Assurance-emploi (AE)

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Citation : SC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 767

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. C.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (729439) datée du 23 mai 2025 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Jean Yves Bastien
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 15 juillet 2025
Personnes présentes à l’audience : L’appelante
Date de la décision : Le 18 juillet 2025
Numéro de dossier : GE-25-1855

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelante.

[2] Elle n’a pas démontré qu’elle était fondée à quitter son emploi quand elle l’a fait (c’est-à-dire qu’elle avait une raison acceptable selon la loi). Son départ n’était pas fondé parce que ce n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Par conséquent, elle est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[3] L’appelante doit rembourser les 9 240 $ de prestations auxquelles elle n’avait pas droit.

Aperçu

[4] L’appelante habite à X, au Québec. Elle avait deux emplois : un premier dans une entreprise familiale de maçonnerie et un deuxième chez X, une entreprise spécialisée dans le nettoyage après sinistre, où elle travaillait sur appel comme préposée au nettoyage.

[5] L’appelante a demandé des prestations d’assurance-emploi le 4 janvier 2023. La Commission a établi sa période de prestations régulières à partir du 1er janvier 2023.

[6] L’appelante a quitté son emploi par après, soit le 7 janvier 2023. Elle n’a pas déclaré son départ à la Commission. Du 1er janvier 2023 au 27 mai 2023, elle a reçu un total de 9 240 $ en prestations.

[7] En février 2025, la Commission de l’assurance-emploi du Canada a vérifié pourquoi l’appelante avait quitté son emploi. Elle a décidé que cette dernière avait volontairement quitté (c’est-à-dire choisi de quitter) son emploi sans justification.

[8] Par conséquent, la Commission a exclu l’appelante du bénéfice des prestations à compter du 1er janvier 2023. Selon la Commission, l’appelante doit rembourser la totalité des prestations qu’elle a reçues, soit 9 240 $, parce qu’elle n’y avait pas droit.

[9] Je dois décider si l’appelante a prouvé que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.

[10] Selon la Commission, au lieu de partir quand elle l’a fait, l’appelante aurait pu conserver son emploi et faire les heures qui lui seraient offertes, puis elle aurait pu communiquer avec Service Canada pour demander des prestations d’assurance-emploi pendant qu’elle cherchait un autre emploi.

[11] L’appelante n’est pas d’accord. Elle affirme qu’elle devait partir parce qu’elle avait perdu la plupart de ses heures de travail. Elle ajoute que l’employeur l’a poussée à démissionner.

Question que je dois examiner en premier

Compétence

[12] La compétence (le pouvoir) du Tribunal vient de la Loi sur l’assurance-emploi. J’ai le pouvoir de trancher uniquement les questions mentionnées dans la Loi. Je n’ai pas le pouvoir de modifier ou de « réécrire » les articles de la Loi.

[13] Je n’ai pas non plus le pouvoir de regarder si l’employeur a traité l’appelante de façon équitable, s’il aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation pendant sa grossesse ou s’il a respecté les normes provinciales du travail. Si l’appelante a une plainte liée aux normes du travail, c’est à elle de la déposer devant une autre instance, par exemple à la CNESST, l’autorité provinciale qui s’occupe des normes du travail.

[14] La seule chose que je peux faire, c’est d’évaluer les démarches de l’appelante à la lumière de la Loi.

Question en litige

[15] L’appelante est-elle exclue du bénéfice des prestations parce qu’elle a quitté volontairement son emploi sans justification?

[16] Pour répondre à cette question, je dois d’abord me pencher sur la question du départ volontaire. Je dois ensuite décider si l’appelante était fondée à quitter son emploi.

Analyse

Les parties ne s’entendent pas sur la question du départ volontaire

[17] Les parties ne sont pas d’accord sur la question de savoir si l’appelante a quitté son emploi chez X de façon volontaire. L’appelante explique qu’elle était enceinte et que l’employeur ne lui donnait plus aucune heure de travail, alors elle a décidé de demander de l’assurance-emploi parce qu’elle avait besoin de revenus pour payer ses factures.

[18] L’appelante dit avoir expliqué à Service Canada qu’au moment où elle a quitté son emploi chez X, elle était enceinte de trois mois et demiNote de bas de page 1.

[19] L’appelante affirme qu’elle s’est rendu compte que son employeur n’était pas à l’aise de lui donner des quarts de travail à cause de sa grossesse. Elle dit qu’elle a alors demandé à son superviseur de la mettre sur l’assurance-emploi (la mettre à pied) parce que ses factures s’accumulaient, ce qui la rendait très anxieuse. Mais son superviseur a refusé de le faireNote de bas de page 2.

