Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Comparutions

  • Appelante : E. S.
  • Conjoint de l’appelante : C. S.

Décision

[1] Le Tribunal conclut qu’une pleine pension de sécurité de la vieillesse est payable à l’appelante.

Introduction

[2] L’intimé a estampillé la demande de pension présentée par l’appelante en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (LSV) le 28 janvier 2010. L’intimé a rejeté la demande au stade initial ainsi qu’à l’étape de la révision et l’appelante a interjeté appel devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (BCTR).

[3] La présente audience a été tenue en présence des parties pour les motifs indiqués dans l’avis d’audience du 30 juin 2014.

[4] Dans sa demande, l’appelante indique qu’elle a vécu au Canada du 19 avril 1968 au 5 mars 2010 (et par la suite) et a travaillé au Canada de 1968 à juillet 2001.

[5] L’intimé a rejeté la demande de pleine pension. Il a approuvé la demande de pension partielle de sécurité de la vieillesse (SV) établie au taux de 1/40e de la pleine pension pour chaque année complète de résidence au Canada après l’âge de 18 ans en précisant que la période minimale de résidence requise pour être admissible à une pension partielle est 20 années de résidence pour les demandeurs qui vivent à l’étranger. Cette décision était fondée sur les renseignements fournis dans sa demande et sa résidence au Canada, comme l’a déterminé l’intimé, soit du 19 avril 1968 au 30 août 2001. On obtient donc une période de 33 ans et 134 jours, ce qui la rendrait admissible à 33/40e de la pension de la SV. La conclusion de l’intimé était fondée sur une décision antérieure du BCTR dans laquelle son conjoint était l’appelant (demandeur de prestations).

[6] L’appelante était présente lors de cette procédure devant le tribunal de révision (BCTR) au cours de laquelle son conjoint avait demandé des prestations semblables à celles qui sont visées par le présent appel. L’appelante a été inscrite comme « mise en cause » dans cette procédure. La demande a été rejetée et il a été conclu que le conjoint de l’appelante n’était pas résident du Canada entre août 2001 et février 2003 (moment où monsieur C. S. a atteint l’âge de 65 ans). Le tribunal de révision a conclu qu’il ne résidait pas au Canada pendant l’année précédant son 65e anniversaire. Sa demande a été rejetée. Il n’a pas interjeté appel. Cette décision ne fait aucune mention de la situation de son épouse, l’appelante dans la présente instance. À part une unique mention, la décision du tribunal de révision concernant cette demande reste muette quant au statut de résidence de l’appelante en l’espèce. Elle ne contient aucune conclusion concernant son admissibilité à des prestations de SV.

Droit applicable

[7] L’article 257 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable de 2012 prévoit que tout appel qui a été présenté devant le BCTR avant le 1er avril 2013 et qui n’a pas été instruit par le BCTR est réputé avoir été présenté devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[8] L’exigence générale pour toucher une pleine pension de vieillesse prévue à l’alinéa 3(1)c) de la LSV est d’avoir résidé au Canada pendant 40 ans après l’âge de 18 ans. Toutefois, l’alinéa 3(1)b) de la LSV énonce les critères que doit remplir toute personne pour être admissible à la pleine pension de SV sans avoir résidé pendant 40 ans au Canada. Il est ainsi libellé :

Pleine pension

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, la pleine pension est payable aux personnes suivantes :

[…]

b) celles qui, à la fois :

  1. (i) sans être pensionnées au 1er juillet 1977, avaient alors au moins vingt-cinq ans et résidaient au Canada ou y avaient déjà résidé après l’âge de dix-huit ans, ou encore étaient titulaires d’un visa d’immigrant valide,
  2. (ii) ont au moins soixante-cinq ans,
  3. (iii) ont résidé au Canada pendant les dix ans précédant la date d’agrément de leur demande, ou ont, après l’âge de dix-huit ans, été présentes au Canada, avant ces dix ans, pendant au moins le triple des périodes d’absence du Canada au cours de ces dix ans tout en résidant au Canada pendant au moins l’année qui précède la date d’agrément de leur demande;

[9] Si une personne n’est pas admissible à la pleine pension de SV, elle peut être admissible à une pension partielle aux termes du paragraphe 3(2) de la LSV. Pour avoir droit à une pension partielle, la personne doit avoir résidé au Canada pendant au moins 10 ans et être résident le jour précédant la date d’agrément de sa demande. Si la personne ne résidait pas au Canada le jour précédant la date d’agrément de sa demande, elle doit avoir résidé au Canada pendant au moins 20 ans. Les paragraphes 3(2) à 3(5) énoncent ce qui suit :

Pension partielle

3. (2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, une pension partielle est payable aux personnes qui ne peuvent bénéficier de la pleine pension et qui, à la fois,

a) ont au moins soixante-cinq ans;

b) ont, après l’âge de dix-huit ans, résidé en tout au Canada pendant au moins dix ans mais moins de quarante ans avant la date d’agrément de leur demande et, si la période totale de résidence est inférieure à vingt ans, résidaient au Canada le jour précédant la date d’agrément de leur demande.

