[TRADUCTION]
Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c BS, 2025 TSS 742
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
Partie appelante : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Représentante ou représentant : | Erin Tzetcoff |
Partie intimée : | B. S. |
Décision portée en appel : | Décision rendue par la division générale le 11 avril 2025 (GE-25-322) |
Membre du Tribunal : | Stephen Bergen |
Mode d’audience : | Vidéoconférence |
Date de l’audience : | Le 4 juillet 2025 |
Personnes présentes à l’audience : | Appelante Représentante de l’intimée |
Date de la décision : | Le 18 juillet 2025 |
Numéro de dossier : | AD-25-331 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est accueilli en partie. La division générale a commis des erreurs de fait. J’ai donc rendu la décision qu’elle aurait dû rendre.
[2] La division générale n’a pas vérifié si la Commission avait décidé de la pénalité de façon judiciaire. J’ai donc aussi rendu cette décision. J’ai conclu que la Commission n’a pas rendu la décision de façon judiciaire parce qu’elle n’a pas tenu compte des circonstances atténuantes.
[3] Comme une circonstance atténuante a été mentionnée devant la division générale, j’ai réduit la pénalité de 10 %; elle est maintenant de 287,10 $.
Aperçu
[4] L’appelante est la Commission de l’assurance-emploi du Canada. Je l’appellerai simplement la Commission. B. S. est l’intimée. Je l’appellerai la « prestataire » parce que la présente demande vise sa demande de prestations d’assurance-emploi.
[5] La prestataire a quitté le Canada pendant qu’elle touchait des prestations d’assurance-emploi. Elle a rempli une déclaration pour cette période. Elle a dit qu’elle n’était pas à l’étranger. Quand la Commission s’en est rendu compte, elle a exclu la prestataire du bénéfice des prestations pendant son séjour à l’étranger. Elle lui a aussi infligé une pénalité, car elle a conclu que la prestataire savait qu’elle faisait une fausse déclaration.
[6] La prestataire a demandé à la Commission de réviser la pénalité. La Commission n’a pas voulu modifier sa décision. La prestataire a donc fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a accueilli son appel. Elle a conclu que la prestataire avait fait la déclaration sans savoir qu’elle était fausse. Étant donné cette conclusion, la division générale n’a pas décidé si la Commission avait infligé la pénalité de la bonne façon.
[7] La Commission a porté la décision de la division générale en appel à la division d’appel.
[8] J’accueille en partie l’appel de la Commission. La division générale n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve quand elle a décidé que la prestataire ne savait pas qu’elle faisait une fausse déclaration. Elle a tiré une conclusion de fait sans tenir compte de la preuve contradictoire.
[9] Je remplace la décision de la division générale par la mienne. Je conclus que la prestataire a fait une fausse déclaration « sciemment ». Je conclus aussi que la Commission n’a pas agi de façon judiciaire quand elle a infligé la pénalité. Je réduis la pénalité de 10 % en raison d’une circonstance atténuante.
Questions en litige
Voici les questions à trancher dans la présente affaire :
[10] La division générale a-t-elle fait une erreur de droit parce qu’elle s’en est remise à la distraction de la prestataire sans tenir compte des autres éléments pertinents tirés de la jurisprudence?
[11] La division générale a-t-elle commis une erreur de fait :
- parce qu’elle a ignoré la preuve montrant que la prestataire n’avait pas déclaré une absence du Canada dans le cadre d’une demande précédente;
- parce qu’elle a ignoré la preuve montrant que la prestataire a soumis sa déclaration pour la semaine en question le 26 juillet 2022?
Analyse
[12] La division d’appel peut se pencher uniquement sur les erreurs qui correspondent à l’un des moyens d’appel suivants :
- a) La procédure de la division générale était inéquitable d’une façon ou d’une autre.
- b) La division générale n’a pas tranché une question alors qu’elle aurait dû le faire ou bien elle a tranché une question sans avoir le pouvoir de le faire (erreur de compétence).
- c) La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.
- d) La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.
[13] La Commission a invoqué les moyens d’appel ciblant les erreurs de droit et de fait.
Erreur de droit
[14] La division générale est obligée de suivre les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale. Si elle ne les suit pas, c’est une erreur de droit.
