[TRADUCTION]
Citation : BG c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1807
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi
Décision
Partie appelante : | B. G. |
Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Décision portée en appel : | Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (402192) datée du 26 mai 2020 (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | Gary Conrad |
Mode d’audience : | Questions et réponses |
Date de la décision : | Le 14 juillet 2022 |
Numéro de dossier : | GE-20-1648 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est rejeté.
[2] Le prestataire n’a pas démontré qu’il avait un motif valable pour son retard à présenter sa demande de prestations. Autrement dit, il n’a pas fourni une explication que la loi accepte pour son retard. Cela signifie que sa demande ne peut pas être traitée comme si elle avait été faite plus tôtNote de bas de page 1.
Aperçu
[3] Le 27 février 2020, le prestataire a fait une demande de prestations régulières de l’assurance-emploiNote de bas de page 2. Il demande maintenant que sa demande soit traitée comme si elle avait été faite plus tôt, soit le 17 août 2012Note de bas de page 3. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a déjà rejeté cette demande.
[4] La Commission dit que le prestataire n’a pas de motif valable puisqu’il a été capable de travailler à temps plein de juin 2018 à juillet 2019, et qu’il a fait plusieurs demandes auprès de diverses instances judiciaires, alors sa situation durant la période du retard n’était pas si exceptionnelle qu’elle l’empêchait de s’informer de ses droits et de ses obligations au titre de la loiNote de bas de page 4.
[5] Le prestataire dit qu’il avait un motif valable pour son retard. Il dit avoir décidé de ne pas demander des prestations en août 2012 parce qu’après avoir fait des démarches raisonnables pour vérifier s’il serait admissible, il a conclu qu’il ne l’était pas à ce moment-là et il n’a trouvé aucune information qui l’a porté à croire le contraireNote de bas de page 5.
[6] Je dois maintenant décider si le prestataire a prouvé qu’il avait un motif valable pour ne pas avoir demandé des prestations plus tôt.
Questions que je dois examiner en premier
[7] Dans ses observations, le prestataire a soulevé des préoccupations au sujet du processus d’appel. Je vais aborder ces préoccupations dans la présente.
Temps insuffisant pour présenter des observations
[8] Le prestataire dit qu’il a manqué de temps pour préparer ses observations et que sa demande de mesures d’adaptation fondée sur des problèmes de santé mentale a été rejetéeNote de bas de page 6.
[9] Un document de questions et réponses a été envoyé au prestataire le 7 juillet 2022 et on lui a donné jusqu’au 21 juin 2022 pour présenter des observations.
[10] Le 9 juin 2022, seulement deux jours après avoir reçu le document de questions et réponses, le prestataire m’a envoyé 80 pages de documentation pour appuyer sa demande d’ajournement.
[11] Je juge que si le prestataire a été capable de préparer 80 pages de documents en deux jours seulement, il aurait eu amplement le temps de préparer ses observations ou ses réponses en deux semaines.
[12] J’en ai aussi conclu que son fonctionnement n’était pas affecté au point où il ne pouvait pas envoyer ses observations sur le document de questions et réponses. Par conséquent, aucune mesure d’adaptation ne lui a été accordée en lien avec ses problèmes de santé mentale pour lui permettre de fournir des observations.
[13] De plus, les observations que j’ai reçues le 21 juin 2022, en réponse au document de questions et réponses, comptent 41 pages et le prestataire a déjà déposé plus de 400 pages à l’appui de sa demande d’antidatation. Il est clair que sa capacité à fournir de l’information au Tribunal n’a pas été excessivement limitée.
Observations limitées
[14] Le prestataire a dit que le document de questions et réponses l’empêchait de fournir tous les renseignements qu’il voulait soumettre, car la lettre précise qu’il doit seulement répondre aux questions qui lui sont poséesNote de bas de page 7.
[15] Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation que le prestataire a faite du document de questions et réponses.
[16] Comme il ressort de la citation que le prestataire a fournie dans le document de questions et réponsesNote de bas de page 8, le mot « seulement » est utilisé pour préciser au prestataire qu’il ne doit pas répondre aux questions qui pourraient être destinées à une autre partie. Cependant, cela ne l’empêche pas du tout de fournir des renseignements qu’il juge pertinents.
Son autre demande d’antidatation
[17] Le prestataire affirme qu’il a fait une autre demande d’antidatation pour un autre dossier et qu’il y a un chevauchement avec la demande actuelle d’antidatation. Il dit donc que celle-ci devrait être mise en attente jusqu’à ce qu’il ait épuisé ses options d’appel pour son autre demande d’antidatationNote de bas de page 9.