Montant

(3) Pour un mois donné, le montant de la pension partielle correspond aux n/40 de la pension complète, n étant le nombre total — arrondi conformément au paragraphe (4) — d’années de résidence au Canada depuis le dix-huitième anniversaire de naissance jusqu’à la date d’agrément de la demande.

Arrondissement

(4) Le nombre total d’années de résidence au Canada est arrondi au chiffre inférieur.

Résidence ultérieure

(5) Les années de résidence postérieures à l’agrément d’une demande de pension partielle ne peuvent influer sur le montant de celle-ci.

Quant aux personnes qui ont déjà établi leur résidence au Canada, leur résidence est protégée par le paragraphe 21(4) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse du fait que les absences temporaires du pays n’interrompent pas la période de résidence.

Le Règlement sur la sécurité de la vieillesse énonce ce qui suit :

Résidence

21. (4) Lorsqu’une personne qui réside au Canada s’absente du Canada et que son absence

  1. a) est temporaire et ne dépasse pas un an,
  2. b) a pour motif la fréquentation d’une école ou d’une université, ou
  3. c) compte parmi les absences mentionnées au paragraphe (5),

cette absence est réputée n’avoir pas interrompu la résidence ou la présence de cette personne au Canada.

Enfin, le paragraphe 21(1) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse établit la différence entre la « résidence » et la « présence » aux fins de l’admissibilité à la pension de SV et prévoit ce qui suit :

21. (1) Aux fins de la Loi et du présent règlement,

  1. a) une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada; et
  2. b) une personne est présente au Canada lorsqu’elle se trouve physiquement dans une région du Canada.

Question en litige

[10] La seule question sur laquelle doit se pencher le Tribunal est la détermination des périodes de résidence au Canada de l’appelante et leur durée aux fins de déterminer si elle a droit à la pleine pension ou à une pension de SV partielle.

Preuve

[11] L’appelante a déclaré au Tribunal qu’elle était née le 5 mars 1945 à X, au Portugal, et qu’elle a eu 65 ans en 2010. Le 19 avril 1968, l’appelante et sa fille de 3 ans ont rejoint son mari au Canada. Elle était alors âgée de 23 ans. Il avait immigré en 1967.

[12] Le couple a eu un fils¸ né au Canada, peu de temps après l’arrivée de l’appelante. Les deux enfants ont fait leurs études à X et sont tous deux diplômés de l’Université de X. Ils ont tous deux des enfants. La fille a un fils handicapé (maintenant âgé de X ans) et le fils, qui vit maintenant au X, a quatre enfants. L’appelante est fière d’être grand-mère.

[13] Son mari et elle ont travaillé dans la région de X jusqu’en août 2001. L’appelante, qui était une jeune femme à l’époque, a commencé à travailler comme nettoyeuse et a travaillé pour plusieurs entreprises. Elle a lancé sa propre petite entreprise de nettoyage en 1998. L’entreprise « E. Cleaners » effectuait des travaux contractuels pour les banques locales. Elle a cessé de travailler dans son entreprise à l’été 2001.

[14] Dans une lettre non datée adressée à l’Agence des douanes et du revenu du Canada en 2002, l’appelante a affirmé en partie ce qui suit :

[traduction]

« J’ai exploité l’entreprise seulement pendant les deux premières périodes de 2001, du 1er janvier 2001 au 30 juin 2001, après cette date, X reprend mon entreprise ». [sic]

[15] Elle a expliqué que son entreprise n’avait pas été achetée, mais que comme son contrat avec les banques n’a pas été renouvelé, elle [traduction] « n’était plus en affaires ».

[16] Au printemps 2001, l’appelante et son mari ont vendu leur maison étant donné que ce dernier touchait des prestations de la CSPAAT en raison d’un accident de travail et était absent du travail. Ils ont utilisé le produit de la vente pour aider leur fils à acheter une résidence au X, boulevard X, à X, qui est un duplex. De juin 2001 à août 2001, M. et Mme S. ont habité dans l’unité située à l’étage inférieur du duplex. Le 30 août 2001, ils sont allés au Portugal pour être auprès du père et du frère de l’appelante qui étaient tous deux malades. Ils sont revenus six mois plus tard, le 1er mars 2002. Le père de l’appelante est décédé en janvier 2003 et son frère en novembre 2003.

