Assurance-emploi (AE)

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Citation : GM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 768

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : G. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (730288) datée du 23 mai 2025 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Jean Yves Bastien
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 10 juillet 2025
Personnes présentes à l’audience : L’appelant
Date de la décision : Le 18 juillet 2025
Numéro de dossier : GE-25-1806

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelant.

[2] L’appelant n’a pas démontré qu’il était fondé à quitter son emploi quand il l’a fait (c’est-à-dire qu’il avait une raison acceptable selon la loi). Son départ n’était pas fondé parce que ce n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Par conséquent, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] L’appelant a quitté son emploi chez X le 8 octobre 2022. Il a ensuite demandé des prestations d’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a vérifié pourquoi il avait quitté son emploi. Elle a décidé qu’il avait volontairement quitté (c’est-à-dire choisi de quitter) son emploi sans justification. Par conséquent, elle ne pouvait pas lui verser de prestations.

[4] Je dois décider si l’appelant a prouvé que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.

[5] Selon l’appelant, il devait démissionner parce qu’il vit avec un trouble bipolaire de type 1 et son emploi chez X était incompatible avec sa maladie. Il trouvait qu’il y avait trop de pression (de stress) et que c’était dur d’achever ses tâches dans le peu de temps qu’on lui accordait. L’appelant conclut que l’industrie de la restauration n’est tout simplement pas faite pour lui.

[6] La Commission est sensible au point de vue de l’appelant et elle tient compte de ces informations quand elle analyse la raison de son départ volontaire, mais les renseignements recueillis semblent indiquer que l’appelant voulait quitter son emploi pour pouvoir suivre une formation et travailler comme camionneur. Il n’a pas été dirigé vers sa formation.

[7] Selon la Commission, au lieu de quitter son emploi, l’appelant aurait pu parler à son employeur pour voir s’il y avait d’autres postes ou quarts de travail qui seraient moins stressants et dont les tâches seraient plus faciles à faire.

[8] L’appelant n’est pas d’accord. Il dit avoir parlé de ses problèmes à son superviseur. Il ajoute qu’il lui a posé des questions sur un changement d’horaire ou de tâches, mais qu’on lui a répondu : « non, désolé, c’est la nature de ton travail ».

Compétence du Tribunal

[9] Le Tribunal a le pouvoir de trancher uniquement les questions mentionnées dans la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 1. Je ne peux pas décider si une autre loi donne d’autres options à l’appelant. Le Tribunal ne peut pas réécrire la loi ni l’interpréter d’une manière contraire à son sens ordinaireNote de bas de page 2.

[10] Ce n’est pas à moi de décider si l’employeur aurait dû prendre des mesures d’adaptation raisonnables pour l’appelantNote de bas de page 3. Je peux me pencher sur une seule question : l’appelant a-t-il prouvé qu’il était « fondé » à quitter son emploi?

Question en litige

[11] L’appelant est-il exclu du bénéfice des prestations parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification?

[12] Pour répondre à cette question, je dois d’abord me pencher sur la question du départ volontaire. Je dois ensuite décider si l’appelant était fondé à quitter son emploi.

Analyse

Les parties sont d’accord sur la question du départ volontaire

[13] J’admets que l’appelant a quitté son emploi de façon volontaire. Lui-même dit qu’il a quitté son emploi le 8 octobre 2022. Je ne vois aucune preuve du contraire, alors j’accepte ce fait.

Les parties ne sont pas d’accord sur la question de la justification

[14] Les parties ne sont pas d’accord sur la question de savoir si l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi quand il l’a fait.

[15] La loi précise qu’il y a exclusion du bénéfice des prestations si l’on quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 4. Avoir une bonne raison de quitter un emploi ne suffit pas à démontrer que le départ était fondé.

[16] La loi explique ce qu’on entend par une personne « est fondée à » quitter son emploi. Selon la loi, la personne est fondée à quitter son emploi si son départ était la seule solution raisonnable à ce moment-là. La loi dit qu’il faut tenir compte de toutes les circonstancesNote de bas de page 5.

[17] C’est à l’appelant de prouver que son départ était justifié. Il doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Autrement dit, il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 6.

[18] Pour décider si l’appelant était fondé à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances entourant son départ. La Loi sur l’assurance-emploi nous donne la plupart des circonstances à examinerNote de bas de page 7.

