Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SK c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 792

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. K.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (0) datée du 30 juin 2025 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Peter Mancini
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 24 juillet 2025
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 31 juillet 2025
Numéro de dossier : GE-25-2065

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal est d’accord avec l’appelant.

[2] L’appelant a démontré qu’il avait un motif valable justifiant le retard de sa demande de prestations d’assurance-emploi. Autrement dit, l’appelant a fourni une explication acceptable selon la loi. Cela signifie que sa demande peut être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt.

Aperçu

[3] En général, pour recevoir des prestations d’assurance-emploi, une personne doit présenter une demande pour chaque semaine pendant laquelle elle n’a pas travaillé et pour laquelle elle souhaite recevoir des prestationsNote de bas de page 1. Elle fait des demandes en soumettant des déclarations à la Commission de l’assurance-emploi du Canada toutes les deux semaines. Habituellement, les déclarations sont faites en ligne. Il y a des dates limites pour présenter des demandesNote de bas de page 2.

[4] L’appelant a présenté sa demande après la date limite. Il veut maintenant qu’elle soit traitée comme si elle avait été présentée plus tôt, soit le 9 juin 2025.

[5] Pour que sa demande soit acceptée, l’appelant doit prouver qu’il avait un motif valable justifiant son retard.

[6] La Commission a décidé que l’appelant n’avait pas de motif valable et elle a rejeté sa demande. Elle soutient que l’appelant n’a pas de motif valable parce qu’il n’a pas agi comme une personne raisonnable l’aurait fait dans sa situation. Il a attendu jusqu’en septembre 2024 pour s’informer au sujet des prestations d’assurance-emploi. La Commission affirme que l’appelant cherchait du travail et que c’est seulement lorsqu’il n’a rien trouvé qu’il a décidé de faire une demande. La Commission affirme que ce n’est pas suffisant.

[7] L’appelant n’est pas d’accord et dit qu’il prenait soin de son épouse et de sa fille, ce qui occupait son temps. Il soutient qu’il ne connaissait pas le régime d’assurance-emploi et qu’il a eu du retard parce qu’il a dû attendre après Service Canada pour obtenir son numéro d’assurance sociale ainsi que son relevé d’emploi, qu’il croyait être nécessaires pour demander des prestations.

[8] Il s’agit de la deuxième comparution de l’appelant devant la division générale du Tribunal. Lorsque la Commission a rejeté la demande d’antidatation de la demande de prestations de l’appelant, celui-ci a fait une demande de révision. Après avoir entendu la demande, la Commission a maintenu sa décision de ne pas verser de prestations à l’appelant, car elle estimait qu’il n’avait pas de motif valable justifiant son retard.

[9] L’appelant a fait appel à la division générale du Tribunal. Une audience a eu lieu le 27 février 2025 et une décision a été rendue le 11 mars 2025. La division générale a rejeté l’appel de l’appelant. Celui-ci a ensuite fait appel à la division d’appel du Tribunal.

[10] La permission de faire appel a été accordée à l’appelant et une audience a eu lieu le 27 juin 2025. La division d’appel a rendu une décision le 30 juin 2025, dans laquelle elle a accueilli l’appel. La division d’appel a conclu que la division générale n’avait pas tenu compte d’un fait soulevé par l’appelant, à savoir qu’il affirmait qu’une des raisons pour lesquelles il n’avait pas demandé des prestations d’assurance-emploi dans les délais prescrits était qu’il avait des responsabilités de soignant auprès de sa famille.. L’affaire a été renvoyée à la division générale pour qu’elle se penche sur la question.

Question en litige

[11] Le fait que l’appelant agissait à titre de soignant était-il un motif valable justifiant le retard de sa demande de prestations d’assurance-emploi?

Analyse

[12] L’appelant veut que sa demande de prestations d’assurance-emploi soit traitée comme si elle avait été présentée plus tôt, soit le 9 juin 2025. C’est ce qu’on appelle « antidater » la demande.

[13] Pour faire antidater une demande, l’appelant doit prouver qu’il avait un motif valable justifiant son retard pendant toute la période écouléeNote de bas de page 3. L’appelant doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’il avait un motif valable justifiant son retard.

