Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : RM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 740

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : R. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance‑emploi du Canada
Représentante : Erin Tzvetcoff

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 24 septembre 2024
(GE-24-2882)

Membre du Tribunal : Stephen Bergen
Mode d’audience : Par écrit
Date de la décision : Le 17 juillet 2025
Numéro de dossier : AD-24-718

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel. La division générale a commis des erreurs d’équité procédurale et de compétence. Je renvoie l’affaire à la division générale pour réexamen.

Aperçu

[2] R. M. est l’appelant. Je l’appellerai le prestataire parce que cet appel concerne sa demande de prestations d’assurance-emploi. L’intimée est la Commission de l’assurance-emploi du Canada, que j’appellerai simplement la Commission.

[3] Le prestataire conduit un autobus scolaire. Il a demandé des prestations le 31 décembre 2023 (demande de décembre) pour le congé scolaire de Noël. Il a indiqué dans la demande de décembre que son dernier jour de travail était le 20 décembre 2023 et qu’il retournerait au travail le 9 janvier 2024.

[4] La Commission n’a pas « enregistré » la demande de décembre du prestataire parce qu’il avait toujours droit à des prestations en vertu de la demande qu’il avait déposée un an plus tôt (la « demande initiale »). Le prestataire n’a pas produit de déclarations pour décembre dans le cadre de la demande initiale et il n’avait pas produit de déclarations après avoir déposé la demande de décembre. Il n’a reçu aucune prestation pour décembre en vertu de sa demande initiale ou d’une nouvelle demande découlant de sa demande de décembre.

[5] Le prestataire n’a pas découvert qu’il n’avait pas reçu de prestations en réponse à sa demande de décembre avant de présenter une nouvelle demande de prestations le 11 mars 2024 (demande de mars 2024) pour la relâche scolaire. À ce moment, il a demandé à la Commission de faire antidater sa « demande » au 17 décembre 2023. Il a dit qu’il croyait que sa demande constituait sa déclaration puisqu’il s’attendait à retourner au travail dans deux semaines. Les notes de la Commission à l’époque indiquent qu’il tentait de réactiver sa demande antérieure du 17 décembre 2023 et d’utiliser sa demande du 31 décembre 2023 plutôt que celle du 3 mars 2024 pour commencer une nouvelle demandeNote de bas de page 1.

[6] La Commission a envoyé une décision au prestataire le 28 mai 2024. Selon celle-ci, sa « demande de renouvellement » de prestations d’assurance-emploi ne pouvait pas commencer avant le 31 décembre 2023 parce qu’il n’a pas déposé sa demande à temps. En outre, il n’avait pas démontré qu’il avait un motif valable d’être en retard.

[7] Le prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision, mais la Commission ne l’a pas modifiée. Le prestataire a ensuite fait appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, qui a rejeté son appel. Elle s’est seulement penchée sur la question de savoir si la déclaration du prestataire pouvait être antidatée au 17 décembre 2023. Elle a conclu que le prestataire n’avait pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant le retard dans sa déclaration.

[8] Le prestataire demande maintenant à la division d’appel de trancher le litige.

[9] J’accueille l’appel et je renvoie l’affaire à la division générale en vue d’un nouvel examen.

[10] La division générale a agi injustement parce qu’elle a accepté ce que la Commission a dit au sujet du sens de la décision de nouvel examen, sans toutefois donner au prestataire l’occasion de présenter des observations sur cette interprétation. De plus, elle n’avait pas compétence pour examiner la question qu’elle avait tranchée et elle n’a pas tranché la seule question dont elle était saisie.

Questions préliminaires

[11] Lorsque j’ai commencé à examiner ce dossier, j’ai eu beaucoup de difficulté à interpréter la décision qui faisait l’objet de l’appel devant la division générale. Je ne pouvais être certain de ce que la Commission a décidé ou réexaminé.

