Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Motifs et décision

Décision

[1] La prorogation du délai pour interjeter appel et la permission d’en appeler sont accordées.

Introduction

[2] Le Bureau du Tuteur et curateur public (demandeur ou BTCP) demande la permission d’en appeler de la décision rendue par la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal) le 31 mars 2016, dans laquelle elle a conclu que sa pupille, T. C., n’avait pas été incapable de présenter une demande de Supplément de revenu garanti (SRG) avant mars 2012.

[3] Le 21 juillet 2016, après l’expiration du délai prévu, le demandeur a déposé une demande de permission d’en appeler auprès de la division d’appel (DA) du Tribunal, alléguant de multiples erreurs commises par la DG.

Contexte

[4] Madame T. C., dont les intérêts financiers sont représentés par le BTCP, est née en septembre 1936 et a atteint l’âge de 65 ans en septembre 2001. Le 6 mars 2012, le demandeur a présenté au défendeur deux demandes de SRG pour le compte de madame T. C., pour les périodes de paiement de juillet 2010 à juin 2011 et de juillet 2011 à juin 2010. Le 29 mai 2012, le défendeur a agréé les demandes avec une prise d’effet en date d’avril 2011.

[5] Dans une lettre datée du 6 juin 2012, le demandeur a informé le défendeur qu’il avait été nommé tuteur légal aux biens de madame T. C. en avril 2003, date où elle avait été jugée incapable de gérer ses finances, jusqu’en août 2003, quand elle s’est retrouvée sous la tutelle privée de son époux. Le BTCP s’est vu confié la tutelle de nouveau à compter du 28 mars 2011, et a appris que madame T. C. avait reçu sa dernière prestation du SRG en juin 2005. Le demandeur a demandé à l’intimé de réviser sa décision et de verser à madame T. C. des prestations rétroactives de SRG pour la période de juillet 2005 à mars 2011, puisque celle-ci avait été incapable de présenter une demande de SRG au cours de cette période.

[6] À la demande du défendeur, Bill Lim, médecin généraliste, a rempli un certificat d’incapacité le 30 juin 2012. Il y a écrit qu’il connaissant madame T. C. depuis mars 2005 et qu’il la jugeait incapable de s’occuper de ses propres affaires. Il a affirmé que sa déficience, qu’il attribuait à la démence, avait débuté le 1er avril 2005, et il ne prévoyait pas que son état s’améliore.

[7] Dans une lettre datée du 27 juillet 2012, le défendeur a avisé le BTCP qu’il lui avait précédemment envoyé le mauvais formulaire à remplir. Le défendeur a joint à cette lettre une déclaration d’incapacité, que le docteur Lim a dûment remplie le 16 août 2012. Dans la déclaration, il a écrit que l’affection de madame T. C., qu’il a qualifiée de [traduction] « démence – maladie d’Alzheimer », la rendait incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. Il a précisé qu’elle souffrait de cette incapacité de manière permanente depuis 2010.

[8] Le 5 mars 2013, le docteur Lim a écrit une lettre au défendeur, dans laquelle il résumait les antécédents médicaux de madame T. C., indiquant qu’elle avait été admise au centre Mon Sheong le 31 mars 2005 et qu’elle avait reçu des diagnostics de démence, de diabète, de dépression, d’hypertension artérielle, d’insuffisance rénale et de coronaropathie. Madame T. C. avait précédemment séjourné dans un autre foyer de soins de longue durée. Le 1er septembre 2011, elle a été évaluée par l’équipe d’intervention dans le domaine de la santé mentale pour les personnes âgées, qui a conclu que son jugement et sa lucidité étaient affaiblis. Le docteur Lim a [traduction] « jugé » madame T. C. incapable de gérer ses finances personnelles et ses soins de santé à compter de 2011, bien qu’il ne connaisse pas la date exacte où son incapacité avait débuté.

[9] Le 14 mars 2013, le défendeur a avisé le demandeur qu’il avait décidé, après avoir procédé à une révision, de maintenir sa décision originale concernant la date de prise d’effet des prestations de SRG de madame T. C.

