Citation : GL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 1416
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
| Partie appelante : | G. L. |
| Représentants : | D. P. J. T. |
| Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
| Représentant : | Yanick Bélanger |
| Décision portée en appel : | Décision de la division générale datée du 21 mars 2023 (GE-22-2580) |
| Membre du Tribunal : | Pierre Lafontaine |
| Mode d’audience : | Par écrit |
| Date de la décision : | Le 15 novembre 2024 |
| Numéro de dossier : | AD-23-377 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est rejeté. L’appelante (prestataire) a été suspendue en raison de son inconduite.
Aperçu
[2] La prestataire a été mise en congé sans solde (suspendue de son emploi). Elle a fait une demande de prestations d’assurance-emploi. L’intimée (Commission) a conclu que la prestataire avait été suspendue en raison d’une inconduite, soit de ne pas s’être conformée à la politique de vaccination de son employeur. La Commission l’a donc exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.
[3] La prestataire a demandé la révision de sa demande. La Commission a encore une fois rejeté sa demande de prestations. La prestataire a interjeté appel devant la division générale du Tribunal.
[4] La division générale a déterminé que la prestataire a refusé de se conformer à la politique de vaccination de l’employeur. Elle a conclu que la prestataire savait que l'employeur était susceptible de la suspendre dans ces circonstances et que son refus était volontaire, conscient et délibéré. La division générale a conclu que la prestataire avait été mis en congé de son travail en raison de son inconduite.
[5] La division d’appel a accordé à la prestataire la permission d’en appeler de la décision de la division générale. Elle fait valoir que la division générale a refusé d’exercer sa compétence et qu’elle a erré en droit dans son interprétation de la notion d’inconduite.
[6] Je dois décider si la division générale a refusé d’exercer sa compétence et si elle a commis une erreur en droit lorsqu’elle a conclu que la prestataire a été suspendue en raison de son inconduite.
[7] Je rejette l’appel de la prestataire.
Questions en litige
[8] No 1 : Est-ce que la division générale a commis une erreur de compétence en refusant de prendre en compte le contexte de travail dans lequel s’inscrivait la politique de vaccination de l’employeur et ainsi statuer sur le caractère raisonnable ou non de son application?
[9] No 2 : Est-ce que la division générale a commis une erreur en faisant porter le fardeau du comportement menant à l’inconduite uniquement à l’employé, sans appliquer le test contextuel permettant d’interpréter la légalité, la rationalité ou la logique de l’application de la politique ayant mené à la suspension?
[10] No 3 : Est-ce que la division générale a commis une erreur en concluant que la Commission a prouvé que la prestataire a manqué à une obligation découlant de son contrat de travail?
[11] No 4 : Est-ce qu’il y a eu atteinte à l’équité procédurale ou crainte raisonnable de partialité?
Observations préliminaires
[12] En date du 21 septembre 2023, les parties ont assistés à une conférence de gestion. La prestataire a demandé la suspension du dossier jusqu’à ce que les tribunaux supérieurs se prononcent sur la question d’inconduite reliée au refus de suivre une politique de vaccination imposée unilatéralement par un employeur. La Commission ne s’est pas opposée à la demande. J’ai accordé la demande de la prestataire.
[13] Le 6 novembre 2024, une seconde conférence de gestion a eu lieu. Il a été convenu qu’il n’y aurait pas d’audience et que je rendrais une décision finale dans le dossier de la prestataire.
Analyse
Inconduite
[14] La division générale devait décider si la prestataire a été suspendue en raison de son inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).Note de bas de page 1
[15] Le rôle de la division générale n’est pas de juger de la sévérité de la sanction de l’employeur ni de savoir si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en suspendant la prestataire de sorte que sa suspension serait injustifiée, mais bien de savoir si la prestataire s’est rendue coupable d’inconduite et si celle-ci a entraîné sa suspension.
[16] La notion d’inconduite ne prévoit pas qu’il est nécessaire que le comportement fautif résulte d’une intention coupable; il y a inconduite dans le cadre d’une demande d’assurance-emploi lorsque :
- 1) l’inconduite est délibérée;
- 2) le(la) prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur; et
- 3) il y a une relation causale entre ladite inconduite et la fin d’emploi.Note de bas de page 2
[17] La division générale a déterminé que la prestataire a été suspendue parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de l’employeur. La prestataire a été informée de la politique de l’employeur et a eu le temps de s’y conformer. Elle n’a pas demandé une mesure d’adaptation à l’employeur, ni une exemption. La division générale a déterminé que la prestataire a volontairement refusé de suivre la politique. C’est ce qui a directement entraîné sa suspension.
