Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c SS, 2025 TSS 764

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Jonathan Dent
Partie intimée : S. S.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 18 mars 2025
(GE-25-577)

Membre du Tribunal : Elizabeth Usprich
Mode d’audience : Téléconférence
Date d’audience : Le 13 juin 2025
Personnes présentes à l’audience : Représentant de l’appelante
Intimé
Date de la décision : Le 25 juillet 2025
Numéro de dossier : AD-25-245

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La division générale n’a pas commis d’erreur de droit.

Aperçu

[3] S. S. est le prestataire. Il a été dirigé vers une formation, puis a quitté son emploi en août 2024. Il a ensuite demandé des prestations d’assurance-emploi.

[4] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a déclaré que le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi. La Commission a dit que le prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi et lui a refusé les prestations d’assurance-emploi. Le prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision, mais celle-ci a été maintenue.

[5] Le prestataire a ensuite fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale s’est penchée sur la question de savoir si le prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploiNote de bas de page 1. Elle a décidé qu’il n’en avait aucune. Cela signifiait que le prestataire ne serait pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi pour cette raison.

[6] La Commission a porté la décision en appel à la division d’appel du Tribunal. Je rejette l’appel.

Question en litige

[7] La question en litige dans le présent appel est la suivante : la division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d’appliquer la jurisprudence établie concernant le fait de quitter un emploi pour aller étudier?

Analyse

[8] Je peux intervenir seulement si la division générale a commis une erreur pertinente. Je peux examiner seulement certains types d’erreursNote de bas de page 2. La Commission affirme que la division générale a commis une erreur de droitNote de bas de page 3. Plus précisément, la Commission dit que la division générale a ignoré la jurisprudence pertinente et contraignante.

[9] La Commission a par la suite obtenu la permission de faire appel pour tenir une audience sur le fond. À l’étape de la permission de faire appel, le seul facteur à prendre en considération est la question de savoir s’il existe une cause défendable. C’est un critère peu exigeant. Cela signifie qu’il suffit qu’une personne ait un argument potentiel selon lequel il y a eu une erreur dans la décision de la division générale.

[10] Mais c’est différent à l’étape de l’audience sur le fond de l’appel. À cette étape, il faut démontrer qu’il y a bel et bien une erreur. Ce critère est plus exigeant que celui pour une partie de pouvoir montrer simplement qu’elle pourrait avoir une cause défendable. Dans ce cas-ci, la Commission n’a pas démontré qu’il y a une erreur de droit dans la décision de la division générale.

La division générale n’a pas commis d’erreur de droit parce qu’elle a tenu compte de la jurisprudence pertinente et contraignante concernant le fait de quitter son travail pour étudier

[11] La présente affaire porte sur la question de savoir si le prestataire était fondé à quitter son emploi afin de suivre une formation. La Loi sur l’assurance-emploi prévoit qu’une partie prestataire est « fondée » à quitter son emploi si elle n’avait aucune autre solution raisonnable compte tenu de « toutes les circonstancesNote de bas de page 4 ».

[12] Habituellement, la loi dit que si une personne quitte son emploi pour faire des études, elle n’était pas fondée à démissionnerNote de bas de page 5. C’est le cas lorsqu’une personne prend la décision personnelle de quitter son emploi pour retourner aux études ou suivre une formation. Toutefois, il arrive parfois que la Commission, ou son autorité désignée, dirige une personne vers des études.

[13] Ici, il n’est pas contesté que le prestataire a été dirigé vers une formation par une autorité désignéeNote de bas de page 6. Comme l’a souligné la division générale, le fait d’être dirigé vers une formation établit seulement qu’une partie prestataire est « disponible » pour travailler au sens de la Loi sur l’assurance-emploi pendant qu’elle poursuit ses étudesNote de bas de page 7.

[14] La décideuse ou le décideur doit considérer le fait d’être dirigé vers une formation comme une circonstance pertinente pour décider si la personne était fondée à quitter son emploi. La partie prestataire doit donc démontrer qu’elle n’avait aucune autre solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, que de quitter son emploi.

[15] La Commission fait valoir que la Cour d’appel fédérale a toujours estimé que le fait de quitter volontairement son emploi pour suivre une formation ne constituait pas une justification au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 8. La Commission affirme que si une personne est dirigée vers une formation, mais n’a pas l’autorisation de quitter son emploi, elle n’a pas de justificationNote de bas de page 9. Elle estime que, dans ces circonstances, la personne a pris la décision personnelle de quitter son emploi et n’a donc pas droit aux prestations d’assurance-emploi.

[16] J’ai examiné les décisions citées par la Commission. Je ne suis pas d’accord avec la Commission sur ce que disent ces décisions. Plusieurs d’entre elles montrent clairement que, à moins qu’une personne ne soit dirigée vers une formation par la Commission, le retour aux études ne constitue pas une justificationNote de bas de page 10.