[15] L’un des arguments de la Commission est que la division générale a fait une erreur de droit parce qu’elle n’a pas suivi les décisions de la Cour d’appel fédérale dans les affaires Bellil et FtergiotisNote de bas de page 2. Elle a souligné que la division générale n’avait pas tenu compte des éléments pertinents mentionnés dans ces décisions.
[16] Les cours reconnaissent que le critère qui permet de savoir si les prestataires ont fait une fausse déclaration « sciemment » est subjectifNote de bas de page 3. En revanche, elles ont aussi conclu que les prestataires qui clament leur ignorance n’en font pas assez. La division générale n’est pas obligée de les croire. La division d’appel n’est pas non plus obligée de toujours se soumettre au point de vue de la division générale quand celle-ci accepte ce que les prestataires disent au sujet de leurs connaissances.
[17] Lorsqu’il s’agit de savoir comment les prestataires ont donné la mauvaise réponse à une question très simple, c’est aux prestataires de démontrer que la fausseté de leur déclaration leur a échappéNote de bas de page 4. Pour évaluer les connaissances probables des prestataires, on peut tenir compte de facteurs objectifsNote de bas de page 5.
[18] La décision Bellil semble indiquer que le niveau d’instruction figure parmi ces facteurs. Elle a rejeté l’idée qu’il fallait excuser le prestataire en raison du manque d’attention qu’il avait porté aux questions posées dans les déclarations de prestataire. Dans l’affaire Bellil, la Cour s’est penchée sur une situation semblable à celle de la prestataire dans la présente affaire : le prestataire n’avait pas non plus prêté attention au questionnaire, qu’il avait rempli « de façon mécanique ».
[19] Dans l’affaire Bellil, la division générale avait accepté l’explication du prestataire. La division d’appel était du même avis. Par contre, quand la Cour a contrôlé la décision de la division d’appel, elle l’a jugée déraisonnable. Elle a décidé que la division d’appel aurait dû conclure que la division générale n’avait pas tenu compte des autres éléments de preuve pour évaluer l’explication du prestataire. Parmi ces éléments de preuve, il y en avait qui montraient que le prestataire était à l’étranger pendant les périodes visées par sept déclarations. Ils montraient aussi qu’il inscrivait dans ses déclarations qu’il n’était pas à l’extérieur du Canada alors même qu’il se trouvait à l’étranger.
[20] Dans l’affaire Ftergiotis, le prestataire a fait de fausses déclarations sur neuf cartes de déclaration : il disait ne pas travailler et ne recevoir aucune rémunération. Ces déclarations visaient une période où il travaillait et touchait un bon revenu. Le prestataire a affirmé qu’il n’avait pas fait cela « intentionnellement », que c’était plutôt une « erreur humaine », qu’il était mêlé et que c’était en partie la faute du système de paie de son employeur.
[21] L’analyse dans la décision Ftergiotis est brève, mais la Cour semble avoir été convaincue que le prestataire aurait dû au moins déclarer qu’il travaillait, même s’il ne savait pas exactement combien d’argent il gagnait. L’affirmation du prestataire, soit qu’il y avait eu de la confusion ou une erreur humaine et qu’il ne savait donc pas qu’il faisait de fausses déclarations, a été rejetée dans l’affaire Ftergiotis.
[22] La Commission semble interpréter les décisions Bellil et Ftergiotis comme des décisions obligeant la division générale à tenir compte de certains facteurs pertinents. Elle croit que la division générale n’a pas suivi un précédent d’application obligatoire parce qu’elle n’a pas examiné ces facteurs.
[23] Dans ses observations, la Commission a aussi envisagé la possibilité que les décisions Bellil et Ftergiotis soient considérées comme différentes par les faits. Dans ces affaires, les prestataires avaient fait de multiples fausses déclarations. Dans la présente affaire, la prestataire en a fait une seule, soit qu’elle était [sic] à l’étranger, à une seule occasion.
[24] La Commission a donc invoqué trois décisions où le prestataire avait fait une fausse déclaration sciemment, mais à une seule occasion. Elle a cité la décision de la division d’appel dans l’affaire Commission de l’assurance-emploi du Canada c GO et deux décisions de ce qu’on appelait anciennement le juge-arbitre du Canada sur les prestationsNote de bas de page 6 (CUB), soit les décisions CUB 11584 et CUB 5916. Le Tribunal n’est pas obligé de suivre ces décisions, mais il peut les juger convaincantes.