[18] La division générale a déterminé que la prestataire savait que son refus de se conformer à la politique pourrait mener à sa suspension puisqu’elle avait été informée des conséquences du non-respect de la politique. La division générale a conclu de la preuve prépondérante que le comportement de la prestataire constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’AE.
[19] La décision de la division générale, il faut le souligner, est maintenant appuyée par une jurisprudence abondante et unanime de la Cour fédérale et Cour d’appel fédérale qui confirme, dans le cadre de dossiers traitant directement des politiques de vaccination obligatoire, le rôle étroit du Tribunal de la Sécurité Sociale (TSS) dans les appels portant sur des questions d’inconduite.Note de bas de page 3
[20] La récente décision de la Cour fédérale (Cour) dans l’affaire Murphy effectue une révision approfondie de la jurisprudence sur la question de vaccination obligatoire et la notion d’inconduite. La Cour nous indique que la décision volontaire et délibérée d’un employé de ne pas se faire vacciner constitue une violation de l’obligation expresse énoncée dans la politique de vaccination et donc, une forme d’inconduite.Note de bas de page 4
[21] La Cour souligne que la jurisprudence renvoie à l’exécution des « obligations » envers l’employeur au sens large, et non pas à la seule exécution des « fonctions » limitées de l’employé/e. En d’autres termes, la question n’est pas de savoir si le non-respect d’une politique d’un employeur affecte l’exécution des fonctions par l’employé(e). La question est plutôt de déterminer si le non-respect entrave les obligations de l’employé/e face à son employeur.Note de bas de page 5
[22] La Cour nous rappelle que le TSS n’est pas l’endroit pour remettre en question les politiques d’un employeur. Le test de l’inconduite doit se concentrer sur les connaissances et les actions de l’employé/e, et non sur le comportement de l’employeur ou sur le caractère raisonnable de ses politiques de travail.Note de bas de page 6
[23] De même, la Cour nous indique que le TSS n’a pas besoin d’analyser le contexte d’emploi parce que le critère de l’inconduite met l’accent sur la connaissance objective qu’a un(e) prestataire de la conséquence de ses actes.Note de bas de page 7
[24] Finalement, la Cour réitère que le TSS est un forum chargé de déterminer le droit aux prestations en matière de sécurité sociale et d’assurance-emploi, et non d’un forum chargé de statuer sur des allégations de suspension/licenciement injustifié. Il existe d’autres recours disponibles pour sanctionner le comportement d'un employeur que par le truchement des prestations d’assurance-emploi.Note de bas de page 8
[25] En l’espèce, je suis d’avis que la division générale s’est penchée sur la bonne question juridique et y a répondu. La question était de savoir si la prestataire pouvait normalement prévoir que sa conduite nuirait à ses obligations envers son employeur et entraînerait sa suspension.
[26] La question de savoir s’il était raisonnable pour l’employeur d’appliquer la politique de vaccination à la prestataire compte tenu de son contexte de travail ne relevait pas de la division générale. La division générale n’avait pas la compétence d’évaluer le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la politique de l’employeur.Note de bas de page 9
[27] Je ne vois aucune erreur commise par la division générale lorsqu'elle a tranché la question de l'inconduite uniquement selon les paramètres établis par les tribunaux supérieurs, qui ont défini l'inconduite en vertu de la Loi sur l'AE. La preuve soutient la conclusion de la division générale selon laquelle la prestataire a été suspendue en raison de son inconduite.
Atteinte à l’équité procédurale ou crainte raisonnable de partialité
[28] La prestataire soumet que la décision de la division générale est une copie conforme, à un paragraphe de différence, d’une autre décision rendue la même date, par le même membre, mais portant sur des audiences n’ayant pourtant pas eu lieu à la même date.Note de bas de page 10
[29] Dans certaines situations, ce moyen d’appel pourrait être retenue. Cependant, la division générale devait traiter un fort volume d’appels concernant la question d’inconduite liée au refus des prestataires de suivre la politique de vaccination de leur employeur. Il n’était donc pas inhabituel de trouver une répétition dans le langage des décisions, étant donné que les appels soulevaient des questions similaires.
[30] Après révision du dossier, je ne peux pas conclure que cela a porté atteinte à l’équité procédurale ou que cela prouve qu’il existait une crainte raisonnable de partialité.
Conclusion
[31] L’appel est rejeté. La prestataire a été suspendue de son emploi en raison de son inconduite.