Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Motifs et décision

Comparutions

D. J., représentant de l’appelant

Contexte

[1] L’appelant a présenté une demande de pension de la sécurité de la vieillesse (la SV) le 2 mars 1989 (pièces GD8-1 à 2). En juillet 1989, l’intimé a indiqué à l’appelant qu’il lui accordait une pleine pension (40/40e) à compter de novembre 1989. Le 11 avril 2012, l’intimé a informé l’appelant qu’il rajustait le montant de la pension à 25/40e et lui a réclamé un trop-perçu totalisant 44 192,70 $ pour la période allant de novembre 1989 à mars 2012 (GD3-15 à 17). À compter d’août 2012, l’intimé a commencé à retenir un pourcentage du montant de la pension de la SV de l’appelant afin de recouvrer le trop-perçu allégué. L’appelant a demandé à l’intimé de réviser cette décision. Le 17 juin 2013, l’intimé a rendu une décision de révision, confirmant la décision initiale de réclamer le recouvrement d’un trop-perçu; toutefois, il a réduit de moitié le montant à recouvrer, qui est passé de 44 192,70 $ à 22 096,35 $. L’intimé a indiqué qu’il poursuivrait le recouvrement du trop-perçu allégué en retenant un pourcentage du montant de la pension de la SV de l’appelant à compter d’octobre 2013.

[2] Le 4 septembre 2013, l’appelant a interjeté appel de cette décision devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal).

[3] Cet appel a été instruit par téléconférence pour les raisons suivantes :

  • Le mode d’audience est celui qui permet le mieux à plusieurs participants d’assister;
  • Il manque de l’information au dossier ou il est nécessaire d’obtenir des clarifications;
  • Le mode d’audience est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[4] Le représentant de l’appelant a confirmé lors de l’audience qu’il était autorisé à participer à l’audience et à présenter des observations en l’absence de l’appelant. Au cours de l’audience, le représentant de l’appelant a examiné et expliqué les observations écrites de l’appelant qui figuraient au dossier d’appel, en plus de formuler d’autres observations de vive voix.

Appel

Questions en litige

[5] La première question à trancher est celle de savoir si l’appelant est admissible à une pleine pension de la SV.

[6] Si l’appelant n’est pas admissible à une pleine pension de la SV, et compte tenu qu’il a touché une pension de la SV au taux de la pleine pension, la deuxième question à trancher est celle de savoir si, dans les circonstances, l’intimé peut recouvrer un trop-perçu de la pension de la SV auprès de l’appelant.

Droit applicable

[7] En ce qui concerne la question de l’admissibilité à une pension de la SV, les dispositions de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV) les plus pertinentes sont les suivantes.

Pleine pension

  1. 3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, la pleine pension est payable aux personnes suivantes :
  2. a) celles qui avaient la qualité de pensionné au 1er juillet 1977;
  3. b) celles qui, à la fois :
  4. (i) sans être pensionnées au 1er juillet 1977, avaient alors au moins vingt-cinq ans et résidaient au Canada ou y avaient déjà résidé après l’âge de dix-huit ans, ou encore étaient titulaires d’un visa d’immigrant valide,
  5. (ii) ont au moins soixante-cinq ans,
  6. (iii) ont résidé au Canada pendant les dix ans précédant la date d’agrément de leur demande, ou ont, après l’âge de dix-huit ans, été présentes au Canada, avant ces dix ans, pendant au moins le triple des périodes d’absence du Canada au cours de ces dix ans tout en résidant au Canada pendant au moins l’année qui précède la date d’agrément de leur demande.

Pension partielle

  1. 3. (2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, une pension partielle est payable aux personnes qui ne peuvent bénéficier de la pleine pension et qui, à la fois :
  2. a) ont au moins soixante-cinq ans;
  3. b) ont, après l’âge de dix-huit ans, résidé en tout au Canada pendant au moins dix ans mais moins de quarante ans avant la date d’agrément de leur demande et, si la période totale de résidence est inférieure à vingt ans, résidaient au Canada le jour précédant la date d’agrément de leur demande.

[8] L’article 8 de la Loi sur la SV porte sur le service de la pension :

Service de la pension

Premier versement

  1. 8. (1) Le premier versement de la pension se fait au cours du mois qui suit l’agrément de la demande présentée à cette fin; si celle-ci est agréée après le dernier jour du mois de sa réception, l’effet de l’agrément peut être rétroactif au jour – non antérieur à celui de la réception de la demande – fixé par règlement.

[9] En vertu du paragraphe 3(4) de la Loi sur la SV, pour établir le montant de la pension partielle, le nombre total d’années de résidence est arrondi au chiffre inférieur.

[10] L’article 5 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse (Règlement sur la SV) traite de l’agrément d’une demande de pension de la SV :

Agrément d’une demande de pension

  1. 5. (1) Sous réserve du paragraphe (2), lorsque le ministre :
  2. a) est convaincu qu’un demandeur est admissible à une pension selon les articles 3 à 5 de la Loi,
  3. b) agrée la demande après le dernier jour du mois au cours duquel elle a été reçue, l’agrément prend effet à celle des dates suivantes qui est postérieure aux autres :
  4. c) la date de réception de la demande,
  5. d) la date à laquelle le demandeur est devenu admissible à une pension selon les articles 3 à 5 de la Loi;
  6. e) la date indiquée par écrit par le demandeur.

[11] L’article 20 du Règlement sur la SV traite de la question de la résidence au Canada :

Résidence

  1. 20. (1) Pour permettre au ministre d’établir l’admissibilité d’une personne, quant à la résidence au Canada, la personne ou quelqu’un en son nom doit présenter une déclaration contenant les détails complets de toutes les périodes de résidence au Canada et de toutes les absences de ce pays se rapportant à cette admissibilité.