[17] La première décision citée par la Commission est l’affaire CaronNote de bas de page 11, où la Cour d‘appel fédérale déclare ce qui suit :

Le sort de cette affaire est régi par une jurisprudence constante de notre Cour selon laquelle le retour aux études, incluant un stage de formation, n’est pas une justification valable de quitter un emploi au sens des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (Loi) : voir Canada (Procureur général) c Barnett [1996] A.C.F. no 1289; Canada (procureure générale) c Bois, 2001 CAF 175; Canada (Procureur général) c Connell, 2003 CAF 144; Canada (Procureure générale) c Lessard, 2002 CAF 469; Canada (Procureure générale) c Martel (C.A.F.) [1994] A.C.F. no 1458; et Canada (Procureur général) c Traynor [1995] A.C.F. no 836.

[18] À première vue, cette décision semble corroborer les propos de la Commission. Toutefois, les autres décisions citées dans Caron sont importantes. Dans les décisions Barnett, Bois, Connell et Traynor, il n’est pas mentionné si les parties prestataires ont été dirigées vers des études par la Commission. Ces décisions se concentrent uniquement sur le fait que les parties prestataires ont quitté leur emploi pour aller étudier.

[19] Dans l’affaire Lessard, la Cour d’appel fédérale souligne précisément ce qui suit : « Il est acquis, en l’espèce, que le stage de formation n’était pas un cours ou programme vers lequel la Commission avait dirigé le défendeur en vertu de l’article 25 de la LoiNote de bas de page 12 ».

[20] Dans Lessard, la Cour d’appel fédérale a également déclaré :

Il est de jurisprudence constante, en cette Cour, que le fait pour un prestataire de quitter volontairement un emploi pour retourner aux études ou effectuer un stage de formation ne constitue pas une justification au sens de l’article 28 de l’ancienne Loi sur l’assurance-chômage ou de l’article 29 de la Loi sur l’assurance-emploi, à moins d’y avoir été autorisé par la CommissionNote de bas de page 13. [C’est moi qui souligne.]

[21] Dans la décision Martel, la Cour d’appel fédérale fait remarquer que la partie prestataire dans cette affaire n’avait pas été dirigée vers une formation. Elle a expliqué qu’il existe une exception prévue par la loiNote de bas de page 14 selon laquelle une partie prestataire est considérée comme disponible pendant qu’elle suit des cours. Elle précise que [traduction] « la formation suivie par la partie intimée dans la présente affaire ne répondait pas à ces critères ».

[22] La Cour d’appel fédérale ajoute aussi dans Martel :

[traduction]
L’employé qui quitte volontairement son emploi aux fins de suivre un cours de formation qui n’est pas autorisé par la Commission [c’est moi qui souligne] a certes, sur le plan personnel, un excellent motif pour agir ainsi. Mais il nous paraît contraire aux principes mêmes qui sont à la base du système d’assurance-chômage que cet employé puisse faire supporter par les contribuables à la caisse le poids économique de sa décisionNote de bas de page 15.

[23] La décision Caron est courte et ne donne pas une explication complète des faits dans cette affaire. Or, en examinant les décisions invoquées dans Caron, il est clair que celles-ci ont plus de points communs. Elles se divisent en deux groupes : celles qui ne parlent pas du fait d’être dirigé vers une formation et celles qui limitent spécifiquement leur discussion à une personne qui a quitté son emploi pour suivre des études sans y avoir été dirigée.

[24] Il existe d’autres affaires jugées par la Cour d’appel fédérale qui fournissent des indications supplémentaires à ce sujet. Par exemple, dans Lamonde, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

La jurisprudence de notre Cour est constante sur le sujet : le retour aux études, sauf [c’est moi qui souligne] les programmes autorisés par la Commission de l’emploi (Commission), ne constitue pas une justification aux termes du paragraphe 29 c ) et donc aux fins de l’application des articles 30 à 33 de la Loi : voir par exemple l’arrêt Procureur général du Canada c Bédard, 2004 CAF 21, au paragraphe 8Note de bas de page 16.

[25] Dans l’affaire Lakic, la Cour d’appel fédérale a noté que la personne avait quitté son emploi pour suivre une formation. Elle l’avait fait de son propre chef, et n’avait pas été dirigée vers cette formation par la Commission ou une autorité désignéeNote de bas de page 17.

[26] La Commission fait également référence à la décision Laughland de la Cour d’appel fédérale. Plus précisément, au fait qu’avoir un motif valable n’est pas la même chose qu’avoir une justificationNote de bas de page 18. Je conviens qu’il s’agit là d’un principe établi de longue date. Essentiellement, il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que le départ était fondé. Cependant, la Cour d’appel fédérale précise également ce qui suit : « De plus, le fait de quitter volontairement son emploi pour suivre un cours de formation qui n’est pas autorisé par la Commission [c’est moi qui souligne] ne constitue pas un “motif valable” au sens de l’article 29 […]Note de bas de page 19 ».

[27] Dans les cas où la Commission n’a pas dirigé la personne vers des étudesNote de bas de page 20, les tribunaux ont maintes fois déclaré qu’il n’y avait pas de justification pour quitter un emploi. Cependant, je ne connais aucune autorité contraignante, et la Commission n’en a fourni aucune, qui dit que le fait qu’une personne soit dirigée vers une formation signifie, à première vue, qu’elle n’a pas de justification. Autrement dit, le principe général n’est pas que toute personne qui est aux études n’a pas de justification.

