Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : IJ c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 474

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : I. J.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 10 mars 2025
(GE-25-290)

Membre du Tribunal : Solange Losier
Date de la décision : Le 6 mai 2025
Numéro de dossier : AD-25-202

Sur cette page

Décision

[1] La permission de faire appel est refusée. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] I. J. (prestataire) a demandé des prestations régulières de l’assurance-emploi le 29 septembre 2024. Elle a demandé à la Commission de l’assurance-emploi du Canada d’antidater sa demande à une date antérieure, soit le 1er mai 2022.

[3] La Commission a rejeté la demande de la prestataire, car celle-ci n’avait pas démontré qu’elle avait un motif valable justifiant son retard à demander des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

[4] La division générale a conclu la même chose et a rejeté l’appel. Elle a conclu que la prestataire n’avait pas prouvé qu’elle avait un motif valable durant toute la période écoulée. Pour cette raison, sa demande ne pouvait pas être antidatée à la date antérieureNote de bas de page 2.

[5] La prestataire a fait appel à la division d’appel. Elle demande maintenant la permission de faire appel. Elle soutient que la division générale a commis plusieurs erreurs susceptibles de révisionNote de bas de page 3.

[6] Je rejette la demande de permission de faire appel de la prestataire, car elle n’a aucune chance raisonnable de succèsNote de bas de page 4.

Questions préliminaires

La prestataire a déposé des documents supplémentaires

[7] La prestataire a déposé sa demande à la division d’appel le 15 mars 2025. Quelques semaines plus tard, elle a déposé des documents supplémentaires le 7 avril 2025 et de nouveau le 21 avril 2025Note de bas de page 5. Elle a écrit que bon nombre des documents étaient des certificats médicaux pertinents dans le cadre de son appel parce qu’ils [traduction] « confirment les faits » qu’elle avait présentés à la division généraleNote de bas de page 6.

[8] J’ai envoyé une lettre à la prestataire pour lui demander si elle avait l’intention de déposer des documents supplémentaires. J’ai ajouté que, dans la négative, son dossier passerait aux étapes suivantesNote de bas de page 7. La prestataire a répondu à ma lettre en confirmant qu’elle n’avait pas d’autres documents à soumettreNote de bas de page 8.

Je n’accepte pas les nouveaux éléments de preuve présentés par la prestataire

[9] Les nouveaux éléments de preuve sont ceux qui n’avaient pas été portés à la connaissance de la division générale lorsqu’elle a rendu sa décision. En général, la division d’appel refuse de nouveaux éléments de preuve. En effet, la division d’appel n’est pas le juge des faits ni celle qui instruit l’appel à nouveauNote de bas de page 9. Son rôle est d’effectuer un examen de la décision de la division générale fondé sur les mêmes éléments de preuveNote de bas de page 10.

[10] Il y a quelques exceptions qui permettent l’examen de nouveaux éléments de preuveNote de bas de page 11. Par exemple, je peux accepter de nouveaux éléments de preuve qui ont l’une des caractéristiques suivantes :

  • ils contiennent seulement des renseignements d’ordre général;
  • ils mettent en lumière des conclusions tirées en l’absence de preuve;
  • ils démontrent que le Tribunal a agi de façon injuste.

[11] La prestataire a déposé plusieurs documents à la division d’appel, mais la plupart d’entre eux étaient des copies de ses argumentsNote de bas de page 12. Cependant, elle a bien fourni des documents médicaux et des courriels qui ne figuraient pas dans le dossier de la division généraleNote de bas de page 13. Je constate qu’il s’agit de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés devant la division générale.

[12] Je n’accepte pas les nouveaux éléments de preuve présentés par la prestataire, car il ne s’agit pas de renseignements généraux, ils ne mettent pas en lumière des conclusions tirées en l’absence de preuve et ils ne démontrent pas que le Tribunal a agi de façon injusteNote de bas de page 14. Cela signifie que je ne peux pas tenir compte des nouveaux éléments de preuve présentés par la prestataire au moment de rendre ma décision.

