Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation :c Commission de l’assurance-emploi du Canada et JD, 2024 TSS 1737

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : X
Représentante ou représentant : Danesh Rana
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Partie mise en cause : J. D.

Décision portée en appel : Décision de révision (649532) datée du 23 mars 2024 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Emily McCarthy
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : 5 novembre 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’appelant
Partie mise en cause
Date de la décision : 23 décembre 2024
Numéro de dossier : GE-24-1550

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le membre du Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelant, X (employeur).

[2] L’appelant. J. D. (mis en cause), a démontré qu’il était fondé à quitter son emploi (c’est-à-dire qu’il avait une raison acceptable selon la loi de le faire) quand il l’a fait. Le mis en cause était fondé à quitter son emploi, parce qu’aucune solution raisonnable autre ne s’offrait à lui. Par conséquent, il n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi (AE).

Aperçu

[3] L’employeur fait appel d’une décision par laquelle la Commission a accordé au mis en cause le bénéfice des prestations d’AE, même s’il a quitté son emploi.

[4] L’employeur affirme que la Commission n’a pas analysé adéquatement les allégations du mis en cause pour étayer qu’il a été victime de discrimination fondée sur la race. L’employeur remet également en doute le caractère équitable et exhaustif de la procédure d’enquête et de révision de la Commission. L’employeur est d’avis qu’il a agi rapidement et efficacement lorsque le mis en cause s’est tourné vers la direction pour se plaindre d’incidents en milieu de travail. Il souligne également que bon nombre des incidents se sont déroulés au moins un an avant que le mis en cause ne dépose sa plainte.

[5] Le mis en cause a quitté son emploi le 28 avril 2023Note de bas de page 1. La Commission a examiné les motifs de départ du mis en cause. Elle a conclu qu’il avait volontairement quitté (ou choisi de quitter) son emploi. Elle a également conclu qu’il était fondé à le faire. Autrement dit, elle a déterminé qu’il n’était pas exclu du bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploiNote de bas de page 2.

[6] L’employeur a interjeté appel de cette décisionNote de bas de page 3.

[7] Je dois décider si le mis en cause a prouvé qu’il n’avait pas de solution raisonnable autre que de quitter son emploi.

[8] L’employeur affirme que le mis en cause a participé aux activités mêmes dont il s’est plaint, et qu’il ne s’est plaint qu’un certain temps après la tenue de ces activités. L’employeur soutient avoir pris des mesures disciplinaires appropriées en réponse à la plainte du mis en cause. Il affirme que le mis en cause a accepté les résultats de l’enquête et qu’il était satisfait du résultat. Le mis en cause n’avait aucun motif de quitter son emploi. L’employeur affirme également avoir offert au mis en cause un autre poste dans un concessionnaire différent, mais qu’il l’a refuséNote de bas de page 4.

[9] L’employeur affirme également que le mis en cause n’a pas démontré qu’il a été victime de harcèlement une fois sa première enquête terminée. Il reconnaît que le mis en cause a déposé une autre plainte, mais qu’il a démissionné avant qu’il puisse faire enquête. Le mis en cause n’était donc pas fondé à quitter son emploiNote de bas de page 5.

[10] Le mis en cause nie avoir participé à son mauvais traitement. Il a témoigné avoir essayé de continuer à travailler, parce qu’il adorait son travail. À la fin, il n’en pouvait plus et il a déposé une plainte. Il dit ne jamais avoir accepté ou cru que sa plainte était réglée. Il remet en question ce qui a été fait dans le cadre de l’enquête ainsi que le résultat de l’enquête. Il dit également avoir continué à faire l’objet de discrimination et de harcèlement après la clôture de sa plainte par l’employeur. En raison de la toxicité du milieu de travail, il lui a été impossible de continuer à travailler pour l’employeur. Sa santé mentale en souffrait. Il a reçu un diagnostic de dépression et d’anxiété découlant de son milieu de travail. Il a donc quitté son emploi pour se protéger. Il nie s’être vu offrir un autre poste dans un concessionnaire différentNote de bas de page 6.

[11] La Commission affirme que les déclarations de témoins fournies par l’employeur au cours du processus de révision confirment que les incidents de harcèlement et de discrimination décrits par le mis en cause dans sa plainte ont bien eu lieu. Même après que le mis en cause a eu déposé une plainte, soit la solution raisonnable autre qui s’offrait à lui, l’employeur s’attendait à ce qu’il continue de travailler dans le même environnement. Aucun autre emploi n’a été proposé au mis en cause. Le Commission a donc convenu que le mis en cause n’avait pas de solution raisonnable autre que de quitter son emploiNote de bas de page 7.

[12] Je dois décider si le mis en cause était fondé à quitter son emploi. Pour ce faire, je dois examiner toutes les circonstances qui existaient au moment où il a démissionné. Je dois aussi me demander si, dans ces circonstances, il avait des solutions raisonnables autres que de quitter son emploi.

Questions que je dois examiner en premier

Documents envoyés après l’audience.

[13] À l’audience, les deux parties ont dit qu’elles enverraient des documents après l’audience. Ces documents ont été énumérés dans une lettre que j’ai envoyée aux parties après l’audienceNote de bas de page 8. L’employeur a dit qu’il enverrait la lettre de démission du mis en cause. Le mis en cause a été informé qu’il pouvait envoyer des déclarations écrites de témoins. Les deux parties se sont vu accorder jusqu’au 19 novembre 2024 pour transmettre leurs documentsNote de bas de page 9.

