[TRADUCTION]
Citation : IJ c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 475
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi
Décision
Partie appelante : | I. J. |
Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Décision portée en appel : | Décision de révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (700615) datée du 8 janvier 2025 (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | Anne S. Clark |
Mode d’audience : | Vidéoconférence |
Date de l’audience : | Le 4 mars 2025 |
Personne présente à l’audience : | Appelante |
Date de la décision : | Le 10 mars 2025 |
Numéro de dossier : | GE-25-290 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est rejeté. Je ne suis pas d’accord avec l’appelante.
[2] L’appelante n’a pas démontré qu’elle avait un motif valable justifiant le retard de sa demande de prestations d’assurance-emploi. Un motif valable est une raison acceptable selon la loi pour expliquer le retard. Par conséquent, sa demande ne peut pas être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt.
Aperçu
[3] L’appelante a fait une demande initiale de prestations régulières le 29 septembre 2024. Elle demande maintenant que la demande soit traitée comme si elle avait été présentée plus tôt, soit le 9 mai 2022. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a rejeté sa demande.
[4] Je dois décider si l’appelante a prouvé qu’elle avait un motif valable justifiant son retard à présenter sa demande.
[5] La Commission a décidé que l’appelante n’avait pas de motif valable, car elle n’a pas agi comme une personne raisonnable et prudente et ne s’est pas renseignée sur ses droits et ses obligations aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi.
[6] L’appelante n’est pas d’accord et soutient qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait demander des prestations d’assurance-emploi. Elle a ajouté que la Commission n’avait pas tenu compte de sa santé mentale. Étant donné sa santé mentale et les circonstances, il était raisonnable qu’elle n’ait pas été en mesure de demander des prestations d’assurance-emploi ou de se renseigner sur ses droits et ses obligations.
[7] L’appelante soutient qu’il faudrait lui accorder le bénéfice du doute afin qu’elle puisse prouver qu’elle avait un motif valable. La Commission aurait dû tenir compte de l’effet cumulatif de sa situation et de son état de santé. Elle estime que l’ignorance de la loi est un motif valable pour justifier un retard. Elle a été mal informée, ce qui est un motif valable qui perdure jusqu’à ce qu’elle obtienne les bons renseignements.
Questions que je dois examiner en premier
L’appelante ne veut pas déposer de contestation fondée sur la Charte
[8] L’appelante a déposé des observations écrites et a déclaré qu’elle estimait que la Commission avait fait preuve de discrimination à son égard. Elle a dit qu’elle considérait que ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés avaient été violés. Avant de commencer l’audience, j’ai demandé à l’appelante si elle avait l’intention de contester la décision au titre de la Charte.
[9] Elle a déclaré qu’elle estimait que la Commission et son employeur étaient injustes. Elle estimait avoir été traitée injustement parce qu’elle est une femme noire atteinte d’un trouble de santé mentale. Nous avons discuté de la procédure qu’une partie appelante doit suivre pour contester la loi au titre de la Charte.
[10] L’appelante a dit qu’elle ne voulait pas déposer de contestation fondée sur la Charte. Elle préfère faire valoir son appel en application de la Loi sur l’assurance-emploi et du Règlement sur l’assurance-emploi. Elle a dit qu’elle comprenait que cela signifiait qu’elle ne pouvait pas soulever de questions relatives à la Charte dans le cadre de l’appel. J’ajoute que, dans ma décision, je n’évaluerai aucun article de la Loi sur l’assurance-emploi ou du Règlement sur l’assurance-emploi au titre de la Charte.
Question en litige
[11] La demande de l’appelante peut-elle être traitée comme si elle avait été présentée le 9 mai 2022? C’est ce qu’on appelle « antidater » la demande.
Analyse
[12] Pour que sa demande de prestations soit antidatée, une personne doit prouver les deux choses suivantesNote de bas de page 1 :
- a) Qu’elle avait un motif valable justifiant son retard durant toute la période écoulée. Autrement dit, qu’elle avait une explication acceptable selon la loi.