[10] Dans une lettre datée du 9 avril 2013, le demandeur a fait appel devant la DG de la décision issue de la révision menée par le défendeur, alléguant que l’incapacité de madame T. C. avait été prouvée en 2003 alors qu’elle avait été jugée incapable de gérer ses biens en vertu de l’article 16 de la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui (Loi de 1992).

[11] Le 31 mars 2016, la DG a rendu une décision dans laquelle elle refusait à madame T. C. des prestations rétroactives de SRG, invoquant une preuve insuffisante pour démontrer qu’elle était incapable de former ou d’exprimer son intention de faire une demande, comme le requiert le paragraphe 28.1(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV).

Droit applicable

Loi sur la sécurité de la vieillesse

[12] Le paragraphe 11(2) de la Loi sur la SV prévoit que, sauf si le ministre a dispensé le pensionné de l’obligation de présenter une demande, le supplément n’est versé que sur demande agréée du pensionné.

[13] L’alinéa 11(7)a) de la Loi sur le SV prévoit qu’aucun supplément n’est versé pour tout mois antérieur de plus de 11 mois à celui de la réception de la demande, de l’octroi de la dispense de demande ou de la présentation présumée de la demande.

[14] Le paragraphe 28.1(1) de la Loi sur la SV prévoit que, dans le cas où il est convaincu, sur preuve présentée par une personne ou quiconque de sa part, qu’à la date à laquelle une demande de prestation a été faite, la personne n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations, le ministre peut réputer la demande faite au cours du mois précédant le premier mois au cours duquel le versement de la prestation en question aurait pu commencer ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon le ministre, la dernière période pertinente d’incapacité de la personne a commencé. Le paragraphe 28.1(3) précise qu’une période d’incapacité est continue.

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

[15] Aux termes de l’alinéa 57(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), une demande de permission d’en appeler est présentée à la DA dans les 90 jours suivant la date où le demandeur reçoit communication de la décision.

[16] La DA doit examiner et apprécier les critères énoncés dans la jurisprudence. Dans la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. GattellaroNote de bas de page 1, la Cour fédérale a indiqué que les critères à prendre en considération sont les suivants :

  1. a) le demandeur démontre l’intention persistante de poursuivre l’appel;
  2. b) le retard a été raisonnablement expliqué;
  3. c) la cause est défendable;
  4. d) la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie.

[17] La valeur qu’il faut accorder à chacun des critères énumérés dans la décision Gattellaro peut varier selon le cas, et d’autres critères peuvent aussi parfois s’avérer pertinents. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice – Canada (Procureur général) c. LarkmanNote de bas de page 2.

[18] Aux termes des paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le MEDS, il ne peut être interjeté d’appel à la DA sans permission, et la DA accorde ou refuse cette permission.

[19] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[20] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS prévoit que la DA « rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. »

[21] Aux fins d’agrément de la demande de permission d’en appeler, un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel est nécessaire : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] A.C.F. 1252. La Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si une cause est défendable en droit revient à se demander si l’appel a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63.

[22] Pour accorder la permission d’en appeler, je dois être convaincu que les motifs d’appel se rattachent à l’un ou l’autre des moyens d’appel admissibles et que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Questions en litige

[23] Je dois trancher deux questions : convient-il d’accorder une prorogation du délai pour présenter la demande de permission d’en appeler et, dans l’affirmative, l’appel a-t-il une chance raisonnable de succès? Les questions reposent toutes deux sur la question de savoir si le demandeur a une cause défendable.

Observations

[24] Dans sa demande de permission d’en appeler, que le Tribunal a reçue le 21 juillet 2016, le demandeur a indiqué que son bureau avait reçu la décision de la division générale le 15 avril 2016. Son appel était tardif étant donné que la décision n’avait pas été envoyée à l’attention du représentant, et que le personnel du BTCP a seulement transmis la décision au représentant à la fin du délai de 90 jours prévu pour interjeter appel. Comme les instructions précisaient que la demande de permission d’en appeler devait être envoyée à une case postale et que le temps nécessaire à la livraison devait être compris dans le délai de 90 jours, il était impossible que la demande arrive à temps. Le demandeur a demandé que la DA tienne compte du bien-être d’une adulte handicapée et vulnérable.