[12] L’article 21 du Règlement sur la SV établit une distinction entre une personne qui réside au Canada et une personne qui est présente au Canada :

  1. 21. (1) Aux fins de la Loi et du présent règlement,
  2. a) une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada; et
  3. b) une personne est présente au Canada lorsqu’elle se trouve physiquement dans une région du Canada.

[13] L’alinéa 21(4)a) du Règlement sur la SV énonce que lorsqu’une personne qui réside au Canada s’absente du Canada et que son absence est temporaire et ne dépasse pas un an, cette absence est réputée n’avoir pas interrompu la résidence ou la présence de cette personne au Canada.

[14] En vertu de l’article 23 du Règlement sur la SV, l’intimé peut exiger en tout temps qu’un demandeur de la SV fournisse d’autres renseignements :

  1. 23. (1) Le ministre peut, avant ou après l’agrément d’une demande ou après l’octroi d’une dispense, exiger que le demandeur, la personne qui a fait la demande en son nom, le prestataire ou la personne qui touche la pension pour le compte de ce dernier, selon le cas, permette l’accès à des renseignements ou des éléments de preuve additionnels concernant l’admissibilité du demandeur ou du prestataire à une prestation.

[Je souligne.]

[15] L’article 37 de la Loi sur la SV porte sur la restitution de prestations auxquelles on n’a pas droit, ou d’un trop-perçu :

Obligation de restitution

  1. 37. (1) Le trop-perçu – qu’il s’agisse d’un excédent ou d’une prestation à laquelle on n’a pas droit – doit être immédiatement restitué, soit par remboursement, soit par retour du chèque.

Recouvrement du trop-perçu

  1. (2) Le trop-perçu constitue une créance de Sa Majesté dont le recouvrement peut être poursuivi en tout temps à ce titre devant la Cour fédérale ou tout autre tribunal compétent, ou de toute autre façon prévue par la présente loi.

[Je souligne.]

[16] L’article 222 de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) prévoit que les taxes, intérêts, pénalités ou autres sommes exigibles sous le régime de la loi sont des créances de Sa Majesté et sont recouvrables à ce titre devant la Cour fédérale ou devant tout autre tribunal compétent ou de toute autre manière prévue par la présente loi.

[17] Le paragraphe 37(4) de la Loi sur la SV énonce les situations dans lesquelles l’intimé peut, à sa discrétion, faire remise de tout ou partie des montants versés indûment (ou en excédent, comme dans le cas d’un trop-perçu) :

Remise

  1. (4) Malgré les paragraphes (1), (2) et (3), le ministre peut, sauf dans les cas où le débiteur a été condamné, aux termes d’une disposition de la présente loi ou du Code criminel, pour avoir obtenu la prestation illégalement, faire remise de tout ou partie des montants versés indûment ou en excédent, s’il est convaincu :
  2. a) soit que la créance ne pourra être recouvrée dans un avenir suffisamment rapproché;
  3. b) soit que les frais de recouvrement risquent d’être au moins aussi élevés que le montant de la créance;
  4. c) soit que le remboursement causera un préjudice injustifié au débiteur;
  5. d) soit que la créance résulte d’un avis erroné ou d’une erreur administrative survenus dans le cadre de l’application de la présente loi.

[18] L’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (la LRCÉCA) énonce ce qui suit :

  1. 32. Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.

[Je souligne.]

[19] L’article 44.1 de la Loi sur la SV porte sur les pénalités. Cette disposition prévoit notamment un délai de prescription de cinq ans. Voici le libellé de l’article 44.1 en entier :

Pénalités

  1. 44.1 (1) S’il prend connaissance de faits qui, à son avis, démontrent qu’une personne a commis l’un des actes ou omissions ci-après, le ministre peut lui infliger une pénalité pour chacun de ces actes ou omissions :
  2. a) à l’occasion notamment d’une demande, faire sciemment une affirmation ou une déclaration qu’elle sait être fausse ou trompeuse;
  3. a.1) omettre sciemment de corriger toute inexactitude concernant les renseignements fournis par le ministre tel que requis par les paragraphes 5(6), 11(3.3), 15(2.4), 19(4.05) ou 21(4.3);
  4. b) à l’occasion notamment d’une demande, faire une affirmation ou une déclaration qu’elle sait être fausse ou trompeuse, en raison de la dissimulation de certains faits;
  5. c) omettre sciemment de déclarer au ministre tout ou partie de son revenu;
  6. d) recevoir ou obtenir, notamment par chèque, une prestation au bénéfice de laquelle elle sait qu’elle n’est pas admissible ou une somme qu’elle sait excéder la prestation à laquelle elle est admissible et omettre de retourner la prestation ou le trop-perçu sans délai;
  7. e) participer, consentir ou acquiescer à la commission de tout acte ou omission visé à l’un ou l’autre des alinéas a) à d).

But de la pénalité

  1. (1.1) La pénalité est destinée à encourager l’observation de la présente loi et non à punir.

Montant maximal

  1. (2) Le montant maximal de la pénalité que peut fixer le ministre pour chaque acte ou omission est de 10 000 $.

Limite

  1. (3) La pénalité ne peut être infligée à une personne si une poursuite pénale est engagée contre elle ou si plus de cinq ans se sont écoulés depuis que le ministre a été informé de l’acte ou de l’omission.

Modification ou annulation de la décision

  1. (4) Le ministre peut réduire la pénalité infligée en vertu du paragraphe (1) ou annuler la décision qui l’inflige dans l’un ou l’autre des cas suivants :
  2. a) il est saisi de faits nouveaux;
  3. b) il est convaincu que la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou qu’elle est fondée sur une erreur relative à un tel fait;
  4. c) il est convaincu que la pénalité ne pourra être recouvrée dans un avenir suffisamment rapproché ;
  5. d) il est convaincu que le paiement causerait un préjudice injustifié au débiteur.

