Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : MS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 704

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : M. S.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Stephanie Tollefson

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 24 mars 2025
(GE-25-487)

Membre du Tribunal : Stephen Bergen
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 17 juin 2025
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 30 juin 2025
Numéro de dossier : AD-25-295

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Décision

[1] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur de droit en omettant d’évaluer si le poste occupé par le prestataire dans le cadre de l’évaluation clinique sur le terrain du programme Practice Ready Ontario [programme de préparation à la pratique médicale en Ontario] constituait un « emploi », au sens de « l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat ».

[2] Je renvoie l’affaire à la division générale pour réexamen. Le prestataire avait l’assurance raisonnable d’un emploi dans le cadre de l’évaluation lorsqu’il a quitté son poste. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve au dossier pour établir si la participation du prestataire au programme Practice Ready Ontario constitue globalement un motif valable pour quitter son emploi.

Aperçu

[3] M. S. est l’appelant. Je l’appellerai le prestataire parce que le présent appel porte sur sa demande de prestations d’assurance-emploi. L’intimée est la Commission de l’assurance-emploi du Canada, que j’appellerai la Commission.

[4] Le prestataire est un médecin formé à l’étranger qui travaillait au Canada en tant qu’assistant chirurgical. Il s’est inscrit au programme Practice Ready Ontario afin d’obtenir le permis de pratique de la médecine en tant que médecin de famille. Après avoir satisfait aux critères d’admissibilité et avoir été accepté dans le programme Practice Ready Ontario, il a quitté son emploi d’assistant chirurgical pour commencer la partie du programme consacrée à l’évaluation clinique. L’évaluation consistait en une période de 12 semaines de pratique rémunérée et supervisée. Il a réussi l’évaluation, mais n’a pas immédiatement commencé à exercer en tant que médecin. Il a demandé des prestations d’assurance-emploi.

[5] La Commission a déclaré qu’elle ne pouvait pas lui verser de prestations parce qu’il avait quitté son emploi sans justification et parce qu’il n’était pas disponible pour travailler. Le prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision, mais celle-ci a refusé de la modifier.

[6] Le prestataire a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, qui a accueilli son appel en partie. Elle a admis qu’il était disponible pour travailler, mais pas qu’il était fondé à quitter son emploi. Le prestataire a fait appel de la décision de la division générale selon laquelle il n’était pas fondé à quitter son emploi.

[7] J’accueille l’appel. La division générale a commis une erreur de droit. Elle a examiné la manière dont il avait participé à l’évaluation, mais n’a pas analysé si ce travail constituait un « emploi ». La division générale a examiné si le prestataire avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi, en ce qui concerne uniquement son assurance de trouver un emploi après avoir terminé l’évaluation.

[8] Je renvoie l’affaire à la division générale pour réexamen.

Questions en litige

[9] Voici les questions en litige dans le cadre du présent appel :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur d’équité procédurale?
  2. b) La division générale a-t-elle mal compris les éléments de preuve concernant la nature de l’évaluation dans le cadre du programme d’évaluation Practice Ready Ontario et les perspectives d’emploi continu du prestataire dans le cadre du programme?
  3. c) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en examinant si le prestataire avait l’assurance raisonnable de trouver un autre emploi, sans se demander si l’évaluation constituait un emploi?
  4. d) Si la division générale a commis une erreur, comment celle-ci devrait-elle être corrigée?

Analyse

[10] La division d’appel peut seulement examiner les erreurs qui relèvent de l’un des moyens d’appel suivants :

  1. a) Le processus d’audience de la division générale était inéquitable d’une façon ou d’une autre.
  2. b) La division générale n’a pas décidé d’une question qu’elle aurait dû trancher, ou elle a tranché une question sans avoir le pouvoir de le faire (erreur de compétence).
  3. c) La division générale a commis une erreur de droit au moment de rendre sa décision.
  4. d) La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

Erreur d’équité procédurale

[11] Dans sa demande à la division d’appel, le prestataire a choisi le moyen d’appel relatif à l’équité procédurale. Cependant, il n’a pas expliqué comment la division générale avait commis une telle erreur.

[12] Les parties qui se présentent devant la division générale ont droit à certaines garanties procédurales comme le droit d’être entendues et de connaître les arguments avancés contre elles, et le droit d’obtenir une décision rendue par une personne impartiale. C’est ce que l’on entend par équité procédurale.