[14] Le 5 novembre 2024, après l’audience, l’employeur a transmis un document qui n’était pas attendu. Le document est un formulaire d’une page reconnaissant que le signataire a lu les politiques et procédures de l’entreprise datées du 20 août 2020. Le nom du signataire n’est pas écrit en toutes lettres sur le formulaire. Le document ne comprenait aucune autre pageNote de bas de page 10.

[15] L’employeur affirme que ce document montre que le mis en cause s’est vu remettre les politiques de l’entreprise, contrairement à ce que le mis en cause a affirmé à l’audience.

[16] J’ai demandé aux parties de présenter des observations sur la recevabilité du document. Le mis en cause a déclaré que le formulaire ne prouvait rien en l’absence du document au completNote de bas de page 11. Il n’a cependant pas dit que la signature figurant sur le document n’était pas la sienne. Lors de l’audience, le mis en cause a affirmé qu’on ne lui avait pas remis la politique. Ainsi, j’ai décidé d’admettre ce documentNote de bas de page 12.

[17] Le représentant de l’employeur affirme que ce document remet en question les souvenirs et la sincérité du mis en cause, parce qu’il prouve que la politique de l’entreprise a été remise au mis en causeNote de bas de page 13.

[18] Je ne suis pas d’accord pour dire qu’il faille remettre en question tout le témoignage du mis en cause parce qu’il ne se souvenait pas d’avoir signé un document quatre ans auparavant, dans un autre concessionnaire, après une absence d’un an pour traiter une atteinte à la santé mentale au travail. J’accepte qu’il a signé ce formulaire reconnaissant qu’il a lu et compris la politique, le 8 août 2020. Cela dit, il n’y est pas mentionné qu’on lui a remis une copie de la politique.

[19] L’employeur a également fourni la lettre de démission du mis en causeNote de bas de page 14. Cette information est pertinente au regard de la question du départ volontaire. J’ai donc décidé d’examiner le document. J’ai cependant permis au mis en cause de faire des commentaires sur le contenu du document, ce qu’il a faitNote de bas de page 15.

[20] Le mis en cause a également envoyé des documents après l’audienceNote de bas de page 16. Le document qu’il a déposé après l’audience comprenait sa réponse aux documents de l’employeur et des renseignements nouveaux. Parmi ces renseignements figuraient les suivants :

  • Une déclaration écrite signée par un collègue.
  • Des courriels échangés avec le propriétaire de l’employeur au sujet de possibilités d’emploi.
  • Une demande de contrat d’emploi transmise par courriel après sa démission.
  • Des courriels échangés avec le directeur général d’un concessionnaire appartenant à l’employeur, afin de planifier une rencontre au sujet d’une possibilité d’emploi.

[21] J’ai accepté ces documents comme étant pertinents parce qu’ils contiennent de l’information sur des sujets qui ont été abordés lors de l’audience. J’ai donné à l’employeur l’occasion de commenter les renseignements nouveauxNote de bas de page 17.

[22] L’employeur a envoyé sa réponse aux documents du mis en cause. Cette réponse comprenait également de nouveaux documentsNote de bas de page 18.

[23] Ces documents sont les suivants :

  • La politique générale complète de l’employeur, ainsi que les attestations signées par le mis en cause.
  • Des courriels que le propriétaire a adressés au mis en cause au sujet de possibilités d’emploi.
  • Le contrat de travail du mis en cause.
  • Des courriels au sujet des circonstances de la cessation d’emploi du mis en cause au Y (premier concessionnaire).
  • Des courriels échangés entre le mis en cause et le directeur général (DG) de X (deuxième concessionnaire) au sujet d’une expérience négative vécue par un client du mis en cause.

[24] Je vais prendre ce document en considération. Celui-ci comprend :

  • des documents que le mis en cause avait auparavant demandés;
  • des documents figurant déjà au dossier de révision de la Commission;
  • des documents qui sont un complément de communications écrites figurant déjà au dossier de révision de la Commission;
  • des documents qui sont liés aux témoignages entendus à l’audience.

[25] J’ai ainsi accepté tous les documents que l’employeur a envoyés après l’audienceNote de bas de page 19. J’ai également accepté la plupart des documents envoyés par l’appelantNote de bas de page 20.

[26] Même si je ne lui avais pas donné l’occasion de répondre au dernier document déposé par l’employeur, le mis en cause a transmis d’autres observations. Je n’ai pas accepté ce document supplémentaire. J’ai décidé que les questions abordées dans ces observations supplémentaires n’étaient pas utiles quant à l’issue du présent appel. J’ai décidé que la preuve était close. Pour ces raisons, je n’ai pas examiné ce document.

Question en litige

[27] Le mis en cause est-il exclu du bénéfice des prestations pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification?

[28] Pour trancher cette question, je dois d’abord examiner les raisons du départ volontaire du mis en cause. Je dois ensuite décider si le mis en cause était fondé à quitter son emploi.

Analyse

Les parties conviennent que le mis en cause a quitté volontairement son emploi

[29] Je souscris à l’idée selon laquelle le mis en cause a quitté volontairement son emploi. Le mis en cause a envoyé un avis de démission par courriel à l’employeur, le 28 avril 2023Note de bas de page 21. Je ne vois aucun élément de preuve contredisant qu’il a quitté son emploi. Il n’a pas été congédié. Il est à l’origine de sa cessation d’emploi. Je conclus donc que le mis en cause avait le choix entre rester et partir. Ainsi, je conclus qu’il a quitté volontairement son emploi.

Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si le mis en cause était fondé à quitter son emploi

[30] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si le mis en cause était fondé à quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.