Observations

[20] Le représentant de l’appelant soutient ce qui suit :

  1. L’appelant répondait aux critères de l’admissibilité à une pleine pension de la SV lorsqu’il a présenté sa demande de pension en 1989.
  2. Subsidiairement, si l’appelant n’était pas admissible à une pleine pension de la SV, il est déraisonnable d’exiger la restitution d’un trop-perçu allégué qui remonte à plus de 22 ans. La lettre adressée à l’appelant par l’intimé en juillet 1989 n’indiquait pas que l’appelant était inadmissible à une pleine pension de la SV, ce qui a amené l’appelant à tirer la conclusion raisonnable qu’il demeurait admissible à une pleine pension de la SV. À nouveau en décembre 1989, l’appelant a demandé à l’intimé s’il était admissible à une pleine pension de la SV. Comme l’intimé n’a rien fait qui indiquerait le contraire, cela a conforté l’appelant dans sa présomption qu’il demeurait admissible à une pleine pension de la SV. Par conséquent et dans ces circonstances, le fait que l’intimé exige la restitution d’un trop-perçu après plus de 22 années d’inaction enfreint l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (LRCÉCA). Outre la LRCÉCA, la Loi sur la prescription des actions de l’Ontario et la Loi de l’impôt sur le revenu donnent à penser que l’exigence de restitution d’un trop-perçu après la survenue du fait générateur, ce que l’intimé invoque au titre de l’article 37 de la Loi sur la SV, est assujettie à un délai de prescription raisonnable. En résumé, en juillet 1989 l’intimé savait que l’appelant était inadmissible à une pleine pension de la SV (si cela s’avère), mais il a continué de lui verser une pleine pension comme si l’appelant y était admissible. Le fait générateur aux fins du recouvrement du trop-perçu (si ce trop-perçu s’avère) et le délai de prescription pour ce fait générateur devraient donc commencer à courir à compter de juillet 1989. Toutefois, ce n’est qu’en avril 2012 que l’intimé a entrepris des démarches pour recouvrer le trop-perçu (si ce trop-perçu s’avère).
  3. Un trop-perçu antérieur à 1995 est prescrit. Par conséquent, l’intimé ne peut pas recouvrer le trop-perçu allégué pour la période allant de novembre 1989 à décembre 1994.
  4. Un renversement du fardeau de la preuve devrait s’appliquer en l’espèce, de sorte que ce soit l’intimé qui doive prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est habilité à recouvrer un trop-perçu allégué. L’intimé a omis de prouver de façon adéquate que l’appelant est inadmissible à une pleine pension de la SV. Au lieu de cela, l’intimé n’a présenté qu’une brève explication pour étayer sa prétention relative à un trop-perçu.
  5. L’intimé utilise une formulation semblable à celle figurant à l’article 44.1 de la Loi sur la SV pour laisser entendre qu’il inflige à l’appelant une pénalité en recouvrant un trop-perçu allégué. L’intimé ne cite toutefois pas explicitement cette disposition car, apparemment, il ne pourrait réclamer que 10 000 $ comme montant maximal de la pénalité et serait assujetti à un délai de prescription de cinq ans. Quoi qu’il en soit et peu importe que l’intimé s’appuie de façon directe ou indirecte sur l’article 44.1, l’appelant n’a pas enfreint cette disposition ni l’alinéa 44.1(1)d) en particulier. En aucun moment l’appelant n’a su qu’il était inadmissible à une pleine pension (le cas échéant). L’inadmissibilité est rejetée.

[21] L’intimé soutient que l’appelant ne satisfait pas à l’exigence concernant la durée de résidence pour pouvoir être admissible à la pleine pension de la SV, qui est de 40 ans en application du paragraphe 3(1) de la Loi sur la SV. Étant donné que le montant de la pleine pension a erronément été versé à l’appelant de novembre 1989 à mars 2012, il en a résulté un trop-perçu que l’intimé peut recouvrer en tout temps en vertu du paragraphe 37(2) de la Loi sur la SV, qui (outre le Règlement sur la SV) est la seule loi régissant l’intimé. L’intimé reconnaît que grâce aux deux lettres que l’appelant lui avait fait parvenir en 1989 il savait que ce dernier s’était établi en Australie et qu’il n’était donc pas admissible à recevoir une pleine pension; toutefois, estimant que l’appelant devrait assumer une certaine part de responsabilité pour le trop-perçu puisqu’il a laissé l’intimé continuer de lui verser la pleine pension, l’intimé a réduit de moitié le montant initial du trop-perçu.

Preuve

[22] Les principaux éléments de preuve dans cet appel ne sont pas contestés, pour la plupart. L’appelant est né en Australie le 3 octobre 1924; il a atteint l’âge de 65 ans le 3 octobre 1989. Il a résidé au Canada pendant 25 ans, de juillet 1953 à août 1956 puis d’août 1966 jusqu’à « présent » (la date à laquelle il a présenté une demande de pension de la SV est mars 1989). De mars à juillet 1989, l’appelant a séjourné en Australie muni d’un visa de visiteur et à titre de résident canadien.

[23] De mars à juillet 1989, l’appelant entretenait des liens plus nombreux et plus forts avec le Canada qu’avec l’Australie. Il [traduction] « conservait sa protection du régime d’Assurance-santé de l’Ontario [Ontario Health Insurance Plan]; il demeurait membre de plusieurs organisations professionnelles […]; il avait de nombreux liens sociaux à X […] et il conservait des liens économiques par l’intermédiaire d’une société de services conseils en géologie et exploitation minière basée à X, dont il était propriétaire et administrateur principal […] De plus, il était détenteur d’un passeport canadien, dont il se servait pour voyager […] sa citoyenneté et son passeport australiens avaient été révoqués au début des années 1970 […] Pour pouvoir séjourner en Australie, il lui fallait, comme tout autre visiteur non-résident de ce pays, obtenir un visa d’entrée. […] [L’appelant] n’avait pas de liens de résidence importants en Australie. Il demeurait à une adresse temporaire dans un logement qu’il louait, et il n’était propriétaire d’aucun bien foncier ou immobilier, de meubles, de voiture ou d’entreprise; de même, il n’avait pas de permis de conduire australien, ne touchait pas de pension de l’Australie, ne bénéficiait pas de régimes d’assurance australiens pour soins de santé et soins dentaires et n’était membre d’aucun organisme professionnel australien […] » (GD3-6 à 7).