[19] Quand j’aurai déterminé les circonstances qui s’appliquent à l’appelant, il doit alors démontrer que quitter son emploi était la seule solution raisonnable à ce moment‑làNote de bas de page 8.

Circonstances entourant la démission de l’appelant

[20] Durant son témoignage, l’appelant a expliqué que deux des circonstances prévues par la loi s’appliquent à lui. Premièrement, il dit qu’il a démissionné en grosse partie (90 %) parce que les conditions de travail étaient dangereuses pour sa santéNote de bas de page 9. Deuxièmement, il affirme que 10 % de sa démission est due au harcèlement qu’il subissait de la part de collèguesNote de bas de page 10. C’est à l’appelant de prouver l’existence de telles conditions.

Conditions de travail dangereuses pour la santé (article 29(c)(iv) de la Loi)

[21] Lorsqu’il s’est penché sur la question des démissions pour des raisons de santé, l’ancêtre du Tribunal, dans ses diverses formes, a tiré les conclusions suivantesNote de bas de page 11 :

  • Avant de quitter son emploi pour des raisons de santé, la personne doit au moins informer l’employeur ou la Commission des problèmes de santé qui la poussent à décider de partirNote de bas de page 12.
  • Le problème de santé invoqué pour justifier le départ doit être précis, et non pas un trouble général lié au stressNote de bas de page 13.
  • Si l’on se plaint d’un risque pour la santé, le risque doit exister pour vrai. Le simple fait de craindre pour sa santé ne justifie pas à lui seul le départNote de bas de page 14.
  • Si l’on invoque comme justification des effets néfastes pour sa santé, il faut présenter des éléments de preuve médicaleNote de bas de page 15.
  • Le certificat médical indique non seulement que la personne était malade, mais aussi qu’elle a dû quitter le travail en raison de son état de santéNote de bas de page 16.

[22] Selon la Commission, l’appelant a soulevé la question de son problème de santé seulement un an plus tard, soit le 4 octobre 2023. Le 21 septembre 2023, il a même dit durant un entretien que le fait de travailler chez X était peu valorisant et qu’il gagnait juste le salaire minimum. Il a ajouté qu’il travaillait chez X en attendant de commencer le volet pratique de son cours de camionneurNote de bas de page 17.

[23] En revanche, l’employeur a dit à la Commission qu’il avait rencontré l’appelant le 11 octobre 2022 pour une entrevue de départ. L’employeur a précisé qu’il se souvenait bien de l’appelant. Il a ajouté que, pendant l’entrevue, l’appelant a dit qu’il démissionnait parce que la pression était trop forte et qu’il trouvait ses tâches difficilesNote de bas de page 18.

[24] Durant son témoignage, l’appelant a raconté qu’il avait parlé à son superviseur des défis auxquels il faisait face. Il a ajouté qu’il avait posé des questions sur un changement d’horaire ou de fonctions, mais qu’on lui a répondu : « non, désolé, c’est la nature de ton travail ».

[25] Avec son avis d’appel au Tribunal, l’appelant a présenté un billet médical daté du 3 juin 2025Note de bas de page 19. Il affirme s’appuyer sur ce billet pour défendre ses actionsNote de bas de page 20.

[26] Le billet a toutefois été rédigé en 2025, soit deux ans et demi après la démission de l’appelant. J’admets que l’appelant vit avec un trouble bipolaire de type 1 depuis au moins 2010. Je reconnais le fait que sa maladie entraîne des difficultés organisationnelles ainsi qu’une faible tolérance au stress, ce qui nuit à sa capacité de garder un emploi. J’admets aussi que c’était la situation en octobre 2022, lorsque l’appelant a quitté son emploi chez X.

[27] De plus, le billet médical que l’appelant a obtenu récemment (en 2025) ne recommande pas son départ et ne précise pas que l’appelant a été obligé de quitter son emploi en 2022 en raison de son problème de santéNote de bas de page 21.

[28] Par conséquent, je dois conclure que l’appelant n’a pas prouvé qu’il travaillait dans des conditions dangereuses pour sa santé.

Harcèlement (article 29(c)(i) de la Loi)

[29] L’appelant a déclaré que 10 % de la raison pour laquelle il a démissionné était le harcèlement. Il a expliqué qu’il avait des problèmes avec une employée qui pensait qu’il ne travaillait pas assez vite.