[18] Je souligne que le prestataire souhaitait expressément que ses deux dossiers demeurent distinctsNote de bas de page 10 et qu’il a même fait appel de la décision de la membre ou du membre du Tribunal de joindre les deux dossiers.
[19] J’estime qu’il est contradictoire que le prestataire tente maintenant de prétendre que les deux dossiers sont liés de telle sorte que l’un doit attendre le traitement de l’autre, puisqu’il s’est opposé vigoureusement à ce que les dossiers soient joints.
[20] Comme les deux dossiers sont distincts et qu’ils le resteront, tout ce qui est fait dans le premier dossier n’a aucune incidence sur la présente affaire.
Type de prestations
[21] Le prestataire a dit que s’il avait demandé des prestations en août 2012, il aurait demandé des prestations de maladie. Voilà pourquoi l’information à laquelle il fait référence sur le site Web de l’assurance-emploi porte sur les prestations de maladie.
[22] Je comprends qu’il est possible que le prestataire ait envisagé de demander un type de prestations différentes en août 2012, mais lorsqu’il a fait sa demande en février 2020, il a demandé des prestations régulières. Je vais donc examiner si je peux antidater la demande de prestations régulières du prestataire.
Norme de la personne raisonnable
[23] Le prestataire soutient que la norme de la « personne raisonnable » est un concept discriminatoire et qu’il ne tient pas compte de ses défis liés à la santé mentale ni de l’incidence qu’ils pourraient avoir sur sa capacité à réfléchir clairement ou à prendre une décisionNote de bas de page 11.
[24] Je ne suis pas d’accord avec le prestataire. La déclaration de la Cour d’appel fédérale au sujet d’une personne raisonnable qui demande une antidatation vise à examiner si une personne « […] s’est conduit[e] comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblablesNote de bas de page 12 » [c’est moi qui souligne].
[25] Cela signifie que je n’imagine pas une personne raisonnable et prudente qui se trouve dans une situation différente de celle du prestataire. Je n’essaye pas d’établir ce que ferait une personne qui n’a aucun problème de santé mentale, mais plutôt une personne qui se trouve dans une situation semblable à celle du prestataire (c’est-à-dire, une personne qui est aux prises avec les mêmes difficultés).
[26] Alors, pour établir si le prestataire a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblables, j’imagine une personne qui a fait des études supérieures comme le prestataire, qui est très intelligente, qui sait faire de la rechercheNote de bas de page 13 et qui a des problèmes de santé mentaleNote de bas de page 14.
Question en litige
[27] La demande de prestations du prestataire peut-elle être traitée comme si elle avait été présentée le 17 août 2012?
Analyse
[28] Pour faire antidater une demande de prestations, une personne doit prouver les deux choses suivantes :
- a) Elle avait un motif valable pour son retard pendant toute la période écoulée. Autrement dit, elle a une explication que la loi accepte.
- b) Elle remplissait les conditions requises à la date antérieure (c’est-à-dire, la date à laquelle elle souhaite que sa demande soit antidatéeNote de bas de page 15).
[29] Dans la présente affaire, l’argument principal concerne la question de savoir si le prestataire avait un motif valable. C’est donc par cela que je vais commencer.
[30] Pour démontrer qu’il avait un motif valable, le prestataire doit prouver qu’il a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblablesNote de bas de page 16. Autrement dit, il doit démontrer qu’il a agi de façon raisonnable et prudente, comme toute autre personne l’aurait fait si elle se trouvait dans une situation semblable.
[31] Le prestataire doit démontrer qu’il a agi ainsi pendant toute la période de retardNote de bas de page 17. Cette période s’étend de la date à laquelle il souhaite que sa demande soit antidatée, soit le 17 août 2012Note de bas de page 18, à la date où il a fait sa demande, soit le 27 février 2020Note de bas de page 19.
[32] Le prestataire doit aussi démontrer qu’il a pris des mesures raisonnablement rapides pour vérifier s’il était admissible aux prestations et s’informer des obligations que lui imposait la loiNote de bas de page 20. Cela signifie que le prestataire doit démontrer qu’il a fait de son mieux pour s’informer de ses droits et de ses responsabilités dès que possible. S’il ne l’a pas fait, il doit démontrer que des circonstances exceptionnelles l’ont empêché de le faireNote de bas de page 21.
[33] Le prestataire doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’il avait un motif valable pour son retard.
