[TRADUCTION]
Citation : SS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 765
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi
Décision
Partie appelante : | S. S. |
Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Décision portée en appel : | Décision de révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (698571) datée du 30 janvier 2025 (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | Rena Ramkay |
Mode d’audience : | Téléconférence |
Date d’audience : | Le 11 mars 2025 |
Personne présente à l’audience : | Appelant |
Date de la décision : | Le 18 mars 2025 |
Numéro de dossier : | GE-25-577 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est accueilli. Cela signifie que je suis d’accord avec l’appelantNote de bas de page 1.
[2] L’appelant a démontré qu’il était fondé à quitter son emploi (c’est-à-dire qu’il avait une raison acceptable selon la loi pour le faire) quand il l’a fait. L’appelant était fondé à quitter son emploi parce que le départ était la seule solution raisonnable dans son cas. Par conséquent, il n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.
Aperçu
[3] L’appelant a quitté son emploi le 19 août 2024 pour suivre une formation d’apprenti de niveau 1 en tant que technicien en équipement lourd. Il a demandé des prestations d’assurance-emploi le 26 août 2024. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’il a quitté volontairement son emploi (c’est-à-dire qu’il a choisi de quitter son emploi) sans justification prévue par la loi. Par conséquent, la Commission ne pouvait pas lui verser de prestations.
[4] Je dois décider si l’appelant a prouvé que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.
[5] La Commission dit que l’appelant aurait pu conserver son emploi jusqu’à ce qu’il soit admissible à suivre une formation d’apprenti par l’intermédiaire de son employeur. Elle ajoute qu’il aurait pu obtenir l’autorisation d’une autorité désignée pour quitter son emploi afin de suivre la formation d’apprenti.
[6] L’appelant n’est pas d’accord et affirme qu’il avait un code de référence pour suivre la formation. Il dit que son employeur ne lui permettait pas de faire des études, il n’avait donc pas d’autre choix que de quitter son emploi pour suivre la formation. Il précise qu’il attendait depuis mai 2023 pour pouvoir suivre la formation de niveau 1. Il explique qu’il ne pouvait plus attendre pour suivre le premier module de formation. En effet, il n’aurait pas pu accumuler les trois années d’expérience professionnelle requises pour l’apprentissage, car il lui restait moins de quatre ans pour terminer le programme.
Question en litige
[7] L’appelant est-il exclu du bénéfice des prestations pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification?
[8] Pour répondre à cette question, je dois d’abord aborder la question du départ volontaire de l’appelant. Je dois ensuite décider s’il était fondé à quitter son emploi.
Analyse
Les parties sont d’accord sur le fait que l’appelant a quitté volontairement son emploi
[9] J’accepte le fait que l’appelant a quitté volontairement son emploi. L’appelant reconnaît qu’il a quitté son emploi le 19 août 2024 pour suivre la formation d’apprenti de niveau 1. Je n’ai aucune preuve du contraire.
Ce que veut dire « être fondé à » et « justification »
[10] Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi quand il l’a fait.
[11] La loi prévoit qu’une partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 2. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que le départ était fondé.
[12] La loi explique ce que veut dire « être fondé à ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ est la seule solution raisonnable compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas de page 3.
[13] L’appelant est responsable de prouver que son départ était fondéNote de bas de page 4. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnable. Pour prendre une décision, je dois examiner toutes les circonstances présentes quand l’appelant a quitté son emploi.
L’appelant a été dirigé vers une formation
[14] La jurisprudence prévoit clairement qu’une personne qui quitte son emploi seulement pour suivre une formation sans y avoir été dirigée n’est pas fondée à le quitterNote de bas de page 5.
[15] Lorsque l’appelant a présenté sa demande de prestations d’assurance-emploi le 26 août 2024, il a fourni son code de référence pour la formation d’apprenti qu’il a commencée le 26 août 2024Note de bas de page 6. Il affirme que le programme lui a offert une place pour suivre le niveau 1 du programme de formation le 6 ou le 7 août 2024 et qu’il a reçu son code de référence par courriel.
[16] La Commission reconnaît que l’appelant a fourni un code de référence pour sa formation et affirme que cela prouve qu’il suivait une véritable formation d’apprentiNote de bas de page 7. Cela me laisse penser que l’appelant et la Commission s’accordent sur le fait qu’il avait été dirigé vers la formation. Je suis d’accord que le code de référence de l’appelant constitue une preuve qu’il a été dirigé vers la formation d’apprenti.