[13] Il est important de savoir que les appels devant la division d’appel ne sont pas des [traduction] « reprises » fondées sur des éléments de preuve à jour des audiences devant la division généraleNote de bas de page 15. Il s’agit plutôt d’examens de décisions de la division générale fondés sur les mêmes éléments de preuve.

[14] J’ai accepté quelques-uns des documents qu’elle a déposés, car ils faisaient partie du dossier de la division générale et ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuveNote de bas de page 16.

Questions en litige

[15] Est-il possible de soutenir que la division générale a omis de suivre une procédure équitable et qu’elle a fait preuve de partialité?

[16] Est-il possible de soutenir que la division générale a commis des erreurs de droit?

[17] Est-il possible de soutenir que la division générale a fondé sa décision sur des erreurs de fait importantes et qu’elle a ignoré ou négligé des éléments de preuve importants?

Analyse

Le critère permettant d’obtenir la permission de faire appel

[18] Un appel peut aller de l’avant seulement si la division d’appel donne la permission de faire appelNote de bas de page 17. Je dois être convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 18. Cela signifie qu’il doit y avoir un « motif défendable » pour que l’appel soit accueilliNote de bas de page 19.

[19] Les moyens d’appel possibles à la division d’appel sont que la division générale a commis l’une des erreurs suivantesNote de bas de page 20 :

  • elle a agi de façon injuste;
  • elle a outrepassé ses pouvoirs ou refusé de les exercer;
  • elle a commis une erreur de droit;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.

[20] Pour passer à l’étape suivante, il faut que l’appel de la prestataire ait une chance raisonnable de succès.

Arguments de la prestataire à la division d’appel

[21] La prestataire a présenté des arguments détaillés à l’appui de sa position selon laquelle la division générale a commis plusieurs erreurs susceptibles de révision. Elle soutient que la division générale a commis une quarantaine d’erreursNote de bas de page 21.

[22] J’ai examiné tous les arguments de la prestataire et je les ai soigneusement pris en considération. J’ai également écouté l’enregistrement audio de l’audience de la division générale, examiné la décision qui fait l’objet de l’appel et consulté l’ensemble du dossier avant de rendre ma décision.

[23] Il n’est pas nécessaire que je traite spécifiquement chacune des plus de 40 erreursNote de bas de page 22. Je vais plutôt présenter les principaux arguments de la prestataire qui me semblent essentiels et ceux qui sont fondés sur les moyens d’appelNote de bas de page 23. Les autres arguments que je n’ai pas abordés explicitement signifient qu’ils ont été examinés, mais qu’ils n’étaient pas essentiels et ne m’ont pas convaincue que la prestataire avait un argument défendable selon lequel il y avait une erreur susceptible de révision.

Je ne donne pas à la prestataire la permission de faire appel, car l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès

[24] L’« équité procédurale » concerne l’équité du processus. Elle comprend des protections procédurales, y compris le droit à un décideur impartial, le droit d’une partie d’être entendue, de connaître les arguments avancés contre elle et d’avoir la possibilité de répondre. Si la division générale a procédé de façon injuste, je peux intervenirNote de bas de page 24.

[25] La prestataire soutient que la division générale a fait preuve de partialité, avait une position prédéterminée et a rendu des jugements hâtifs. Elle affirme que la division générale a fait des commentaires tendancieux concernant la contestation constitutionnelle.

[26] La prestataire fait valoir que la division générale a formulé des commentaires condescendants et critiques dans sa décision. Elle dit que la division générale n’a pas tenu compte de la détresse émotionnelle qu’elle éprouvait.

[27] La prestataire soutient également que la division générale n’a pas révélé qu’elle était une [traduction] « avocate chevronnée » et qu’elle [traduction] « travaillait pour des employeurs ». La prestataire explique qu’elle a envoyé une lettre au Tribunal pour se renseigner sur la membre avant l’audience, mais que sa lettre a été ignorée.

Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a omis de suivre une procédure équitable, qu’elle a fait preuve de partialité, qu’elle a adoptéuneposition prédéterminée ou qu’elle a rendu des jugements hâtifs

[28] Les personnes responsables de rendre des décisions sont présumées impartiales et objectives. Une allégation de partialité une allégation sérieuse. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou de simples impressionsNote de bas de page 25.