[31] Selon la loi, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 22. Il ne suffit pas que la personne ait une bonne raison de quitter son emploi pour prouver qu’elle était fondée à le faire.

[32] La loi explique ce que signifie « être fondé à ». Selon la loi, le prestataire est fondé à quitter son emploi si son départ constitue la seule solution raisonnable à ce moment-là. Elle précise que je dois tenir compte de toutes les circonstancesNote de bas de page 23.

[33] Il appartient au mis en cause de démontrer qu’il était fondé à quitter son emploi. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer que le départ volontaire était fort probablement la seule solution raisonnableNote de bas de page 24.

[34] Pour déterminer si le mis en cause était fondé à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances qui étaient présentes lors de son départ. Le droit applicable énonce certaines des circonstances dont je dois tenir compteNote de bas de page 25. Celles-ci comprennent notamment le harcèlement et la discriminationNote de bas de page 26.

[35] Une fois que j’aurai cerné les circonstances qui s’appliquaient au mis en cause au moment où il a quitté son emploi, celui‑ci devra démontrer qu’aucune solution raisonnable autre ne s’offrait à lui à ce moment-làNote de bas de page 27.

Les circonstances qui existaient au moment où le mis en cause a quitté son emploi

[36] Le propriétaire de l’employeur, J. M., (propriétaire) a plusieurs concessionnaires d’automobiles.

[37] Le mis en cause travaillait dans un café où le propriétaire se rendait souvent pour acheter son café. Lorsque les cafés ont fermé en raison de la pandémie, le propriétaire a offert un poste de laveur de voitures au mis en cause.

[38] Les parties ne s’entendent pas sur la façon dont le mis en cause est devenu un employé. Cela dit, cette information n’a pas de lien avec les circonstances qui existaient lorsqu’il a démissionné. Je ne fais donc aucune constatation quant à la façon dont le mis en cause en est venu à travailler pour l’employeur.

[39] Le mis en cause a commencé à travailler comme laveur de voitures au premier concessionnaire en août 2020. Il a commencé à travailler au deuxième concessionnaire comme laveur de voitures en février 2021, et dans ce même concessionnaire comme représentant des ventes à la fin de 2022.

[40] Le mis en cause affirme que deux des circonstances énoncées dans la loi s’appliquent à lui. Plus précisément, il dit avoir été victime de discrimination et de harcèlement en raison de sa race.

[41] L’employeur n’est pas d’accord avec lui. Il affirme que le mis en cause n’a pas prouvé qu’il avait été victime de discrimination fondée sur sa race. Il souligne qu’il faut tenir compte du contexte, et il s’appuie sur des déclarations que ses employés ont faites pour démontrer qu’il s’agissait d’anodines plaisanteries et blagues entre amisNote de bas de page 28. Il souligne également que le mis en cause était un participant consentant. Il affirme également qu’il y a lieu de prendre en considération le temps écoulé entre certains incidents et la plainte. Enfin, il nie que ces incidents correspondent à la définition de discrimination ou de harcèlement fondés sur la race.

[42] Le critère juridique applicable en matière de discrimination comporte deux étapesNote de bas de page 29. Pour prouver qu’il a été victime de discrimination, l’appelant doit démontrer les trois éléments suivants :

  • il possède une caractéristique protégée contre la discrimination au titre des lois sur les droits de la personne;
  • il a subi un effet préjudiciable ou une perte (directement ou indirectement);
  • la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable qu’il a subiNote de bas de page 30.

[43] Si le mis en cause démontre que ces trois facteurs sont réunis, l’employeur a la possibilité de démontrer en quoi il ne s’agissait pas d’actes discriminatoiresNote de bas de page 31.

[44] Le mis en cause s’identifie comme un homme noir et comme un réfugié. La race et l’origine nationale sont des caractéristiques protégées par la Loi canadienne sur les droits de la personneNote de bas de page 32.

[45] Le mis en cause affirme avoir été traité différemment au travail et harcelé par des collègues en raison de sa race et de son origine nationale. Le harcèlement est un acte discriminatoireNote de bas de page 33. Le mis en cause a fourni des preuves documentaires de certains des incidents de harcèlement et de discrimination fondés sur sa race, selon luiNote de bas de page 34.

[46] Le terme « harcèlement » n’est pas défini dans la Loi sur l’AE. Il l’est cependant dans d’autres loisNote de bas de page 35. Le Code canadien du travail définit ainsi le harcèlement : « [t]out acte, comportement ou propos, notamment de nature sexuelle, qui pourrait vraisemblablement offenser ou humilier un employé ou lui causer toute autre blessure ou maladie, physique ou psychologique, y compris tout acte, comportement ou propos réglementaireNote de bas de page 36 ». Le Code des droits de la personne de l’Ontario définit ainsi le harcèlement : « [f]ait [pour une personne] de faire des remarques ou des gestes vexatoires lorsqu’elle sait ou devrait raisonnablement savoir que ces remarques ou ces gestes sont importunsNote de bas de page 37.

[47] Sur son site Web, la Commission canadienne des droits de la personne dit ceci au sujet du harcèlement : « Forme de discrimination. Tout comportement physique ou verbal indésirable qui choque ou humilie. En général, le harcèlement est un comportement qui persiste au fil du temps. Les incidents ponctuels graves peuvent parfois aussi être considérés comme du harcèlementNote de bas de page 38 ».