[25] Dans la décision GO, la division d’appel a conclu que la division générale n’avait pas tenu compte du niveau de scolarité du prestataire, un facteur souligné dans la décision Bellil comme étant pertinent. Selon la division d’appel, la division générale avait fait « une mauvaise application de la jurisprudence contraignante », ce qu’elle qualifiait d’erreur de droit.
[26] Avec respect, je ne suis pas d’accord avec la façon dont l’erreur est décrite comme étant une erreur de droit dans la décision GO. À mon avis, la décision Belill ne veut pas dire que, quand une personne affirme qu’elle ne savait pas que sa déclaration était fausse, on ne peut pas la croire si elle est instruite ou si l’un des autres facteurs mentionnés dans la décision Belill est présent.
[27] Le message véhiculé par l’affaire Bellil est que, quand une personne dit qu’elle ignorait être en train de faire une fausse déclaration, la division générale ne peut pas simplement accepter cette affirmation sans évaluer la crédibilité de la personne. La décision Bellil ne désigne aucun élément particulier ni aucune liste de facteurs qui seraient déterminants.
[28] À titre d’exemple, la décision Bellil mentionne en particulier le niveau d’instruction du prestataire. Je conviens que le degré d’instruction ou de raffinement d’une personne peut être pertinent si elle dit ne pas avoir compris la question. Mais cela ne veut pas dire que l’on doit ou que l’on peut douter de ce qu’elle dit juste parce que c’est une personne instruite.
[29] La décision Bellil veut seulement dire que la division générale doit tenir compte de tout autre élément de preuve qui porte sur les circonstances entourant la fausse déclaration.
[30] Dans la décision CUB 11584, le prestataire a déclaré les mauvais renseignements au sujet de sa rémunération. Il a expliqué qu’il n’avait pas fait assez attention à la date sur les cartes de déclaration. Le juge-arbitre a conclu que le prestataire avait fait la fausse déclaration sciemment. Il a mentionné que les similitudes entre cette affaire et les circonstances décrites dans la décision CUB 5916 étaient « frappantes ». Dans la décision CUB 5916, le juge-arbitre a aussi conclu que le prestataire savait qu’il faisait une fausse déclaration. Il a précisé que les prestataires peuvent « sciemment » faire une fausse déclaration soit de façon délibérée, soit par insouciance. Il a souligné que le prestataire avait admis que les déclarations sur sa rémunération risquaient fort d’être incorrectes. Le juge-arbitre en a déduit que le prestataire se souciait très peu de remplir ses obligations.
[31] Dans la décision CUB 5916, le juge-arbitre a confirmé que la détermination de ce que les prestataires savent ou non est une « pure question de fait ». Je suis d’accord. Par conséquent, la division générale n’était pas obligée de rendre la même décision que dans l’affaire Bellil, sauf si toutes les constatations de fait qui étaient pertinentes dans l’affaire Bellil existent aussi dans la présente affaire.
[32] Je reconnais que bon nombre des « facteurs » pertinents examinés par la Cour dans l’affaire Bellil figurent aussi dans la présente affaire. Par exemple, la Cour a semblé déduire que le prestataire avait la capacité de comprendre le processus de déclaration et les questions posées dans les cartes de déclaration en raison de son niveau d’instruction. Dans la présente affaire, la prestataire semble aussi instruite. Elle travaille comme éducatrice et les observations qu’elle a rédigées sont réfléchies et cohérentes.
[33] La décision Bellil mentionne aussi les nombreuses instructions et mises en garde que donne le formulaire de demande initiale. Elles disent aux prestataires de déclarer leurs absences de leur lieu de résidence ou du Canada. Elles les avertissent aussi au sujet des fausses déclarations. La Cour a souligné que les prestataires ne peuvent pas présenter leurs déclarations de prestataire sans attester que les informations fournies sont exactes. Les mêmes instructions, mises en garde et attestations figurent aussi dans la présente affaireNote de bas de page 7.