- b) Qu’à la date antérieure (c’est-à-dire la date à laquelle elle veut que sa demande soit antidatée), elle remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations.
[13] Pour démontrer l’existence d’un motif valable, l’appelante doit prouver qu’elle a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblablesNote de bas de page 2. Autrement dit, elle doit démontrer qu’elle a agi comme une personne raisonnable et réfléchie aurait agi dans une situation semblable.
[14] L’appelante doit aussi démontrer qu’elle a vérifié assez rapidement si elle avait droit aux prestations et quelles obligations la loi lui imposaitNote de bas de page 3. Cela veut dire que l’appelante doit démontrer qu’elle a fait de son mieux pour essayer de s’informer sur ses droits et responsabilités dès que possible. Si l’appelante ne l’a pas fait, elle doit démontrer les circonstances exceptionnelles qui l’en ont empêchéeNote de bas de page 4.
[15] L’appelante doit le prouver pour toute la période du retardNote de bas de page 5. Cette période s’étend du jour où elle veut que sa demande soit antidatée à celui où elle a présenté cette demande. Par conséquent, la période de retard de l’appelante va du 9 mai 2022 au 29 septembre 2024.
[16] L’appelante doit le démontrer selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle avait un motif valable justifiant son retard.
[17] L’appelante affirme qu’un motif valable justifiait son retard parce qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait être admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi lorsqu’elle a quitté son emploi en mai 2022.
[18] La Commission affirme que l’appelante n’a pas démontré qu’elle avait un motif valable justifiant son retard parce qu’elle n’a pas agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait et qu’elle ne s’est pas renseignée sur ses droits et ses obligations.
[19] Après avoir quitté son emploi, l’appelante a réclamé des prestations d’indemnisation des personnes accidentées du travail et a déposé un grief auprès d’une commission du travail. En février 2024, elle a appris qu’elle était peut-être admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi. Avant septembre 2024, elle se concentrait sur son emploi et sur sa demande à la commission du travail. Elle n’était pas au courant des règles concernant l’assurance-emploi. Elle n’a abordé les règles avec une autre personne qu’en février 2024 ou après cette date. C’est à ce moment-là qu’elle a appris qu’elle pouvait être admissible et qu’il était possible de présenter une demande tardive. Au mois de septembre, elle a estimé être en mesure de suivre les conseils d’une amie ou d’un ami, et elle a demandé des prestations d’assurance-emploi.
[20] Je considère que l’appelante n’a pas prouvé qu’elle avait un motif valable justifiant son retard à demander des prestations parce qu’elle n’a pas fait ce qu’une personne raisonnable et prudente aurait fait dans les circonstances pour se renseigner sur ses droits et ses obligations. J’estime qu’aucune circonstance exceptionnelle ne pourrait la dispenser de vérifier assez rapidement ses droits et ses obligations. Il n’y a pas de règles permettant de lui accorder le bénéfice du doute parce qu’elle s’est trompée au sujet des règles de l’assurance-emploi ou parce qu’elle estimait qu’elle devait faire valoir ses droits devant les tribunaux sans présenter de demande d’assurance-emploi.
[21] L’appelante a dit qu’elle ne connaissait pas les règles qui s’appliquaient aux prestations d’assurance-emploi. Une personne raisonnable aurait communiqué avec la Commission pour poser des questions à ce sujet. Elle a dit qu’elle n’avait communiqué avec personne pour s’informer de ses droits au titre de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle n’a pas posé de questions à son avocate ou à son avocat ni communiqué avec la Commission. Elle a dit qu’elle faisait valoir ses droits au titre d’autres règles, y compris celles relatives à l’indemnisation les personnes accidentées du travail et au droit du travail. Son employeur et le l’organisme d’indemnisation des personnes accidentées du travail ont mentionné les prestations d’assurance-emploi, mais elle a supposé qu’elle n’y serait pas admissible. Elle a déclaré ne disposer d’aucune information pour étayer cette conviction. Cependant, elle s’est fiée à cette hypothèse et a décidé de ne pas faire de demande d’assurance-emploi. Cela n’est pas raisonnable.