[12] J’ai constaté que les observations de la Commission à la division générale reconnaissaient que la décision était erronée. La Commission a informé la division générale de ce qu’elle avait voulu décider. La division générale a tranché la question conformément à l’interprétation de la Commission.

[13] La façon dont la division générale a cerné les questions d’appel a soulevé des questions d’équité et de compétence qui n’avaient pas été directement abordées dans les observations reçues par la division d’appel de l’une ou l’autre des parties.

[14] Par conséquent, j’ai fourni aux parties une série de questions et je leur ai demandé de répondre au moyen d’observations supplémentaires. Comme j’avais des préoccupations concernant la façon dont la division générale a rejeté l’appel du prestataire, je voulais m’assurer que la Commission avait l’occasion de parler de ces préoccupations. Toutefois, j’ai demandé aux deux parties de répondre parce que je ne voulais pas que l’une ou l’autre des parties soit surprise si ces préoccupations étaient prises en compte dans ma décision.

[15] La Commission et le prestataire ont tous deux présenté des observations supplémentaires, respectivement le 3 juillet 2025 et le 4 juillet 2025. (Lorsque je ferai référence à la position de la Commission dans le présent appel, j’attribuerai cette position à la « représentante de la Commission » afin de pouvoir la distinguer des actions et observations antérieures de la Commission.)

[16] La représentante de la Commission concède d’emblée que la division générale a agi injustement et qu’elle a commis des erreurs de compétence. Le prestataire a répondu à mes questions en disant qu’elles étaient trop complexes et qu’il ne se sentait pas qualifié pour y répondre. Néanmoins, il a fourni une réponse substantielle dans laquelle il s’est efforcé de répondre aux questions. Il m’a également renvoyé à ses propres préoccupations concernant la décision initiale de la Commission, étant donné que celle-ci l’avait guidé dans le processus d’antidatation.

Questions en litige

[17] Les questions en litige dans le présent appel sont les suivantes :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur d’équité procédurale en acceptant l’interprétation par la Commission de la lettre de révision et de l’instance de la Commission sans donner au prestataire l’occasion de répondre?
  2. b) La division générale a-t-elle outrepassé sa compétence en décidant si les déclarations du prestataire, y compris sa déclaration pour la semaine du 17 décembre 2023, pouvaient être antidatées?
  3. c) La division générale a-t-elle omis d’exercer sa compétence :
    • lorsqu’elle n’a pas décidé si le prestataire pouvait recevoir des prestations au cours d’une période de prestations établie en vertu d’une demande initiale tirée de sa demande de décembre?
    • lorsqu’elle n’a pas décidé si le prestataire avait droit à une antidatation de sa demande de mars 2024?
    • en omettant de décider si la Commission a agi de façon judiciaire lorsqu’elle n’a pas renoncé à l’exigence selon laquelle les déclarations de prestations du prestataire doivent être déposées dans les trois semaines de la semaine pour laquelle des prestations sont demandées ou modifié cette exigence?
  4. d) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne se demandant pas s’il fallait renvoyer l’affaire à la Commission pour examiner une renonciation?

Analyse

Principes juridiques généraux applicables à l’appel

[18] La division d’appel ne peut tenir compte que des erreurs qui relèvent de l’un des moyens d’appel suivants :

  1. a) Le processus d’audience de la division générale n’était pas équitable d’une façon ou d’une autre.
  2. b) La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher. Ou encore, elle s’est prononcée sur une question qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancher (erreur de compétence).
  3. c) La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.
  4. d) La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 2.

Équité procédurale

[19] La division générale a commis une erreur en matière d’équité procédurale.

[20] Le prestataire a demandé des prestations le 31 décembre 2023 afin d’obtenir des prestations du 17 décembre 2023 jusqu’à la fin de la relâche scolaire. Il a également demandé de recevoir des prestations qui n’avaient pas fait l’objet de la demande initiale. Il avait également présenté une demande le 11 mars 2024 et il a invité la Commission à utiliser la demande du 31 décembre 2023 comme date d’entrée en vigueur de sa nouvelle période de prestations, afin qu’il n’ait pas à purger le délai de carence deux fois.

