison d’une inconduite.
[31] Dans Easson, la Commission a initialement exclu la partie prestataire parce que son employeur l’avait congédiée pour inconduiteNote de bas de page 10. La question dans Easson était l’étendue de la compétence de l’instance d’appel.
[32] Dans l’arrêt Easson, la Cour a souligné que les notions d’« inconduite » et de « départ volontaire » sont des notions abstraites distinctes, mais que « les deux se rapportent à une situation où la perte d’emploi résulte d’une action ou d’actions délibérées de la part de l’employé — et que les deux sont sanctionnées de la même façon par une exclusion spéciale ». Elle a également confirmé que le conseil arbitral pouvait interpréter les faits en fonction de l’une ou l’autre des exclusions, « sans s’écarter de l’objet qu’il était appelé à examiner Note de bas de page 11».
[33] Autrement dit, la Cour a reconnu qu’il relevait de la compétence de l’organisme d’appel de premier niveau de conclure que la partie prestataire devait être exclue pour avoir volontairement quitté son emploi sans justification, et ce, malgré le fait que la décision de la Commission avait exclu le prestataire pour inconduite.
[34] Toutefois, le fait que la compétence de la division générale lui permette d’examiner les deux types d’exclusions ne signifie pas qu’elle a commis une erreur de droit ou de compétence en ne le faisant pas.
[35] La décision Canada (Procureur général) c Eppel est une autre décision de la Cour d’appel fédéraleNote de bas de page 12, où elle examine la décision Easson et d’autres décisions semblables pour conclure que le conseil arbitral n’avait pas l’obligation d’enquêter sur la possibilité que l’un ou l’autre des deux types d’exclusion puisse s’appliquer. Son devoir était de confirmer l’exclusion indépendamment de la manière dont la Commission l’avait qualifiée, à condition qu’elle soit convaincue, sur la base des faits, que la partie prestataire a perdu son emploi pour l’une ou l’autre raison. La décision Eppel ajoute également que le conseil arbitral n’est pas un tribunal inquisitoire et qu’il n’a pas besoin de faire de recherches ou d’enquêtes pour s’assurer des faits.
[36] Dans la décision Eppel, la Cour a jugé important le fait que la Commission n’avait fait, dans l’appel au conseil arbitral, « aucune allusion à une autre possibilité que celle d’un “départ sans justification” ». Elle a également souligné qu’il y avait peu de preuves au sujet de l’inconduite, à part une lettre au sujet d’un incident de langage grossier. Par conséquent, la Cour a déclaré qu’« il aurait fallu beaucoup plus pour établir, à la satisfaction du Tribunal, que les gestes posés par la partie prestataire constituaient de l’inconduite ».
[37] Il en va de même en ce qui concerne les faits du présent appel. Il n’y avait aucune mention ou suggestion dans la décision initiale de la Commission ou dans sa décision de révision selon laquelle la prestataire avait été congédiée pour inconduite.
[38] Dans ses observations à la division générale, la Commission a cité la décision Easson. Elle a noté ce qu’elle a dit au sujet de la façon dont l’inconduite et le départ volontaire sont sanctionnés de la même façon parce que les deux impliquent des actions délibérées de la part de l’employé. Toutefois, la Commission n’a fait aucun effort pour établir un lien entre Easson et les faits de l’affaire, et elle n’a pas soutenu que la division générale devrait conclure que la prestataire a été congédiée pour inconduite si elle a décidé qu’elle n’avait pas quitté volontairement son emploi sans justification.
[39] La seule preuve de tout geste qui pourrait être qualifié d’« inconduite » est la preuve par courriel que la prestataire a fourni et qui montre qu’elle n’était pas disposée à accepter les nouvelles conditions d’emploi de l’employeur. Si la preuve avait permis de conclure que l’employeur l’avait congédiée parce qu’elle refusait de travailler, de suivre les directives appropriées ou parce qu’elle était insubordonnée, on aurait pu conclure qu’il s’agissait d’une inconduite.
[40] Toutefois, comme dans les faits de l’affaire Eppel, il y avait peu d’éléments de preuve sur lesquels la division générale aurait pu conclure à une inconduite réelle.
[41] La prestataire a déclaré que l’employeur l’a pris au piège en modifiant ses tâches, son titre d’emploi et son lieu de travail. Dans le courriel qu’elle a rédigé en réponse, la prestataire a exprimé ses nombreuses préoccupations et a précisé les conditions de travail qu’elle serait prête à accepter. Sa « démission de la vente au détail » était accompagnée d’une proposition d’effectuer toutes ses autres tâches de directrice générale à partir de son domicile. De plus, si l’employeur voulait plutôt la congédier, elle a offert d’en discuter.
[42] L’employeur n’a pas informé la prestataire qu’il la congédiait parce qu’elle refusait le transfert, ou qu’elle refusait de travailler, ou qu’elle était moins disponible pour travailler ou qu’elle avait abandonné son poste. Il n’a pas dit qu’elle devait la congédier parce qu’elle refusait de suivre les directives ou qu’elle était insubordonnée.
[43] L’employeur a plutôt répondu au courriel de la prestataire en disant qu’il avait l’air d’une lettre de démission. Il a ajouté qu’il était reconnaissant de son offre de [traduction] « rester », mais qu’il pensait qu’il valait mieux la congédier immédiatement. Elle a répondu dans les minutes qui ont suivi pour dire qu’elle n’avait pas l’intention de démissionner, mais l’employeur n’a pas changé sa position.
[44] La prestataire a déclaré qu’elle adorait son emploi et qu’elle ne voulait pas le quitter. Elle a dit avoir été choquée par la réponse de l’employeur et qu’elle n’avait jamais eu l’intention de partir. Elle avait plutôt espéré que l’employeur accepterait une conversation après avoir envoyé le courriel.
[45] La division générale a conclu que la prestataire n’essayait pas de démissionner ou de pousser l’employeur à la congédier, mais qu’elle essayait seulement d’engager la conversation avec lui afin de discuter de ses préoccupations. Il semblerait donc que la division générale ait accepté que la prestataire essayait de négocier avec l’employeur les changements apportés à son emploi, plutôt que de les refuser catégoriquement.
[46] Il n’appartient pas à la division d’appel de réévaluer ou de soupeser à nouveau la preuve. Les conclusions de la division générale découlent rationnellement de la preuve, et rien n’indique qu’elle a ignoré ou mal interprété des éléments de preuve qui étaient pertinents pour sa conclusionNote de bas de page 13.
[47] Compte tenu de ces conclusions et du fait que la Commission n’avait jamais pris position sur le fait que la prestataire avait peut-être été congédiée pour inconduite, la division générale n’avait aucune raison d’examiner si la prestataire devait être exclue pour cette raison.
[48] Ce n’était donc pas une erreur de droit ou de compétence de ne pas le faire.
Conclusion
[49] Je rejette l’appel. La Commission n’a pas établi que la division générale a commis une erreur en décidant que la prestataire n’avait pas quitté volontairement son emploi.