[25] Le demandeur allègue également que la DG a erré en :

  • Rapportant de façon inexacte la preuve médicale fournie par le médecin de la demanderesse;
  • Contredisant ses propres conclusions relativement à la preuve;
  • Ne tenant pas compte de certains éléments de preuve pour parvenir à sa conclusion finale;
  • Se fondant sur des conclusions de fait erronées pour décider de la manière dont elle devait apprécier la preuve.

[26] Le demandeur a également allégué que la DG a commis une erreur de droit puisqu’elle a mal interprété l’article 16 de la Loi de 1992 et sa relation avec l’article 28.1 de la Loi sur la SV.

Analyse

[27] Je constate que la demande de permission d’en appeler a été présentée après le délai prévu de 90 jours. Le dossier indique que la décision de la DG a été envoyée au BTCP à l’attention de Karen Bowyer le 1er avril 2016, et le demandeur a affirmé l’avoir reçue le 15 avril 2016. Il a ensuite déposé sa demande de permission d’en appeler le 21 juillet 2016, soit 97 jours plus tard.

[28] Pour déterminer s’il convenait d’accorder un délai supplémentaire pour interjeter appel, j’ai examiné et apprécié les quatre critères énoncés dans l’affaire Gattellaro.

Intention persistante de poursuivre l’appel

[29] Le dossier révèle que le demandeur a répondu à la décision de la DG seulement 7 jours après l’expiration du délai de 90 jours. Je suis disposé à lui accorder le bénéfice du doute à cet égard et à juger qu’il avait l’intention persistante de poursuivre l’appel.

Explication raisonnable du retard

[30] Le demandeur a laissé entendre que la transmission de la décision de la DG au représentant de la demanderesse, Jaël Marques de Souza, un avocat du BTCP, avait engendré un retard. Cependant, je remarque que monsieur Marques de Souza semble être un employé du BTCP et travailler depuis le même bureau que celui auquel la décision la DG avait été envoyée. Selon moi, rien ne justifie que le demandeur n’ait pas confié la décision de la DG au bon employé plus tôt qu’il ne l’a fait.

Cause défendable

Citation inexacte de la preuve médicale

[31] Le demandeur soutient que la DG a mal cité la preuve lorsqu’elle a écrit ce qui suit au paragraphe 38 de sa décision :

[traduction]

En mars 2013, le docteur Lim a indiqué, en plus du reste, que madame T. C. était « jugée incapable de gérer ses finances personnelles et ses soins de santé depuis 2011. » Cette affirmation est difficilement conciliable avec son compte rendu précédent, qui indiquait que madame T. C. souffrait d’une incapacité depuis 2010. Malheureusement, le dossier ne contient aucun autre rapport du docteur Lim qui puisse faire la lumière sur cette contradiction flagrante. Le Tribunal en vient donc à se demander si le docteur Lim a changé d’avis relativement à son incapacité entre août 2012 (moment où il a rempli la déclaration d’incapacité) et mars 2013 (moment où il a écrit sa lettre).

[32] Dans sa lettre du 5 mars 2013, le docteur Lim a déclaré ce qui suit :

[traduction]

[Madame T. C.] est jugée incapable de gérer ses finances personnelles et ses soins de santé depuis 2011. Il n’existe aucune date précise pour ces événements. Il n’y a aucun renseignement qui provienne de son dernier foyer de soins.

[33] Le demandeur fait valoir que cette déclaration du docteur Lim servait à indiquer qu’il ne pouvait pas connaître les [traduction] « dates précises » où madame T. C. avait été jugée incapable, et expliquait aussi qu’il ne possédait pas les dossiers de son dernier foyer de soins de longue durée. Bien que la DG a fait référence à la lettre du docteur Lim du 5 mars 2013, elle n’en a pas tenu compte dans son examen des deux dates fournies par le docteur Lim. Le demandeur allègue que la DG s’est fondée sur une conclusion erronée qu’il n’y avait aucun autre rapport du docteur Lim au dossier qui puisse faire la lumière sur ses conclusions apparemment [traduction] « contradictoires », lui qui avait d’abord indiqué que madame T. C. souffrait d’une incapacité depuis 2010, et ensuite, qu’elle en souffrait depuis 2011.