[21] La Commission a décrit la demande de décembre du prestataire comme une « demande de renouvellement » puisqu’il recevait toujours des prestations non réclamées en vertu de sa demande initiale. Il a noté qu’il ne pouvait pas « enregistrer » sa demande du 31 décembre 2023 puisqu’il n’avait pas déposé de déclaration pour la semaine du 17 décembre. La Commission a déclaré que sa demande du 11 mars 2024 était une demande initiale qui établissait une période de prestations à compter du 3 mars 2024Note de bas de page 3.

[22] On ne sait trop comment la Commission a examiné les demandes de prestations rétroactives du prestataire. Sa lettre du 28 mai 2024 adressée au prestataire décrivait sa décision dans les termes suivants :

[Traduction]
« Votre demande de renouvellement de prestations d’assurance-emploi ne peut commencer avant le 31 décembre 2023 parce que vous n’avez pas déposé votre demande à temps et que vous n’avez pas démontré un motif valable de retard. »

[23] La décision de révision de la Commission n’a pas permis de clarifier les questions. Elle a classé la question comme étant une question de « procédure liée à la demande » et a seulement déclaré qu’elle maintenait sa décision au sujet de « cette question ».

[24] Dans ses observations non datées reçues par la division générale le 22 août 2024, la Commission a reconnu des erreurs dans sa décision de révision. Elle les décrivait comme étant des erreurs « d’écriture ». Elle a également offert sa propre interprétation de ce que devait être la décision. La Commission a expliqué que la décision portait sur la question de savoir si le prestataire pouvait faire antidater une déclaration au 17 décembre (la dernière semaine disponible au cours de la période de prestations de sa demande initiale).

[25] L’audience a eu lieu en personne le 27 août 2024. Toutefois, après celle-ci, la division générale ne savait toujours pas avec précision comment la Commission avait traité la demande du prestataire. Le 10 septembre 2024, la division générale a demandé à la Commission pourquoi elle avait traité la demande du prestataire comme une [traduction] « demande de renouvellement au lieu d’une nouvelle demande »Note de bas de page 4. La Commission a expliqué que son système automatisé n’avait pas établi de « nouvelle demande » parce que la déclaration du 17 décembre était toujours en suspens relativement à la demande initiale. Selon ce qu’a dit la Commission à la division générale, la « question litigieuse » résidait dans l’omission, par le prestataire, d’avoir déposé sa déclaration. Elle a déclaré que la [traduction] « demande d’antidatation pour commencer une demande » du prestataire à une date antérieure ne constituait pas un problèmeNote de bas de page 5.

[26] La division générale a accepté la façon dont la Commission a décrit la décision et son évaluation de la question litigieuse. Elle a conclu que le prestataire avait retardé le dépôt de ses déclarations du 17 décembre 2023 au 11 mars 2024, date à laquelle il a déposé la demande. Celle-ci est entrée en vigueur le 3 mars 2024. La division générale a décidé que le prestataire n’avait pas droit à une antidatation des déclarations hebdomadaires parce qu’il n’avait pas de motif valable pour produire les déclarations en retard.

[27] Toutefois, il est impossible d’interpréter la décision de la Commission de cette façon en lisant le texte de la décision ou en lisant la décision de révision qui a simplement « maintenu » la décision initiale. Une telle interprétation n’est pas non plus compatible avec la demande du prestataire à la Commission ni avec le contexte de cette demande. Il est possible qu’on en ait dit davantage à l’audience. Toutefois, le Tribunal ne dispose pas d’un enregistrement audio de l’audience. Si elle a fait l’objet d’une discussion, ce n’est pas mentionné dans la décision de la division générale. Je dois donc supposer que la division générale a simplement adopté l’interprétation de la décision par la Commission.