[20] L’appelante ajoute que, comme son employeur ne voulait pas la mettre à pied, elle a pris la décision de démissionner et de se placer elle-même sur l’assurance-emploi. Elle explique qu’elle avait besoin d’un revenu et que personne ne voulait l’embaucher en raison de sa grossesseNote de bas de page 3.

[21] L’appelante soutient qu’elle n’a pas quitté son emploi de façon volontaire. Elle dit plutôt qu’elle était obligée de partir. Elle qualifie son départ de démission sous pressionNote de bas de page 4.

[22] Le relevé d’emploi daté du 14 décembre 2023 indique clairement que l’appelante a quitté son emploi le 7 janvier 2023Note de bas de page 5.

[23] L’appelante admet avoir quitté volontairement son emploi. Le relevé d’emploi produit par l’employeur confirme cette information. Il ne fait aucun doute que l’appelante a rompu la relation d’emploi.

[24] Je conclus donc que l’appelante a quitté son emploi de façon volontaire le 7 janvier 2023.

[25] Je vais maintenant vérifier si, dans les circonstances, l’appelante a été « forcée » ou non de démissionner, ce qui pourrait justifier son départ.

Les parties ne sont pas d’accord sur la question de la justification

[26] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si l’appelante était fondée à quitter volontairement son emploi quand elle l’a fait.

[27] La loi prévoit qu’il y a exclusion du bénéfice des prestations si l’on quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 6. Avoir une bonne raison de quitter un emploi ne suffit pas à démontrer que le départ est justifié ou fondé.

[28] La loi explique ce qu’on entend par une personne « est fondée à » quitter son emploi. Selon la loi, la personne est fondée à quitter son emploi si son départ était la seule solution raisonnable à ce moment-là. La loi dit qu’il faut tenir compte de toutes les circonstancesNote de bas de page 7.

[29] C’est à l’appelante de prouver que son départ était fondé. Elle doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Autrement dit, elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 8.

[30] Pour décider si l’appelante était fondée à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances entourant son départ. La loi mentionne certaines des circonstances que je dois examinerNote de bas de page 9.

[31] Quand j’aurai déterminé les circonstances qui s’appliquent à l’appelante, elle devra alors démontrer que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 10.

Circonstances entourant la démission de l’appelante

[32] Selon l’appelante, deux des circonstances prévues par la loi s’appliquent à elle. Elle soutient qu’il y a eu une modification importante de ses conditions de rémunération et que l’employeur l’a forcée à quitter son emploi.

Modification importante des conditions de rémunération (article 29(c)(vii) de la Loi)

[33] Selon l’appelante, il y a eu une modification importante de ses conditions de rémunération. Elle explique que l’employeur a arrêté de lui donner des heures de travail parce qu’elle était enceinte. Elle dit qu’il a supposé qu’elle ne pouvait plus soulever des objets lourds ni travailler avec des produits de nettoyage contenant des substances chimiques très fortes.

[34] Cependant, l’appelante travaillait sur appel. Ses heures de travail n’étaient pas garanties. L’ancêtre du Tribunal a déjà conclu que, si une personne travaille à temps partiel sans heures garanties, cet article de la Loi ne s’applique pas à elleNote de bas de page 11.

[35] Par conséquent, je conclus que cette circonstance-là ne s’applique pas à l’appelante.

Incitation indue de la part de l’employeur pour que la personne quitte son emploi (article 29(c)(xiii) de la Loi)

[36] Selon l’appelante, elle a subi une incitation indue pour quitter son emploi. Elle dit que l’employeur l’a forcée à démissionner parce qu’il ne lui donnait pas les heures de travail dont elle avait besoin pour gagner un revenu lui permettant de payer ses factures. L’appelante affirme que l’employeur agissait de cette façon parce qu’elle était enceinte.

[37] Je le répète, l’appelante travaillait sur appel. L’employeur n’était pas obligé de lui donner la moindre heure de travail. Il est donc impossible que l’employeur l’ait forcée à démissionner.

[38] Par conséquent, je conclus que cette circonstance-là ne s’applique pas à l’appelante.

En résumé

[39] Aucune des circonstances prévues à l’article 29 de la Loi n’entourait le départ de l’appelante.

[40] Malgré cela, le Tribunal doit examiner « toutes les circonstances », pas seulement celles mentionnées à l’article 29 de la Loi. L’appelante affirme que sa situation financière l’obligeait à quitter son emploi. Selon les conclusions que l’ancêtre du Tribunal a déjà tirées, la situation financière est aussi un élément dont on peut tenir compteNote de bas de page 12.

[41] Durant son témoignage, l’appelante a dit que perdre ses heures de travail la plaçait dans une situation financière très difficile, car elle n’arrivait pas à payer ses factures.

[42] J’accepte son argument voulant que, financièrement, elle se trouvait dans une situation qui pourrait justifier son départ.