[34] En revanche, la décision Bellil repose aussi sur des éléments de preuve pertinents qui ne se retrouvent pas dans la présente affaire. La décision Bellil mentionne le fait que le prestataire a soumis des déclarations indiquant qu’il n’avait pas quitté le pays alors qu’il se trouvait encore à l’étranger. Ainsi, il faisait de fausses déclarations au moment même où l’information fournie était fausse. La Cour a aussi souligné que le prestataire avait faussement écrit qu’il n’était pas allé à l’étranger dans sept déclarations. Enfin, elle s’est demandé pourquoi il n’avait pas compris la question la première fois qu’il l’a lue, car il affirmait avoir rempli toutes les déclarations de façon mécanique.
[35] Dans la même veine, le prestataire dans l’affaire Ftergiotis affirmait ne pas travailler au moment même où il travaillait. Lui aussi a fait ces déclarations pour un certain nombre de périodes.
[36] La division générale n’a pas fait d’erreur de droit parce qu’elle n’a pas suivi un critère ou un principe juridique tiré des décisions Bellil ou Ftergiotis. Ces décisions ne font que renforcer le principe général voulant que la division générale doit examiner tous les éléments de preuve. Autrement dit, il faut que la division générale évalue l’explication des prestataires à la lumière de tous les éléments de preuve. Si elle ne le fait pas, j’appellerais cela une erreur de fait, et non de droit.
[37] La division générale n’a pas non plus fait d’erreur de droit parce qu’elle est arrivée à un résultat différent de celui des affaires Bellil et Ftergiotis. Ces affaires sontdifférentes au regard des faits. Certains des éléments permettant de douter de la plausibilité ou de la crédibilité de la preuve des prestataires dans les affaires Bellil et Ftergiotis sont absents du présent appel.
Erreur de fait
[38] La Commission a soutenu que la division générale avait fait une erreur de droit parce qu’elle n’avait pas tenu compte de certains éléments pertinents. J’ai jugé que ce n’était pas une erreur de droit. La Commission a aussi soutenu que la division générale avait commis des erreurs de fait parce qu’elle n’avait pas examiné des éléments de preuve pertinents.
[39] Selon la Commission, la division générale n’a pas tenu compte du fait que la prestataire n’avait pas déclaré son absence du Canada dans le cadre d’une demande de prestations passée. Elle a aussi souligné que la division générale ne s’était pas penchée sur une information contradictoire au sujet de la date de la déclaration de prestataire. Le témoignage de la prestataire sur ce point ne concorde pas avec les autres éléments de preuve au dossierNote de bas de page 8.
[40] Je conviens que la division générale a commis des erreurs de fait.
Absence non déclarée par le passé
[41] La Commission a écrit qu’elle avait discuté avec la prestataire de la façon dont elle n’avait pas déclaré son absence du Canada dans le cadre d’une demande de prestations précédenteNote de bas de page 9. Selon la Commission, la prestataire savait assurément qu’elle devait déclarer son absenceNote de bas de page 10.
[42] Dans ses observations à la division générale, la Commission a aussi mentionné cet incident. Elle a expliqué que la prestataire n’avait pas déclaré une absence du Canada en 2014. Elle a ajouté qu’elle lui avait alors infligé une pénalité, puis qu’elle l’avait annulée.
[43] À l’audience de la prestataire, la membre de la division générale lui a posé une question précisément sur ce sujet. La prestataire a reconnu que l’incident de 2014 était semblable à ce qui s’est passé en 2022Note de bas de page 11. Elle a expliqué qu’elle avait l’habitude de cliquer sur les réponses rapidement et de façon méthodique quand elle remplissait ses déclarations. Elle a laissé entendre qu’en 2014, elle remplissait ses déclarations un peu de la même façon que dans la présente affaire.
[44] La division générale a commis une erreur de fait. Elle n’a pas mentionné l’élément de preuve concernant l’incident précédent. Un tel antécédent est pertinent lorsque la division générale évalue les connaissances subjectives de la prestataire. La prestataire s’était déjà fait poser des questions en lien avec une fausse déclaration sur sa présence continue au Canada. Un tel fait réduit les chances qu’elle ait rempli ses déclarations de prestataire sans penser à cette question en particulier ou sans savoir qu’elle devait y répondre d’une autre façon qu’à son habitude.