[48] La division d’appel du Tribunal a énoncé les « principes clés » dont il faut tenir compte pour déterminer si un prestataire de l’AE a été la cible de harcèlement au travailNote de bas de page 39 :

  • les auteurs du harcèlement peuvent agir seuls ou en groupe et n’occupent pas nécessairement un poste de supervision ou de gestion;
  • le harcèlement peut prendre plusieurs formes, notamment un acte, un comportement, un propos, de l’intimidation et une menace;
  • dans certains cas, un seul incident suffit pour être considéré comme du harcèlement;
  • l’accent est mis sur le prétendu auteur du harcèlement et sur le fait de savoir si celui‑ci savait ou aurait raisonnablement dû savoir que son comportement pourrait offenser, embarrasser ou humilier une autre personne ou lui causer toute autre blessure psychologique ou physique.

[49] Bien que je ne sois pas tenue de suivre ces définitions législatives ou les « principes clés » énoncés par la division d’appel, je juge que ces principes sont convaincants et je les ai appliqués aux faits en l’espèce.

[50] Dans un courriel daté du 1er mars 2023, le mis en cause s’est initialement plaint de discrimination raciale en milieu de travail auprès du DG. Il y affirmait ce qui suitNote de bas de page 40 :

  • Se faire appeler JD Black (dans une carte professionnelle modifiée, par exemple).
  • Se fait dire par un représentant des ventes que les déchets sur le plancher d’une voiture pourraient être son dîner, en juillet 2022.
  • Voir une photo qu’il a publiée en ligne modifiée par l’ajout d’une image d’aubergine devant ses parties génitales.
  • Se faire dire par un employé qu’il a besoin de drogues après que le directeur des ventes lui a dit qu’il semblait fatigué, en juillet 2022.
  • Le 27 février 2023, le directeur des ventes a coupé sa cravate avec un coupe-chaîne au lieu des ciseaux habituels après qu’il a fait sa première vente.

[51] Le mis en cause a travaillé dans deux concessionnaires différents. Il a changé de poste pendant qu’il travaillait au deuxième concessionnaire (passant de laveur de voitures à représentant des ventes). Tous les incidents dont il s’est plaint se sont produits pendant qu’il travaillait au deuxième concessionnaire.

[52] L’employeur fait valoir que ces incidents doivent être examinés dans leur contexte. Dans son avis d’appelNote de bas de page 41, il affirme que les facteurs suivants devraient être pris en considération pour déterminer s’il y a eu discrimination ou harcèlement fondés sur la race :

  • Le mis en cause a encouragé les activités dont il s’est plaint et y a participé.
  • Il y a eu un délai entre certains incidents et la plainte.
  • Le mis en cause n’a fourni aucune déclaration de témoin ni aucun document médical à l’appui de sa prétention.

Le mis en cause a-t-il été harcelé par le représentant des ventes?

[53] Oui. J’estime que les actions du représentant des ventes constituaient du harcèlement fondé sur la race du mis en cause.

[54] Le mis en cause a fourni des éléments de preuve étayant le harcèlement qu’il a subi de la part du représentant des ventesNote de bas de page 42.

[55] Le mis en cause affirme que le représentant des ventes lui a dit que les déchets sur le plancher d’une voiture devraient être son dîner. Le mis en cause a trouvé ce commentaire dégradant et blessant.

[56] La photo d’une carte professionnelle figure dans les documents de la Commission. Le nom de famille original de l’employé est biffé et remplacé par « Black ». La carte se lit maintenant « JD Black ». Il s’agit à mon avis d’une référence à la race du mis en cause. Je suis également d’avis qu’il s’agissait d’un changement non sollicité importun, comme il en ressort des messages textes échangés entre le mis en cause et le représentant des ventes à ce sujetNote de bas de page 43.

[57] Le deuxième élément de preuve que le mis en cause a envoyé à la Commission est une photo de lui, en tenue professionnelle, son téléphone cellulaire à la main, assortie d’une légende qui dit [traduction] « Je peux vous voir dans mon... ». La photo était sur TikTok. Le représentant des ventes a modifié cette photo en superposant l’image d’une aubergine devant les parties génitales du mis en cause. Les messages textes qui accompagnent la photo montrent que le mis en cause n’a pas trouvé cela drôleNote de bas de page 44. De plus, le comportement n’a pas été sollicité. Je trouve que l’utilisation de l’image d’une aubergine faisait référence à la race du mis en cause. C’était aussi de nature sexuelle.

[58] La déclaration écrite du représentant des ventes confirme que ces incidents ont eu lieu et qu’il en était le responsableNote de bas de page 45.

[59] J’accepte que le représentant des ventes a été suspendu un jour, le 3 mars 2023, soit deux jours après que le mis en cause a déposé sa plainte auprès du DGNote de bas de page 46.

[60] À l’audience, le représentant de l’employeur a mentionné deux fois que le représentant des ventes faisait partie des minorités visibles. La pertinence de cette information n’est pas claire. Le fait qu’une personne fasse partie d’un groupe protégé ne la rend pas incapable de commettre de la discrimination ou du harcèlement à l’endroit d’une autre personne faisant aussi partie d’un groupe protégé.

[61] L’employeur affirme que la conduite du représentant des ventes dans ses interactions avec le mis en cause relevait essentiellement de la [traduction] « plaisanterie »Note de bas de page 47. À l’audience, il s’est fondé sur les déclarations transmises à la Commission pendant le processus de révision. Le représentant des ventes affirme dans sa déclaration que les interactions étaient d’[traduction]« anodines plaisanteriesNote de bas de page 48 ». L’employeur affirme par ailleurs que le mis en cause et le représentant des ventes avaient une relation amicaleNote de bas de page 49.