[28] En fait, la décideuse ou le décideur doit plutôt évaluer si la personne avait été dirigée vers des études par la Commission au moment où elle a quitté son emploi. Si la personne n’a pas été dirigée vers des études, la Cour d’appel fédérale établit clairement qu’on ne peut pas conclure qu’il existe une justification pour quitter son emploi. Lorsqu’une personne a été dirigée vers une formation, la décideuse ou le décideur considère ce renvoi comme une circonstance qui existait au moment du départ. La décideuse ou le décideur doit ensuite décider, en tenant compte de toutes les circonstances, si la partie prestataire n’avait pas d’autre choix raisonnable que de quitter son emploi quand elle l’a fait.

La division générale a appliqué le bon critère juridique

[29] La Commission reconnaît que la division générale a choisi et appliqué le bon critère juridiqueNote de bas de page 21. Elle affirme cependant que la division générale n’a pas appliqué les précédents contraignants aux faits de l’affaire.

La division générale a appliqué la jurisprudence établie

[30] La division générale a accepté comme fait que le prestataire avait été dirigé vers une formation. Elle a ensuite analysé si le prestataire était fondé à quitter son emploi. Elle a précisé qu’une justification n’était pas la même chose qu’une bonne raisonNote de bas de page 22. Elle a expliqué qu’elle devait tenir compte de toutes les circonstances et décider si le prestataire n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi quand il l’a faitNote de bas de page 23.

[31] La division générale a souligné que la Cour d’appel fédérale dit qu’une personne qui démissionne sans avoir été dirigée vers une formation n’a pas de justification pour quitter son emploiNote de bas de page 24. La division générale a ensuite examiné les circonstances dans lesquelles se trouvait le prestataire lorsqu’il a quitté son emploiNote de bas de page 25. Elle a déclaré que l’une des circonstances du prestataire était qu’il avait été dirigé vers des étudesNote de bas de page 26. En fin de compte, la division générale a appliqué le droit aux faits de l’affaire et a décidé que le prestataire n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploiNote de bas de page 27.

[32] La division d’appel ne peut pas examiner s’il y a une erreur dans la façon dont la division générale a appliqué le droit aux faits de la présente affaireNote de bas de page 28, car cela est considéré comme une erreur mixte de fait et de droit.

[33] La Commission n’a pas fait valoir que la division générale avait mal compris, négligé ou ignoré des faits. Elle soutient plutôt que la division générale aurait dû décider, en se fondant sur la jurisprudence, que le départ aux études du prestataire relevait d’un choix personnel.

[34] Je ne suis pas d’accord avec la Commission. Les précédents contraignants se sont limités aux personnes qui n’ont pas été dirigées vers une formation. La jurisprudence prévoit que si une personne choisit de suivre des études sans y avoir été dirigée, il est impossible de prouver qu’il existe une justification pour quitter son emploi. Cependant, comme dans la présente affaire, lorsqu’une personne est dirigée vers une formation par la Commission, il s’agit d’une circonstance pertinente à considérer.

[35] Le fait d’avoir été dirigé vers une formation ne comprenait pas d’autorisation de démissionner. La Commission n’a pu identifier aucune disposition législative exigeant une telle autorisation. Le prestataire a quitté son emploi et a commencé ses études peu de temps aprèsNote de bas de page 29. Il affirme qu’il n’a appris l’exigence d’obtenir une autorisation pour démissionner qu’après le début du cours. Lorsqu’il a appris que la Commission exigeait cette autorisation, il a contacté l’autorité désignée. Celle-ci lui a répondu que la demande d’autorisation aurait dû être faite avantNote de bas de page 30.

[36] La division générale s’est penchée sur cette questionNote de bas de page 31. Il n’existe aucune obligation légale pour qu’une autorité désignée autorise une personne à démissionner. Le fait d’être dirigé vers une formation est une circonstance pertinente qui doit être prise en compte dans l’analyse du départ fondé. Il s’agit donc d’établir si le prestataire n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi quand il l’a fait, compte tenu de toutes les circonstances.

[37] C’est exactement ce qu’a fait la division générale. Elle a analysé les circonstances de l’affaire et appliqué le droit aux faits. Elle a aussi analysé si le prestataire avait une solution raisonnable au lieu de quitter son emploi. Elle a conclu qu’il n’en avait pas.

[38] Comme je l’ai déjà souligné, la division d’appel ne peut pas intervenir sur des questions mixtes de fait et de droit. Ainsi, si les faits sont exacts et que le droit est correct, il n’appartient pas à la division d’appel de réévaluer les preuves pour parvenir à une conclusion différente.

[39] Je suis d’avis qu’il n’y a pas d’erreur me permettant d’intervenirNote de bas de page 32.

Conclusion

[40] L’appel est rejeté.

[41] La division générale n’a pas commis d’erreur de droit.

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