[17] L’appelante a déclaré que son mari et elle avaient déjà fait quatre ou cinq séjours au Portugal depuis qu’ils sont venus au Canada il y a environ 33 ans. Les séjours antérieurs ont été de cinq, six ou sept semaines, à cause des exigences du travail. Ils ont pu y séjourner plus longtemps à partir d’août 2001 parce qu’ils ne travaillaient plus. Depuis ce temps, ils ont fait plusieurs autres voyages (« de vacances ») au Portugal. Ces séjours sont les suivants :

  1. 2005 – 6 mois
  2. 2007 – 3 mois et 2 mois (pour rendre visite à des parents malades)
  3. 2008 – 2 mois
  4. 2009 - 2 mois
  5. 2011 – 3 mois

[18] La demanderesse a déclaré qu’elle était allée au Portugal pour la dernière fois en 2011 pendant 3 mois, mais n’y retournera pas parce que sa santé se détériore.

[19] L’appelante a fait une demande de [traduction] « carte d’identité pour citoyen national », carte qui a été émise le 9 juillet 2001 au nom d’E. N. D. N. S. et portant une adresse au Portugal. L’appelante et son mari ont tous deux expliqué dans leur témoignage qu’il s’agissait d’un acte de naissance indiquant le lieu et la date de naissance et ne visait pas à représenter la résidence, le domicile ou une intention de rester au Portugal.

[20] L’appelante a demandé et obtenu la citoyenneté canadienne le 18 juillet 2001. Son passeport canadien a été délivré le 2 août 2001. Le passeport canadien de monsieur C. S. a été délivré le 3 août 2001. Il s’agissait de renouvellements et ils ont été renouvelés à nouveau depuis. L’appelante a déclaré que son obtention de la citoyenneté à cette date était une coïncidence. Elle avait toujours été trop occupée pour présenter une demande avant cela, mais était fière de devenir enfin officiellement Canadienne à ce moment-là.

[21] Après leur retour du Portugal en 2002, ils ont emménagé dans l’unité du premier étage du duplex à deux étages. Leur fils, F. S., travaillait souvent sur la route, et s’est finalement établi au X en 2006 avec une conjointe (marié depuis) qui avait deux enfants. Ils ont maintenant quatre enfants. Il ne vit plus à la résidence du boulevard X. L’appelante et son mari ont emménagé au deuxième étage et y sont depuis qu’il a déménagé. Il s’agit de la [traduction] « maison » où leurs petits-enfants viennent les visiter. Elle a depuis été transférée aux noms de l’appelante, de son mari et de leur fille. L’appartement de l’étage inférieur est loué à des tiers. Ils y vivent seuls depuis le déménagement de leur fils. Ils continuent de s’occuper des dépenses courantes, de l’entretien et des réparations. Elle a déclaré qu’ils le font depuis 2001. En 2010, la maison a été transférée à l’appelante et à son mari qui continuent de l’occuper et de payer les taxes. Le fils n’a aucun lien avec la maison autre que ses visites occasionnelles.

[22] Depuis qu’ils ont emménagé dans la maison, l’appelante et son mari paient les factures de téléphone (bien qu’elles soient au nom de leur fils), les factures d’électricité et les taxes. À l’occasion, ils ont donné de l’argent à leur fils au lieu d’un loyer (lorsqu’ils vivaient à l’étage inférieur).

[23] Ils continuent de gérer un compte bancaire à la X de X comme ils le font depuis 1968.

[24] Interrogée au sujet de commentaires d’une voisine du X, boul. X, qui aurait dit que les S. [traduction] « vivaient au Portugal et rendaient visite à leur fils quelques fois par année », l’appelante a dit ne pouvoir expliquer pourquoi elle aurait dit cela. Cette voisine ([traduction] « que nous ne connaissions pas du tout ») ne pouvait avoir [traduction] « aucune idée de nos projets ou de notre vie. Cette déclaration est tout simplement fausse », a déclaré l’appelante.