[14] Et pour démontrer qu’il avait un motif valable, l’appelant doit prouver qu’il a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblablesNote de bas de page 4. Autrement dit, il doit démontrer qu’il a agi de façon raisonnable et prudente, comme n’importe quelle autre personne l’aurait fait si elle s’était trouvée dans une situation semblable.

[15] L’appelant doit également démontrer qu’il a vérifié assez rapidement son droit aux prestations et les obligations que lui imposait la loiNote de bas de page 5. Cela signifie qu’il doit prouver qu’il a essayé de s’informer de ses droits et de ses responsabilités dès que possible et du mieux qu’il pouvait. Si l’appelant n’a pas fait ces démarches, il doit démontrer qu’il y avait des circonstances exceptionnelles qui l’en ont empêchéNote de bas de page 6.

[16] L’appelant doit démontrer qu’il a agi ainsi pendant toute la période du retardNote de bas de page 7. Cette période s’étend du jour où il veut que sa demande soit antidatée au jour où il l’a présentée. Par conséquent, pour l’appelant, la période de retard s’étend du 9 juin 2024 au 11 septembre 2024.

[17] L’appelant affirme qu’il avait un motif valable justifiant son retard parce qu’il devait assumer ses responsabilités en tant que soignant.

[18] La Commission affirme que l’appelant n’a pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant son retard parce qu’il n’a pas agi comme une personne raisonnable l’aurait fait dans sa situation, et qu’il doit démontrer qu’il avait un motif valable pendant toute la période du retard.

[19] J’estime que l’appelant a prouvé qu’il avait un motif valable justifiant son retard à présenter sa demande de prestations parce que les circonstances factuelles auxquelles il était confronté demandaient beaucoup de temps et elles l’ont retardé dans la présentation de sa demande de prestations. J’estime que toute personne raisonnable aurait agi de la même façon dans sa situation.

[20] L’appelant est un ingénieur civil qui a travaillé et vécu avec sa famille en Ontario pendant plusieurs années. Son épouse a eu un accident de la route en Ontario et ne conduit donc plus. Elle a commencé à faire de l’anxiété et de la dépression. Cela a entraîné des problèmes de santé mentale qui l’ont amenée à faire de l’agoraphobie (un trouble caractérisé par une peur de quitter son domicile).

[21] Dans le cadre de son traitement, son médecin lui a suggéré qu’elle et sa famille déménagent au Nouveau-Brunswick où elle avait de la famille. L’appelant a quitté son emploi en Ontario, où il travaillait depuis plus de 17 ans, et a déménagé avec sa famille au Nouveau-Brunswick en juin 2024. Il a demandé des prestations d’assurance-emploi le 11 septembre 2024, soit trois mois après avoir quitté son emploi.

[22] L’appelant et son épouse ont un enfant (S.). S. est née en santé, mais à l’âge de trois ans, elle a subi une blessure à la tête. Elle a eu de graves complications par la suite. S. est atteinte d’un traumatisme crânien et de troubles neurologiques et sensoriels chroniques ainsi que de déficits du traitement visuel. Elle a de graves migraines qui peuvent être déclenchées par le son, la lumière ou d’autres stimulants sensoriels. Ses migraines sont si graves qu’on lui a prescrit des médicaments pour adultes pour traiter ses symptômes, même si elle n’a que 11 ans. Elle a besoin d’une supervision et d’une gestion environnementale constantes. Avant que les parties ne déménagent au Nouveau-Brunswick, S. fréquentait l’école en ligne depuis plusieurs années. Elle allait être en 6e année au Nouveau-Brunswick et, pour la première fois, elle irait à l’école publique en personne.

[23] Afin de faciliter le retour à l’école de sa fille en septembre, l’appelant a rencontré les responsables de l’école à plusieurs reprises. Une [traduction] « pièce calme » a dû être aménagée à l’école pour S. et d’autres mesures d’adaptation lui ont aussi été offertes. L’appelant a travaillé avec l’école pendant trois mois pour mettre en place les mesures d’adaptation. Cela a compris la gestion des risques et la proposition de mesures d’adaptation.