[34] Après avoir examiné la décision de la DG dans le contexte de la preuve à l’appui, j’estime que ce motif ne donne pas lieu à une cause défendable. En lisant le paragraphe 38 conjointement au paragraphe 37, il devient évident qu’il s’inscrit dans une analyse plus vaste par laquelle la DG a essayé de concilier les contradictions flagrantes dans les affirmations du docteur Lin en ce qui concerne la nature et la durée de l’incapacité de madame T. C.. Comme l’indiquait la décision, le docteur Lin a fait état de différentes dates marquant le début de son incapacité, soit le 1er avril 2005 (dans le certificat d’incapacité du 30 juin 2012), 2010 (dans la déclaration d’incapacité du 16 août 2012), et 2011 (dans sa lettre manuscrite du 5 mars 2013). Le demandeur n’est pas d’accord qu’il n’existait [traduction] « aucun autre rapport » qui puisse faire la lumière sur la [traduction] « contradiction flagrante » entre 2010 et 2011, citant un passage de la lettre du 5 mars 2013. Cependant, en admettant qu’il n’y avait [traduction] « aucune date précise » et [traduction] « aucun renseignement » provenant de son dernier foyer de soins, le docteur Lim n’a pas résolu la discordance dans les dates; il n’a fait que l’expliquer. La DG avait compétence pour conclure que la preuve du docteur Lin n’était pas fiable sur cette question, et j’estime que rien ne justifie que j’intervienne, dans un cas où la DG a fourni les motifs précis de son appréciation.

Contradictions dans ses propres conclusions

[35] Le demandeur allègue que la DG s’est contredite en établissant, d’une part, un rapport d’égalité entre la capacité de prendre une décision relativement aux soins de santé et aux biens et l’intention de faire une demande de prestations, et d’autre part, en fondant sa décision finale sur la distinction entre les différents types de capacité. Au paragraphe 37, la DG a affirmé que le docteur Lim avait indiqué, dans la déclaration d’incapacité d’août 2012, que madame T. C. [traduction] « souffrait d’une incapacité depuis 2010 ». Au paragraphe 38, la DG a écrit que le docteur Lim avait rapporté, dans sa lettre de mars 2013, que madame T. C. était [traduction] « jugée incapable de gérer ses finances personnelles et ses soins de santé depuis 2011 », affirmation qu’elle a qualifiée de [traduction] « difficilement conciliable avec son compte rendu précédent, qui indiquait que madame T. C. souffrait d’une incapacité depuis 2010 », et qui conduisait donc à une [traduction] « contradiction flagrante ».

[36] Cependant, la déclaration d’incapacité d’août 2012 porte sur l’incapacité de madame T. C. de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. En établissant un rapport d’égalité entre la capacité de prendre des décisions en matière de propriété et de soins de santé et la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande, la DG a contredit sa propre conclusion voulant que la capacité de prendre des décisions en matière de propriété et de soins de santé différait de la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. La DG s’est fondée sur la distinction entre la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations et la capacité de prendre des décisions en matière de propriété pour conclure que la preuve était insuffisante pour établir que madame T. C. n’avait pas la capacité de former l’intention de faire une demande de prestations. À moins que les deux types de capacité soient liés à la capacité de former l’intention de faire une demande de prestations, sa conclusion qu’il y a une contraction entre les affirmations du docteur Lim, relativement à la capacité de madame T. C. en 2010 et en 2011, est erronée.

[37] J’estime que l’appel a une chance raisonnable de succès au moins sur ce motif. Si la DG a fondé sa décision sur de prétendues irrégularités dans les différentes conclusions du docteur Lim quant au début de l’incapacité, cela ne l’a pas empêchée, au paragraphe 36, de proposer une explication aux différences dans les dates découlant de l’interaction des deux définitions de l’incapacité :

[traduction]

La question de savoir si une personne est incapable de gérer ses affaires n’est pas la même que celle de savoir si une personne est incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande. Il ne fait aucun doute que ces deux questions sont liées, mais elles ne sont pas la même. La capacité de gérer ses affaires est plus englobante que la capacité de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande. Cela pourrait expliquer pourquoi le docteur Lim a jugé que madame T. C. était incapable de gérer ses affaires en 2005, mais qu’il l’a seulement jugée incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande en 2010.