[34] Le prestataire affirme qu’il connaît ses droits et ses obligations, car il a eu beaucoup d’expérience avec l’assurance-emploi depuis 1977 et il a fait des demandes plus récemment en 2002 et en 2003. Par le passé, il s’est toujours fait dire qu’il devait avoir accumulé au moins 420 heures (et peut-être même de 700 heures) au cours des 52 semaines précédentes pour être admissible aux prestationsNote de bas de page 22.
[35] Il a vérifié si cela était encore le cas en consultant le site Web de l’assurance-emploi en avril 2011 et en mars ou en avril 2012 (et possiblement en août 2012), et il a vu que pour les prestations de maladie, il fallait avoir au moins 600 heuresNote de bas de page 23.
[36] Le prestataire dit que lorsqu’il a reçu son relevé d’emploi et qu’il a vu qu’il avait seulement 67,5 heures, et que sa dernière période de travail avant cet emploi remontait à presque 66 semaines, il a vite compris qu’il n’avait pas assez d’heures pour demander des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 24.
[37] Le prestataire affirme que la conclusion à laquelle il est arrivé était raisonnable compte tenu de son expérience et de l’information sur le site Web de l’assurance-emploi.
[38] Le prestataire dit que l’argument de la Commission selon lequel il n’est pas suffisant de consulter le site Web de l’assurance-emploi, et qu’il aurait dû leur téléphoner, est fondé sur une interprétation erronée de l’information fournie par la CAF dans la décision Mauchel c Canada (Procureur général), 2012 CAF 202.
[39] Le prestataire affirme que Mauchel ne traite pas d’une situation où le site Web de l’assurance-emploi est à blâmer en raison d’un manque d’information qui amènerait une personne à faire des recherches plus pousséesNote de bas de page 25.
[40] Le prestataire soutient qu’il n’est pas raisonnable de dire qu’il faut toujours téléphoner à la Commission parce qu’on ne peut pas se fier uniquement à l’information sur le site Web de l’assurance-emploiNote de bas de page 26.
[41] Le prestataire soutient que la Cour d’appel fédérale n’a jamais dit dans l’affaire Mauchel qu’il n’est jamais raisonnable de s’appuyer uniquement sur le site Web. Au contraire, dans cette affaire, le prestataire s’est fait blâmer parce que ses efforts pour trouver de l’information sur le site Web de l’assurance-emploi avaient été inadéquatsNote de bas de page 27.
[42] Le prestataire soutient que dans sa situation, comme il avait beaucoup d’expérience avec l’assurance-emploi, mais qu’il avait toujours présenté des demandes avec un nombre d’heures suffisant pour ne pas avoir à demander une antidatation ou une prolongation de période de référence, le site Web de l’assurance-emploi lui-même était inadéquat parce qu’il ne l’avait pas averti (ou toute personne raisonnable dans une situation semblable) de communiquer avec l’assurance-emploi pour s’informer au sujet de dispositions qui contreviennent à la règle générale voulant qu’il ait besoin d’accumuler au moins 600 heures au cours des 52 semaines suivant la perte immédiate d’un emploiNote de bas de page 28.
[43] Le prestataire affirme qu’en examinant l’information provenant du site Web de l’assurance-emploi qu’il a envoyée au TribunalNote de bas de page 29 à peu près au moment où il veut que sa demande soit antidatée, il n’y a aucun renseignement sur l’antidatation ou la prolongation d’une période de référenceNote de bas de page 30.
[44] Le prestataire soutient également que la Commission n’a pas tenu compte de ses problèmes de santé mentale et de leur incidence sur sa capacité à prendre des décisionsNote de bas de page 31.
[45] Je conclus que le prestataire n’a pas agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans sa situation, car il ne s’est pas informé assez rapidement de ses droits et de ses obligations au titre de la loi.
[46] Le prestataire a dit qu’il n’était pas certain s’il avait consulté le site Web de la Commission pour vérifier son admissibilité aux prestations en août 2012.
[47] Je juge qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire a consulté le site Web de la Commission pour s’informer de ses droits et de ses obligations en août 2012, lorsqu’il envisageait de présenter une demande. Je dis cela parce que le prestataire affirme qu’il est extrêmement bien éduqué et qu’il est excellent en recherche, alors il est raisonnable de supposer que lorsqu’il envisageait de faire une demande en 2012 et que cela faisait de nombreux mois qu’il avait consulté le site Web, il aurait (en tant que personne douée en recherche) consulté à nouveau le site Web pour vérifier ses droits et ses obligations.