[24] Le 11 juin 1989 l’appelant a adressé une lettre à l’intimé, l’informant qu’il allait résider de façon permanente en Australie et indiquant que, ce faisant, il se pouvait qu’il se prive ainsi de la pleine pension de la SV en faveur d’une pension partielle. L’intimé a reçu cette lettre et, le 5 juillet 1989, a indiqué à l’appelant que s’il décidait éventuellement de revenir au Canada, il devrait alors communiquer avec l’intimé. L’appelant s’est vu accorder une pleine pension à compter de novembre 1989. Le 9 décembre 1989, l’appelant a demandé que sa pension soit versée directement dans son compte de banque et, de nouveau, a reconnu qu’il se pouvait qu’il ne soit pas admissible au montant de la pleine pension, compte tenu qu’il résidait en Australie.

[25] Entre janvier 1992 et janvier 2012, l’intimé a reçu de l’appelant neuf formulaires de déclaration pour les bénéficiaires de la SV qui sont à l’étranger, dans lesquels il confirmait que son nom et son adresse australienne étaient exacts. L’intimé envoie ces formulaires aux pensionnés afin de s’assurer qu’ils continuent d’être admissibles à la pension et que leurs coordonnées au dossier sont exactes.

[26] L’intimé, par suite d’un examen du formulaire de déclaration le plus récent, daté du 31 janvier 2012, a informé l’appelant le 11 avril 2012 que le montant de la pleine pension de la SV lui était payé au lieu du montant d’une pension partielle (25/40e), ce qui occasionnait un trop-perçu. Le 17 juin 2013, l’intimé a fourni une révision de sa décision initiale (la décision de révision), dans laquelle il justifiait l’existence d’un trop-perçu; toutefois, à titre de concession pour n’avoir pas pris des mesures plus tôt pour recouvrer le trop-perçu, l’intimé a réduit le montant du trop-perçu à la moitié de ce qu’il avait initialement réclamé le 11 avril 2012.

Analyse

[27] Le Tribunal reconnaît l’argument de l’appelant voulant qu’il doit y avoir renversement du fardeau de la preuve lorsqu’un remboursement de trop-perçus allégués de prestations est exigé après que le prestataire a déjà reçu les prestations. Cependant, l’appelant fonde son argument sur une autre décision d’un tribunal de révision qui n’est pas contraignante pour le Tribunal de la sécurité sociale. Le Tribunal est lié par les décisions des tribunaux d’instance supérieure comme la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada (la Cour suprême). Or, la Cour fédérale a conclu que le fardeau de la preuve d’établir l’admissibilité à une pension de la SV incombe à l’appelant (De Carolis c. Canada (Procureur général), 2013 FC 366).

[28] De même, l’appelant s’appuie sur la décision d’un tribunal de révision, en faisant valoir qu’un trop-perçu antérieur à 1995 est frappé de prescription. Le Tribunal n’est pas lié par les décisions des tribunaux de révision. Cependant, le Tribunal examine ci-après l’argument relatif au délai de prescription fondé sur un jugement de la Cour suprême, sur lequel s’appuie également l’appelant.

Première question en litige : l’appelant était-il admissible à une pleine pension de la sécurité de la vieillesse?

[29] L’appelant soutient qu’il était admissible à une pleine pension lorsqu’il a présenté sa demande de pension, en 1989. Il se fonde sur l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la SV, qui est ainsi libellé :

  1. 3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, la pleine pension est payable aux personnes suivantes :
  2. b) celles qui, à la fois
  3. (i) sans être pensionnées au 1er juillet 1977, avaient alors au moins vingt-cinq ans et résidaient au Canada ou y avaient déjà résidé après l’âge de dix-huit ans, ou encore étaient titulaires d’un visa d’immigrant valide,
  4. (ii) ont au moins soixante-cinq ans
  5. (iii) ont résidé au Canada pendant les dix ans précédant la date d’agrément de leur demande, ou ont, après l’âge de dix-huit ans, été présentes au Canada, avant ces dix ans, pendant au moins le triple des périodes d’absence du Canada au cours de ces dix ans tout en résidant au Canada pendant au moins l’année qui précède la date d’agrément de leur demande.

[30] Dans l’affaire qui nous occupe, l’appelant n’était pas pensionné au 1er juillet 1977 mais il avait alors au moins 25 ans et résidait au Canada à ce moment là. Selon ces critères, il satisfaisait donc aux exigences du sous-alinéa 3(1)b)(i) de la Loi sur la SV. L’appelant avait atteint l’âge de 65 ans aux termes du sous-alinéa 3(1)b)(ii) de la Loi sur la SV. La question qui devient litigieuse a trait au troisième obstacle ou exigence au titre de l’alinéa 3(1)b), à savoir : l’appelant a-t-il résidé au Canada pendant les dix ans précédant la date d’agrément de sa demande (en application du sous-alinéa 3(1)b)(iii))?

[31] Concernant le présent appel, le Tribunal constate que la demande de l’appelant a été approuvée à compter d’octobre 1989, lorsqu’il a eu 65 ans, en application de l’alinéa 5(1)d) du Règlement sur la SV. Ce constat s’appuie sur le fait que le versement de la pension est entré en vigueur en novembre 1989, soit le mois suivant l’approbation, conformément au paragraphe 8(1) de la Loi sur la SV.