[62] Cet argument sous-entend qu’un tel comportement entre collègues de travail ne constitue pas un acte de discrimination ou de harcèlement, parce qu’il s’agit d’une [traduction] « blague ». L’employeur affirme aussi que la décision du mis en cause de participer aux activités dont il s’est plaint doit être prise en considération. Note de bas de page 50

[63] Les blagues peuvent être offensantes. Les blagues peuvent aussi être blessantes. Le fait que le représentant des ventes se trouvait drôle ne change rien à la nature du comportement. Les blagues racistes ne devraient pas être considérées comme d’anodines plaisanteries. La preuve documentaire au dossier montre que le représentant des ventes a fait au moins deux « blagues » offensantes fondées sur la race, ce qui lui a valu une suspension sans solde d’une journée.

[64] J’estime que les actions du représentant des ventes ont été non sollicitées, répétées et objectivement offensantes. Elles ont causé l’humiliation et la détresse du mis en cause en milieu de travail.

[65] L’employeur dit aussi que je devrais tenir compte du temps écoulé entre les incidents et la plainte. L’employeur soutient que, parce que le mis en cause a tardé à déposer une plainte, il n’y avait pas de connectivité temporelle entre sa plainte initiale et les incidentsNote de bas de page 51. Il semble faire valoir qu’en ne s’en plaignant pas sur le champ, le mis en cause avait approuvé ou accepté le comportement offensant.

[66] L’employeur affirme également que le mis en cause a accepté les excuses du représentant des ventesNote de bas de page 52. À l’audience, le mis en cause a déclaré ne pas avoir accepté ces excuses de son plein gré. Le représentant des ventes s’est rendu à son bureau et a présenté ses excuses en public. Le mis en cause dit ne pas avoir eu la possibilité de refuser les excuses.

[67] Je souligne que, en milieu de travail, il se peut qu’une personne se sente impuissante ou craigne de subir des représailles si elle se plaint de soi-disant [traduction] « blagues ». Il y a une pression poussant à l’intégration à la culture du milieu de travail. Ceci est particulièrement vrai lorsqu’une personne, comme le mis en cause, souhaite faire avancer sa carrière.

[68] Je reconnais que certains des incidents se sont produits un an avant que le mis en cause se plaigne au DG. Or, selon moi, le fait qu’il a tardé à déposer sa plainte ne montre pas qu’il a approuvé le comportement ou que ce comportement ne l’a pas offensé.

[69] Je me reporte à une décision récente de la Cour divisionnaire de l’Ontario dans l’affaire Metrolinx v Amalgamated Transit Union, Local 1587 (Metrolinx)Note de bas de page 53. Bien que cette décision porte sur le harcèlement sexuel, je trouve qu’elle est instructive quant à la question du harcèlement en milieu de travail de façon plus générale. Dans cette affaire, la Cour divisionnaire a déclaré ce qui suit :

[traduction]
« La réticence d’une victime à dénoncer le harcèlement sexuel qu’elle a subi ou à porter plainte à cet égard peut découler de nombreux facteurs : malaise, crainte de représailles ou, simplement, espoir que le comportement ou les commentaires désobligeants cesseront en l’absence de réactionNote de bas de page 54. »

[70] J’adhère à cette affirmation qui, selon ce que je conclus, peut s’appliquer aux victimes d’autres formes de harcèlement en milieu de travail, y compris le harcèlement fondé sur la race.

[71] Le mis en cause a montré que le représentant des ventes lui avait envoyé deux photos non sollicitées ciblant son identité raciale, ce qu’il a trouvé offensant. Après avoir regardé ces photos, je trouve qu’elles sont objectivement offensantes. J’accepte également que le même représentant des ventes a fait des commentaires dégradants au mis en cause. Ainsi, je conclus que le mis en cause a été victime de harcèlement fondé sur sa race de la part du représentant des ventes.

[72] L’employeur n’a pas démontré que ce comportement n’était pas discriminatoire ou harcelant. Au contraire, il a choisi de suspendre le représentant des ventes seulement deux jours après que le mis en cause a eu déposé sa plainte.

[73] Par conséquent, comme le harcèlement est une forme de discrimination, je conclus que le mis en cause était victime de discrimination et de harcèlement fondés sur la race en milieu de travail de la part du représentant des ventes.

Directeur des ventes

[74] Le mis en cause affirme que le directeur des ventes l’a traité différemment en raison de sa race.

[75] Les éléments de preuve montrent que A. C., le directeur des ventes, a dit au mis en cause qu’il avait l’air fatigué. Un autre employé qui était présent a dit qu’il avait besoin de drogues. Le directeur des ventes se souvient de cet incident s’est déroulé sur le ton de la plaisanterieNote de bas de page 55.

[76] Il n’y a pas suffisamment d’information sur cet incident pour que je puisse conclure qu’il s’agissait de harcèlement fondé sur la race. J’admets qu’il y a des stéréotypes nuisibles au sujet de la consommation de drogues. Cela dit, les éléments de preuve ne montrent pas que c’est la raison pour laquelle le commentaire a été fait. Le commentaire a été fait dans le contexte où le mis en cause était décrit comme étant fatigué. Il ne s’inscrivait pas dans une tendance à formuler à l’endroit du mis en cause des commentaires racistes au point que cela puisse être considéré comme du harcèlement.

[77] Le deuxième incident impliquant le directeur des ventes est la cérémonie de coupe de la cravate. Les éléments de preuve montrent que lorsqu’un représentant des ventes vend sa première automobile, le directeur des ventes coupe sa cravate. Cela se faisait habituellement avec des ciseaux.