[38] Je suis d’accord que les affirmations du docteur Lim concernant la date à laquelle madame T. C. est devenue atteinte d’une incapacité n’étaient pas nécessairement incompatibles si, selon toute vraisemblance, son état mental s’est détérioré graduellement. Comme l’a noté la DG, l’incapacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande donne lieu de croire à une incapacité plus grave que l’incapacité de prendre des décisions en matière de biens et de soins de santé. Madame T. C. a pu avoir la capacité d’exprimer ou de former l’intention de faire une demande en 2005 ou avant 2010 (tout en demeurant incapable de prendre des décisions en matière de biens et de soins de santé), mais a pu perdre la capacité d’exprimer ou de former l’intention de faire une demande en 2011. Dans un tel cas, les dates fournies par le docteur Lim auraient pu être justes, mais la DG n’a vraisemblablement pas tenu compte de cette possibilité.

Preuve admise mais écartée pour la conclusion

[39] Le demandeur allègue que même si elle a attaqué les rapports du docteur Lim, la DG a quand même admis, au paragraphe 36, sa conclusion selon laquelle madame T. C. était incapable de gérer ses affaires en 2005 mais qu’elle est seulement devenue incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande en 2010.

[40] J’estime que ce motif ne soulève pas de cause défendable. Une lecture du paragraphe 36 en entier permet de constater que la DG ne concluait pas que madame Cham était devenue incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande 2010, mais qu’elle rapportait simplement les affirmations du docteur Lim dans l’objectif de concilier leurs supposées contradictions.

Appréciation de la preuve fondée sur des conclusions de fait erronées

[41] Le demandeur allègue que la DG a, au paragraphe 53 de sa décision, écarté sans motif valable l’évaluation de capacité, dans lequel il était conclu que madame T. C. était incapable de prendre des décisions relativement à ses biens conformément à la Loi de 1992. J’ai examiné le document en question, qui est une lettre datée du 28 mars 2003, rédigée par une travailleuse sociale et évaluatrice de la capacité professionnelle, Cynthia Turner, et j’estime que le demandeur détient effectivement une cause défendable au motif que la DG a écarté un élément de preuve de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[42] D’abord, le demandeur n’est pas d’accord que l’évaluation de la capacité n’ait [traduction] « pas fait partie de la preuve », comme l’a indiqué la DG. Bien que le rapport du l’évaluation, qui constitue l’une des parties de l’évaluation de la capacité aux termes de l’article 16 de la Loi de 1992, n’ait pas été soumis, le document fourni était signé par l’évaluatrice et faisait état des résultats des deux évaluations qu’elle avait menées.

[43] Selon moi, cet argument est valable : dans sa lettre, madame Turner a indiqué qu’elle avait jugé madame T. C. incapable de gérer ses biens ou de demander des soins de longue durée et, bien que le rapport qui la sous-tend n’ait pas fait partie de la preuve présentée par le demandeur, cela ne justifiait pas d’écarter la lettre comme telle, qui comportait des renseignements pertinents et potentiellement importants quant aux capacités mentales de la demanderesse durant cette période, remontant à plus de 10 ans, alors qu’on avait jugée qu’elle était devenue atteinte d’une incapacité.

[44] De plus, le demandeur conteste la conclusion de la DG selon laquelle il n’y avait aucune autre preuve au dossier qui indiquerait que madame T. C. était seulement devenue atteinte d’une incapacité, au sens de l’article 28.1 de la Loi sur la SR, en 2010, plusieurs années après la conclusion d’incapacité au sens de la Loi de 1992, citant le rapport d’août 2012 du docteur Lim à cet effet. Le demandeur souligne que la DG était consciente que le docteur Lim avait déjà affirmé, dans le certificat d’incapacité qu’il a rempli en juin 2012, que madame T. C. était incapable de [traduction] « gérer ses propres affaires » en date du 1er avril 2005, même s’il a admis subséquemment que la date de commencement n’était pas absolue.

