Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Motifs et décision

Introduction

[1] L’appelante touchait un Supplément de revenu garanti (SRG) en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV). Le montant de son SRG avait été calculé en fonction du fait qu’elle était célibataire. En 2015, l’intimé a conclu que l’appelante avait vécu en union de fait. Le montant de son SRG a donc fait l’objet d’un recalcul, et il a été conclu qu’elle avait reçu une somme excédentaire de 99 523,45 $ pour la période allant de juillet 2000 à mai 2014, date où le présumé conjoint de fait était décédé. L’intimé a exigé le remboursement du trop-perçu. Cette décision a été maintenue après révision, et l’appelante a interjeté appel de cette décision devant le Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal).

[2] Pour les raisons qui suivent, cet appel a été tranché sur la foi des observations et des documents déposés :

  1. Le Tribunal a décidé qu’une autre audience n’était pas nécessaire;
  2. Ce mode d’audience est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Droit applicable

[3] Conformément à la partie II de la Loi sur la SV, un SRG est payé au bénéficiaire d’une pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) qui répond à certaines conditions. Le montant du SRG dépend du revenu de la personne. Si la personne a un époux ou un conjoint de fait, le revenu de cet époux ou conjoint est pris en compte pour déterminer l’admissibilité de la personne, et donne lieu à un SRG dont le montant est inférieur à celui que recevrait une personne célibataire.

[4] Au sens de l’article 2 de la Loi sur la SV, un « conjoint de fait » est « [l]a personne qui, au moment considéré, vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an. » Ce terme est défini de façon semblable au paragraphe 2(1) du Régime de pensions du Canada (RPC).

[5] Voici le libellé des paragraphes 15(1), 15(1.1) et 15(9) de la Loi sur la SV :

15(1) Le demandeur doit, dans sa demande de supplément pour une période de paiement, déclarer s’il a un époux ou conjoint de fait ou s’il en avait un au cours de la période de paiement ou du mois précédant le premier mois de la période de paiement et, s’il y a lieu, doit également indiquer les nom et adresse de son époux ou conjoint de fait et déclarer si, à sa connaissance, celui-ci est un pensionné.

(1.1) La personne qui était sans époux ou conjoint de fait soit immédiatement avant la dernière période de paiement pour laquelle un supplément a été versé soit, si aucun supplément ne lui a été versé, immédiatement avant la dernière période de paiement pour laquelle la demande de supplément a été reçue, mais avait un époux ou conjoint de fait immédiatement avant la période de paiement en cours pour laquelle elle s’est vu accorder une dispense aux termes du paragraphe 11(4) est tenue d’aviser le ministre sans délai de la date du changement ainsi que des nom et adresse de son époux ou conjoint de fait; elle est tenue par la même occasion d’indiquer au ministre si, à sa connaissance, son époux ou conjoint de fait est un pensionné.

(9) Le demandeur qui devient l’époux ou conjoint de fait d’une autre personne, cesse d’avoir un époux ou conjoint de fait ou s’en sépare est tenu d’en informer le ministre sans délai.

[6] Le paragraphe 37(1) de la Loi sur la SV prévoit ce qui suit :

37(1) Le trop-perçu — qu’il s’agisse d’un excédent ou d’une prestation à laquelle on n’a pas droit — doit être immédiatement restitué, soit par remboursement, soit par retour du chèque.

Question en litige

[7] Le Tribunal doit déterminer si l’appelante avait un conjoint de fait et, si tel est le cas, établir les dates de leur relation.

Preuve

[8] L’appelante est née en Nouvelle-Écosse en juillet 1931. Elle vit toujours dans cette province. Elle a présenté une demande pour obtenir une pension de retraite en juillet 1996. Dans la demande, elle s’est déclarée « veuve » en ce qui avait trait à son état civil (GD2-146).

[9] Le dossier révèle que l’appelante a commencé à toucher un SRG en janvier 1998, et que le montant de son SRG avait été calculé en fonction du fait qu’elle était célibataire.