[78] Quand le mis en cause a vendu sa première automobile, le directeur des ventes a décidé de modifier la cérémonie afin que la coupe de sa cravate ait lieu avec un outil plutôt qu’avec les habituels ciseaux. Une photo de cet outil a été déposée en preuve par la CommissionNote de bas de page 56. Même si les parties ne s’entendent pas sur le nom de l’outil, je conclus qu’il ne s’agit pas de ciseaux. Il semble s’agir d’un gros outil de coupe.

[79] Le directeur des ventes a témoigné avoir présenté les cisailles au mis en cause et lui avoir proposé de les utiliser pour la cérémonie de coupe de la cravateNote de bas de page 57. Le mis en cause a refusé, et la cérémonie s’est déroulée à l’aide de ciseaux. Le directeur des ventes affirme que son intention était d’ajouter une touche humoristique à l’occasion. Il n’a pas parlé de la race du mis en cause et il affirme ne pas avoir eu l’intention d’en faire un point centralNote de bas de page 58. J’admets que son intention n’était pas de faire de la race du mis en cause un [traduction] « point central », mais cela ne revient pas à dire que l’idée de modifier la cérémonie n’avait rien à voir avec la race.

[80] Le mis en cause a compris que l’outil faisait référence à un coupe-chaîne. Et que l’utilisation d’un tel outil était aussi une référence à son identité d’homme noir. Il était profondément offensé. C’est l’incident entourant la coupe de la cravate qui l’a incité à porter officiellement plainte auprès du DG.

[81] L’employeur soutient que cet incident n’était pas motivé par la race et qu’il ne s’agissait pas de harcèlement ou de discrimination fondés sur la race. À l’audience, le propriétaire a dit qu’il ne pensait pas que c’était ouvertement raciste, mais que cela dénotait un manque de sensibilité. Par conséquent, le directeur des ventes a été contraint à suivre une formation de sensibilisation. Encore une fois, ne pas être [traduction] « ouvertement raciste » ne revient pas à dire que les actes n’avaient rien à voir avec la race.

[82] Je conclus que l’utilisation de l’outil de coupe constituait un traitement différent réservé au mis en cause en raison de sa race. Aucun autre représentant des ventes ne s’est vu réserver un traitement différent similaire. Cela a peut-être été dit à la blague, sans intention consciente de faire un commentaire sur la race de l’appelant, mais c’était profondément offensant pour le mis en cause, qui subissait déjà du harcèlement fondé sur la race de la part du représentant des ventes.

[83] La nature offensante de la conduite du directeur des ventes a été reconnue par l’employeur, lorsqu’il a décidé de suspendre le directeur des ventes et de lui faire suivre une formation de sensibilisationNote de bas de page 59.

[84] Je conclus que le directeur des ventes a traité le mis en cause différemment des autres employés en raison de sa race, ce qui a eu une incidence défavorable sur le mis en cause. Il s’agissait de discrimination fondée sur la race.

Commentaires formulés par un laveur de voitures

[85] Le mis en cause dit aussi avoir été offensé par un commentaire que lui a fait un laveur de voitures (M. F.). Ce dernier lui a demandé d’où il venait. Lorsqu’il a répondu qu’il était originaire d’un autre pays, le laveur de voitures lui a répondu [traduction] « Tu n’es pas un vrai Canadien ». Le mis en cause affirme que ce même laveur de voitures lui a injustement reproché d’avoir égaré des clés. Il a crié contre le mis en cause devant leur gestionnaire. Rien n’a été fait pour corriger ce comportement.

[86] L’appelant s’appuie sur le sommaire de déposition signé par le laveur de voitures et envoyé à la CommissionNote de bas de page 60. Dans cette déposition, le laveur de voitures affirme ne pas se souvenir de cet incident et nie avoir jamais dit que le mis en cause n’était pas un vrai Canadien. La déposition a été signée en février 2024, plus de deux ans après le prétendu incident.

[87] L’incident avec le laveur de voitures n’a pas été inclus dans la plainte que le mis en cause a adressée au DG. Le mis en cause en a cependant fait mention lorsqu’il s’est adressé à la Commission après avoir quitté son emploi.

[88] Je conclus que la déclaration faite par le collègue de travail était inappropriée, blessante et fondée sur l’origine de l’appelant. Il s’agit d’un motif protégé. Je conclus toutefois qu’il s’agissait d’un commentaire ponctuel n’allant pas jusqu’à constituer du harcèlement. Je conclus également que les éléments de preuve ne montrent pas que l’emportement du collègue au sujet de clés égarées était fondé sur la race ou sur le pays d’origine du mis en cause.

Le mis en cause était-il victime de harcèlement fondé sur la race au travail?

[89] Oui. Je conclus que le mis en cause était victime de harcèlement et de discrimination en raison de sa race au travail. Ma conclusion prend appui sur les éléments suivants :

  • La photo de la carte professionnelle déposée en preuve et la photographie modifiéeNote de bas de page 61.
  • Les messages texte échangés entre le mis en cause et le représentant des ventes concernant ces deux incidentsNote de bas de page 62.
  • La photo de l’outil que le directeur des ventes a proposé d’utiliser pour couper la cravate du mis en causeNote de bas de page 63.
  • Le fait que, deux jours après le dépôt de la plainte, le représentant des ventes et le directeur des ventes ont tous deux fait l’objet d’une suspension d’un jour et qu’ils ont été contraints à suivre une formation de sensibilisationNote de bas de page 64.
  • Les déclarations écrites du représentant des ventes et du directeur des ventes.Note de bas de page 65
  • Les déclarations écrites et le témoignage du mis en cause.