[45] J’estime encore une fois avoir affaire à une cause défendable, bien que ce soit pour des raisons différentes que celles avancées par le demandeur. D’un point de vue plus général, il semble que la DG ait en majeure partie fondé sa décision de rejeter l’appel du demandeur sur le fait qu’aucun professionnel de la santé n’avait précisément affirmé, en utilisant les termes de l’article 28.1 de la Loi sur la SV, que madame T. C. « n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestation », avant août 2012. Bien entendu, il était très peu probable qu’un document décrive son état mental en termes aussi précis à moins qu’une demande en vertu de la Loi sur la SV ne s’avère litigieuse. En l’espèce, il existe des preuves d’incapacité qui remontent jusqu’au début des années 2000, mais celles-ci sont fragmentaires et rétrospectives, et si elles ne contiennent pas les formulations exactes qui figurent à la Loi sur la SV, il ne faut pas pour autant les écarter ou fortement les discréditer. Bien que la DG ait qualifié de [traduction] « pertinente » l’évaluation de madame Turner, menée aux fins de la Loi de 1992, elle ne semble pas véritablement avoir considéré la question de savoir comment une personne qui avait été admise dans un établissement de soins de longue durée, compte tenu de son incapacité à gérer ses biens et à prendre des décisions pour ses propres soins de santé, serait capable de former ou d’exprimer l’intention requise pour faire une demande. En fin de compte, on peut dire que le raisonnement de la DG à cet égard frôlait la tautologie, elle qui a décidé de ne pas accorder de valeur à l’évaluation de la capacité de madame Turner simplement parce qu’il ne s’agissait pas d’une autre preuve dont elle aurait préféré disposer.

[46] Le demandeur conteste également la conclusion de la DG selon laquelle rien n’indiquait que madame T. C. avait été jugée incapable de prendre des décisions en matière de traitement. Selon le demandeur, la preuve comprend une conclusion formelle d’incapacité à prendre des décisions relatives à des soins de longue durée, qui date de 2003, et les évaluations du docteur Lim la déclaraient incapable de gérer ses propres soins de santé.

[47] J’estime qu’il existe une cause défendable à cet égard, puisque je suis d’accord que l’évaluation menée par madame Turner peut être formulée de manière à inclure les décisions relatives aux soins de santé. De plus, la lettre du 5 mars 2013 du docteur Lim indique que madame T. C. était incapable de s’occuper de sa santé depuis 2011 et peut-être depuis plus longtemps encore, bien qu’aucune preuve relative à la date exacte de commencement ne soit disponible.

Résumé

[48] Le demandeur m’a convaincu que son appel a une chance raisonnable de succès pour deux des quatre motifs qu’il a invoqués, à savoir que la DG a contredit ses propres conclusions et qu’elle a fondé son appréciation de la preuve sur des conclusions de fait erronées.

Préjudice à l’autre partie

[49] Il est peu probable que la prorogation du délai pour interjeter appel cause préjudice aux intérêts du défendeur étant donné la période de temps relativement courte qui s’est écoulée depuis l’expiration du délai prévu par la loi. Je ne crois pas que la capacité du défendeur à se défendre, vu ses ressources, soit indûment amoindrie si la prorogation de délai était accordée.

Conclusion

[50] Comme le demandeur a démontré la présence de trois des quatre facteurs énoncés dans l’affaire Gattellaro, j’ai conclu qu’il s’agissait d’une situation où il convient d’accorder une prorogation du délai de 90 jours pour faire appel en vertu du paragraphe 57(2) de la Loi sur le MEDS. Bien que l’explication fournie par le demandeur pour justifier son appel tardif étire la vérité, je ne doute aucunement qu’il avait l’intention persistante de poursuivre l’appel, et j’estime que le défendeur ne subira pas de préjudice réel en raison de ce bref retard pour déposer la demande de permission d’en appeler.

[51] Cela dit, le facteur le plus important est que j’ai estimé que le demandeur avait une cause défendable en appel, au motif que la DG pourrait avait erré en concluant que madame T. C. n’avait pas la capacité, conformément à l’article 28.1 de la Loi sur la SV, pour présenter une demande de SRG avant mars 2012.

[52] J’invite le défendeur à présenter son avis sur le fond de l’appel. Les parties peuvent également déposer leurs observations sur la pertinence de tenir une nouvelle audience et, si une audience s’avère nécessaire, sur le type d’audience qui convient.

Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement de l’issue de l’appel sur le fond du litige.

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