[29] Le critère juridique permettant d’établir la partialité est la question de savoir à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur et de façon réaliste et pratique. Croirait-elle plus probable qu’improbable que la ou le membre de la division générale, consciemment ou non, ne tranche pas l’affaire de façon équitableNote de bas de page 26?

[30] J’ai examiné le dossier et écouté l’enregistrement audio de l’audience de la division générale pour vérifier ce qui s’est passé.

[31] Le dossier montre que la prestataire a invoqué la discrimination au titre de l’article 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle a soutenu que l’employeur ne lui avait pas offert des mesures d’adaptation raisonnables fondées sur le Code des droits de la personne du Manitoba. Dans ses arguments écrits, elle a demandé à la division générale d’examiner et de réévaluer sa demande à la lumière de sa situation, du contexte de discrimination et de congédiement déguisé, de ses droits garantis par l’article 15(1) de la Charte et du principe d’équitéNote de bas de page 27.

[32] Au début de l’audience, la division générale a constaté que la prestataire avait soulevé un certain nombre de questions dans son appel, y compris une contestation constitutionnelle.

[33] L’enregistrement audio montre que la prestataire et la division générale ont eu une longue discussion sur ce qu’implique une contestation constitutionnelle devant le TribunalNote de bas de page 28. Voici un résumé des parties pertinentes.

[34] La prestataire a expliqué à la division générale qu’elle est atteinte d’un trouble anxieux et que la définition de motif valable est discriminatoire. Elle a dit que [traduction] « on » fait preuve de discrimination à son égard parce qu’elle est atteinte d’anxiété.

[35] La division générale a ensuite expliqué la procédure applicable aux questions constitutionnelles devant le TribunalNote de bas de page 29. Elle a invité la prestataire à poser des questions sur la procédure. Elle a répété que la décision appartenait à la prestataire (c’est-à-dire si elle souhaitait aller de l’avant avec une audience régulière ou avec une contestation constitutionnelle).

[36] La prestataire a dit à la division générale à deux reprises qu’elle ne voulait pas poursuivre une contestation constitutionnelle, d’abord au début de leur discussion, et de nouveau après que le processus constitutionnel lui ait été expliqué en détail. Elle a expliqué qu’elle avait récemment effectué des recherches et trouvé des précédents jurisprudentiels qui appuyaient sa position sur la question de l’antidatation de sa demande.

[37] À la suite de la demande de la prestataire, l’affaire a été instruite à la date prévue et la division générale a déclaré qu’elle ne se prononcerait pas sur la contestation constitutionnelleNote de bas de page 30.

[38] La prestataire fait maintenant valoir que les commentaires de la division générale au sujet des affaires constitutionnelles constituent un parti pris.

[39] L’enregistrement audio montre que la division générale a effectivement fait quelques commentaires sur le processus constitutionnel, notamment qu’il était compliqué, technique, difficile et que, dans certains cas, il pouvait prendre des années.

[40] À mon avis, la division générale n’a pas essayé d’influencer la prestataire dans un sens ou dans l’autre par ses commentaires. Elle a fait preuve de transparence quant au processus constitutionnel et n’a fait ces commentaires qu’après que la prestataire ait déjà indiqué à deux reprises qu’elle ne souhaitait pas poursuivre la contestation constitutionnelle.

[41] L’enregistrement audio ne donne aucune indication laissant penser que la prestataire ait hésité entre une audience régulière et une contestation constitutionnelle. Si elle avait manifesté une certaine hésitation, la division générale aurait pu ajourner l’affaire pour lui donner le temps de se décider. Cependant, il semble raisonnable que l’audience ait eu lieu, car la prestataire a dit à deux reprises qu’elle voulait aller de l’avant. De plus, elle n’a pas soulevé de préoccupations concernant les commentaires de la division générale lors de l’audience.

[42] J’ai examiné la décision de la division générale, et je ne vois aucun commentaire ni aucune formulation qui semble condescendante et critique à l’égard de la prestataire. Le ton utilisé est approprié et respectueux.

