Citation : ML c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 793
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi
Décision
Partie appelante : | M. L. |
Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Décision portée en appel : | Décision découlant de la révision (735406) datée du 5 juin 2025 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | Jean Yves Bastien |
Mode d’audience : | Téléconférence |
Date de l’audience : | Le 18 juillet 2025 |
Personnes présentes à l’audience : | L’appelante |
Date de la décision : | Le 1er août 2025 |
Numéro de dossier : | GE-25-1846 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal est d’accord avec l’appelante.
[2] Elle a démontré que des circonstances exceptionnelles lui donnent un motif valable qui justifie le retard de sa demande de prestations. Autrement dit, l’appelante a fourni une explication acceptable selon la loi. Par conséquent, on peut traiter sa demande comme si elle l’avait présentée plus tôtNote de bas de page 1.
Aperçu
[3] L’appelante était une professionnelle des communications qui travaillait pour une municipalité au Québec. Elle a eu des problèmes de santé. Son médecin lui a donc conseillé de quitter son emploi, ce qu’elle a fait de façon volontaire le 11 novembre 2024.
[4] L’appelante a demandé des prestations d’assurance-emploi le 4 février 2025. Elle veut maintenant que sa demande soit traitée comme si elle l’avait présentée plus tôt, soit le 10 novembre 2024. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a déjà rejeté cette requête.
[5] Je dois décider si l’appelante a prouvé qu’elle avait un motif valable d’attendre avant de demander des prestations.
[6] Selon la Commission, l’appelante n’avait aucun motif valable parce qu’elle n’a pas agi comme une « personne raisonnable » l’aurait fait dans sa situation pour s’informer de ses droits et de ses obligations aux termes de la loi.
[7] L’appelante n’est pas d’accord. Elle affirme plutôt que les circonstances étaient exceptionnelles, ce qui lui donne un motif valable justifiant le retard de sa demande de prestations.
Question en litige
[8] Peut-on traiter la demande de prestations comme si l’appelante l’avait présentée le 10 novembre 2024? C’est ce qu’on appelle « antidater » la demande (y inscrire une date passée).
Analyse
[9] Pour faire inscrire une date passée sur la demande de prestations, il faut prouver les deux choses suivantesNote de bas de page 2 :
- a) Un motif valable justifiait le retard durant toute la période du retard. Autrement dit, il y a une explication qui est acceptable selon la loi.
- b) À la date passée (c’est-à-dire le jour auquel on veut faire antidater la demande), on remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations.
[10] Selon la Commission, l’appelante remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations à la date passée. Je l’admets. Je vais donc vérifier si l’appelante avait un motif valable.
[11] Pour démontrer l’existence d’un motif valable, l’appelante doit prouver qu’elle a agi comme une personne prudente et raisonnable l’aurait fait dans des circonstances semblablesNote de bas de page 3. Autrement dit, elle doit démontrer qu’elle s’est comportée de façon prudente et raisonnable, comme n’importe qui d’autre l’aurait fait dans pareille situation.
[12] L’appelante doit démontrer qu’elle a agi ainsi pendant toute la période du retardNote de bas de page 4. Cette période commence le jour auquel elle veut faire antidater sa demande et se termine le jour où elle a présenté sa demande. Par conséquent, dans le cas de l’appelante, la période du retard s’étend du 10 novembre 2024 au 4 février 2025.
[13] L’appelante doit aussi démontrer qu’elle a vérifié assez rapidement son droit aux prestations et ses obligations aux termes de la loiNote de bas de page 5. Autrement dit, elle doit démontrer qu’elle a fait de son mieux pour essayer de se renseigner dès que possible sur ses droits et ses responsabilités. Si l’appelante n’a pas fait de telles démarches, elle doit démontrer que c’est en raison de circonstances exceptionnellesNote de bas de page 6.
[14] L’appelante doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. En d’autres termes, elle doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) qu’un motif valable justifiait son retard.
[15] L’appelante soutient qu’elle a agi comme une personne raisonnable l’aurait fait compte tenu de ses connaissances sur le sujet. Son erreur n’était pas un manque d’action, mais plutôt une incompréhension sincère qui persistait malgré ses efforts pour connaître son admissibilité.
[16] L’appelante affirme qu’un motif valable justifiait son retard parce qu’elle souffrait toujours du trouble psychiatrique qui a poussé son médecin à lui recommander de quitter son poste à la municipalité. Elle fait aussi valoir ceci :
- C’était sa première demande de prestations d’assurance-emploi.
- Elle croyait sincèrement qu’elle n’avait pas droit aux prestations parce qu’elle avait quitté son emploi de façon volontaire.