[32] En ce qui concerne l’exigence figurant au sous-alinéa 3(1)b)(iii) de la Loi sur la SV, l’appelant soutient qu’il a [traduction] « résidé au Canada » pendant les dix ans précédant la date d’agrément de sa demande (date qui correspond à octobre 1989, tel qu’établi précédemment). Il fonde son observation sur les liens plus forts qu’il entretenait avec le Canada par rapport à l’Australie, de mars à octobre 1989. L’appelant se fonde également sur l’alinéa 21(4)a) du Règlement sur la SV, qui énonce que lorsqu’une personne qui réside au Canada s’absente du Canada et que son absence est temporaire et ne dépasse pas un an, cette absence est réputée n’avoir pas interrompu la résidence ou la présence de cette personne au Canada.

[33] De son propre aveu, l’appelant était en Australie non pas sur une base temporaire mais sur une base permanente, selon sa lettre de juin 1989 (GD3-20). Pour ce motif, l’alinéa 21(4)a) du Règlement sur la SV ne l’aide pas à prolonger sa période de résidence au Canada, puisque cette disposition porte sur les absences de « nature temporaire ». Ceci étant, l’analyse de la question de la résidence n’est pas déterminée par le seul facteur relatif aux absences du Canada. De plus, l’intention d’une personne de résider ailleurs n’est pas pertinente dans l’analyse de la question de la résidence. À cet égard, l’appelant a un argument de poids lorsqu’il soutient qu’il résidait au Canada malgré qu’il était physiquement présent en Australie de mars 1989 jusqu’à l’approbation de sa demande de pension, en octobre 1989.

[34] Selon l’alinéa 21(1)a) du Règlement sur la SV, une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada.

[35] Dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Ding, 2005 CF 76 (« Ding »), la Cour fédérale a établi des facteurs à considérer pour déterminer si une personne a établi sa résidence au Canada et y vit habituellement. Voici ces facteurs :

  1. a) liens prenant la forme de biens mobiliers (comptes bancaires, entreprise, mobilier, automobile, carte de crédit);
  2. b) liens sociaux (adhésion à des organismes ou associations ou à un ordre professionnel);
  3. c) autres liens au Canada à caractère fiscal (assurance-maladie et assurance-hospitalisation, permis de conduire, relevés d’impôt foncier, dossiers publics, dossiers d’immigration et de passeport, dossier fiscaux provincial et fédéral);
  4. d) liens dans un autre pays;
  5. e) régularité et durée du séjour au Canada, ainsi que fréquence et durée des absences du Canada;
  6. f) mode de vie de l’intéressé, ou la question de savoir si l’intéressé est suffisamment établi au Canada.

[36] Les liens de l’appelant au Canada et en Australie entre mars et juillet 1989 sont décrits de la façon suivante :

[Traduction]

Pendant les quatre premiers mois où il séjournait à l’étranger, et au moins jusqu’au jour où sa demande de pension de la SV a été approuvée (à un moment donné entre le 2 mars et le 5 juillet 1989), il est demeuré un résident permanent du Canada. Cela en raison du fait que pendant ces quatre premiers mois passés à l’étranger – effectivement pendant plus que ces quatre mois – il a continué d’avoir des liens de résidence importants au Canada, tandis qu’au cours de la même période il n’avait que peu de liens de résidence importants en Australie. Voici quelques exemples de ses liens de résidence au Canada : il conservait une adresse résidentielle au X, avenue X, X (Ontario); il détenait et utilisait un permis de conduire de l’Ontario; il avait un compte-chèques, un compte d’épargne et une carte de crédit de la Banque de Montréal (au X de la rue X, à X) dont il continuait de se servir; il continuait de souscrire au régime de soins de santé et de soins dentaires par l’intermédiaire de son employeur (l’Université de X) et d’en bénéficier; il conservait sa protection du régime d’Assurance-santé de l’Ontario (Ontario Health Insurance Plan/OHIP); il demeurait membre de plusieurs organisations professionnelles (p. ex. l’association des professeurs de l’Université de X, la Geological Society of America); il avait de nombreux liens sociaux à X (amis, collègues, voisins, anciens étudiants), et il conservait des liens économiques par l’intermédiaire d’une société de services conseils en géologie et exploitation minière basée à X, dont il était propriétaire et administrateur principal.

De plus, pendant les quatre premiers mois où il séjournait à l’étranger il était détenteur d’un passeport canadien, dont il se servait pour voyager, étant donné que sa citoyenneté et son passeport australiens avaient été révoqués au début des années 1970 lorsqu’il avait obtenu la citoyenneté canadienne. Pour pouvoir séjourner en Australie, il lui fallait, comme tout autre visiteur non-résident de ce pays, obtenir un visa d’entrée. Le visa d’entrée qu’il a reçu le 7 mars 1989 du consulat australien indique qu’il peut faire de nombreux retours en Australie, ce qui indique clairement que le consulat reconnaissait que sa résidence permanente n’était pas en Australie. […].

De même, pendant les quatre premiers mois où il séjournait à l’étranger, et au moins jusqu’au jour où sa demande de pension de la SV a été approuvée (à un moment donné entre le 2 mars et le 5 juillet 1989), il n’avait pas de liens de résidence importants en Australie. Il demeurait à une adresse temporaire dans un logement qu’il louait, et il n’était propriétaire d’aucun bien foncier ou immobilier, de meubles, de voiture ou d’entreprise. De même, il n’avait pas de permis de conduire australien, ne touchait pas de pension de l’Australie, ne bénéficiait pas de régimes d’assurance australiens pour soins de santé et soins dentaires, n’était membre d’aucun organisme professionnel australien et n’avait aucun prêt ni aucune hypothèque en Australie, où il n’avait que très peu de liens sociaux. Il n’était alors pas établi de façon bien enracinée en Australie. Sa déclaration selon laquelle il avait décidé de s’établir de façon permanente en Australie, communiquée dans la lettre du 11 juin 1989 qu’il avait adressée au Programme de sécurité du revenu de Santé et Bien-être social Canada, constituait davantage un projet d’intention et un plan qu’une déclaration de sa situation de fait à ce moment là.