[10] L’appelante a présenté une demande de pension de survivant le 9 juin 2014 (GD2-120-125). Dans cette demande, sous la rubrique intitulée « Renseignements concernant votre époux ou conjoint de fait décédé », elle a déclaré que R. J. était né le X X X, et décédé le 23 mai 2014. Elle a déclaré que son état civil au moment de son décès était « Conjoint de fait ». Son adresse au moment de son décès était le X, X Road, à X, en Nouvelle-Écosse. Sous la rubrique intitulée « Renseignements à votre sujet (L’époux ou conjoint de fait survivant) », l’appelante a déclaré que son adresse était la même; qu’elle et le cotisant décédé avaient commencé à vivre ensemble le 15 mars 1999; et qu’ils vivaient toujours ensemble lorsqu’il était décédé.

[11] L’appelante a également fait une demande de prestation de décès du RPC le 9 juin 2014. Elle a alors fourni les mêmes renseignements sur monsieur R. J., et a déclaré à deux occasions qu’elle était son épouse de fait (GD2-126-130). Elle a soumis le certificat de décès de monsieur R. J., émis par la maison funéraire R. O., et dans lequel il était inscrit que son état civil était « Divorcé ». (GD2-135).

[12] Le 13 juin 2014, l’appelante a fourni une Déclaration officielle d’union de fait, dans laquelle elle déclarait qu’elle et monsieur R. J. avait vécu ensemble du 15 juin 1997 au 23 mai 2014. Comme preuve de leur [traduction] « relation conjugale de conjoints de fait », l’appelante a déclaré ce qui suit : « prend soin de lui, prépare tous les repas, nourri et lavé lorsque malade, mandataire » (GD2-97).

[13] L’appelante a présenté une seconde demande de pension de survivant le 14 juin 2014 (GD2-106-110). Elle y a fourni des renseignements semblables; elle a cependant coché l’option pour indiquer que monsieur R. J. était divorcé et qu’il ne vivait pas en union de fait au moment de son décès. Néanmoins, elle a aussi déclaré [sic] et qu’ils ont vécu ensemble à compter du 15 juin 1997 et jusqu’au moment de son décès.

[14] Le 28 juillet 2014, l’appelante a présenté une autre demande, identique à celle du 14 juin. Même s’il s’agissait de documents distincts, ils avaient tous deux été signés par l’appelante en date du 11 juin 2014 (GD2-113-119).

[15] Ce jour-là, l’appelante a présenté une seconde demande de prestation de décès, qu’elle avait signée le 25 juillet 2014, et dans laquelle elle se décrivait comme la conjointe de fait de monsieur R. J. (GD2-131-133). Elle a été informée, par l’entremise d’une lettre datée du 18 août 2014, qu’une prestation de décès lui avait déjà été versée (GD2-137).

[16] Le 18 août 2014, l’intimé a écrit à l’appelante au sujet de ses trois demandes de pension de survivant. Il expliquait, dans la lettre, que [traduction] « pour prouver qu’elle y est admissible, elle doit fournir une preuve de cohabitation dans une situation de relation conjugale ». On lui a demandé de confirmer la date à laquelle leur union de fait avait débuté; de soumettre deux documents prouvant leur relation; et de fournir l’original ou une copie certifiée conforme des documents de procuration mentionnés dans sa Déclaration officielle d’union de fait (GD2-100-101).

[17] Le 6 octobre 2014, l’intimé a informé l’appelante que sa demande ne pouvait pas être approuvée parce qu’elle n’avait pas fourni les renseignements demandés (GD2-98-99).

[18] L’appelante a eu plusieurs conversations téléphoniques avec Service Canada en septembre et en octobre 2014, durant lesquelles elle a reçu des conseils sur la façon de prouver son statut de conjointe de fait. Elle a affirmé qu’elle ne savait pas trop ce qu'elle devait fournir d’autre, et qu’ [traduction] « ils avaient habité à la même adresse, mais que ce n’était pas comme s’ils étaient mariés et qu’ils avaient une grande différence d’âge, alors qu’il avait 16 ans de plus qu’elle ». On lui a recommandé de demander une révision de la décision rejetant sa demande (GD2- 74-75, 80).