[43] La division générale n’a pas ignoré la détresse émotionnelle que la prestataire a éprouvée lors de l’audience. L’enregistrement audio montre qu’à un moment donné pendant l’audience, la prestataire était quelque peu émotive, et la division générale lui a adressé des mots rassurants tout en lui proposant une courte pauseNote de bas de page 31.

[44] De plus, quelques jours avant l’audience, le dossier montre que le Tribunal a reçu un courriel de la prestataire lui demandant le nombre de personnes faisant partie du comité et leur [traduction] « parcours professionnelNote de bas de page 32 ». Le courriel n’a pas été ajouté au dossier officiel, alors la division générale n’a probablement pas vu sa demande. La prestataire n’a pas non plus soulevé cette question à l’audience devant la division générale.

[45] Respectueusement, je ne vois pas en quoi l’expérience professionnelle de la membre du Tribunal est pertinente ni en quoi elle a eu une incidence sur son analyse de l’affaire. Certains membres du Tribunal peuvent avoir suivi une formation juridique officielle, mais cela ne veut pas dire qu’ils aient des préjugés ou qu’ils ne soient pas impartiaux. Je ne vois aucun élément qui permettrait de conclure que la division générale ne tranchera pas l’affaire de façon équitable.

[46] Les arguments de la prestataire ne m’ont pas convaincue qu’elle avait une cause défendable à cet égard. Une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur et de façon réaliste et pratique, ne conclurait pas qu’il était plus probable qu’improbable que la division générale ait fait preuve de partialité.

[47] Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a omis de suivre une procédure équitable, qu’elle a fait preuve de partialité, qu’elle a adopté une position prédéterminée ou qu’elle a rendu des jugements hâtifsNote de bas de page 33.

Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a commis une erreur de droit

Le critère juridique applicable aux affaires d’antidatation

[48] Une erreur de droit se produit lorsque la division générale si elle n’applique pas la bonne loi ou si utilise la bonne loi, mais ne comprend pas ce qu’elle signifie ou comment l’appliquerNote de bas de page 34.

[49] Selon l’article 10(4) de la Loi sur l’assurance-emploi, une personne doit prouver qu’elle avait un « motif valable » pour avoir présenté sa demande de prestations en retard pendant toute la période écoulée.

[50] La Cour d’appel fédérale affirme que pour établir l’existence d’un motif valable, une personne doit démontrer qu’elle a agi comme une personne raisonnable l’aurait fait dans la même situation pour s’assurer des droits et des obligations que lui impose la loiNote de bas de page 35.

[51] La Cour d’appel fédérale affirme également qu’à moins de circonstances exceptionnelles, une personne raisonnable est censée vérifier assez rapidement si elle a droit aux prestations et de s’assurer de ses obligations aux termes de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 36.

La prestataire s’est appuyée sur plusieurs décisions du juge-arbitre du Canada (CUB)

[52] La prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle a établi une [traduction] « norme de conduite plus élevée » pour une personne raisonnable dans sa situation. Elle fait également valoir que la division générale a également fait erreur en appliquant les décisions CUB suivantes : CUB 52024; CUB 56558; CUB 35066; et CUB 52237. Elle soutient que la décision CUB 70956 s’applique précisément à sa situationNote de bas de page 37.

[53] La prestataire affirme que la division générale a formulé des règles générales et rigides qui ne laissent aucune place à la flexibilité ou à la prise en compte de l’objectif social du régime. De plus, elle fait valoir qu’on ne lui a pas accordé [traduction] « le bénéfice du doute ».

[54] Dans sa décision écrite, la division générale ne s’est fondée sur aucune décision CUB, mais plutôt sur des décisions de la Cour d’appel fédérale concernant des affaires d’antidatation.

[55] J’ai examiné les décisions CUB citées par la prestataire et elles semblent être distinctes de toute façon. Dans un souci de transparence, je vais expliquer pourquoi.

[56] Les décisions CUB 52024 et CUB 56558 concernaient de courts retards de moins de deux mois. Dans la présente affaire, la période écoulée a été beaucoup plus longue, soit plus de deux ans avant que la prestataire ne demande des prestations d’assurance-emploi.