[17] Le fait que l’appelant ait été dirigé vers une formation établit seulement qu’il était sans emploi, capable de travailler et disponible à cette fin pendant qu’il suivait la formationNote de bas de page 8. Être dirigé vers une formation ne libère pas l’appelant de l’obligation de démontrer qu’il était fondé à quitter son emploi. Je dois examiner toutes les circonstances et décider si le départ de l’appelant constituait la seule solution raisonnable à ce moment-là.
Quitter son emploi était-il la seule solution raisonnable dans le cas de l’appelant?
[18] L’appelant avait été dirigé vers sa formation, mais la Commission affirme qu’il a quitté son emploi sans justification, parce qu’il y avait d’autres solutions raisonnables dans son cas. En particulier, elle dit que l’appelant aurait pu conserver son emploi jusqu’à ce qu’il soit admissible à suivre une formation d’apprenti par l’intermédiaire de son employeur. Il aurait également pu obtenir l’autorisation d’une autorité désignée pour quitter son emploi afin de suivre la formation.
[19] La Commission dit que l’employeur de l’appelant l’a informée qu’un autre employé suivait déjà une formation d’apprenti et qu’il ne pouvait pas accepter que l’appelant s’absente en même temps. L’employeur a dit à l’appelant qu’il pourrait suivre sa formation dans un délai de 12 à 18 mois et que s’il ne voulait pas attendre, il devait démissionner.
[20] La Commission affirme que l’appelant n’avait pas l’autorisation d’une autorité désignée ou de son établissement de formation pour quitter son emploi. Elle affirme qu’il a fait le choix personnel de quitter son emploi pour suivre cette formation, ce qui ne constitue pas une justification.
[21] L’appelant n’est pas d’accord et affirme qu’il n’avait pas d’autres solutions raisonnables que de partir quand il l’a fait, car son employeur ne lui permettait pas de suivre la formation. Son employeur lui a dit qu’il pouvait la suivre dans un délai de 12 à 18 mois. Cependant, l’appelant attendait déjà depuis plus d’un an pour commencer la formation. Il affirme que s’il avait attendu de 12 à 18 mois, il n’aurait plus eu assez de temps pour terminer le programme.
[22] L’appelant a été accepté au programme de technicien en équipement lourd en mai 2023. Le programme devait être terminé en cinq ans, soit au plus tard en mai 2028. Il explique que le programme exigeait trois années d’expérience professionnelle et permettait de reporter une année d’expérience acquise avant le début de la formation. Il dit avoir déjà deux années d’expérience comme mécanicien et que s’il avait attendu que son employeur l’autorise à suivre la formation, il aurait eu plus de trois ans d’expérience. Cependant, il aurait perdu plus de deux ans d’expérience, car le programme ne lui permettait de reporter qu’une seule année.
[23] S’il avait attendu 18 mois pour commencer le programme, soit en février 2026, l’appelant affirme qu’il lui aurait été difficile de satisfaire à toutes les exigences du programme au plus tard en mai 2028, à savoir trois ans d’expérience professionnelle (ou deux ans si son année précédente était prise en compte) et deux autres programmes de formation.
[24] L’appelant a déclaré avoir demandé congé à son superviseur pour assister à la formation dès qu’il a reçu l’invitation et le code de référence. Lorsque son employeur a refusé, il lui a demandé s’il pouvait obtenir un congé sans solde. Comme son employeur a encore refusé, il a estimé qu’il n’avait d’autre choix que de démissionner le 19 août 2024.
[25] La formation se déroulait du 26 août au 18 octobre 2024. L’appelant a témoigné qu’il était en classe de 8 h à 15 h, du lundi au vendredi. À l’audience, il a déclaré qu’il aurait pu travailler la fin de semaine, mais que son professeur lui avait dit qu’il ne pouvait pas le faire s’il voulait recevoir des prestations d’assurance-emploi.
[26] L’appelant dit que son superviseur lui a mentionné qu’il pourrait contacter l’employeur une fois sa formation terminée pour vérifier s’il y avait du travail et, si tel était le cas, il le réembaucherait. Cependant, il n’y avait pas de garantie, car il devait d’abord demander du travail et son employeur n’avait aucune obligation de le réembaucher.
[27] L’appelant a postulé un autre emploi pendant sa formation. Il affirme que son nouvel employeur souhaitait qu’il termine sa formation de niveau 1 avant de commencer à travailler. Il a déclaré avoir été embauché le 28 octobre 2024, mais avoir dû passer des tests de dépistage de drogues et des examens de conduite avant de commencer officiellement à travailler le 9 novembre 2024.