[30] Durant son témoignage, l’appelant a expliqué que son problème de santé l’empêchait de faire tout type de travail stressant où les délais sont serrés. Il admet qu’il n’était pas capable de travailler aussi vite que l’employeur le souhaitait.

[31] Tout employeur a le droit de gérer son entreprise. Il ne faut pas confondre le harcèlement et l’exercice normal des droits de gestion de l’employeur qui, par exemple, attribue des tâches et fixe des délais. L’appelant se présentait au travail à 4 h du matin. Il commençait à préparer les aliments pour l’heure de pointe matinale. Le temps était donc limité pour une raison très concrète. Si l’appelant n’arrivait pas à travailler aussi rapidement que requis, l’employeur n’aurait pas assez de nourriture pour répondre à la demande de la clientèle quelques heures après le début du quart de travail de l’appelant.

[32] Il est malheureux que l’appelant ait été offensé par des commentaires sur le temps dont il avait besoin pour accomplir ses tâches, mais je juge plus probable qu’improbable que l’employeur exerçait tout simplement ses responsabilités et son droit de gestion.

[33] Par conséquent, je conclus que l’appelant n’a pas subi de harcèlement.

Est-ce que l’une des circonstances mentionnées dans la Loi s’appliquait?

[34] Non, aucune des circonstances prévues comme de possibles justifications par la Loi sur l’assurance-emploi ne s’appliquait à l’appelant. Pour en être vraiment certain, je vais vérifier si quitter son emploi à ce moment-là était la seule solution raisonnable dans le cas de l’appelant.

Des solutions raisonnables s’offraient à l’appelant

[35] Je vais maintenant voir si la seule solution raisonnable dans le cas de l’appelant était de quitter son emploi quand il l’a fait.

[36] L’appelant a déclaré que c’était la seule solution raisonnable parce qu’il avait déjà exploré les autres possibilités avec son superviseur, sans succès. Il soutient que c’est son problème de santé qui l’empêchait de travailler pour X et qu’il n’avait d’autre choix que de démissionner sur-le-champ.

[37] L’appelant était suivi en psychiatrie depuis environ 12 ans. Une solution raisonnable pour lui aurait été de prendre un congé de maladie et d’aller voir sa psychiatre pour obtenir un billet médical qui attestait de sa maladie et lui recommandait de quitter son emploi pour des raisons de santé.

[38] La Commission n’est pas d’accord. Elle affirme que l’appelant a travaillé seulement pendant 25 heures avant de démissionner. Selon elle, la véritable raison de son départ était que l’appelant devait faire le volet pratique de son cours pour obtenir sa certification de camionneur. L’appelant a dit à la Commission qu’il avait quitté son emploi le 8 octobre 2022 parce qu’il commençait son cours de camionneur, ce qui l’empêcherait de travailler chez XNote de bas de page 22.

[39] Durant son témoignage, l’appelant a expliqué que sa formation pratique consistait à conduire deux heures par jour pendant cinq jours. Au lieu de démissionner, une solution raisonnable aurait été de demander un congé pour suivre son cours.

[40] L’appelant faisait le quart du matin (de 4 h à 12 h) chez X. Une autre solution raisonnable aurait été de planifier son horaire de formation pour l’après-midi, après son quart de travail.

[41] J’admets que l’appelant a bel et bien tenté de régler la situation en discutant avec l’employeur. Mais étant donné la nature de l’emploi et le type d’employeur (un établissement de restauration rapide), c’était impossible.

[42] Compte tenu des circonstances entourant le départ de l’appelant, quitter son emploi quand il l’a fait n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. J’ai expliqué pourquoi ci-dessus.

[43] Par conséquent, l’appelant n’était pas fondé à quitter son emploi.

Conclusion

[44] Le Tribunal est sensible à la situation de l’appelant, qui vit avec un trouble bipolaire. Malgré cela, les règles qui permettent de justifier un départ sont très strictes. La personne doit démontrer qu’elle était « fondée » à quitter son emploi. C’est la norme la plus rigoureuse. Je ne doute pas du fait que l’appelant avait une bonne raison de quitter son emploi chez X. Hélas, cela ne constitue pas la « justification » dont il a besoin.

[45] Malheureusement, je dois conclure que l’appelant est exclu du bénéfice des prestations.

[46] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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