[90] L’employeur affirme avoir donné suite à la plainte du mis en cause, et que celui-ci n’a fourni aucun renseignement concernant d’autres incidents de harcèlement. Le mis en cause n’était donc pas fondé à quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.

Incidents signalés par le mis en cause après la plainte du 1er mars 2023

[91] Dans ses observations, le mis en cause affirme également ce qui suit :

  • Ses ventes ont été perturbées par des dommages causés aux véhicules.
  • Il a été embarrassé en présence de clients.
  • Il était isolé socialementNote de bas de page 66.

[92] Le mis en cause fait référence à deux autres incidents qui, selon lui, étaient motivés par sa race, après que sa plainte a été réglée par le DG, à la fin mars 2023Note de bas de page 67.

[93] Premièrement, il signale un incident au cours duquel ses clients étaient mécontents de l’état dans lequel leur nouvelle voiture leur avait été livrée. Le directeur des ventes a rejeté ses préoccupationsNote de bas de page 68. Il a faire suivre ce courriel au DG le 1er avril 2023. Il se disait préoccupé par la façon dont ses clients avaient été traités. Il a également souligné l’importance de soigner ses propos dans les échanges avec les clients et d’autres membres du personnelNote de bas de page 69.

[94] Deuxièmement, il affirme avoir été exclu d’une conversation entre le directeur des ventes et son client et que c’était inapproprié. Dans la preuve dont dispose la Commission figure un courriel que le mis en cause a envoyé au DG le 26 avril 2023. Dans ce courriel, le mis en cause dit avoir été humilié par le directeur des ventes devant ses clients. Selon le mis en cause, il s’agit d’un exemple de harcèlement supplémentaire qu’il a subiNote de bas de page 70.

[95] Le propriétaire a déclaré que le mis en cause était un représentant des ventes subalterne. Il a dit qu’il est parfois nécessaire que le directeur des ventes gère les clients mécontents sans que soit présent un représentant des ventes inexpérimenté.

[96] Je comprends qu’il y avait peut-être des raisons valables d’exclure le mis en cause, mais les raisons de cette exclusion ne semblent pas avoir été données au mis en cause. Il s’est donc senti humilié par le directeur des ventes. De plus, cela s’est produit après qu’il a eu déposé sa première plainte.

[97] J’admets que le mis en cause a cru faire l’objet d’un traitement injuste de la part du directeur des ventes. En l’absence d’explication, un tel incident pourrait être considéré comme une forme de représailles à la suite du dépôt de la plainte.

[98] Le mis en cause affirme également avoir été isolé socialement après avoir déposé la plainteNote de bas de page 71. L’isolement social d’une personne après que cette dernière a déposé une plainte de harcèlement ou de discrimination peut aussi être une forme de représailles.

[99] Je conclus que les éléments de preuve montrent que le mis en cause a été exclu et isolé au travail après le dépôt de sa plainte initiale.

[100] Le lieu de travail était devenu toxique pour le mis en cause. Peu après avoir quitté son emploi, il a reçu un diagnostic de problème de santé mentale nécessitant une psychothérapieNote de bas de page 72. Il a déposé de multiples documents médicauxNote de bas de page 73. La Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) a conclu que ses blessures psychologiques découlaient de son milieu de travailNote de bas de page 74. Elle a accepté sa demande de prestations de la CSPAAT.

[101] Par conséquent, je conclus que lorsque le mis en cause a quitté son emploi, les circonstances comprenaient les suivantes :

  • Il était victime de harcèlement et de discrimination fondés sur la race, et a fait l’objet de représailles pour avoir déposé une plainte.
  • Le milieu de travail lui causait des blessures psychologiques.

[102] En résumé, le harcèlement continuel avait rendu son milieu de travail toxique.

Le mis en cause n’avait pas d’autre solution raisonnable

[103] Je dois maintenant examiner la question de savoir si le départ du mis en cause était la seule solution raisonnable.

[104] Le mis en cause affirme qu’aucune autre solution raisonnable ne s’offrait à lui, parce qu’il avait déposé une plainte. Celle-ci n’avait pas fait l’objet d’une enquête sérieuse. Aucune solution ne lui a été proposée pour remédier à la situation. Le harcèlement s’est poursuivi, et sa santé mentale en a souffert.

[105] La Commission convient que le mis en cause n’avait pas d’autre solution raisonnable. Elle dit qu’il a porté plainte, mais qu’il estimait que l’enquête de l’employeur n’avait pas résolu le problème. Il devait continuer à travailler avec les personnes responsables du harcèlement.

[106] La Commission a décidé que le dépôt d’une plainte était l’option raisonnable qui s’offrait au mis en cause. Le mis en cause ayant pris cette mesure, la Commission a convenu qu’il n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploiNote de bas de page 75.

[107] L’employeur n’est pas d’accord. Il dit avoir enquêté sur la plainte du mis en cause, et que celui-ci était satisfait du résultat. Il affirme que si le mis en cause avait d’autres plaintes de harcèlement à formuler, il aurait dû se voir accorder du temps pour enquêter.

L’enquête

[108] J’estime que de demander à l’employeur d’enquêter sur sa plainte de harcèlement était une solution raisonnable pour le mis en cause.

[109] Le 1er mars 2023, après avoir parlé au DG, le mis en cause a déposé une plainte écrite officielleNote de bas de page 76.

[110] L’employeur dit avoir enquêté sur la plainte et avoir agi de façon appropriéeNote de bas de page 77.