[48] Le prestataire a dit que les renseignements figurant dans le document GD27 du dossier d’appel correspondent à ce qu’il aurait vu sur le site Web de l’assurance-emploi lorsqu’il a fait ses recherchesNote de bas de page 32. Il affirme que rien dans ces renseignements ne lui donne l’impression qu’il pourrait être admissible, alors il aurait été inutile de téléphoner à la Commission, car il n’y aurait rien à dire.
[49] Il affirme que c’est pour cela que sa situation est différente de celle dans Mauchel, puisqu’il n’y a rien sur le site Web qui pourrait l’amener à croire qu’il pourrait être admissible aux prestations.
[50] Il est vrai que l’information que le prestataire m’a envoyée, bien qu’elle porte sur les prestations de maladie puisque c’est le type de prestations qu’il pensait demander en 2012, précise qu’il faut avoir accumulé 600 heures au cours des 52 semaines précédentes pour être admissible aux prestations de maladie de l’assurance-emploi.
[51] De plus, je ne vois rien dans l’information qui provient du site Web de l’assurance-emploi selon le prestataire, qui parle d’antidatation ou de la façon de faire prolonger une période de référence.
[52] Cependant, il y a une section qui s’intitule [traduction] « Une situation particulière » et qui précise : [traduction] « Vous pourriez être admissible à des prestations de maladie si vous avez accumulé moins de 600 heures d’emploi assurable. » On donne ensuite un exemple de situation où cela pourrait se produire et on dit ensuite de téléphoner pour obtenir de plus amples renseignementsNote de bas de page 33.
[53] Cette section du site Web aurait dû immédiatement amener le prestataire à penser qu’il était possible d’obtenir des prestations même avec moins d’heures que ce qui avait déjà été précisé sur le site Web.
[54] J’estime qu’une personne raisonnable et prudente dans la situation du prestataire aurait téléphoné à la Commission pour obtenir plus de renseignements, comme le recommande le site Web, afin de vérifier si elle se trouve dans une situation qui lui permettrait de recevoir des prestations sans avoir les 600 heures mentionnées précédemment sur le site Web, ou s’il était possible qu’elle obtienne des prestations d’une façon quelconque même si elle avait moins de 600 heures.
[55] Malheureusement, le prestataire n’a pas pris de mesures assez rapidement pour vérifier s’il était admissible aux prestations et quelles obligations lui imposait la loiNote de bas de page 34. Il a plutôt continué à croire pendant près de huit ans qu’il n’était pas admissible aux prestations et qu’il n’y avait rien qui lui permettrait de le devenir.
[56] Je juge également qu’il n’existait aucune circonstance exceptionnelle qui l’exempterait, pour toute la durée du retard, de l’obligation de prendre ces mesures raisonnablement rapides.
[57] Le prestataire a fourni beaucoup d’information sur ses problèmes de santé mentale et leur incidence sur lui. Je n’ai aucun doute que ses problèmes de santé mentale ont eu certaines répercussions sur son fonctionnement au quotidien pendant la période du retard.
[58] Toutefois, je n’accepte pas qu’il s’agisse de circonstances exceptionnelles qui l’auraient empêché de prendre des mesures raisonnablement rapides pour s’informer de ses droits et de ses obligations au titre de la loi, ou qui l’auraient empêché de réfléchir clairement à la nécessité de le faire, pendant toute la période du retard, plutôt que peut-être seulement pendant certaines parties du retard.
[59] Je juge que sa capacité à entreprendre des procédures judiciaires complexes, comme aller de l’avant avec une plainte en matière de droits de la personne contre un ancien employeur et continuer à travailler sur des réclamations contre sa compagnie d’assurance, et consulter le site Web de l’assurance-emploi pour obtenir des renseignements sur les prestations, montre que ses problèmes de santé mentale n’étaient pas à ce point débilitants qu’ils l’auraient empêché de prendre des mesures raisonnablement rapides pour s’informer de ses droits et de ses obligations au titre de la loi pendant toute la période du retardNote de bas de page 35.
[60] Puisque le prestataire n’a pas de motif valable pour toute la période du retard, je n’ai pas besoin d’examiner s’il remplissait les conditions requises à la date antérieure pour recevoir des prestations. Comme il n’a pas de motif valable, sa demande ne peut pas être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt.
Conclusion
[61] Le prestataire n’a pas prouvé qu’il avait un motif valable justifiant le retard de sa demande de prestations pendant toute la période écoulée.
[62] L’appel est rejeté.