Date de la déclaration de prestataire
[45] La prestataire a dit à la Commission qu’elle était à l’étranger du 17 juillet au 24 juillet 2022. Dans son témoignage devant la division générale, elle a expliqué qu’elle avait soumis sa déclaration pour la semaine où elle était à l’étranger en même temps que ses déclarations pour trois autres semaines. Elle a précisé qu’elle avait attendu environ deux semaines après son retour au Canada avant de les soumettre.
[46] La division générale a accepté ce fait. Elle n’a toutefois pas mentionné les renseignements au dossier qui indiquaient que la déclaration pour cette semaine-là avait plutôt été soumise le 26 juillet 2022Note de bas de page 12.
[47] Le temps écoulé depuis son retour au Canada est pertinent pour voir si l’idée qu’elle ait rempli ses déclarations sans penser à son séjour à l’étranger est vraisemblable. Il est plus probable qu’elle ait eu ce séjour en tête et qu’elle ait su que ses déclarations visaient la période où elle se trouvait à l’étranger si elle venait tout juste de rentrer au Canada.
[48] La division générale a commis une erreur de fait parce qu’elle n’a pas mentionné ces éléments de preuve et elle n’a pas abordé les renseignements qui se contredisent dans le témoignage de la prestataire et la preuve au dossier.
En résumé
[49] J’ai conclu que la division générale avait commis des erreurs de fait. Je dois maintenant décider ce que je dois faire pour régler la situation.
Réparation
[50] J’ai le pouvoir de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen ou de rendre la décision qu’elle aurait dû rendreNote de bas de page 13.
[51] La Commission me demande de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Elle me suggère de conclure que la prestataire savait qu’elle faisait une fausse déclaration.
[52] La division générale n’a pas vérifié si la Commission avait agi de façon judiciaire quand elle a rendu une décision sur la pénalité. Cela n’est pas surprenant. Comme elle venait de décider que la prestataire avait fait une fausse déclaration sans le savoir, on ne pouvait plus lui donner de pénalité. En revanche, une pénalité accompagne presque toutes les décisions confirmant que les prestataires ont fait une fausse déclaration sciemment.
[53] La Commission le reconnaît. Elle me demande donc de décider qu’elle a rendu sa décision sur la pénalité comme il se doit ou « de façon judiciaire », puis de confirmer la pénalité.
[54] La prestataire croit aussi que je devrais rendre la décision, mais elle ajoute que, selon elle, la pénalité est injuste.
[55] Je suis d’accord. Je peux rendre la décision sur la fausse déclaration et la décision sur la façon dont la pénalité a été déterminée. La division générale n’a pas vérifié si la Commission avait infligé la pénalité de façon judiciaire. Malgré cela, il n’y a pas de nouveaux éléments de preuve à prendre en considération, et les parties ont déjà présenté leurs arguments.
La fausse déclaration a-t-elle été faite sciemment?
[56] Je conclus que la prestataire savait qu’elle faisait une fausse déclaration.
[57] Voici l’argument de la prestataire : son emploi habituel est saisonnier et elle remplit ses déclarations de la même façon depuis de nombreuses années. Remplir les déclarations est devenu une tâche routinière qu’elle exécute rapidement et sans trop y penser. Il lui arrive souvent d’attendre avant de faire ses déclarations. Elle doit alors rattraper son retard et remplir ses déclarations pour plus de deux semaines à la fois. Elle est donc moins attentive et, dans ce cas-ci, elle n’a pas fait assez attention.
[58] Je comprends que la prestataire a passé une semaine à l’étranger et qu’elle a faussement affirmé qu’elle n’était pas à l’étranger dans une seule déclaration. Je reconnais aussi qu’elle soumet ces déclarations depuis un bon nombre d’années et qu’on peut comprendre que plus le temps passe et moins elle prête attention aux questions.
[59] J’ai écouté l’enregistrement audio de l’audience de la division générale et j’ai tenu compte du témoignage de la prestataire. J’admets qu’elle avait l’habitude de remplir ses déclarations rapidement et sans trop y penser. J’admets aussi qu’elle attend souvent avant de faire ses déclarations de prestataire, de sorte qu’elle en remplit plus d’une à la fois. Je n’ai aucune raison de douter de ce qu’elle dit à propos du dépôt de ses déclarations pour quatre semaines en même temps.