[28] La demande de révision du prestataire et son avis d’appel à la division générale laissent entendre qu’il n’a pas établi clairement sa position au sujet de la décision de la Commission. Je doute que le prestataire ait su exactement ce qu’il portait en appel lorsqu’il s’est présenté à l’audience. Il n’aurait pas pu apprendre dans la décision de la Commission que la division générale statuerait qu’il n’avait pas droit à une antidatation de ses déclarations en vertu de la demande initiale, mais qu’elle ne se pencherait pas sur la question de savoir s’il avait un motif valable d’antidater sa demande de décembre, à titre de nouvelle demande initiale. Il n’aurait pas pu savoir qu’elle utiliserait tout le retard de décembre 2023 à mars 2024 pour conclure qu’il n’avait pas de motif valable justifiant son retard dans le dépôt des déclarations avant la demande de décembre. Il est peu probable qu’il ait su si sa demande d’antidatation de mars 2024 faisait partie de l’appel.

[29] Il était injuste pour le prestataire que la division générale ait accepté la question telle qu’elle a été formulée par la Commission sans donner au prestataire l’occasion de présenter des observations. La représentante de la Commission en convient. Elle reconnaît que la Commission a élargi son interprétation particulière de la décision dans ses observations postérieures à l’audience. Elle admet qu’aucun élément du dossier ne laisse entendre que le prestataire a eu la possibilité de répondre.

[30] Je peux constater que la division générale a envoyé au prestataire une copie de sa demande de précisions du 10 septembre transmise à la Commission et une copie de la réponse de la Commission le 12 septembre 2024, le jour même où elle l’a reçue. Toutefois, la division générale n’a pas expliqué au prestataire pourquoi elle demandait à la Commission d’expliquer son processus décisionnel et ne l’a pas informé qu’il pouvait répondre.

[31] J’admets qu’il était injuste pour la prestataire que la division générale ait accepté les questions telles qu’elles ont été formulées par la Commission sans donner au prestataire une occasion équitable de présenter des observations.

[32] La division générale aurait dû au moins clarifier les questions avant d’aller de l’avant afin que le prestataire puisse les régler efficacement. Elle aurait dû lui donner l’occasion de présenter des observations sur les questions dont elle était dûment saisie.

La division générale a outrepassé sa compétence en tranchant une question dont elle n’était pas saisie.

[33] La division générale a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a décidé que le prestataire n’avait pas droit à une antidatation de sa déclaration pour la semaine du 17 décembre 2023.

[34] Je comprends que la division générale essayait de donner un sens à une décision sibylline. Toutefois, la lettre de décision du 28 mai 2024 ne peut être interprétée comme une décision sur le droit du prestataire à une antidatation de sa déclaration.

[35] En fait, la représentante de la Commission admet maintenant que la division générale n’avait pas compétence pour examiner cette question. Elle affirme que la décision du 28 mai 2024 n’est que la [traduction « preuve que la Commission a pris une décision concernant la date de début de la demande initiale ». En d’autres termes, la période de prestations pour la nouvelle demande ne pouvait pas commencer avant la date de la demande du prestataire, soit le 31 décembre 2023Note de bas de page 6.

[36] La décision ne précise pas s’il serait possible pour le prestataire d’obtenir une antidatation de sa déclaration. Comme la Commission le reconnaît elle-même, elle n’a pas rendu de décision initiale ou de révision au sujet de la demande du prestataire d’antidater sa déclaration au 17 décembre 2023.

[37] Selon ce que je comprends du dossier, la décision de la Commission faisait suite à la demande de prestations du prestataire à compter du 17 décembre et à sa préoccupation selon laquelle il ne voulait pas avoir à purger deux fois un délai de carence. La Commission aurait pu répondre à sa demande par des décisions portant sur les questions suivantes :

  • Le droit du prestataire à une antidatation de ses déclarations en vertu de la demande initiale, afin que la Commission accepte une déclaration tardive pour le 17 décembre 2023.
  • Le droit du prestataire à des prestations jusqu’à son retour au travail après le congé de Noël, selon sa nouvelle demande initiale déposée le 31 décembre 2023 ou une antidatation de cette demande de décembre.
  • Le droit du prestataire à des prestations pour le congé scolaire de mars en vertu d’une période de prestations établie par la demande du 31 décembre (sans deuxième délai de carence), ou une antidatation de sa demande initiale du 11 mars 2024 au 31 décembre 2023, ou même plus tôt.