[13] Le prestataire n’a pas dit qu’il n’avait pas eu une occasion équitable de plaider sa cause à l’audience ni de répondre aux arguments de la Commission. Il ne s’est pas plaint que la membre de la division générale faisait preuve de partialité ou qu’elle avait déjà préjugé de l’affaire.

[14] Je reconnais que le prestataire n’est pas d’accord avec les conclusions et la décision de la division générale, et qu’il peut donc estimer que cette décision est injuste à son égard. Cependant, l’équité procédurale concerne l’équité du processus. Il ne s’agit pas de savoir si une partie estime que le résultat de la décision est équitable.

[15] Après avoir lu la décision et examiné le dossier d’appel, je ne constate pas que la division générale ait fait ou omis de faire quoi que ce soit qui puisse être considéré comme une erreur d’équité procédurale.

Erreur de fait

[16] Le prestataire a soutenu que la division générale avait mal interprété la nature du programme Practice Ready Ontario. Plus précisément, il a déclaré que [traduction] « le programme » indiquait clairement qu’il recevrait une offre d’emploi s’il le menait à bien avec succès. Il a déclaré qu’il s’était fié à ce qu’il considérait comme une offre d’emploi garantie.

[17] Lorsque le prestataire parle de mener à bien le [traduction] « programme », il est évident qu’il fait référence à la composante [traduction] « évaluation » du programme Practice Ready Ontario, et non au programme lui-même. Il a déclaré à la division générale qu’il ne pouvait pas commencer à travailler immédiatement après avoir terminé l’évaluation de 12 semaines. Il a également déclaré que le programme Practice Ready Ontario permettait l’obtention d’un permis restreint après la réussite de l’évaluation; il travaillerait pendant trois ans sous la supervision d’un médecin qui rendrait compte (probablement à l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario). Le prestataire pourrait pratiquer en tant que médecin indépendant après les trois ans et une nouvelle évaluation.

[18] Pour évaluer si la division générale a commis une erreur de fait, je dois examiner si elle a fondé sa décision sur une conclusion qui ne tient pas compte des éléments de preuve dont elle disposait ou qui les interprète mal, ou si elle a tiré une conclusion clé qui ne découle pas rationnellement de cette preuve.

[19] La division générale désigne à plusieurs reprises le programme Practice Ready Ontario comme une « formation ». Elle a décidé qu’il n’avait pas de motif valable. Elle s’est fondée sur des sources juridiques qui précisent qu’il n’y a pas de motif valable lorsqu’une ou un prestataire quitte son emploi pour suivre une formation sans y avoir été dirigé par la Commission ou l’autorité désignée.

[20] À mon avis, le fait que la division générale ait qualifié l’évaluation du programme Practice Ready Ontario de « formation » constituait une mauvaise interprétation des éléments de preuve présentés par le prestataire et une erreur de fait.

[21] La division générale a omis de mentionner que la nature de l’évaluation n’était pas la formation ou les études, mais qu’il s’agissait d’un travail. L’évaluation du programme Practice Ready Ontario était une pratique supervisée de la médecine dans un cadre clinique.

[22] De plus, bien que la division générale ait constaté que le prestataire avait été payé, elle n’a pas mentionné à combien s’élevait sa rémunération. Le prestataire a déclaré avoir reçu 2 500 $ toutes les deux semaines pendant les 12 semaines qu’a duré l’évaluation. Il s’agit d’une somme importante. Ce n’était pas un versement symbolique ou théorique.

[23] Les éléments de preuve selon lesquels le prestataire a quitté son emploi et a été immédiatement occupé à des tâches qui relevaient essentiellement d’un « emploi », et qu’il a été rémunéré pour cela, sont pertinents pour établir s’il a quitté son emploi pour suivre une formation ou pour occuper un autre emploi. La division générale n’est pas tenue de faire référence à chaque élément de preuve au dossier. Cependant, cette preuve était suffisamment importante pour que le fait que la division générale ne l’ait pas mentionnée signifie qu’elle n’a pas effectué une analyse significativeNote de bas de page 2.