[Je souligne.]

(GD3-6 à 8)

[37] À l’audience, le représentant de l’appelant a fait valoir que ces liens sont demeurés tels que décrits ci-dessus jusqu’à l’automne 1989, ou jusqu’au moment où la demande a été approuvée en octobre 1989.

[38] Le Tribunal n’a été saisi d’aucun élément de preuve ni d’aucune observation qui contredirait la description que l’appelant a fournie de ses liens plus forts avec le Canada qu’avec l’Australie entre les mois de mars et d’octobre 1989. Par conséquent, et pour les motifs susmentionnés, le Tribunal est d’avis que la résidence canadienne de l’appelant n’a pas été interrompue entre mars et octobre 1989, alors qu’il était présent en Australie. Par conséquent, l’appelant avait résidé au Canada pendant les dix ans précédant la date d’agrément de sa demande, en octobre 1989, en application du sous-alinéa 3(1)b)(iii) de la Loi sur la SV.

[39] Le Tribunal conclut que la réponse à la première question en litige est affirmative. L’appelant satisfaisait aux exigences relatives à l’admissibilité à une pleine pension de la SV aux termes de l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la SV. Puisque l’appelant était admissible à une pleine pension et qu’il a touché le montant de la pension intégrale (40/40e) de novembre 1989 à mars 2012, aucun trop-perçu n’est dû à l’intimé. Par conséquent, toutes les sommes qui ont été retenues de la pension de l’appelant ou qui ne lui ont pas été versées en raison d’un trop-perçu allégué l’ont été sans que cela soit justifié.

[40] Dans la Loi sur la SV, il ne semble y avoir aucune disposition, que ce soit à l’article 37 ou ailleurs, permettant d’exiger que l’intimé rembourse les montants retenus ou non versés dans les circonstances. Le paragraphe 37(4) de la Loi sur la SV accorde à l’intimé, dans certains cas, le pouvoir discrétionnaire de faire remise à un prestataire de montants versés en excédent et qui ont entraîné un trop-perçu; toutefois, pour les motifs susmentionnés, il n’y a pas de trop-perçu dans cette affaire. Cette disposition ne s’applique pas ni ne permet d’obliger l’intimé à verser sans délai à l’appelant tout ou partie des montants qu’il a retenus ou qu’il ne lui a pas versés en raison du trop-perçu allégué. Le Tribunal se demande si l’intimé s’en remettra à sa politique interne ou à la présente décision pour ce faire.

Deuxième question en litige : advenant que l’appelant soit débouté relativement à la première question, l’intimé est-il habilité à recouvrer un trop-perçu dans les circonstances?

[41] Au cas où la conclusion du Tribunal relativement à la première question venait à être jugée incorrecte, le Tribunal tranche aussi la deuxième question dont il est saisi.

[42] Le Tribunal est d’avis que les arguments de l’appelant relativement à la deuxième question sont clairement énoncés. L’appelant a invoqué un précédent de la Cour suprême, qui s’est penchée sur la question de l’injustice qu’entraînerait toute disposition juridique permettant que l’État recouvre « en tout temps » des créances que lui doivent des personnes. Cet argument est explicité ci-après.

[43] À l’encontre des arguments de l’appelant, l’intimé fait valoir qu’il n’est lié que par la Loi sur la SV et qu’il peut, par conséquent, recouvrer un trop-perçu « en tout temps » conformément au paragraphe 37(2) de la Loi sur la SV.

[44] Avant d’évaluer les arguments opposés présentés par les parties, le Tribunal se penche sur l’argument de l’intimé selon lequel l’appelant devrait porter une partie de la responsabilité pour le retard à recouvrer le trop-perçu puisqu’il a laissé les versements se poursuivre alors qu’il savait qu’il n’était pas admissible à une pleine pension. Il s’agit là d’un argument sans fondement. L’appelant, en demandant une révision de la décision puis en interjetant appel de la décision auprès du Tribunal, a démontré qu’il n’acceptait pas l’allégation qu’il avait été payé en trop (se reporter à la demande de révision de l’appelant, à la pièce GD3-36, ainsi qu’à l’avis d’appel, aux pièces GD3-4 à 9). En ce qui concerne les lettres de 1989, il est exagéré de conclure que l’appelant « savait » qu’il n’était pas admissible à une pleine pension de la SV. En effet, lorsque l’appelant a soulevé dans ses lettres la notion qu’il pourrait se voir privé de la pleine pension (GD3-33) et, par la suite, qu’il pourrait ne pas être admissible à la pleine pension de la SV (GD3-26), la réponse qu’il a reçue de l’intimé par voie de lettre datée du 5 juillet 1989 ne faisait aucune mention de son inadmissibilité à une pleine pension de la SV (GD3-22) et d’ailleurs le montant de la pension intégrale lui a ensuite été versé pendant plus de vingt ans. L’appelant a continué à recevoir la pleine pension de la SV bien que celui-ci ait informé régulièrement l’intimé pendant cette période qu’il résidait en Australie. En résumé, après avoir examiné cette activité il est loin d’être clair que c’est en connaissance de cause que l’appelant touchait la pleine pension alors qu’il savait qu’il n’y était pas admissible. Bien au contraire, après que l’appelant ait soulevé directement auprès de l’intimé la question de son admissibilité à la pension intégrale, et après qu’il lui ait fourni de façon transparente et régulière confirmation qu’il résidait en Australie, la réponse et l’activité de l’intimé qui s’ensuivirent donnaient raisonnablement à penser à l’appelant qu’il était admissible à continuer de recevoir la pleine pension de la SV.