[60] Je rejette cependant son témoignage voulant qu’elle ait attendu deux semaines après son retour (cette fois-ci) pour soumettre ses déclarations. À ce sujet, je préfère la preuve au dossier. L’Agence des services frontaliers du Canada a déclaré que la prestataire se trouvait à l’étranger du 17 juillet au 24 juillet 2022Note de bas de page 14. Les cartes de déclaration électroniques sont datées et, pour la semaine du 17 juillet au 23 juillet, la déclaration de la prestataire était datée du 26 juillet 2022. J’accepte cette preuve. Ainsi, elle a déclaré qu’elle n’avait pas quitté le Canada trois jours après la période visée par la déclaration et deux jours après son retour au Canada, et non pas deux semaines plus tard.
[61] De plus, la prestataire a reconnu que la même situation était survenue en 2014. Elle avait affirmé dans sa déclaration de prestataire qu’elle n’était pas allée à l’extérieur du Canada alors que ce n’était pas vrai. Elle a fait face aux mêmes conséquences à l’époque, mais il semble qu’en fin de compte, la Commission ne lui ait infligé aucune pénalité.
[62] Je rejette l’argument voulant qu’elle ne savait pas qu’elle fausserait les données sur sa présence au Canada en remplissant ses déclarations comme elle avait l’habitude de le faire.
[63] La prestataire a présenté une fausse déclaration à la Commission dans les documents qu’elle lui a soumis dans les jours suivant son retour au Canada. Il est très peu probable qu’en remplissant sa déclaration visant la semaine précédente, elle ait oublié qu’elle se trouvait alors à l’étranger.
[64] Comme elle a déjà fait une fausse déclaration au sujet d’un séjour à l’étranger, la prestataire savait sans doute qu’une question à ce sujet figurait sur les déclarations de prestataire. Et étant donné la réaction de la Commission dans le passé, elle devait savoir qu’il était important d’y répondre correctement. Je juge qu’il est très difficile de croire qu’elle n’ait pas pensé à une telle chose au moment de remplir ses déclarations.
[65] Comme pour toutes les demandes de prestations d’assurance-emploi, le formulaire de demande et les étapes à suivre comportaient diverses mises en garde, confirmations et attestations. Pour déclarer qu’elle n’était pas allée à l’étranger, il aurait fallu que la prestataire ferme les yeux sur tout ce qu’elle lisait ou avait déjà lu au sujet des prestations d’assurance-emploi, y compris tout ce qu’elle a reconnu, sélectionné et attesté dans la demande.
[66] Elle explique qu’elle a agi comme d’habitude, c’est-à-dire sans réfléchir aux questions ou aux réponses. Si c’est vrai, cette habitude démontre qu’elle savait qu’elle devait remplir ses déclarations pour que la Commission lui verse des prestations. Par conséquent, elle comprenait assurément que la Commission ne lui verserait pas de prestations sans recevoir ses déclarations de prestataire et sans tenir compte des réponses qui s’y trouvent.
[67] Les questions ont pour but de recueillir des renseignements qui permettent à la Commission de vérifier si la prestataire a toujours droit aux prestations. En répondant aux questions de façon machinale, comme elle l’a toujours fait, la prestataire refusait essentiellement d’informer la Commission de sa situation.
[68] Comparativement aux faits décrits dans l’affaire Bellil, certains faits dans la présente affaire, comme l’existence d’une seule fausse déclaration, appuient plus fortement l’argument que la prestataire ne « savait » pas qu’elle faisait une fausse déclaration. D’autres faits viennent fragiliser cet argument, comme un antécédent de fausse déclaration exactement dans les mêmes circonstances.
[69] Même si les faits ne sont pas identiques à ceux de l’affaire Bellil, je suis arrivé à la même décision que dans l’affaire Bellil, essentiellement pour la même raison. Dans la décision Bellil, la Cour a écrit ceci : « un prestataire [ne peut pas] échapper à une pénalité administrative en invoquant sa propre négligence sous le couvert d’un automatismeNote de bas de page 15 ». Autrement dit, je n’ai pas à accepter l’ignorance de la prestataire au sujet de la fausse déclaration juste parce qu’elle dit qu’elle n’a pas fait attention.