[25] L’appelante a acheté une voiture en 2004 pour remplacer la vieille voiture qui a été donnée par le mari comme étant un [traduction] « tas de ferraille ». Elle détient toujours un permis de conduire de la province de l’X et l’a toujours renouvelé au cours des 14 dernières années. Ils paient l’assurance sur leurs voitures comme ils l’ont toujours fait pour leur maison (auparavant au nom de leur fils). Ni l’un ni l’autre n’a besoin d’être enregistré comme entreprise auprès de la ville de X puisqu’elle a cessé de travailler en 2001.

[26] Dans une note datée du 29 juin 2006, un pasteur de « Our Lady of Perpetual Help » de X, le révérend N. M. C., a indiqué que les S. passaient du temps au Canada chaque année. Un suivi versé au dossier indique que le père C. est pasteur de l’église depuis 2004. Il a préparé la lettre du 29 juin 2006 à la demande des S., qui lui ont fourni l’information à savoir qu’ils passent la moitié de l’année à X et l’autre moitié au Portugal. Dans une lettre datée du 18 juillet 2006 (à la page 79), le président du Portuguese Community Club indique que les S. sont membres de son organisation et ont participé au festival annuel des trois dernières années. Dans un suivi fait par le ministère auprès du président de la communauté portugaise, un rapport du 19 avril 2007 indique que le président B. n’a pas pu dire combien de temps les S. passent à X et combien de temps ils passent au Portugal. Monsieur C. S. a déclaré qu’il a été président de ce club à X de 2009 à 2011.

[27] Il est intéressant de noter qu’au cours des 15 dernières années l’appelante a pris soin de son petit-fils handicapé. Il a maintenant 32 ans, mais elle le conduit encore à l’hôpital et le ramène à la maison. Elle a même pu lui faire faire de légers travaux pour elle au travail, comme nettoyer les cendriers, quand elle avait sa compagnie de nettoyage. Elle continue d’aider sa fille qui travaille en passant du temps avec lui de façon régulière. Elle cuisine et magasine pour lui. [Traduction] « Il dépend de moi ». Ce lien a été maintenu pendant la période au cours de laquelle l’intimé affirme qu’elle n’était pas résidente du Canada, soit entre 2001 et 2010. Elle a déclaré qu’elle entretient une relation affectueuse et continue avec ses enfants et ses petits-enfants. Sa maison est ici au Canada où sa famille est tout près. Quand, à l’occasion de ses séjours au Portugal avec son mari, elle a dû s’arranger avec des amis et sa fille pour qu’on s’occupe de son petit-fils.

Observations

[28] L’appelante a soutenu qu’elle est admissible à la pleine pension de la SV pour les motifs suivants :

  1. Elle considère le Canada comme étant son lieu de résidence et n’a pas changé sa situation depuis son arrivée il y a près de 45 ans.
  2. Elle passe plus de temps au Portugal maintenant (depuis qu’elle est retraitée) avec sa famille élargie, mais ne considère pas qu’il s’agit de sa [traduction] « résidence » permanente ou son pays.

[29] L’intimé a fait valoir que l’appelante n’est pas admissible à une pension d’invalidité pour les motifs suivants :

  1. L’appelante a été partie à une audience du tribunal de révision avec son mari en février 2008 concernant sa résidence au Canada. D’après la décision rendue par le Tribunal le 29 janvier 2009, l’intimé estime que la présente demande et l’audience relèvent de la doctrine de la chose jugée et conclut que sa résidence au Canada a été établie jusqu’à cette date vu la conclusion relative à son mari. Par conséquent, en date du 30 août 2001, il soutient que l’appelante a cessé d’être considérée comme résidente du Canada.
  2. La décision de 2009 du Tribunal était définitive et exécutoire et ne peut être changée ou modifiée et, par conséquent, la demande de prestations de sécurité de la vieillesse de l’appelante a été considérée comme provenant d’une personne non résidente, plutôt que par une citoyenne canadienne résidente.
  3. De nombreuses demandes ont été faites pour donner la possibilité à l’appelante de prouver qu’elle était retournée en permanence au Canada.
  4. L’appelante a produit des copies de factures de services publics qui démontrent qu’elle a commencé à payer certaines des dépenses de la maison de son fils, mais cela ne prouve pas la résidence.

Analyse

[30] L’appelante doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle est admissible à la pleine pension de SV qu’elle a demandée. L’intimé a choisi de la considérer comme une personne non résidente depuis 2001 aux fins de l’application de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et de son règlement.

[31] Le Tribunal doit garder à l’esprit que, dans le cas des personnes qui ont déjà établi leur résidence au Canada, le paragraphe 21(4) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse protège leur résidence en veillant à ce que les absences temporaires du pays n’interrompent pas leur résidence (paragraphe 21(4) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse).