[38] La Commission a eu une seule discussion avec le prestataire au cours de laquelle elle a reconnu ses préoccupations au sujet de ses prestations non reçues en décembre et en mars. Elle n’a rien dit au prestataire au sujet de sa décision ou de ses intentions de décision, sauf dans la lettre de décision du 28 mai. Elle n’a pas été en mesure de joindre le prestataire pour discuter de sa demande de révision.

[39] Encore une fois, la lettre du 28 mai de la Commission indiquait qu’elle ne pouvait pas commencer sa demande de décembre plus tôt que le 31 décembre, parce qu’il ne l’avait pas déposée à temps et qu’il n’avait pas de motif valable justifiant le retard.

[40] La division générale a traité cette décision comme une décision rejetant une antidatation de la déclaration du 17 décembre 2023. Toutefois, il ne s’agissait pas d’une décision selon laquelle le prestataire n’avait pas de motif valable justifiant le retard de produire des déclarations pour cette périodeNote de bas de page 7.

[41] La division générale a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a tranché cette question.

La division générale n’a pas exercé sa compétence

Effet de la demande du 31 décembre 2023

[42] La représentante de la Commission admet que la division générale a commis une autre erreur de compétence parce qu’elle n’a pas tranché d’autres questions dont elle était saisie.

[43] Elle laisse entendre que la division générale aurait dû décider si la demande du prestataire datée du 31 décembre 2023 était une demande initiale ou une demande de renouvellement.

[44] Je n’admets pas que la division générale devait rendre une décision sur la question de savoir si la demande de décembre a amorcé une demande initiale ou une demande de « renouvellement ». Ces concepts peuvent signifier quelque chose pour la Commission. Toutefois, il n’existe pas de catégorie de « demande de renouvellement » dans la Loi sur l’assurance-emploi.

[45] La demande du 31 décembre 2023 était manifestement une demande initiale en vertu de la loi. Selon la Commission, la période de prestations de la demande initiale du prestataire a commencé le 25 décembre 2022Note de bas de page 8. Rien n’indiquait que cette première période de prestations était autre que les 52 semaines habituellesNote de bas de page 9. C’est donc dire que sa demande du 31 décembre 2023 a été déposée après la fin de la première période de prestations, de sorte qu’il s’agirait d’une demande initiale.

[46] La Commission peut avoir traité la demande du prestataire comme une demande de « renouvellement » pour une question de politique interne, mais le Tribunal ne peut rendre de décisions fondées sur la politique de la Commission.

[47] La Commission a raison, en ce sens que la lettre renferme une décision concernant la demande de décembre. La lettre du 28 mai indique un refus des prestations avant le 31 décembre relativement à la demande de décembre. Elle peut également être interprétée comme le refus d’une antidatation de la demande de décembre au motif que le prestataire n’avait pas de motif valable justifiant le retard à présenter une demande (en vertu de l’article 10(4))Note de bas de page 10.

[48] La division générale n’a pas exercé sa compétence. Elle n’a pas tenu compte de l’effet de la demande du 31 décembre 2023 ni de la question de savoir si elle avait établi une nouvelle période de prestations comme demande initiale.

Antidatation de la demande de mars 2024

[49] La représentante de la Commission admet une dernière erreur de compétence. Elle affirme que la division générale aurait dû décider si le prestataire avait droit à une antidatation de sa demande initiale de mars 2024.

[50] Malgré cette admission, je n’accepte pas que la division générale ait commis une erreur de compétence en ne statuant pas sur l’antidatation de la demande initiale de mars 2024.