[57] La décision CUB 52237 concernait une autre personne, un immigrant récemment arrivé au Canada, qui n’avait pas demandé de prestations en raison d’une croyance erronée, confirmée par des renseignements inexacts, selon laquelle il n’était pas admissible à ces prestations. Il ne pensait pas pouvoir toucher de prestations d’assurance-emploi, car il parrainait l’entrée de son épouse au Canada et il avait signé une entente dans laquelle il acceptait de ne pas demander l’aide sociale au Canada pendant 10 ans. Le juge-arbitre a décidé qu’il avait un motif valable justifiant son retard et a fait antidater sa demande.

[58] De même, la prestataire dans cette affaire avait également une croyance erronée et supposait qu’elle n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi. Cependant, ce qui la distingue, c’est que son employeur lui a dit de demander des prestations en 2022, mais qu’elle a tardé à le faire pendant deux ans supplémentaires.

[59] La division générale a conclu que l’employeur avait dit à la prestataire de demander des prestations en 2022, mais que celle-ci avait préféré intenter une poursuite contre son employeur. Elle ne s’est pas renseignée sur son admissibilité aux prestations d’assurance-emploi. La division générale a également déclaré que la prestataire avait pris connaissance des « règles » de l’assurance-emploi en février 2024 et n’a toujours pas fait de demande de prestations d’assurance-emploi avant septembre 2024Note de bas de page 38.

[60] Le fait de se fier à des rumeurs, à des renseignements non vérifiés ou à des suppositions aveugles et infondées ne constitue pas un motif valable, selon la Cour d’appel fédéraleNote de bas de page 39.

[61] Dans la décision CUB 35066, le conseil arbitral a commis une erreur en antidatant la demande à la date à laquelle la prestataire a été considérée comme étant « disponible pour travailler » par rapport à la date de l’arrêt de rémunération (la date de sa blessure). Le juge-arbitre a conclu que « le motif valable de retard n’est pas un concept aux limites strictement circonscrites, mais bien une notion plus souple et à caractère plus circonstanciel [...] chaque affaire étant tranchée selon les circonstances qui lui sont propres ».

[62] Il s’agit d’une décision CUB plus ancienne de 1995. Selon des décisions plus récentes de la Cour d’appel fédérale, l’obligation de présenter avec célérité sa demande de prestations est considérée comme étant très exigeante et stricte. C’est la raison pour laquelle l’exception relative au « motif valable justifiant le retard » est appliquée parcimonieusementNote de bas de page 40. L’antidatation est un privilège qui devrait s’appliquer de façon exceptionnelleNote de bas de page 41.

[63] Dans la décision CUB 70956, la personne a intenté une poursuite pour congédiement injustifié contre son employeur et un employé représentant la Commission lui a dit qu’elle n’était pas en droit de recevoir des prestations d’assurance-emploi. Le juge-arbitre a décidé qu’elle avait un motif valable d’antidater sa demandeNote de bas de page 42.

[64] La présente affaire est distincte. Dans ce cas, la prestataire a choisi de ne pas s’informer en se basant sur sa propre croyance erronée et sur l’hypothèse selon laquelle elle ne serait pas admissible aux prestations d’assurance-emploi. Une personne représentant la Commission ne lui a pas dit qu’elle n’avait pas droit aux prestations d’assurance-emploi, comme dans la décision CUB ci-dessus.

[65] Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a commis une erreur de droit dans la présente affaire.

[66] La division générale doit interpréter le terme « motif valable » selon les directives de la Cour d’appel fédérale. Sa décision écrite montre que c’est exactement ce qu’elle a fait. Bien qu’elle n’ait fait mention d’aucune des décisions CUB invoquées par la prestataire, elle s’est appuyée sur des affaires pertinentes de la Cour d’appel fédérale.

[67] La division générale n’a pas établi une norme de conduite plus élevée, c’est la jurisprudence qui établit que l’antidatation est appliquée avec prudence et de façon exceptionnelle.