[32] Le Tribunal accepte la preuve selon laquelle, en 2001, les X ont vendu la maison qu’ils possédaient depuis de nombreuses années. L’appelante a cessé de travailler à l’âge de 56 ans et a fermé son entreprise de nettoyage. Elle a obtenu la citoyenneté canadienne et un passeport canadien. Elle a obtenu une carte d’identité du Portugal (délivrée en juillet 2001). Son mari et elle ont déménagé de façon temporaire dans l’appartement à l’étage inférieur du duplex de leur fils. Ils n’ont pas fait la mise à jour de leurs coordonnées auprès de l’annuaire téléphonique de X. Ils ont une famille élargie au Portugal, un compte bancaire au Portugal, et une pension (qui est versée au mari) dans un compte bancaire du Portugal. L’appelante a aidé à finaliser les successions de son père et de son frère au Portugal. Ces faits ont été confirmés et expliqués par l’appelante et son témoin, c’est-à-dire son mari.

[33] Le père Cabral a écrit une lettre dans laquelle il a indiqué que les X passaient la moitié de leur temps au Portugal. Le Tribunal n’accepte pas cette lettre comme étant un reflet fidèle des faits. La preuve de l’appelante clarifie cet énoncé. Les faits portant sur les heures de déplacement, les billets d’avion et les timbres de passeport jettent un doute sur l’affirmation.

Effet de la décision relative au mari de l’appelante

[34] Les décisions du tribunal de révision étaient définitives et exécutoires, tout comme le sont les décisions du Tribunal de la sécurité sociale. Il est donc nécessaire de tenir compte de l’argument de l’intimé selon lequel l’affaire dont est saisi le Tribunal ne doit pas être prise en considération en raison du principe judiciaire de la chose jugée, soit l’interdiction de réexaminer une affaire qui a déjà été jugée.

[35] Pour que la doctrine de la chose jugée s’applique, plusieurs facteurs doivent être respectés. La question en litige, les parties, la cause d’action, et la possibilité juste et entière de se faire entendre sur la question doivent toutes être présentes.

[36] Dans la décision de Chy Deuk (demandeur) et du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CanL11 60834 (CA CISR) – 2006-02-27, la Cour fédérale du Canada procède à un examen utile de ce principe appliqué par un autre tribunal dont la décision est « définitive et exécutoire ».

[37] Le 27 février 2006, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel d’une décision, semblable à une autre décision rendue, en raison du principe de la chose jugée. Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision. La notion juridique de la chose jugée a été adoptée pour empêcher que des parties soient victimes d’injustices lorsqu’une affaire est censée être terminée, mais peut-être surtout pour éviter le gaspillage inutile des ressources du système judiciaire. Le principe de la chose jugée n’empêche pas seulement que des jugements rendus subséquemment contredisent les jugements antérieurs, mais empêche aussi les parties au litige de multiplier les jugements et de semer la confusion.

[38] L’affaire Deuk a soulevé la question suivante : la SAI a-t-elle fait une erreur en concluant qu’il n'existait pas de circonstances exceptionnelles justifiant la non-application du principe de la chose jugée?

[39] La Cour a invoqué des arrêts de la Cour suprême du Canada dans lesquels sont énoncés trois critères essentiels à l’application de la doctrine de la chose jugée. La décision rendue par la SAI dans le premier appel était finale, les parties étaient les mêmes et la question était la même. Le demandeur a fait valoir que même si toutes les conditions d’application du principe de la chose jugée étaient réunies dans cette affaire, la doctrine ne doit pas s’appliquer s’il existe des circonstances spéciales (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44 (CanLII), [2001] 2 R.C.S. 460, et Apotex Inc. c. Merck & Co., 2002 CAF 210 (CanLII), [2003] 1 C.F. 242). Le demandeur a aussi soutenu que la Cour suprême du Canada avait conclu dans l’arrêt Danyluk que la doctrine de la chose jugée ne s’applique pas de façon mécanique.

[40] Dans la décision de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, Campbell and the Minister of Community Services (Hfx No. 272059), 3 juin 2009, contrôle judiciaire d’une décision du Assistance Appeal Board, la question préliminaire était de savoir si la doctrine de la chose jugée s’appliquait.