[51] Rien dans le dossier ne laisse croire que la Commission a décidé si le prestataire pouvait antidater la demande de mars 2024 ou qu’elle avait l’intention de trancher cette question. La seule information au dossier liée à cette question est une seule note de la Commission indiquant que le prestataire [traduction] « cherchait à utiliser sa demande du 31 décembre 2023 pour amorcer sa nouvelle demande, plutôt que la date du 3 mars 2024 ». Je ne suis pas convaincu que la division générale pourrait déduire de la demande faite par le prestataire à la Commission que celle-ci avait décidé que le prestataire n’avait pas droit à une antidatation de ses déclarations (la première question au paragraphe 33 ci-dessus).

[52] J’ai conclu que la division générale a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a examiné si le prestataire pouvait antidater ses déclarations. J’en suis venu à cette conclusion, car la décision elle-même ne décrit pas cette question et, car il y avait peu d’autres éléments dans le dossier au sujet de la demande du prestataire ou de la réponse de la Commission. Pour la même raison, je ne peux accepter que la division générale ait pu comprendre que la lettre de la Commission du 28 mai contienne une antidatation de la décision de mars 2024.

[53] La division générale n’a pas commis d’erreur de compétence en omettant de décider si la demande initiale de mars 2024 du prestataire devrait être antidatée.

Renonciation à l’obligation de produire des déclarations dans les trois semaines

[54] Le prestataire a fait valoir que la division générale aurait dû décider si la Commission aurait dû renoncer ou envisager de renoncer au délai de trois semaines pour le dépôt des déclarations (la « question de la renonciation »).

[55] L’article 50(4) de la Loi sur l’assurance-emplo i prévoit qu’une demande doit être déposée dans un délai « prescrit ». L’article 26(1) du Règlement sur l’assurance-emploi prescrit le délai. Selon le Règlement sur l’assurance-emploi, les déclarations doivent être déposées dans les trois semaines suivant la semaine à laquelle elles se rapportent. L’article 50(10) de la Loi sur l’assurance-emploi permet à la Commission de renoncer au délai prévu à l’article 50(4).

[56] La division générale n’a pas commis d’erreur de compétence en omettant de rendre une décision sur la question de la renonciation.

[57] Une erreur de compétence se produit lorsque la division générale omet de rendre une décision qu’elle est tenue de prendre ou lorsqu’elle rend une décision qu’elle n’est pas autorisée à prendre. La division générale doit examiner toutes les questions en appel. Seules les décisions de révision de la Commission peuvent faire l’objet d’un appel, ce qui signifie que la division générale ne peut examiner que les questions soulevées dans la décision de révisionNote de bas de page 11. Elle doit rendre une décision sur les questions qui ont été portées en appel, mais elle n’a pas compétence pour trancher d’autres questions.

[58] La décision de révision a simplement maintenu la décision initiale de la Commission. Cela signifie que je dois examiner la décision initiale pour trancher les questions en litige qui faisaient l’objet de l’appel. La décision initiale de la Commission était fondée sur sa conclusion selon laquelle le prestataire n’avait pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant son retard dans la demande de prestations. Toutefois, elle n’a pas examiné si elle pouvait renoncer au délai.

[59] Rien dans le dossier de révision ou ailleurs dans le dossier d’appel ne laisse entendre que le prestataire a demandé à la Commission de renoncer au délai ou que la Commission s’est demandée si elle devait le faire. Rien n’indique non plus que le prestataire a soulevé le pouvoir de renonciation de la Commission comme question à la division générale. Il n’a pas demandé à la division générale de conclure qu’il devrait avoir droit à une renonciation, ni que la Commission avait agi de façon inappropriée en omettant d’examiner une renonciation à sa discrétion. Il semble qu’il ait d’abord soulevé la question de la renonciation dans son appel devant la division d’appel.

[60] La décision de révision n’a pas refusé explicitement ou implicitement une renonciation ni n’a refusé d’examiner une renonciation, de sorte que la question n’a pas été soumise à la division générale. La division générale n’a pas manqué d’exercer son pouvoir discrétionnaire en omettant de décider si la Commission a envisagé une renonciation ou si elle a utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire.