[70] Je conclus que la prestataire a fait une fausse déclaration « sciemment ». Compte tenu du contexte dans lequel elle a fait la fausse déclaration, je ne peux pas accepter son affirmation voulant qu’elle l’ignorait. À mon avis, cette affirmation est incompatible avec les « probabilités qui se dégagent de manière prépondérante et rationnelle de l’ensemble des éléments de preuve de l’affaireNote de bas de page 16 ».
La Commission a-t-elle agi de façon judiciaire en infligeant la pénalité?
[71] Je conclus que la Commission n’a pas agi de façon judiciaire lors de l’évaluation de la pénalité. Elle n’a pas tenu compte des circonstances atténuantes.
[72] Si les prestataires font une fausse déclaration, la Commission peut leur infliger une pénalité. La décision de donner ou non une pénalité et la détermination du montant de la pénalité sont discrétionnaires.
[73] Selon la loi, la Commission doit agir de façon judiciaire lorsqu’elle rend une décision discrétionnaire. En d’autres termes, elle ne peut pas agir de mauvaise foi, dans un but irrégulier ou de façon discriminatoire. Elle doit aussi tenir compte de tous les éléments pertinents et ignorer les éléments non pertinents.
[74] Aucune preuve ne me permet de conclure que la Commission a agi de mauvaise foi, dans un but irrégulier ou de façon discriminatoire. Ici, la question est de savoir si la Commission a pris en compte les éléments pertinents et ignoré les éléments non pertinents pendant la révision du dossier.
[75] La loi ne dit pas à la Commission quels sont les éléments pertinents. La Commission a toutefois une politique qui relève quelques éléments qu’elle juge pertinents. Le Guide de la détermination de l’admissibilité énonce la façon dont la Commission interprète son mandat législatif. Il présente entre autres l’interprétation de ses politiques. Parmi ces politiques, il y a celle que la Commission suit pour évaluer les pénalitésNote de bas de page 17.
[76] La division d’appel a confirmé que la politique de la Commission est un élément pertinent si cette dernière a utilisé son pouvoir discrétionnaire pour réexaminer ses propres décisionsNote de bas de page 18. J’admets que la politique de la Commission est aussi pertinente pour ses décisions sur les pénalités.
[77] Les politiques de la Commission sur les pénalités tiennent compte, entre autres choses, du montant net du trop-payé et du nombre de fausses déclarations que la prestataire a faites au cours des cinq dernières années (s’il y en a). La pénalité est plafonnée par la loi, qui prévoit un « montant selon la validation légale ». Dans la présente affaire, la pénalité était fondée sur le montant net du trop-payé. La politique de la Commission prévoit la prise en compte de circonstances atténuantes et la possibilité de réduire la pénalité en conséquenceNote de bas de page 19.
[78] La politique de la Commission est un élément pertinent. Par conséquent, les « circonstances atténuantes » constituent un élément pertinent.
[79] Selon la Commission, il n’y avait pas de circonstances atténuantes dans la présente affaire. Mais rien ne laisse croire qu’elle a évalué la situation particulière de la prestataire. Le Guide présente une liste d’exemples de circonstances atténuantes. Parmi celles-ci se trouvent le « regret sincère » et le fait que le trop-payé ait déjà été rembourséNote de bas de page 20.
[80] Je rejette l’idée que la prestataire regrette vraiment son geste. Par conséquent, je rejette l’argument voulant que la Commission doive considérer cela comme une circonstance atténuante.
[81] Dans la présente affaire, la prestataire n’a pas exprimé de « regret » après avoir fait la fausse déclaration, c’est-à-dire qu’elle n’a pas dit qu’elle était désolée d’avoir trompé la Commission. C’est logique puisqu’elle a toujours dit que son erreur était involontaire et qu’elle n’avait pas l’intention de mentir à la Commission.
[82] Selon la prestataire, elle ne devrait pas subir les conséquences de ses fausses déclarations parce qu’elle a rempli les déclarations de façon machinale comme elle l’a toujours fait. Elle a expliqué que c’est ce qui arrive quand on fait les mêmes déclarations pendant de nombreuses années.
[83] Je comprends que la prestataire maintient qu’elle n’avait pas l’intention de faire une fausse déclaration ni de recevoir des prestations sans y avoir droit. Mais même si elle croit que c’est la vérité, son comportement était au mieux insouciant. Elle n’a exprimé aucun regret pour son insouciance. Elle n’a pas reconnu qu’elle aurait dû prendre le temps de comprendre ou de revoir les obligations que lui impose la Loi sur l’assurance-emploi. Elle n’a pas non plus admis qu’elle aurait dû prendre au sérieux les choses qu’elle attestait et confirmait.