[41] Mme Campbell a demandé au ministère des Services communautaires de lui fournir une aide en raison de [traduction] « besoins spéciaux » afin de payer sa marihuana à des fins médicales. Le ministère a rejeté sa demande et l’Assistance Appeal Board (la « Commission ») a confirmé le refus dans une décision rendue en 2005. La demanderesse a ensuite fourni des renseignements supplémentaires; le ministère n’a pas modifié sa conclusion et la Commission a rejeté le deuxième appel en 2006. Mme Campbell a demandé le contrôle judiciaire de la décision de 2006 de la Commission et la Cour a soulevé la question préliminaire de savoir si la Commission avait compétence pour entendre le deuxième appel ou si le principe de la chose jugée l’empêchait de le faire. Le juge John D. Murphy a défini la question à trancher en posant la question suivante : le deuxième appel dont est saisie la Commission constitue-t-il une chose jugée, de sorte que l’instance de contrôle judiciaire ne devrait pas se poursuivre? La Cour a refusé de conclure que l’affaire était chose jugée devant la deuxième Commission et a conclu que le contrôle judiciaire pouvait se poursuivre. La Cour a conclu que le principe de la chose juge s’appliquait aux questions administratives :

[42] [Traduction] « Les conditions à remplir avant d’appliquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (chose jugée) sont que la même question doit être à décider, la décision invoquée comme création la préclusion doit être finale et les parties à l’instance sont les mêmes. Dès que les conditions préalables sont établies, l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou de la chose juge est discrétionnaire et le pouvoir discrétionnaire est étendu en ce qui a trait aux décisions des tribunaux administratifs. »

[43] L’argument de l’intimé qui découle de la décision du tribunal de révision lui-même présente plusieurs problèmes. D’abord, il ne ressort pas clairement de la décision que les questions soulevées dans la présente demande sont les mêmes que celle dans laquelle le mari de l’appelante a été déclaré ne pas être résident du Canada entre août 2001 et février 2003. Le tribunal de révision ne disposait pas de certains des éléments de preuve produits qui aident le Tribunal à mieux comprendre la nature de la situation de la famille aux dates pertinentes.

[44] Le Tribunal sait que le 29 janvier 2009, Mme E. S. a été mise en cause dans une audience du tribunal de révision (TR). L’une des questions à trancher était le statut de la résidence de son mari au Canada. L’intimé soutient que, selon la décision du tribunal de révision dans cette affaire, il a été conclu que sa résidence au Canada (celle de l’appelante) a été établie comme étant du 19 avril 1968 au 30 août 2001. Après lecture de la décision, le Tribunal n’est pas de cet avis. La décision porte principalement sur C. S. même si le tribunal de révision fait référence à l’appelante seulement pour la période d’août 2001 à février 2003.

[45] La décision n’indique pas clairement comment l’appelante était d’une quelconque façon associée à la demande de son mari. La décision ne fait aucune mention de la nature de l’appel par la mise en cause. En fait, rien n’indique pourquoi elle a été mise en cause dans cette instance. On fait référence à elle dans la décision, mais rien n’indique qu’elle a eu l’occasion de témoigner et, dans l’affirmative, la pertinence que pouvait avoir cette preuve sur la question dont le Tribunal est saisi.

[46] Après examen de la preuve du mari ou du mari et de l’épouse dans le contexte de son témoignage, une conclusion est faite en ces termes :

[traduction]

« […] le Tribunal de révision n’est pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que les S. ont résidé au Canada pendant la période d’août 2001 à février 2003 (quand monsieur C. S. a eu 65 ans) ». (Paragraphe 55)

[47] Plus loin dans la décision, il est souligné que monsieur C. S. n’était pas résident du Canada à son 65e anniversaire. Cette référence exclut toute mention de la question de la résidence de Mme E. S. et ne porte certainement pas sur les questions dont est saisi le Tribunal concernant la période se terminant en 2010.

[48] Cette conclusion contradictoire concernant la demande de prestations semblables présentée par le mari de l’appelante doit être séparée des questions concernant l’appelante. Il serait tout à fait injuste d’empêcher l’appelante de témoigner ou de répondre aux questions soulevées par l’intimé seulement en raison de références indirectes à sa situation dans l’affaire de son mari.

[49] Dans la décision de la Cour fédérale Roger J. Duncan c. Procureur général du Canada, 2013 CF 319 (CanL11) – 27 mars 2013, l’honorable juge de Montigny a souligné ce qui suit :

« […] le tribunal [de révision] est tenu d’examiner toute la situation du particulier et, tout comme un demandeur ne peut établir sa résidence en se fondant exclusivement sur ses intentions, le demandeur ne peut nier sa résidence si les faits démontrent le contraire ».