[68] La division générale a correctement énoncé le droit dans sa décisionNote de bas de page 43. Elle a mentionné la jurisprudence pertinente de la Cour d’appel fédérale pour les affaires d’antidatation et l’a appliquée. Elle a déclaré à juste titre qu’il « n’y a pas de règles permettant de lui accorder le bénéfice du doute parce qu’elle s’est trompée au sujet des règles de l’assurance-emploi ou parce qu’elle estimait qu’elle devait faire valoir ses droits devant les tribunaux sans présenter de demande d’assurance-emploiNote de bas de page 44 ».

[69] Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a commis une erreur de droitNote de bas de page 45. Elle a correctement énoncé le droit et respecté les décisions contraignantes de la Cour d’appel fédérale. La division générale n’est pas tenue de respecter les décisions CUB, et celles-ci semblent de toute façon pouvoir être distinguées.

Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a fondé sa décision sur des erreurs de fait importantes et qu’elle a ignoré ou négligé des éléments de preuve importants

[70] Il y a erreur de fait lorsque la division générale « fonde sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 46 ».

[71] Cela consiste à examiner certaines des questions suivantesNote de bas de page 47 :

  • Est-ce que l’une des principales conclusions de la division générale contredit carrément la preuve?
  • Y a-t-il des éléments de preuve qui pourraient rationnellement appuyer l’une des principales conclusions de la division générale?
  • La division générale a-t-elle ignoré des éléments de preuve importants qui allaient à l’encontre de l’une de ses principales conclusions?

[72] Je vais d’abord examiner les principales conclusions de la division générale sur la question de l’antidatation, puis les arguments de la prestataire au titre du présent moyen d’appel.

Principales conclusions de la division générale sur la question de l’antidatation

[73] La division générale devait décider si la prestataire avait prouvé qu’elle avait un motif valable d’antidater sa demande de prestations à la date antérieure.

[74] La division générale a d’abord établi que la période de retard allait du 9 mai 2022 au 29 septembre 2024Note de bas de page 48. Les parties ne contestent pas la période écoulée.

[75] La division générale a relevé et pris en compte les raisons pour lesquelles la prestataire a tardé à demander des prestations d’assurance-emploi. Dans sa décision, elle a pris note des éléments suivantsNote de bas de page 49 :

  • la prestataire a quitté son emploi en mai 2022;
  • son employeur a tenté de la persuader de demander des prestations d’assurance-emploi en 2022;
  • elle s’est concentrée sur son emploi et a réclamé des prestations d’indemnisation des personnes d’accidentées du travail, ainsi qu’un grief auprès d’une commission du travail;
  • elle n’était pas au courant des règles concernant l’assurance-emploi et a supposé qu’elle n’était pas admissible;
  • elle devait composer avec l’insomnie et l’anxiété depuis 2022;
  • elle a commencé à travailler à temps partiel en mai 2022, à raison de 25 heures par semaine environ, jusqu’en avril 2024;
  • elle se concentrait alors sur d’autres affaires juridiques et se sentait dépassée;
  • elle a appris qu’elle pouvait être admissible aux prestations d’assurance-emploi seulement en février 2024.

[76] Après avoir examiné l’ensemble des circonstances de la prestataire, la division générale a conclu que dans les circonstances, une personne raisonnable et prudente aurait fait des démarches pour s’informer de ses droits et obligations en matière de prestations d’assurance-emploi.

[77] La division générale a décidé qu’il n’était pas raisonnable pour la prestataire de se fier à son hypothèse selon laquelle elle n’était pas admissible aux prestations d’assurance-emploi, d’autant plus que son employeur lui a proposé de demander des prestations d’assurance-emploi. La division générale a conclu que la prestataire avait choisi de se concentrer sur le travail et d’autres affaires juridiques auxquelles donner suite, au lieu de se renseigner sur les règles de l’assurance-emploi et de chercher à obtenir des prestationsNote de bas de page 50.

[78] La division générale a également estimé que la prestataire ne se trouvait pas dans des circonstances exceptionnelles. La division générale a expliqué que la situation particulière de la prestataire ne l’empêchait pas d’entreprendre des démarches pour demander des prestations d’assurance-emploi ou s’informer sur ses droits et obligationsNote de bas de page 51.