Erreur de droit

[24] Selon la loi, une personne est fondée à quitter son emploi si son départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas. La loi précise que « toutes les circonstances » doivent être prises en compte et énumère un certain nombre de circonstances particulières qui doivent être prises en considération lorsqu’elles existentNote de bas de page 3. L’une de ces circonstances est « l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiatNote de bas de page 4 ».

[25] La division générale a examiné si le prestataire avait « l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat » lorsqu’elle a analysé s’il était fondé à quitter son emploi. Elle n’a pas admis que le prestataire avait une telle assurance.

[26] La division générale a conclu que le nouvel emploi du prestataire dépendait de la réussite de la « formation » (c’est-à-dire l’évaluation). Elle a également conclu qu’il n’avait aucune garantie d’obtenir un poste à l’issue de l’évaluation.

[27] Comme nous l’avons mentionné, cette conclusion reposait sur le fait que l’évaluation de 12 semaines était qualifiée de « formation ». Il est vrai que le prestataire a été supervisé et évalué dans le cadre de l’évaluation, mais pas en tant qu’étudiant. La division générale disposait d’éléments de preuve montrant que le prestataire exerçait essentiellement les mêmes fonctions qu’un médecin et qu’il était rémunéré pour cela. Rien n’indiquait que l’évaluation comportait un volet pédagogique.

[28] Dans ses observations à la division d’appel, la Commission a reconnu que la division générale avait commis une erreur de droit. Elle a déclaré que les motifs de la division générale ne donnent pas à penser qu’elle ait examiné si l’évaluation rémunérée de 12 semaines constituait en soi un emploi.

[29] Je suis d’accord. La division générale a écarté l’évaluation, car elle la considérait comme une « formation » préalable à l’emploi proprement dit. Elle a commis une erreur de droit en n’analysant pas si l’évaluation constituait en soi un emploi, afin de décider si le prestataire avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi.

Réparation

[30] J’ai le pouvoir de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre ou de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamenNote de bas de page 5.

[31] Bien que la Commission admette que la division générale a commis une erreur de droit, elle affirme que le résultat serait le même. Elle est d’avis que je dispose de tous les renseignements nécessaires pour rendre une décision et que je devrais rejeter l’appel.

[32] Par ailleurs, la Commission a déclaré qu’elle ne s’opposerait pas à ce que je renvoie l’affaire à la division générale. Elle a reconnu que la division générale n’avait pas précisé si l’évaluation du prestataire constituait un « emploi » et qu’elle ne lui avait pas demandé de fournir des éléments de preuve à l’appui de cette façon d’interpréter l’évaluation. La Commission reconnaît que le prestataire n’a peut-être pas eu une occasion équitable de fournir des éléments de preuve démontrant qu’il devrait être considéré comme employé alors qu’il participait à l’évaluation.

[33] Pour sa part, le prestataire n’a pas exprimé clairement s’il estimait que je devais rendre une décision ou renvoyer l’affaire à la division générale.

[34] Quoi qu’il en soit, j’ai informé les deux parties que je ne rendrais pas de décision tant que je ne disposerais pas des éléments de preuve nécessaires pour tirer toutes les conclusions de fait requises et trancher toutes les questions dont je suis saisi. Je ne dispose pas d’éléments de preuve suffisants. J’ai décidé de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, sous réserve des conclusions que je formule ci-dessous.

Assurance raisonnable d’un autre emploi

[35] Je considère que l’évaluation de 12 semaines constituait un « emploi » afin de décider si le prestataire avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat.

[36] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas le terme « emploi » dans le but d’évaluer si une ou un prestataire a l’assurance raisonnable d’un autre emploi. Cependant, la Loi donne une définition généraleNote de bas de page 6. Elle donne une définition de l’emploi qui est essentiellement la même que celle que l’on trouve dans le Merriam-Webster dictionary [dictionnaire Merriam-Webster] en ligne : l’emploi est [traduction] « l’acte d’employer ou le fait d’être employéNote de bas de page 7 ».

[37] Dans le contexte de la Loi sur l’assurance-emploi, « quitter volontairement son emploi » signifie quitter un emploi ou un poste. La définition particulière du terme [traduction] « employer » donnée par le Merriam-Webster qui convient au contexte de l’assurance-emploi est [traduction] « fournir un emploi rémunéré par un salaire ou une paieNote de bas de page 8 ». Ainsi [traduction] « quitter son emploi » signifie quitter un travail qui procure un salaire ou une paie.