[50] Dans cette affaire, la question portait, en partie, sur le demandeur qui avait admis ne pas être résident du Canada aux fins de l’impôt sur le revenu, mais qui était toujours admissible à des prestations de SV.

[51] En l’espèce, le tableau d’ensemble est simplement examiné dans le contexte d’une personne qui n’a jamais abandonné sa résidence sur le fondement d’une demande d'acte de naissance au Portugal. Dans le cas de personnes qui ont déjà établi leur résidence au Canada, le paragraphe 21(4) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse protège leur résidence en veillant à ce que des absences temporaires du pays n’interrompent pas leur période de résidence.

[52] Le Tribunal est convaincu que l’argument fondé sur le principe de la chose jugée ne peut être retenu et que l’affaire avait été tranchée de manière adéquate selon les faits qui lui sont propres. L’exigence de l’équité procédurale exige du Tribunal qu’il statue sur l’affaire de l’appelante sur son propre fondement.

Indices de résidence

[53] Il a été déterminé à maintes occasions que la question de la résidence est une question mixte de fait et de droit qui relève plus des faits que du droit (voir la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Ding, 2005 CF 76 (CanLII) [Ding], par. 58 à 60; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Chhabu, 2005 CF 1277 (CanLII), par. 23 et 24).

[54] « Le critère juridique applicable en matière de résidence comporte un aspect factuel substantiel », comme l’observe la juge Sharlow dans l’arrêt La Reine c. Laurin, 2008 CAF 58 (CanLII), 2008 DTC 6175. [traduction] « Il a été souvent souligné que la décision quant au lieu ou aux lieux où réside l’intéressé dépend des faits particuliers de l’affaire »; telle est l’observation du juge Cartwright dans l’arrêt Beament v. Minister of National Revenue, 1952 CanLII 56 (SCC),[1952] 2 S.C.R. 486, 52 DTC 1183, laquelle est citée par le juge en chef Bowman dans la décision Laurin c. La Reine,2006 CCI 634 (CanLII), 2007 DTC 236. [(Angl) (CCI) [Procédure générale].

[55] L’attribution à l’appelante d’une pleine pension ou d’une pension partielle de SV dépend de la détermination de sa résidence continue, le cas échéant, au Canada, entre 2001 et 2010. Comme nous l’avons énoncé plus haut, la LSV définit la résidence comme suit : « une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada » (alinéa 21(1)a)).

[56] Dans son témoignage, l’appelante a décrit la mosaïque d’une vie passée avec un pied dans chacun des deux pays. Il ne fait aucun doute qu’elle a fait le choix en 1968 de venir au Canada, d’apprendre sa langue, d’élever une famille, de contribuer à son économie et d’obtenir éventuellement la citoyenneté canadienne. Après avoir pris sa retraite, il ne fait aucun doute qu’elle a partagé son temps entre sa famille, ses amis et ses activités dans les deux pays et, au cours des dernières années, a passé plus de temps au Portugal comme la retraite et les ressources le lui permettaient.

[57] Il n’est pas contesté que l’appelante est admissible à au moins une pension partielle de SV, qu’elle était résidente ou non du Canada au moment de la demande, comme il a été convenu qu’elle compte au moins 20 ans de résidence au Canada après l’âge de 18 ans. Le Tribunal est convaincu que l’appelante a résidé au Canada pendant au moins 33 ans (soit de 1967 au 30 août 2001). La question que doit trancher le Tribunal est de savoir si elle a abandonné ou non sa résidence au Canada.

[58] L’appelante a présenté une demande une pension de SV en janvier 2010 en se servant de l’adresse de son fils à X. Comme la preuve l’indique et comme l’accepte le Tribunal, le duplex du boulevard X a été acheté principalement avec le produit de la vente de la résidence des S. Même s’il était au nom du fils à l’époque, il ne l’est plus. Dès le début, l’appelante et son mari ont payé certaines dépenses qui sont habituellement considérées comme étant les coûts d’entretien d’une résidence. Les factures d’électricité, de taxes, toutes payées au nom du fils (au début) démontrent un lien concret avec l’immeuble et un style de vie, notamment des liens continus avec des amis, une église, un club portugais et la famille.

[59] Ces nombreux faits mènent à la conclusion selon laquelle l’appelante a résidé au Canada jusqu’à son 65e anniversaire.

[60] Le Tribunal prend note de l’argument de l’appelante qui fait référence à ses récents séjours annuels au Portugal comme s’il s’agissait de la migration annuelle des [traduction] « retraités migrateurs » de X vers la Floride. Des milliers de Canadiens le font et prennent soin de ne pas dépasser la limite d’absence de six mois.