[43] L’appelante doit tout de même démontrer que la seule solution raisonnable pour elle était de quitter son emploi.

Des solutions raisonnables s’offraient à l’appelante

[44] C’est à l’appelante de prouver que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas. Je vais maintenant voire si d’autres solutions raisonnables s’offraient à elle au moment où elle a quitté son emploi.

[45] L’appelante soutient que quitter son emploi était la seule solution raisonnable parce qu’elle a décidé par elle-même que c’était une étape nécessaire pour recevoir des prestations d’assurance-emploi.

[46] L’appelante a présenté une demande de prestations avant son départ. Elle a démissionné très peu de temps après que la Commission lui a dit qu’elle remplissait les conditions requises. L’appelante croyait que, pour recevoir des prestations d’assurance-emploi, elle devait quitter son emploi. Mais la loi ne fonctionne pas de cette façon. Quand on quitte son emploi, les critères à remplir pour recevoir des prestations ne sont plus les mêmes. Ils deviennent très stricts.

[47] Selon la Commission, une solution raisonnable aurait été de communiquer avec Service Canada par téléphone ou autrement avant de démissionner. Ainsi, l’appelante aurait pu poser des questions en lien avec sa situation, elle aurait pu expliquer pourquoi elle avait moins d’heures de travail et elle aurait pu se renseigner pour voir si elle pouvait demander des prestations. Si elle avait subi un arrêt de rémunération, elle aurait pu recevoir des prestations d’assurance-emploi tout en continuant à chercher un autre emploi et à faire les quarts de travail que lui offrirait le X, et ce, jusqu’à ce qu’elle remplisse les conditions requises pour recevoir des prestations de maternité quelques mois plus tard.

[48] L’appelante répond qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait toucher des prestations d’assurance-emploi si l’on réduisait son nombre d’heures de travail. Elle croyait qu’elle devait absolument être sans emploi pour avoir droit aux prestations. C’est la raison pour laquelle elle pensait devoir démissionner pour recevoir des prestations d’assurance-emploi.

[49] La Cour d’appel fédérale a déjà confirmé que « l’ignorance de la loi ne constitue pas un motif valable à moins qu’une personne ne démontre qu’elle a agi de manière raisonnable dans les circonstancesNote de bas de page 13 ». La Cour d’appel fédérale nous rappelle aussi que « l’ignorance de la loi et la bonne foi […] ne constituent pas des motifs valablesNote de bas de page 14 ». 

[50] J’estime que l’appelante était crédible et honnête. Même si je comprends son dilemme financier, quitter son emploi parce que l’on pense remplir les conditions requises pour recevoir des prestations d’assurance-emploi n’est pas l’une des choses permises par la loi. Par conséquent, ce n’est pas non plus une solution raisonnable. Dans la présente affaire, l’appelante était donc de bonne foi, mais elle ne savait pas comment fonctionne le régime d’assurance-emploi. Comme je l’ai mentionné plus haut, selon les décisions des cours, cela ne lui donne pas la justification dont elle a besoin.

[51] Je suis d’accord avec la Commission. Compte tenu des circonstances entourant la démission de l’appelante, que j’ai abordées plus haut, quitter son emploi à ce moment-là n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Même si on lui offrait peu ou pas d’heures de travail, elle n’avait aucune raison de démissionner et de se retrouver volontairement au chômage. 

[52] Par conséquent, pour les raisons que j’ai déjà mentionnées, je conclus que l’appelante n’était pas fondée à quitter son emploi.

Conclusion

[53] Le Tribunal est sensible à la situation financière dans laquelle se retrouve l’appelante. Mais la Loi sur l’assurance-emploi est très claire. Le Tribunal ne peut pas interpréter la loi autrement que dans son sens ordinaire. On ne peut pas ignorer les conditions d’admissibilité fixées par la Loi en raison de besoins financiers ou personnels. L’admissibilité et le droit aux prestations reposent sur les divers critères établis par la loi. Et le Tribunal ne peut ni modifier la loi ni l’interpréter de façon créative.

[54] L’appelante avait déjà communiqué avec Service Canada durant la semaine où elle a démissionné. Au lieu d’imaginer son propre scénario pour obtenir des prestations d’assurance-emploi, l’appelante a eu l’occasion d’expliquer sa situation à Service Canada et de lui demander des conseils sur la façon de traverser les difficultés qui découlaient de son emploi. Mais elle ne l’a pas fait.

[55] Je dois conclure que l’appelante est exclue du bénéfice des prestations parce qu’elle n’était pas fondée à quitter son emploi.

[56] Son appel est donc rejeté.

[57] Par conséquent, l’appelante doit rembourser les 9 240 $ de prestations qu’elle a reçues sans y avoir droit.

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