[45] Concernant les arguments relatifs à cette question en litige, le Tribunal présente ci-dessous d’autres arguments de l’appelant :

  1. La Loi sur la SV, à l’instar de toutes poursuites en matière de recouvrement auxquelles l’État est partie, est assujettie au délai de prescription de six ans prévu à l’article 32 of la LRCÉCA. La LRCÉCA étant une disposition d’application générale, elle s’applique par défaut à la Loi sur la SV, fixant un délai de prescription en matière de recouvrement de créances (en l’occurrence, le trop-perçu allégué).
  2. Dans cette affaire, le fait générateur a commencé au plus tard le 5 juillet 1989, date à laquelle l’intimé a accusé réception de la lettre de l’appelant datée du 11 juin 1989. Dans cette lettre de juin 1989, l’appelant informait l’intimé de ses projets de voyage et des circonstances concernant son lieu de résidence et de l’impact éventuel que cela pourrait avoir pour son admissibilité à la SV, qui pourrait passer d’une pleine pension à une pension partielle. Dans la lettre de réponse du 5 juillet 1989 qu’il a fait parvenir à l’appelant, l’intimé a accusé réception de sa lettre de juin et du changement d’adresse. En outre, dans une lettre datée du 9 décembre 1989 l’appelant a de nouveau informé l’intimé du changement relatif à son lieu de résidence et de son incapacité à retourner au Canada; l’appelant a encore informé l’intimé que cela pourrait entraîner une modification de son admissibilité, qui changerait d’une pleine pension à une pension partielle. De même, à de nombreuses occasions subséquentes l’appelant a fourni à l’intimé des déclarations remplies devant témoin indiquant qu’il résidait à l’étranger.
  3. En dépit du fait qu’il savait que l’appelant avait changé de lieu de résidence et que ce dernier l’avait informé que cela pourrait entraîner une modification de son admissibilité à la pleine pension, l’intimé n’a pris aucune mesure pour réviser et recalculer le montant de la pension, n’a entrepris aucune démarche pour recouvrer la créance alléguée et n’a pas même communiqué avec l’appelant à ce sujet pendant plus de vingt ans. Il est clair que l’intimé n’a pris aucune mesure pour réviser et recalculer le montant de la pension de la SV ni n’a communiqué avec l’appelant à ce sujet en vue de recouvrer le trop-perçu allégué, et ce, pendant les six années qui ont suivi le 5 juillet 1989, soit le délai de prescription à compter du fait générateur prévu par l’article 32 de la LRCÉCA pour intenter un recours en recouvrement de créance à l’encontre d’un particulier. Par conséquent, le recours entrepris par l’intimé en avril 2012 pour recouvrer trop-perçu allégué est éteint par l’expiration du délai de prescription de six ans à compter de la date à laquelle l’intimé a pris connaissance du fait que l’appelant changeait ses projets de voyage et que ce changement pourrait avoir une incidence sur son admissibilité à la pleine pension de la SV.
  4. L’analyse et les conclusions qui précèdent sont étayées par la Cour suprême dans Markevich c. Canada [2003] 1 R.C.S. 94 (Markevich). L’affaire Markevich concernait un contribuable ayant omis de payer des impôts fédéral et provincial pour les années d’imposition 1980 à 1985 selon les cotisations établies, en 1986, par Revenu Canada (actuellement l’Agence du revenu du Canada, ou l’ARC). L’ARC n’a cependant entrepris aucune mesure de recouvrement jusqu’en 1998. Dans l’arrêt Markevich, la Cour suprême a conclu que l’article 32 de la LRCÉCA étant une disposition d’application générale, il faut présumer que cet article s’applique par défaut à toutes les poursuites auxquelles l’État est partie (Markevich, paragraphe 11). La LRCÉCA s’applique aux recours engagés par la Couronne à l’encontre de sujets impliqués dans toute dette envers la Couronne, pas seulement des créances fiscales. Cela comprend les procédures auxquelles l’État est partie, comme les mesures de recouvrement prises en application de la loi qui permettraient à l’État d’obtenir le même résultat que celui qu’il pourrait obtenir par un recours judiciaire. En d’autres termes, l’article 32 de la LRCÉCA ne s’applique pas seulement dans le cas de procédures judiciaires : l’historique législatif de l’article 32 de la LRCÉCA appuie l’inférence que le législateur veut que cette disposition s’applique également aux procédures non judiciaires (Markevich, paragraphes 28, 35).
  5. Dans l’arrêt Markevich (paragraphe 11), la Cour suprême a également conclu que seule une disposition expresse ou implicite « contraire » d’une loi fédérale peut restreindre l’application des dispositions en matière de prescription énoncées à l’article 32 de la LRCÉCA. Or, l’article 37 de la Loi sur la SV (la disposition invoquée expressément par l’intimé dans cet appel à l’appui du recouvrement du trop-perçu allégué) n’exclut pas explicitement l’application des périodes de prescription énoncées dans la LRCÉCA. Dans son jugement, la Cour suprême rejette également l’interprétation dite du « code complet » de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR), c’est-à-dire l’interprétation voulant que la LIR constitue un code complet en soi qui exclut l’application de l’article 32 de la LRCÉCA. La LIR ne s’applique pas dans un vide législatif (Markevich, paragraphe 14). La Loi sur la SV non plus ne s’applique pas dans un vide législatif. Dans son analyse sur le fond de l’argument voulant que la LIR soit un « code complet », la Cour suprême a conclu que sa conclusion s’applique aussi à l’interprétation qui doit être faite de la Loi: tout comme c’est le cas de la LIR, la Loi (en particulier, l’article 37) doit être interprétée à la lumière des lois d’application générale, y compris la LRCÉCA.
  6. Au paragraphe 20 de Markevich, la Cour suprême s’est exprimée en ces termes : « Si, pendant une longue période, le ministre ne fait aucun effort pour recouvrer une créance fiscale, le contribuable peut, un moment donné, raisonnablement en venir à penser ne plus être redevable de cette obligation, et gérer ses affaires en conséquence. » Il est donc raisonnable de conclure dans cet appel qu’un pensionné, à l’instar d’un contribuable (l’un comme l’autre ayant un intérêt dans leur propre sécurité financière), après une longue période de non communication et d’inaction de la part de l’intimé (malgré qu’il connaisse l’existence d’un éventuel trop-perçu) en vienne raisonnablement à penser, lui aussi, qu’il ne sera plus redevable de la créance relative à d’éventuels trop-perçus de prestations de pensions, et gère ses affaires en conséquence.
  7. Dans ces circonstances, il est déraisonnable de la part de l’intimé d’exiger qu’un pensionné (l’appelant) rembourse un trop-perçu allégué remontant à environ 23 ans, surtout que l’appelant a été de bonne foi en informant l’intimé de façon diligente et transparente de son lieu de résidence et de ses intentions et qu’il a, en l’espèce, informé l’intimé à deux reprises que cela pouvait avoir une incidence sur son admissibilité à la pension de la SV. La demande est déraisonnable pour trois raisons :
    1. Tout d’abord, il est déraisonnable d’intenter des poursuites juridiques ou des recours administratifs à l’encontre de particuliers au sujet de trop-perçus allégués ou de créances alléguées pour des événements qui ont eu lieu dans un passé très lointain. Comme la Cour suprême a conclu dans le jugement Markevich, les dispositions en matière de prescription reposent notamment sur la justification décrite comme la certitude, qui reconnaît qu’après un certain temps, un individu « devrait être raisonnablement certain qu’il ne sera plus redevable de ses anciennes obligations » (Markevich, paragraphe 19). Le fait que l’intimé ait tardé pendant 22 ans à entreprendre des mesures de recouvrement d’un trop-perçu de pension éventuel dont il avait connaissance va à l’encontre de cette justification de certitude. Il s’agit d’un délai qui est presque le double de celui qui était reproché au demandeur (l’ARC) dans Markevich.
    2. Ensuite, il est déraisonnable de s’attendre à ce qu’un particulier soit en mesure de rassembler les éléments de preuve requis pour se défendre de façon crédible à l’encontre de réclamations au sujet d’événements qui se seraient produits dans un passé fort lointain. Dans Markevich, la Cour suprême s’est aussi dite d’avis que les dispositions en matière de prescription reposent sur des justifications pouvant être décrites comme la preuve et qu’il faut écarter les réclamations fondées sur des éléments de preuve périmés (paragraphe 19). Dans cette affaire, l’intimé contrevient manifestement à la justification relative aux éléments de preuve.
    3. Enfin, il est déraisonnable qu’un demandeur, l’intimé en l’espèce, exerce un recours à l’encontre d’un particulier après avoir négligé pendant plus de 22 ans d’agir avec diligence raisonnable dans cette affaire. Parlant de l’importance de la justification en matière de diligence et son application aux dispositions en matière de prescription, dans Markevich la Cour suprême a aussi encouragé les demandeurs à agir avec diligence et à ne pas tarder à faire valoir leurs droits (paragraphe 19). Tout comme c’était le cas de l’ARC dans Markevich, l’intimé a agi de façon « contraire à l’intérêt public » en tardant à entreprendre des mesures de recouvrement (Markevich, paragraphe 20). En n’ayant rien fait pendant plus de 22 ans pour recouvrer le trop-perçu allégué, l’intimé n’a pas fait preuve de diligence raisonnable.