[38] Le Merriam-Webster définit le terme [traduction] « emploi » comme un [traduction] « poste régulier rémunéréNote de bas de page 9 ». Cela n’apporte pas grand-chose à la définition, si ce n’est qu’elle fait référence à un [traduction] « poste », ce qui suppose un engagement formel.

[39] Le Black’s Legal Dictionary [dictionnaire de droit Black] définit l’emploi comme [traduction] « le fait d’être employé » et définit le terme [traduction] « employé » de façon à mettre l’accent sur l’engagement formel. Le Black’s Legal Dictionary précise que [traduction] « être employé » signifie [traduction] « l’acte de faire quelque chose et le fait de se voir confier cette tâche dans le cadre d’un contrat ou d’un ordreNote de bas de page 10 ».

[40] Il existe un certain nombre de décisions rendues par des tribunaux supérieurs sur la question de savoir si l’assurance qu’a une ou un prestataire d’obtenir un emploi est « raisonnable ». Malheureusement, les tribunaux se sont peu prononcés sur ce qui pourrait être considéré comme un « emploi » dans ce contexte. La décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Traynor est une exception. La Cour a relevé au moins un des attributs de l’emploi dans la décisionNote de bas de page 11. Les circonstances sont similaires à celles du présent appel à plusieurs égards.

[41] Dans l’affaire Traynor, une prestataire a quitté son emploi pour occuper un poste dans le cadre d’un programme de stage en diététique. Le stage était une condition préalable à l’accréditation professionnelle. Il s’agissait d’un programme de formation pratique à temps plein sans aucune séance de cours. Les stagiaires recevaient autrefois une rémunération, mais juste avant que la prestataire dans l’affaire Traynor ne quitte son emploi, elle a été avisée de compressions budgétaires du gouvernement qui signifiaient qu’elle ne pourrait compter sur aucun revenu.

[42] Dans sa décision, la Cour a déclaré que, sans rémunération, le stage de la prestataire ne pouvait être considéré comme un emploi afin de décider si elle avait l’assurance raisonnable d’obtenir un autre emploiNote de bas de page 12. À part l’absence de rémunération, la Cour n’a indiqué aucun autre motif permettant de conclure que le stage de la prestataire ne pouvait être considéré comme un emploi.

[43] En l’absence d’indication contraire faisant autorité, j’accepte que la Loi sur l’assurance-emploi utilise le sens ordinaire ou généralement accepté du terme « emploi » lorsqu’il s’agit d’« avoir l’assurance raisonnable d’un autre emploi », tout comme elle le fait pour déterminer ce que signifie quitter un emploi. Je déduis des définitions générales de l’emploi qu’« avoir l’assurance raisonnable d’un autre emploi » signifie avoir l’assurance raisonnable d’un poste, officialisé par un contrat ou un engagement, dans lequel un salaire ou une rémunération est versé pour l’exécution de tâches spécifiques.

[44] L’évaluation de 12 semaines répond à ces critères d’emploi. Le prestataire a reçu 2 500 $ toutes les deux semaines, ce qui est une somme importante. Il a travaillé en personne dans un hôpital ou une clinique en tant que médecin sous supervision. L’évaluation elle-même a duré seulement 12 semaines, mais aucune disposition légale n’exige que l’« assurance raisonnable » d’une ou d’un prestataire puisse seulement envisager des emplois stables ou permanentsNote de bas de page 13.

[45] Puisque j’ai conclu que l’évaluation constituait un emploi, je considère également que le prestataire avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi. Lorsqu’il a quitté son emploi d’assistant chirurgical, il savait qu’il allait travailler dans le cadre du programme d’évaluation Practice Ready en Ontario. Il savait qu’il allait travailler comme médecin supervisé et il connaissait la date à laquelle il allait commencerNote de bas de page 14.

[46] Je constate également que son emploi était dans un avenir immédiat. La période « future » pertinente correspond au moment où le prestataire a commencé l’évaluation, et non au moment où il l’a terminée dans l’espoir d’obtenir un autre placement. L’emploi du prestataire en Alberta a pris fin le 30 mai 2024, et il a commencé son évaluation le 3 juin 2024. Le 3 juin se situait dans un avenir immédiat lorsqu’il a quitté son emploi.