[84] Elle ne s’est pas excusée d’avoir entravé le travail de la Commission dans son dossier. La Commission a besoin de mises à jour régulières pour pouvoir bien évaluer l’admissibilité de la prestataire. De son propre aveu, la prestataire a l’habitude depuis des années de remplir ses déclarations en cochant les réponses aux questions sans se demander si elles sont correctes.
[85] Si la prestataire avait remboursé les prestations qu’elle n’aurait pas dû recevoir, ce serait une autre circonstance atténuante.
[86] Elle a remboursé les prestations versées en trop seulement après l’enquête de la Commission. Elle explique qu’elle ne s’est pas rendu compte de ce qu’elle avait fait jusqu’à ce moment-là. Elle ajoute qu’elle a reconnu qu’elle n’avait pas droit aux prestations pour cette semaine-là dès qu’elle a été mise au courant de la situation.
[87] La Commission n’a pas contesté le fait que la prestataire était prête à rembourser les prestations après avoir pris conscience de son erreur (même si elle croyait que la Commission allait les déduire des autres prestations qui devaient lui être versées).
[88] J’estime que la Commission aurait dû tenir compte du fait que la prestataire a toujours été disposée à coopérer et à rembourser sur demande les sommes reçues en trop. La Commission n’a pas regardé si cette circonstance atténuante s’appliquait dans le cas de la prestataire.
[89] Je ne vois aucune autre circonstance qui pourrait réduire le montant de la pénalité. Le calcul de la pénalité aboutit à une somme relativement faible et rien ne prouve l’existence de difficultés financières dans ce cas-ci. Aucune des autres circonstances atténuantes qui figurent dans la politique ne s’applique.
[90] La politique ne mentionne pas tous les éléments que l’on peut prendre en considération, mais je ne vois aucune autre circonstance dont la Commission aurait dû tenir compte. La preuve ne semble pas non plus indiquer que la Commission a pris en compte des éléments non pertinents.
Pénalité
[91] Sauf pour les circonstances atténuantes, je suis d’accord avec le calcul de la Commission, qui aboutit à une pénalité de 319 $. Le trop-payé de la prestataire s’élevait à 638 $. La Commission avait raison de réduire cette somme de 50 % pour une infraction de premier niveau.
[92] La Commission affirme que, s’il n’y a aucun fait nouveau, je ne peux pas remplacer la décision sur la pénalité par ma propre opinion. Elle mentionne que la décision Gagnon fait autorité à ce sujetNote de bas de page 21. La décision Gagnon parle toutefois d’un « fait nouveau » qui n’aurait pas été pris en compte par la Commission. Dans l’affaire Gagnon, la Commission avait déjà réduit la pénalité en fonction des circonstances atténuantes, et une autre réduction avait été accordée en appel même s’il n’y avait aucune nouvelle circonstance atténuante.
[93] La décision Gagnon ne m’empêche pas de réduire la pénalité. Les circonstances atténuantes n’ont peut-être pas changé, mais la Commission n’a pris en compte aucune circonstance atténuante dans sa décision initiale sur la pénalité.
[94] Je diminue la pénalité d’un 10 % supplémentaire à titre discrétionnaire en raison de l’unique circonstance atténuante. J’admets que la prestataire a toujours eu l’intention de rembourser les prestations versées en trop et qu’elle a fait preuve de bonne foi en s’efforçant de rembourser la CommissionNote de bas de page 22.
[95] Par conséquent, la pénalité est réduite à 287,10 $.
Conclusion
[96] L’appel est accueilli en partie. La division générale a fait des erreurs, que j’ai corrigées en remplaçant sa décision par la mienne. Ainsi, je rends la décision que la division générale aurait dû rendre, ce qui implique de vérifier si la Commission a infligé la pénalité de façon judiciaire.
[97] J’ai conclu que la Commission n’a pas agi de façon judiciaire parce qu’elle n’a pas examiné ou analysé les circonstances atténuantes. J’ai donc réduit la pénalité à 287,10 $.