L’appelant n’avait pas d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi quand il l’a fait
[28] Je considère que l’appelant n’avait pas d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi quand il l’a fait pour les raisons que j’explique ci-dessous.
[29] Je juge que le témoignage de l’appelant est crédible. Il a été honnête et ouvert dans son témoignage et ses réponses aux questions. De plus, son témoignage lors de l’audience correspondait à ce qu’il avait déclaré à la Commission.
[30] Je ne trouve pas qu’il était raisonnable pour l’appelant de continuer à travailler et d’attendre encore de 12 à 18 mois pour commencer sa formation de niveau 1, ce qui était l’option proposée par son employeur. L’appelant avait déjà attendu plus d’un an après avoir été accepté dans le programme pour commencer sa formation de niveau 1. Il lui restait donc moins de quatre ans pour terminer le programme, soit d’août 2024 à mai 2028.
[31] S’il avait retardé sa formation de niveau 1 jusqu’à 18 mois, comme son employeur le lui avait suggéré, il aurait travaillé pendant plus de trois ans comme mécanicien, mais n’aurait pu faire compter qu’une seule année dans son programme de formation. Cela signifie qu’il aurait à terminer les deux autres niveaux de formation ainsi que deux années supplémentaires d’expérience professionnelle entre février 2026 et mai 2028.
[32] Je suis convaincue que le fait de retarder jusqu’à 18 mois (en février 2026) le début de son programme augmenterait le risque qu’il ne remplisse pas toutes les exigences avant mai 2028. Je ne considère donc pas qu’il était raisonnable pour l’appelant d’attendre que son employeur lui permette de suivre une formation.
[33] L’appelant a tenté de garder son emploi en demandant un congé afin de pouvoir suivre la formation d’apprenti en août 2024 après que son employeur lui a refusé le soutien nécessaire pour y participer. Son employeur a toutefois refusé cette demande. Je juge donc qu’un congé n’était pas une solution raisonnable au lieu de démissionner.
[34] Je considère que l’appelant ne pouvait pas raisonnablement continuer à travailler pendant sa formation. Son obligation de participer à la formation vers laquelle il a été dirigé exigeait sa présence en classe de 8 h à 15 h, du lundi au vendredi. Étant donné que ces horaires chevauchaient ceux de son employeur, je suis convaincue qu’il n’aurait pas pu faire les deux.
[35] La Commission estime qu’une solution raisonnable pour l’appelant aurait été d’obtenir l’autorisation de démissionner pour suivre la formation avant de quitter son emploi. Elle affirme qu’il aurait pu obtenir cette autorisation auprès d’une autorité désignée.
[36] L’appelant a déclaré qu’il ne savait pas qu’il devait obtenir une autorisation de quitter son emploi pour suivre une formation. Il affirme que la Commission lui a dit qu’il avait besoin de cette preuve après la fin de sa formationNote de bas de page 9. Il ajoute que le collège ne peut pas antidater une lettre. Il aurait dû en faire la demande avant de suivre la formation. S’il avait su qu’il en avait besoin, il aurait fait la demande avant de démissionner.
[37] Comme l’appelant a été invité à fournir une preuve d’autorisation de quitter son emploi seulement après avoir terminé sa formation, je considère qu’il n’était pas raisonnable pour lui d’obtenir ce document avant de démissionner.
[38] La Loi sur l’assurance-emploi n’exige pas qu’une personne obtienne une autorisation pour quitter volontairement son emploi lorsqu’elle est dirigée vers une formation. Il s’agit seulement d’une pratique de la Commission. Ce n’est pas la loi. Autrement dit, le fait d’être fondé à quitter son emploi ne dépend pas du fait d’avoir ou non une lettre ou une autorisation qui dit qu’on peut démissionner pour commencer une formation.
[39] Je suis convaincue que l’appelant suivait un programme de formation vers lequel il avait été dirigé ou autorisé, et qu’il n’avait pas d’autre choix que de quitter son emploi lorsque son employeur a refusé d’approuver sa participation à la formation ou de lui accorder un congé pour y participer. En effet, cela aurait compromis sa capacité à terminer le programme, et il n’était pas raisonnable pour lui de travailler tout en suivant la formation.
[40] Après avoir examiné l’ensemble des circonstances, j’estime que l’appelant n’avait pas d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi quand il l’a fait. Par conséquent, je considère qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi.
Conclusion
[41] Je conclus que l’appelant n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.
[42] L’appel est donc accueilli.