[47] Le prestataire avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat, ce qui doit être pris en considération pour décider s’il était fondé à quitter son emploi.

[48] Cela ne signifie pas pour autant que la rémunération du prestataire au titre de l’évaluation est assurable. Je ne dispose pas d’informations suffisantes pour évaluer leur assurabilité. Il pourrait être nécessaire de faire appel à l’Agence du revenu du Canada pour obtenir une décision. Toutefois, afin de décider s’il était fondé à quitter son emploi, il doit avoir l’assurance raisonnable d’un autre emploi, et non l’assurance raisonnable de trouver un emploi assurable.

Justification

[49] Bien que j’aie admis que le prestataire avait l’assurance raisonnable d’obtenir un emploi, je dois tout de même décider s’il était fondé à agir comme il l’a fait.

[50] En termes généraux, il y a « justification » lorsque la ou le prestataire n’a pas d’autre solution raisonnable que de partir, compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas de page 15.

[51] Comme le précise la décision Langlois, la circonstance particulière de « l’assurance raisonnable d’un emploi » est différente des autres qui sont énumérées dans la Loi sur l’assurance-emploi, car elle ne suppose pas l’intervention d’une tierce partieNote de bas de page 16. En d’autres termes, il s’agit d’une circonstance qui dépend de la seule volonté de la partie prestataire.

[52] Lorsque la seule raison pour laquelle une partie prestataire quitte son emploi est qu’elle pense avoir trouvé un autre emploi, il n’est guère pertinent de se demander si elle avait une « solution raisonnable autre que de quitter son emploi ». En l’absence d’autres circonstances exceptionnelles indépendantes de la volonté de la partie prestataire, il serait toujours « raisonnable » pour celle-ci de conserver son emploi initial.

[53] Puisque le fait de quitter son emploi pour en occuper un autre dépendait de la volonté du prestataire, je dois décider si son départ a entraîné un risque de chômageNote de bas de page 17. Cependant, tout changement d’emploi comporte des risques. Les circonstances peuvent changer de manière inattendue. Une offre d’emploi acceptée le vendredi peut être annulée le lundi.

[54] Par ailleurs, la Loi sur l’assurance-emploi prévoit expressément que le fait d’avoir l’assurance raisonnable d’un emploi constitue une circonstance pertinente. Il s’agit d’une circonstance qui pourrait potentiellement justifier qu’une partie prestataire quitte son emploi. Si une partie prestataire peut être fondée à agir en raison de l’assurance raisonnable d’un emploi, il s’ensuit qu’elle ne sera pas fondée, ou n’aura pas de motif valable, lorsque cette assurance est déraisonnable, c’est-à-dire qu’elle entraîne un risque déraisonnable de chômage.

[55] J’ai déjà fait remarquer qu’il y a eu peu d’interprétations judiciaires de la signification du terme « emploi » dans ce contexte. Cependant, comme les tribunaux ont déclaré que les parties prestataires ne devaient pas provoquer un risque de chômage, ce risque pourrait inclure celui que pose le fait pour une partie prestataire de quitter un emploi stable pour un emploi plus précaire.

[56] Dans l’affaire Langlois, par exemple, la Cour a souligné que « la nature saisonnière de l’emploi comporte un risque, voire même une certitude, d’arrêt de travail [...]Note de bas de page 18 ». Dans l’affaireLanglois, le prestataire a quitté un emploi permanent pour un emploi saisonnier. La Cour a décidé qu’elle ne pouvait conclure, en droit, qu’une partie prestataire était privée de motif valable parce qu’elle avait quitté son emploi pour un emploi qui n’était que saisonnier. La Cour a reconnu que d’autres circonstances pouvaient également être pertinentes et devaient être prises en considération, telles que la durée de l’emploi (saisonnier) et sa certitude. La Cour a déclaré qu’une partie prestataire n’est pas fondée à quitter son emploi s’il est évident que, pendant la durée de l’emploi saisonnier, elle ne peut pas accumuler assez d’heures pour être admissible aux prestations. Dans l’affaire Langlois, la Cour a finalement conclu qu’elle n’avait pas assez d’éléments de preuve pour décider si le départ du prestataire était fondé.