Erreur de droit

[61] En accordant la permission de faire appel, le Tribunal a laissé entendre qu’il pourrait y avoir un argument selon lequel la division générale a commis une erreur de droit dans sa façon d’interpréter la renonciation en vertu de l’article 50(10) de la Loi sur l’assurance-emploi. Il renvoie à la décision Von Findenigg, rendue en 1983 par la Cour d’appel fédéraleNote de bas de page 12. La décision Von Findenigg laissait entendre que l’affaire peut être renvoyée à la Commission lorsque celle-ci n’a pas examiné une renonciation en vertu de l’article 55(10) de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage. L’article 55(10) de la version de la Loi sur l’assurance-chômage alors en vigueur est essentiellement le même que l’article 50(10) de la Loi sur l’assurance-emploi actuelle.

[62] Je n’admets pas que la division générale ait commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 50(10) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[63] Tout d’abord, j’ai déjà conclu que la division générale n’a pas manqué d’exercer sa compétence en ne se fondant pas sur la question de savoir si le prestataire avait droit à une renonciation. Ce n’était pas non plus une erreur de droit pour elle de refuser la compétence.

[64] La décision Von Findenigg mentionnée dans la décision d’autorisation d’appel a confirmé que l’article 55(10) de la Loi sur l’assurance-chômage conférait exclusivement à la Commission le pouvoir de renoncer au délai de dépôt des demandesNote de bas de page 13. Cela a également été confirmé dans d’autres décisions de la Cour d’appel fédéraleNote de bas de page 14.

[65] Il s’agit donc de savoir si la division générale a commis une erreur en ne renvoyant pas l’affaire à la Commission pour qu’elle envisage une renonciation.

[66] La décision Harbour a tenu compte de la décision Findenigg et a considérablement restreint son application. Elle a expressément rejeté l’idée selon laquelle le conseil arbitral doit d’abord se demander si une « renonciation » est possible avant de maintenir son refusNote de bas de page 15.

[67] Selon la décision Harbour, l’article 55(10) [traduction] « ne crée aucune obligation » (comme l’obligation d’envisager une renonciation) ni ne [traduction]« préserve aucun droit »Note de bas de page 16. Elle a souligné que le pouvoir de la Commission n’est qu’un pouvoir de renonciation, et non un [traduction] « pouvoir de rétablir un droit déjà perdu » (dans cette affaire, la perte du droit à des prestations en raison d’un retard sans motif valable) » ou [traduction] « d’éliminer un obstacle juridique à l’exercice d’un droit ». La décision Harbour a estimé que le pouvoir de renonciation était un pouvoir de renoncer à l’avance aux conditions énoncées à l’article 50(10) [traduction] « plutôt que de remédier à un manquement passé à une telle condition » (c’est nous qui soulignons).

[68] Dans la décision Harbour, ila été statué que le défaut d’un prestataire de produire ses déclarations à temps était seulement irrégulier. La Commission peut refuser une déclaration hebdomadaire qui n’est pas présentée dans le délai prescrit, mais il est déclaré dans la décision Harbour que [traduction] « ce refus peut être injustifié, soit lorsqu’un motif valable de retard est démontré » (c’est nous qui soulignons). Autrement dit, la Commission devrait tenir compte des raisons du retard avant le refus de prestations du prestataire.

[69] La Cour a rejeté la façon dont le juge-arbitre avait formulé les questions dans la décision qu’elle examinait. Le juge-arbitre avait traité l’examen par la Commission des motifs du prestataire pour justifier son retard comme si la Commission examinait s’il y avait lieu de renoncer au délai en vertu de l’article 55(10) de la Loi sur l’assurance-chômage. La Cour n’était pas d’accord avec cela. Pour l’essentiel, elle a conclu que la Commission n’aurait pas dû refuser les déclarations tardives du prestataire parce qu’il avait un motif valable justifiant le retard, et non parce que la Commission aurait dû renoncer aux exigences relatives aux délais.