[22] L’appelante a dit que son employeur avait tenté de la persuader de demander des prestations d’assurance-emploi en 2022. Elle avait l’impression qu’on essayait de la pousser à quitter son emploi. Elle voulait continuer à travailler. Elle a donc intenté une poursuite et n’a pas demandé d’informations sur les prestations d’assurance-emploi. Encore une fois, il n’était pas raisonnable pour l’appelante de prendre cette décision sans se renseigner sur ses autres droits et obligations.
[23] Dans ses observations écrites et lors de l’audience, l’appelante a déclaré que sa capacité à s’occuper d’une demande d’assurance-emploi était limitée entre 2022 et 2024. Elle a dit devoir composer avec l’insomnie et l’anxiété depuis 2022. Elle n’a présenté aucun élément de preuve médicale démontrant qu’elle était incapable de présenter une demande pour des raisons de santé. Elle a dit avoir commencé à travailler à temps partiel en mai 2022. Elle a travaillé environ 25 heures par semaine jusqu’en avril 2024. Elle a ajouté qu’elle s’était concentrée sur les autres affaires juridiques pendant cette période, et qu’elle n’avait donc fait aucune démarche pour s’informer sur les prestations d’assurance-emploi. Elle a indiqué qu’elle se sentait dépassée par toutes les affaires juridiques auxquelles elle devait donner suite. Elle estimait avoir fait tout ce qu’elle pouvait compte tenu de sa situation. C’était trop lui demander que de s’attendre à ce qu’elle demande aussi des prestations d’assurance-emploi en même temps.
[24] L’appelante n’a décrit aucune circonstance exceptionnelle qui l’aurait empêchée de prendre des mesures pour demander des prestations d’assurance-emploi ou de s’informer de ses droits et obligations. D’après son témoignage, elle pouvait travailler 25 heures par semaine. Elle pouvait faire valoir d’autres droits liés à la cessation de son emploi. Sa décision de ne pas demander de prestations d’assurance-emploi était un choix. Cela reposait peut-être sur des renseignements incomplets ou incorrects, mais elle connaissait l’assurance-emploi au moment où elle a quitté son emploi. Elle a simplement décidé de se consacrer à d’autres affaires juridiques éventuelles, et non à l’assurance-emploi.
[25] Elle a dit qu’elle n’avait rien fait pour se renseigner sur ses droits et obligations au titre de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle a dit que c’était parce qu’elle ignorait (elle supposait) qu’elle n’était pas admissible. Elle a décidé de se concentrer sur son travail et de récupérer son emploi. Elle ne croyait pas être admissible à l’assurance-emploi et, par la suite, elle a pensé qu’elle avait attendu trop longtemps.
[26] Les choix de l’appelante n’étaient pas ceux d’une personne raisonnablement prudente. Je comprends qu’elle estime que ce retard était justifié, car elle ne pouvait pas tout faire et devait choisir les affaires juridiques auxquelles elle pouvait donner suite. Cependant, il n’est pas raisonnable qu’elle envisage d’autres options juridiques et décide de ne pas se renseigner au sujet des prestations d’assurance-emploi sans au moins essayer de se familiariser avec ces règles.
[27] Je n’ai pas besoin d’examiner si l’appelante remplissait les conditions requises, à la date antérieure, pour recevoir des prestations. Comme elle n’avait pas de motif valable justifiant son retard, sa demande ne peut pas être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt.
Conclusion
[28] L’appelante n’a pas prouvé qu’elle avait un motif valable justifiant son retard à présenter sa demande de prestations durant toute la période écoulée.
[29] L’appel est rejeté.