[24] De plus, l’appelant a dû aider S. à s’habituer à aller dans des lieux publics. Elle n’était pas habituée à être avec des gens, à l’éclairage fluorescent, aux bruits de la circulation et à d’autres stimuli qui pouvaient provoquer une réaction physique chez elle. L’appelant a amené sa fille dans des parcs publics, des bibliothèques et des centres commerciaux afin qu’elle s’habitue à fréquenter des lieux publics. Cela devait se faire lors de courtes visites, mais à plusieurs reprises.

[25] En plus de s’occuper des besoins de sa fille, l’appelant devait aussi organiser le déménagement de sa famille de l’Ontario au Nouveau-Brunswick. Il devait entre autres trouver des médecins de famille et s’habituer à leur nouveau milieu.

[26] L’appelant le faisait essentiellement par lui-même. L’épouse de l’appelant n’était pas capable de l’aider en raison de ses propres problèmes de santé préexistants. Ceux-ci se sont aggravés lorsqu’elle a fait une crise de panique quand elle a su que sa fille irait à l’école publique. L’épouse de l’appelant s’est essentiellement retirée complètement de la vie quotidienne et de ses responsabilités à l’été 2024.

[27] L’appelant a témoigné sous serment de ces faits. Il était préoccupé par la protection de la vie privée de son épouse et de son enfant. Il a fait référence à des rapports de l’hôpital SickKids en Ontario concernant des rapports sur sa fille. À l’audience, il a montré un rapport médical concernant sa fille, qui confirmait son état de santé.

[28] L’audience a été émouvante pour l’appelant, mais malgré cela, il a fourni des renseignements clairs et logiques sur la situation à laquelle sa famille a été confrontée durant la période du 9 juin au 11 septembre 2024, où sa fille a commencé à fréquenter l’école. J’ai trouvé son témoignage fiable et crédible. Il était détaillé et appuyé par des documents que l’appelant a cités et fournis en référence.

[29] Même si je ne suis pas saisi de cette question, l’appelant a déclaré qu’il cherchait aussi son numéro d’assurance sociale et son relevé d’emploi pendant cette période. Ces éléments de preuve ont déjà été examinés dans une décision antérieure.

[30] Je note que le retard de l’appelant à présenter une demande de prestations n’était pas long. L’appelant a quitté son emploi en juin et a présenté sa demande seulement trois mois plus tard. C’est à ce moment-là que l’appelant s’installait, avec sa famille dans leur nouveau milieu. Je juge que le retard n’est pas trop long et que le moment choisi pour présenter la demande donne de la crédibilité à la raison que l’appelant a donnée pour justifier son retard.

[31] Dans ses observations, la Commission a souligné que le retard de la demande de l’appelant n’aurait aucune incidence sur le nombre de semaines de prestations qui lui seraient offertes, mais que seule la date de début des prestations serait retardée. Par conséquent, je conclus qu’il n’y a pas de préjudice important pour l’intimée si l’appel de l’appelant est accueilli.

[32] Lorsqu’il examine les raisons d’un retard, le Tribunal peut tenir compte de circonstances spéciales, comme une maladie liée au stress et la nature particulière d’une demande de prestations de maladieNote de bas de page 8. Les circonstances personnelles ou familiales liées à une maladie en phase terminale ou au décès d’un membre de la famille ont été considérées comme un motif valable justifiant le retardNote de bas de page 9. Même si l’appelant ne s’occupait pas d’un membre de sa famille en phase terminale, je juge que les circonstances familiales dans son cas étaient exceptionnelles et que l’effet cumulatif du déménagement au Nouveau-Brunswick, de la maladie de l’épouse de l’appelant et de tous les besoins liés à la situation de sa fille, qui demandaient beaucoup de temps, constituent une justification pour l’appelant.

[33] L’appelant faisait face à des défis considérables. Ceux-ci lui demandaient beaucoup de temps et d’énergie. Sa priorité était que lui et sa famille s’habituent à leur nouveau milieu et qu’ils se préparent pour septembre. C’est ce qui l’a empêché de demander des prestations d’assurance-emploi dans le délai requis. J’estime que toute personne raisonnable et prudente agirait de la même façon dans une situation semblable. Je juge qu’il s’agit d’un motif valable pour toute la période du retard.

Conclusion

[34] L’appelant a prouvé qu’il avait un motif valable justifiant son retard à présenter sa demande de prestations pendant toute la période écoulée. Cela signifie que sa demande peut être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt.

[35] L’appel est accueilli.

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