[57] Je me trouve dans la même situation que la Cour dans l’affaire Langlois. Le prestataire a quitté son emploi pour effectuer un stage supervisé et rémunéré d’une durée de 12 semaines, de sorte que son nouvel emploi n’a pas augmenté le risque de chômage pendant cette période. Toutefois, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir s’il aurait pu accumuler les heures nécessaires pour être admissible au cours de ces 12 semaines.

[58] Si la cessation d’emploi du prestataire est considérée comme marquant l’achèvement de la période d’évaluation de 12 semaines, les renseignements au dossier sont insuffisants pour établir la région dans laquelle il était résident habituel au moment où la cessation d’emploi a eu lieu. Cela signifie que je ne peux pas établir le taux régional de chômage à utiliser pour calculer son admissibilité aux prestations.

[59] De plus, il n’existe aucune preuve des heures et des jours de travail du prestataire au cours de la période d’évaluation de 12 semaines. La Commission soutient qu’il ne peut avoir travaillé assez d’heures pendant cette période pour être admissible aux prestations. Cependant, le prestataire travaillait comme médecin sous supervision, ce qui semble être un engagement similaire à celui d’une ou un interne en médecine. Il est bien connu que les internes en médecine travaillent des horaires très chargés. Il est donc possible que l’évaluation du prestataire ait été tout aussi exigeante.

[60] Même en supposant que le prestataire travaillait dans une région où le taux d’emploi est l’un des plus bas de l’Ontario, il aurait été admissible à des prestations après avoir travaillé 700 heuresNote de bas de page 19. Cela représente un peu plus de 58 heures par semaine pendant 12 semaines. Il est concevable que le prestataire ait travaillé assez d’heures pour être admissible aux prestations.

[61] À supposer que je disposais d’éléments de preuve permettant de conclure que le prestataire ne pourrait pas accumuler suffisamment d’heures dans le cadre de l’évaluation seule, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour évaluer la probabilité qu’il conserve son emploi (ou le risque de chômage) au-delà de la phase d’évaluation du programme Practice Ready Ontario.

[62] Le prestataire a quitté son emploi pour participer à l’évaluation et pour obtenir ce qu’il a appelé une [traduction] « garantie » d’emploi après celle-ci. Il a déclaré qu’il avait un emploi garanti, mais il a également reconnu qu’il devait d’abord réussir l’évaluation. Il a dit que [traduction] « l’Ordre » devait aussi examiner ses documents. Il a dit à la membre qu’il était difficile de répondre à la question, et qu’il faudrait la poser à l’OrdreNote de bas de page 20.

[63] Il a également déclaré que le programme Practice Ready Ontario exigeait qu’il travaille sous supervision pendant encore trois ans après l’évaluationNote de bas de page 21. Il n’y avait aucune autre preuve des modalités de cet engagement. Le prestataire ne s’est pas seulement inscrit à l’évaluation clinique. Il s’est inscrit au programme Practice Ready Ontario qui comprenait l’évaluation.

[64] Sans détails supplémentaires sur le programme lui-même ou l’accord entre les parties, je ne peux pas établir ce que le prestataire voulait dire concernant sa garantie d’emploi. Je ne peux établir si le programme Practice Ready Ontario avait l’obligation contractuelle de fournir le placement de trois ans dans le cadre de l’entente relative au programme, si le prestataire pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le programme lui trouve un placement ou s’il devait en trouver un lui-même. Je ne sais pas vraiment si son emploi se poursuivra au-delà de l’évaluation jusqu’à l’étape suivante du programme Practice Ready Ontario.

[65] Par conséquent, je renvoie l’affaire à la division générale. Je suis convaincu que le prestataire obtiendra et fournira tous les éléments de preuve qu’il estime utiles pour aider la division générale à décider s’il était fondé à quitter son emploi pour profiter des perspectives offertes par le programme Practice Ready Ontario ou si sa participation à ce programme a entraîné un risque déraisonnable de chômage.

Conclusion

[66] L’appel est accueilli. J’ai conclu que l’évaluation du prestataire constituait un emploi et qu’il avait l’assurance raisonnable d’un emploi lorsqu’il a quitté son poste.

[67] Je renvoie l’affaire à la division générale. Celle-ci devra établir si le départ du prestataire était fondé, compte tenu de ma conclusion selon laquelle il est parti en ayant l’assurance raisonnable d’obtenir un emploi.

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