[61] Dans l’affaire Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Ding, 2005 CF 76 (CanLII) [Ding], aux paragraphes 58 à 60, le juge Russell conclut que la résidence est une question de fait qui requiert l’examen de toute la situation de la personne concernée et que le fait de se fonder sur les « intentions évidentes » du demandeur à l’exclusion d’autres facteurs de l’affaire qui auraient pu conduire à une conclusion contraire constitue une erreur susceptible de révision. Pour en arriver à cette conclusion, il cite le paragraphe 8 de la décision Schujahn c. Canada (Ministre du Revenu national), [1962] C. de l’É. 328 (QL) :

[TRADUCTION] « Il est un principe très bien établi, en ce qui concerne la question de la résidence, qu'il s'agit d'une question de fait, et par conséquent que les circonstances de chaque espèce doivent être examinées attentivement pour voir si elles sont englobées par les éléments variables et très divers de l'expression « réside ordinairement » ou du mot « résident ». Ce n'est pas, comme dans les règles du domicile, le lieu d'origine d'une personne ou le lieu où elle entend retourner. Un changement de domicile dépend de l'intention de l'intéressé. Un changement de résidence dépend de faits qui échappent à sa volonté ou à ses voeux. La durée du séjour ou le temps de présence dans le pays, bien que ce soit un élément à considérer, n'est pas toujours concluant. La présence personnelle pendant quelque temps durant l'année, soit de la part du mari soit de la part de l'épouse et de la famille, est sans doute essentielle pour établir la résidence dans le pays. Un lieu de résidence [page 332] ailleurs peut n'être d'aucune importance puisqu'une personne peut avoir plusieurs lieux de résidence du point de vue fiscal, et le mode de vie, la durée du séjour ainsi que le motif de sa présence dans le pays pourraient annuler sa période de résidence en dehors du pays. Même la permanence du lieu de résidence n'est pas essentielle puisqu'une personne peut être résidente même si elle voyage constamment et, dans un tel cas, le statut peut être acquis en raison du lien établi par naissance, par mariage ou par une association antérieure de longue date avec un endroit. Une résidence forcée pourrait même conférer le statut de résident. »

[62] Le Tribunal a conclu que l’appelante a livré un témoignage franc et crédible, ce qui a été fait en l’absence de son mari (qui a été exclu de la salle d’audience pendant qu’elle témoignait). Elle n’a pas semblé du tout évasive et a répondu à des questions directes de manière spontanée afin de brosser un tableau complet et d’illustrer le contexte de son style de vie et de ses activités, de ses liens au Canada et avec sa famille et de donner des explications quant à ses séjours dans le pays où elle est née. Le Tribunal ne remet pas en cause sa crédibilité.

[63] Compte tenu de l’ensemble de son témoignage et des faits corroborants (fournis plus tard au cours de l’audience par son mari), y compris la volumineuse preuve visant à appuyer sa résidence au Canada, le Tribunal estime que son pied au Canada appui largement une conclusion de résidence ininterrompue au Canada. Après avoir examiné tous les éléments de preuve écrits et oraux, le Tribunal est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante a résidé au Canada d’août 2001 à mars 2010 (lorsque l’appelante a eu 65 ans). Le Tribunal a tenu compte de l’ensemble de la preuve écrite et orale et est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante a continué de résider au Canada et résidait au Canada au cours de l’année précédant son 65e anniversaire.

[64] 3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, la pleine pension est payable aux personnes suivantes :

[…]

b) celles qui, à la fois :

  1. (i) sans être pensionnées au 1er juillet 1977, avaient alors au moins vingt-cinq ans et résidaient au Canada ou y avaient déjà résidé après l’âge de dix-huit ans, ou encore étaient titulaires d’un visa d’immigrant valide,
  2. (ii) ont au moins soixante-cinq ans,
  3. (iii) ont résidé au Canada pendant les dix ans précédant la date d’agrément de leur demande, ou ont, après l’âge de dix-huit ans, été présentes au Canada, avant ces dix ans, pendant au moins le triple des périodes d’absence du Canada au cours de ces dix ans tout en résidant au Canada pendant au moins l’année qui précède la date d’agrément de leur demande;

[65] Comme elle a continué de résider au Canada, elle a droit de recevoir une pleine pension de SV (40/40e) en vertu de l’alinéa 3(1)b) de la LSV.

Conclusion

[66] L’appelante est admissible à une pleine pension de la SV en vertu de l’alinéa 3(1)b).
L’appel est accueilli.

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