[46] Sur le plan de l’équité, les arguments de l’appelant sont convaincants en ce qu’il serait injuste d’exiger le remboursement d’une créance que l’intimé n’a pas cherché à recouvrer pendant 22 ans.

[47] Ceci dit, comme le Tribunal n’a pas de compétence en equity, il se doit d’interpréter et d’appliquer les lois habilitantes telles qu’elles sont formulées.

[48] Cet appel se distingue de Markevich en ce que dans la présente affaire le paragraphe 37(2) de la Loi sur la SV contient une disposition de prescription alors que dans Markevich les dispositions en matière de recouvrement qui faisaient l’objet d’un litige(l’article 222 de la LIR ou ses dispositions connexes) étaient muettes sur la question. Par conséquent, l’article 32 de la LRCÉCA ne s’applique pas au paragraphe 37(2) de la Loi sur la SV. Dans Markevich, la Cour suprême a déclaré que seule une disposition expresse ou implicite contraire d’une loi fédérale (comme la Loi sur la SV) peut restreindre l’application des dispositions de prescription prévues à l’article 32 de la LRCÉCA. La Cour suprême a répété que dans la LIR, les dispositions en matière de recouvrement étaient muettes quant aux délais de prescription. La Cour a établi une distinction entre les dispositions en matière de recouvrement de la LIR, qui prévoyaient des délais de prescription en utilisant la formulation « en tout temps » (p. ex. aux paragraphes 152(4), 152(4.2)). Contrairement aux dispositions en matière de recouvrement de la LIR examinées dans Markevich, le législateur a réfléchi à la question de la prescription lors de la rédaction du paragraphe 37(2) de la Loi sur la SV. Autrement dit, le législateur a prévu expressément la question de la prescription de par l’utilisation des termes « en tout temps » au paragraphe 37(2), selon une interprétation franche de cette disposition expresse « contraire ». C’est l’interprétation à laquelle le juge Rothstein (tel était alors son titre) a souscrit lorsqu’il s’est exprimé ainsi au sujet des dispositions en matière de recouvrement de la LIR qui comprennent les termes « en tout temps » : « [l]e législateur a réfléchi à la question de la prescription relativement à la Loi de l’impôt sur le revenu  et quand il souhaite qu’aucun délai de prescription ne s’applique, il le dit clairement. » (Markevich, paragraphes 11, 13 et 16)

Conclusion

[49] L’appel est accueilli.

[50] Concernant la première question en litige : l’appelant était effectivement admissible à la pleine pension de la sécurité de la vieillesse.

[51] Puisque la première question en litige a été tranchée en faveur de l’appelant, il n’existe plus de litige relativement à la deuxième question.

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