[111] Après l’audience, l’employeur a déposé sa politique générale. Cette politique comprend une politique contre le harcèlement en milieu de travailNote de bas de page 78. La politique de l’employeur exige que des déclarations soient prises et signées en cas d’allégations de harcèlementNote de bas de page 79. Ces déclarations sont conservées au dossier pour consultation ultérieureNote de bas de page 80.

[112] L’employeur n’a pas fourni le dossier d’enquête ni aucune déclaration recueillie au cours de l’enquête de 2023. Les seules déclarations déposées en preuve sont celles qui ont été rédigées et signées en février 2024Note de bas de page 81, soit un an après l’enquête initiale. Aucun rapport écrit n’expose le résultat de l’enquête. Note de bas de page 82

[113] Au lieu de cela, cinq jours après qu’il a envoyé sa plainte au DG, le mis en cause a été invité à une rencontre avec le directeur des ventes, et ce, malgré qu’il avait fait savoir aux Ressources humaines et au DG qu’il ne voulait pas rencontrer le directeur des ventes, ne se sentant pas à l’aise de le faireNote de bas de page 83. Le DG a tenu cette réunion le 6 mars 2023Note de bas de page 84.

[114] Le mis en cause n’était pas satisfait de la façon dont sa plainte avait été traitéeNote de bas de page 85. Il affirme que, malgré son insatisfaction, le DG lui a demandé à plusieurs reprises de retirer sa plainteNote de bas de page 86.

[115] Les éléments de preuves montrent que le DG :

  • a tenu une réunion à laquelle le mis en cause disait ne pas être à l’aise d’assister, le 6 mars 2023;
  • a clos la plainte unilatéralement;
  • a informé le mis en cause qu’aucune autre mesure ne serait prise;
  • a demandé au mis en cause de retirer sa plainteNote de bas de page 87.

[116] La déclaration écrite du DG n’indique pas si celui-ci a fait pression sur le mis en cause pour qu’il retire sa plainteNote de bas de page 88. Le DG n’a pas témoigné à l’audience. Ainsi, à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve, je conclus que le DG a unilatéralement clos la plainte et demandé au mis en cause de retirer sa plainte, à la fin mars 2023.

[117] Le mis en cause a déclaré avoir reçu des excuses du représentant des ventes.

[118] Ce dernier confirme que c’est au bureau du mis en cause que les excuses ont eu lieuNote de bas de page 89. Il dit que le mis en cause a accepté ses excuses et voulait passer à autre chose.

[119] Or le mis en cause a déclaré ne pas avoir eu d’autre choix que d’accepter les excuses, celles-ci ayant été faites dans un lieu public. Il a également déclaré qu’il n’était pas satisfait de la façon dont cela avait été fait, ou des excuses elles-mêmes.

[120] Lorsque le mis en cause a eu l’impression de subir d’autres incidents de discrimination et de harcèlement, il a de nouveau écrit au directeur généralNote de bas de page 90. Il a cependant décidé de démissionner peu aprèsNote de bas de page 91. Il a dit qu’il avait dû démissionner pour se protéger, parce qu’il n’était plus à l’aise de rester dans son milieu de travailNote de bas de page 92.

[121] L’employeur affirme que le mis en cause aurait dû attendre qu’il enquête sur ses nouvelles préoccupations. Il fait aussi valoir que si le mis en cause ne lui a pas permis d’enquêter, c’est qu’il n’était pas fondé à quitter son emploi.

[122] J’estime qu’il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que le mis en cause dépose une deuxième plainte auprès de l’employeur. Il a essayé de se plaindre, mais le DG n’a pas enquêté de façon juste et efficace sur sa première plainte. L’employeur n’a pas proposé de véritable solution à la situation. Je constate que l’employeur a obligé les gens dont se plaignait le mis en cause à suivre une formation de sensibilisation, mais il était attendu du mis en cause qu’il continue de travailler avec eux. Après sa plainte, le mis en cause a été isolé. De plus, le directeur des ventes l’a été exclu d’une rencontre avec des clients, sans explication, ce qui l’a humilié.

[123] Ainsi, demander une nouvelle enquête n’était pas une solution raisonnable. Le mis en cause avait déjà déposé une plainte, laquelle n’avait pas été gérée efficacement.

[124] J’admets que le propriétaire a voulu régler la situation le plus rapidement possible. J’admets également qu’il n’a pas toléré le harcèlement dans son entreprise. Cela dit, son souhait d’agir rapidement a eu pour résultat que l’enquête a été précipitée et incomplète, de sorte que le mis en cause est redevenu un victime. Il n’est pas raisonnable de demander au mis en cause de revivre tout cela.

[125] Le mis en cause souffre également de problèmes de santé mentale diagnostiqués en mai 2023Note de bas de page 93. La CSPAAT a conclu que ces atteintes à la santé mentale étaient liées au harcèlement dont il a été victime en milieu de travailNote de bas de page 94.

[126] La nature toxique de son milieu de travail l’a rendu malade. Il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il continue de travailler dans le même concessionnaire. Il ne s’est pas non plus vu offrir un emploi dans un autre concessionnaireNote de bas de page 95. Je conclus donc que l’appelant n’avait pas de solution raisonnable autre que de quitter son emploi.

Conclusion

[127] Au vu des éléments de preuve, je conclus que, compte tenu des circonstances qui existaient lorsqu’il a démissionné, le mis en cause n’avait pas de solution raisonnable autre que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.

[128] Ainsi, je conclus que le mis en cause était fondé à quitter son emploi. De plus, il n’est pas exclu du bénéfice des prestations.

[129] L’appel de l’employeur est rejeté.

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