[79] La division générale a considéré que la prestataire était en mesure de travailler 25 heures par semaine (de mai 2022 à avril 2024) et de faire valoir d’autres droits liés à la cessation de son emploi pendant la période écoulée. Au lieu de cela, la division générale a constaté que la prestataire avait décidé de ne pas demander de prestations d’assurance-emploi à ce moment-là, bien qu’elle ait été au courant de cette possibilité lorsqu’elle a cessé de travaillerNote de bas de page 52.

La prestataire soutient que la division générale a commis des erreurs de fait et a ignoré ou négligé des éléments de preuve importants

[80] La plupart des arguments présentés par la prestataire à la division d’appel relèvent de ce moyen d’appel. L’essentiel de son argument consiste à dire qu’un motif valable justifiait son retard et que sa situation était exceptionnelle.

[81] De manière plus générale, la prestataire réitère bon nombre des raisons qu’elle a présentées à la division générale pour expliquer le retard dans la demande de prestations. Elle n’est pas d’accord avec la conclusion de la division générale selon laquelle elle n’avait pas de motif valable justifiant son retard. Elle a présenté la chronologie des événements et espère que cet appel sera différent et équitable.

[82] La prestataire soutient que la division générale a ignoré le fait qu’elle se concentrait sur l’obtention d’une indemnité de départ de la part de son employeur après avoir été congédiée de manière déguisée pour cause de discrimination. Elle affirme que la division générale n’a pas tenu compte du contexte social dans lequel elle vit, notamment de ses problèmes de santé mentale, du racisme systémique, de la perte de ses revenus et de ses prestations de pension, et du fait qu’elle se représentait elle-même dans un système judiciaire défavorable.

[83] La prestataire déclare que la division générale a continué à [traduction] « sous-entendre qu’elle a fait des recherches sur les prestations d’assurance-emploi en 2022 », mais que ce n’était pas vrai. Elle indique l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale à 55 min 45 s pour appuyer sa position.

[84] La prestataire soutient que la division générale disposait d’éléments de preuve médicale qui prouvent qu’elle avait des problèmes de santé et que les conclusions qu’elle a tirées aux paragraphes 23 et 24 de sa décision sont erronéesNote de bas de page 53. Elle se reporte aux éléments de preuve médicale présentés dans les documents GD3 et GD5 du dossier.

[85] Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a fondé sa décision sur des erreurs de fait importantes, ou qu’elle a ignoré ou négligé des éléments de preuve importantsNote de bas de page 54.

[86] La division générale n’a pas ignoré le fait que le prestataire avait déposé un grief en matière de relations de travail et une demande auprès d’une commission du travailNote de bas de page 55. Elle était parfaitement au courant que la prestataire donnait suite à d’autres affaires juridiques. Elle a tenu compte des circonstances particulières de la prestataire et les a toutes décrites dans sa décisionNote de bas de page 56. Malgré les affaires juridiques en cours, la division générale a conclu qu’une personne raisonnable et prudente se trouvant dans des circonstances semblables aurait pris des mesures pour se renseigner sur les prestations d’assurance-emploi et pour présenter une demande en même temps.

[87] Bon nombre des arguments de la prestataire portent sur ce que l’employeur lui a fait subir et sur les raisons pour lesquelles elle a eu raison de retarder sa demande de prestations. Toutefois, la seule question en litige était de savoir si elle avait un motif valable d’antidater sa demande à la date antérieure.

[88] Pour être clair, la division générale ne dispose d’aucune compétence pour tirer des conclusions sur le congédiement déguisé de la prestataire ou sur d’autres questions liées au travail. Le dossier montre qu’elle a déjà entamé d’autres procédures judiciaires pour régler ces questionsNote de bas de page 57. Même si la prestataire soutient que l’employeur ne lui a pas offert des mesures d’adaptation raisonnables, il s’agit d’une question de travail qui relève d’une autre instance, et non du Tribunal.