- Les spécialistes des ressources humaines dans son entourage (qui possèdent des connaissances professionnelles dans le domaine) lui ont dit qu’elle n’avait pas droit aux prestations parce que son départ était volontaire.
- Elle a consulté le site Web de Service Canada. Elle a fini par trouver la page principale qui parle du départ volontaire, mais elle n’a vu aucune exception.
- D’ailleurs, aussi récemment que le 2 avril 2025, la Commission a confirmé cette information en lui disant que l’une des raisons pour lesquelles elle rejetait sa demande de prestations était que l’appelante avait quitté volontairement son emploiNote de bas de page 7.
- Elle était préoccupée par sa recherche d’emploi.
- Elle peut prouver qu’elle faisait des recherches soutenues et sérieuses pour trouver un emploi.
- C’est une agente de la Commission qui lui a conseillé de demander à la Commission d’antidater sa demande de prestations.
[17] De son côté, la Commission affirme que l’appelante n’a pas démontré qu’un motif valable justifiait son retard parce qu’elle n’a pas fait ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans la même situation, soit s’informer de ses droits et de ses obligations aux termes de la loi.
[18] La Commission explique que l’appelante croyait ne pas avoir droit aux prestations alors elle n’a pas fait d’efforts coordonnés pour s’informer sur le programme d’assurance-emploi après avoir quitté son emploi. La Commission affirme que l’appelante n’a pas non plus fait de recherches approfondies sur le site Web de Service Canada. Elle soutient que l’appelante aurait dû discuter de son dossier avec une personne de Service Canada. La Commission ajoute que l’ignorance de la loi n’est pas une excuse.
[19] La division d’appel du Tribunal a déjà confirmé l’importance d’examiner les éléments de preuve sur les troubles psychologiques des prestataires et leurs répercussions. La division d’appel a affirmé ceci : [traduction] « J’admets que le trouble psychologique est une circonstance exceptionnelle qui a empêché la prestataire de s’informer de ses droits et de ses obligations et de demander des prestations d’assurance-emploi dans les délaisNote de bas de page 8. »
[20] La division d’appel a ajouté que je dois tenir compte « de l’effet cumulatif (ou de l’ensemble) des circonstances dans lesquelles se trouvait [l’appelante] », car cela pourrait l’exempter de l’obligation de vérifier assez rapidement ses droits et obligationsNote de bas de page 9.
[21] Même si elle était en voie de guérison, l’appelante avait tout de même des épisodes dépressifs durant lesquels elle présentait des symptômes comme une concentration diminuée et un sentiment d’aptitude limitée. Cela minait ses facultés de compréhension et sa capacité à faire des recherches approfondies sur ses droits et ses obligations. Ces problèmes l’ont empêchée de demander des prestations d’assurance-emploi dans les délais qu’une personne en pleine forme aurait été capable de respecter.
[22] Je prends en compte l’effet cumulatif des éléments suivants :
- C’était la première fois que l’appelante demandait des prestations d’assurance-emploi.
- Elle avait un problème de santé.
- Elle s’est rapidement lancée dans le réseautage et la collecte de renseignements auprès de personnes qui travaillent dans le domaine des ressources humaines.
- Elle a rapidement fouillé le site Web de la Commission.
- Sa recherche d’emploi semblait soutenue.
- Elle avait la ferme conviction qu’elle n’avait pas droit aux prestations en raison de son départ volontaire.
- La Commission a confirmé cette croyance dans sa lettre de décision initiale, où elle précise que l’appelante n’a pas droit aux prestations parce qu’elle a volontairement quitté son emploi.
[23] J’ai trouvé l’appelante très crédible. Sa situation est nuancée, et je préfère la preuve qu’elle a présentée. Elle a décrit les frustrations que vivent bon nombre de prestataires pour obtenir les réponses à des questions importantes. Elle a expliqué de façon logique les circonstances auxquelles elle était confrontée à ce moment-là et leur effet cumulatif. Même la Commission croyait au départ que l’appelante n’avait pas droit aux prestations.
[24] Par conséquent, pour les raisons que je viens de mentionner, j’estime qu’il y avait des circonstances exceptionnelles donnant à l’appelante un motif valable qui justifie le retard de sa demande de prestations régulières.
[25] Par conséquent, on peut traiter la demande comme si l’appelante l’avait présentée plus tôt.
Conclusion
[26] L’appelante a prouvé qu’un motif valable justifiait le retard de sa demande de prestations pendant toute la durée du retard.
[27] L’appel est accueilli.