[70] Plus précisément, elle a déclaré que le juge-arbitre n’aurait pas dû fonder son analyse sur l’utilisation du pouvoir de renonciation par la Commission parce que ce pouvoir n’était [traduction] « pas destiné à offrir un moyen d’éviter la perte d’un droit à une prestation découlant d’un défaut de se présenter à temps alors que ce défaut […] serait entièrement imputable au prestataire »Note de bas de page 17.

[71] La décision Harbour laisse croire que la Commission n’a pas besoin d’envisager de renoncer à l’exigence relative au délai, une fois qu’elle a déjà établi que le prestataire n’a pas de motif valable justifiant le retard.

[72] À l’époque des décisions Von Findenigg et Harbour, la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage comportait une disposition (article 20(4)) qui permettait une antidatation pour motif valable d’une demande initiale semblable à l’article 10(4) actuel. Toutefois, il n’y avait pas de disposition semblable à l’actuel article 10(5), qui permet une antidatation des déclarations hebdomadaires.

[73] La Commission est maintenant expressément tenue, en vertu de l’article 10(5) de la Loi sur l’assurance-emploi, d’examiner les raisons du retard avant de refuser d’accepter des demandes tardives. Cela signifie qu’il est encore moins utile de renvoyer la question de la renonciation à l’examen de la Commission.

[74] Ainsi, bien que la décision de la division générale ait pu laisser croire que la Commission envisage une renonciation, elle n’avait aucune obligation de le faire. À ma connaissance, le prestataire peut tout de même demander à la Commission de renoncer au délai prévu à l’article 50(4) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[75] La division générale n’a pas commis d’erreur de droit en omettant de renvoyer l’affaire à la Commission pour qu’elle examine une renonciation.

Réparation

[76] J’ai le pouvoir de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, ou je peux confirmer, annuler ou modifier la décision de la division générale. Je pourrais aussi renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamenNote de bas de page 18.

[77] La Commission demande que je renvoie la question à la division générale. Le prestataire a déclaré que le Tribunal dispose de bien assez de renseignements pour trancher l’appel. J’en déduis qu’il aimerait que je substitue ma décision à celle de la division générale.

[78] J’ai décidé de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen.

[79] J’ai conclu que la division générale n’avait pas compétence pour décider si le prestataire avait un motif valable d’antidater ses déclarations, car la Commission n’a pas encore tranché cette question. De même, je n’aurais pas compétence pour trancher cette question.

[80] J’ai également conclu que la division générale n’a pas examiné si la Commission aurait pu verser des prestations relativement à la demande du 31 décembre. Toutefois, je ne peux présumer que le prestataire a eu l’occasion de fournir tous les éléments de preuve pertinents parce qu’il n’y a pas de dossier audio. S’il a témoigné à ce sujet à la division générale, je ne dispose pas de ce témoignage. Il serait injuste que je substitue ma décision à celle de la division générale sans tous les éléments de preuve.

[81] La division générale aura l’occasion de clarifier les questions faisant l’objet de l’appel avec les parties afin qu’elles puissent présenter des observations appropriées et tout élément de preuve pertinent. Si la division générale conclut qu’il y a des questions en suspens qui ne peuvent être réglées dans le cadre de l’appel, elle pourrait recommander à la Commission d’y répondre et de rendre des décisions adaptées à ses préoccupations.

[82] En ce qui concerne les arguments du prestataire sur le pouvoir de renonciation de la Commission, celle-ci pourrait vouloir examiner son pouvoir de renonciation en vertu de l’article 50(10) de la Loi sur l’assurance-emploi. Si elle conclut qu’elle peut exercer son pouvoir de renonciation rétroactivement, elle pourrait décider à un moment donné s’il serait approprié de l’exercer dans la situation du prestataire.

Conclusion

[83] J’accueille l’appel. Je renvoie cette affaire à la division générale pour qu’elle réexamine sa décision.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.