[89] L’enregistrement audio montre que la prestataire a dit à la division générale qu’elle n’avait pas fait de recherches sur les prestations d’assurance-emploi à ce moment-là [en 2022]. Elle a expliqué qu’elle était [traduction] « concentrée sur son travail », que le syndicat ne l’aidait pas, que [traduction] « l’assurance-emploi n’entrait pas en ligne de compte » et qu’elle essayait de trouver un moyen de reprendre son emploiNote de bas de page 58.

[90] La division générale n’a pas mal compris ou mal interprété le témoignage de la prestataire sur cette question, ni insinué qu’elle avait effectué des recherches sur les prestations d’assurance-emploi en 2022. La décision était fondée sur le fait que la prestataire connaissait le régime de prestations d’assurance-emploi en 2022 et que son employeur lui avait dit de demander des prestations à ce moment-làNote de bas de page 59.

[91] L’enregistrement audio montre également que la prestataire a déclaré qu’elle se concentrait sur son travail et qu’elle essayait de trouver un moyen de reprendre son emploiNote de bas de page 60. Et cela est conforme à la décision de la division généraleNote de bas de page 61.

[92] La division générale a conclu que la prestataire n’avait présenté aucun élément de preuve médicale démontrant qu’elle était incapable de présenter une demande d’assurance-emploi pour des raisons de santéNote de bas de page 62.

[93] J’ai examiné le dossier, y compris l’ensemble des documents GD3 et GD5. Un document médical confirme que la prestataire est atteinte d’anxiété et mentionne un incident survenu au travailNote de bas de page 63. Une note de médecin indique qu’elle était en arrêt de travail jusqu’au 6 mai 2022Note de bas de page 64. Une autre note de médecin confirme qu’elle était en proie au stress dû à son environnement de travail et à l’anxiétéNote de bas de page 65. Il y a aussi des preuves de séances virtuelles réservées auprès d’un organismeNote de bas de page 66.

[94] La conclusion de la division générale est compatible avec les éléments de preuve dont elle disposeNote de bas de page 67. Aucun élément de preuve médicale présenté à la division générale ne montre que la prestataire était incapable de présenter une demande d’assurance-emploi à cause de son état de santé ou de ses problèmes médicaux. Il n’est donc pas possible de soutenir que la division générale a ignoré ou négligé la preuve médicale au dossier.

[95] La prestataire réaffirme qu’elle se soucie de ses droits et de ses responsabilités, mais qu’elle est humaine et sujette à l’erreur. Je reconnais qu’elle peut avoir agi de bonne foi, mais la Cour d’appel fédérale précise que cela ne constitue pas un motif valableNote de bas de page 68. De plus, l’ignorance de la loi n’est pas un motif valable.

[96] L’ensemble des arguments présentés par la prestataire à la division d’appel équivaut à un désaccord avec la décision de la division générale. Elle plaide à nouveau sa cause parce qu’elle n’est pas satisfaite du résultat selon lequel sa demande ne pouvait pas être antidatée à la date antérieure.

[97] La division générale est juge des faits et elle était libre de conclure, selon la preuve portée à sa connaissance, que la prestataire n’avait pas de motif valable pour antidater sa demande. La division générale a accordé de l’importance au fait que la prestataire a pu faire d’autres choses, comme mener d’autres poursuites judiciaires et travailler à temps partiel pendant la période écoulée. Elle a conclu qu’une personne raisonnable et prudente se trouvant dans des circonstances semblables aurait pris des mesures pour se renseigner et demander des prestations d’assurance-emploi en même temps.

[98] Le rôle de la division d’appel est limité; je ne peux donc pas intervenir pour évaluer de nouveau la preuve concernant l’application de règles de droit bien établies aux faits de l’affaireNote de bas de page 69. Un appel à la division d’appel n’est pas une nouvelle audience visant à obtenir un résultat différent ou plus favorable.

[99] Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a fondé sa décision sur des erreurs de fait importantes et qu’elle a ignoré ou négligé des éléments de preuve importantsNote de bas de page 70. Ses principales conclusions concordent avec la preuve. Je n’ai trouvé aucun élément de preuve pertinent que la division générale aurait pu ignorer ou mal interpréterNote de bas de page 71.

Conclusion

[100] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel de la prestataire n’ira pas de l’avant. Elle n’a aucune chance raisonnable de succès.

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