[19] Au cours des procédures de la demande et de la révision, l’intimé a obtenu les documents énumérés ci-dessous. Certains ont été soumis par l’appelante comme preuve de son union de fait avec monsieur R. J., tandis que d’autres ont été obtenus indépendamment par l’intimé par l’entremise de recherches sur Internet et de recherches sur les propriétés :

  1. Un jugement définitif attestant le divorce de monsieur R. J. en 1962 (GD2- 37).
  2. La cession d’un bien-fonds vacant de monsieur R. J. à l’appelante, datée du 11 mai 1995. Le bien-fonds est décrit comme une partie d’un morcellement de terres dont l’appelante, monsieur R. J. et deux autres personnes étaient propriétaires, et la cession était [traduction] « strictement aux fins de remembrement d’une parcelle de terrain attenante non enregistrée » (GD2-51-55).
  3. Une procuration générale et permanente signée le 3 février 1998 par monsieur R. J., dans laquelle il nomme l’appelante sa mandataire et tutrice, et l’autorise à donner son consentement et des instructions concernant ses traitements médicaux s’il n’était pas en mesure de le faire (GD2-88-91).
  4. Une procuration signée le 2 septembre 1999 par monsieur R. J., dans laquelle il nomme l’appelante sa mandataire pour [traduction] « toutes [ses] transactions bancaires habituelles, tant pour [son] compte de chèques que pour son compte d’épargne » à la succursale locale de la Banque Royale du Canada (GD2-84).
  5. La nécrologie de L. (J.) C., décédée le 28 juin 2010, où il est écrit qu’elle laissait dans le deuil son frère « R. J. ». La nécrologie ne précisait cependant pas s’il avait une épouse ou une conjointe de fait, et ne faisait pas mention de l’appelante (GD2-63).
  6. Un document signé le 13 juillet 2010 par l’appelante, à titre de représentante légale de monsieur R. J., et l’autorisant à communiquer avec l’Agence du revenu du Canada (ARC) pour tout ce qui touche ses déclarations de revenus actuelles, passées et futures (GD2-86-87).
  7. La nécrologie de B. E., décédée le 20 mars 2012, où l’on peut lire qu’elle laissait dans le deuil son frère R. J. Il n’était pas écrit que celui-ci avait une épouse ou une conjointe de fait, et l’appelante n’était pas mentionnée (GD2-65).
  8. Le testament de monsieur R. J., signé le 4 juillet 2013 (GD2-13-23), et comportant les dispositions suivantes, qui sont pertinentes dans le cadre de cet appel :
    1. Il a nommé [traduction] « [son] amie, R. K. », exécutrice testamentaire et fiduciaire.
    2. Il léguait à [traduction] « [son] amie, R. K. », ses véhicules motorisés; ses appareils stéréophoniques; son équipement et ses outils, énumérés, pour la pelouse et le jardin; un tableau fait à la peinture à l’huile; une lampe; et tous ses effets personnels restant au X, X X (demeure de l’appelante), à moins que le testament ne précise autrement.
    3. Il léguait à l’appelante 81 000 $ et 1000 actions de Emera Inc.
    4. Il léguait des effets personnels et des terres aux deux plus jeunes enfants de l’appelante, T. K. et K. W.
    5. Il léguait 12 500 $ à chacun des trois petits-enfants de l’appelante; 10 000 $ à un ami, et 1 000 $ à chacun de cinq organismes de bienfaisance.
    6. Il laissait le reliquat de sa succession à sa fille.
  9. La déclaration de revenus de monsieur R. J. pour 2013, soumise avant son décès, dans laquelle il avait inscrit être célibataire (GD2-81-83).
  10. Des lettres d’homologation envoyées à l’appelante pour le testament de monsieur R. J., datée du 16 septembre 2014 (GD2-41).
  11. Une lettre du docteur de monsieur R. J., le docteur D.L. Bonang, datée du 31 octobre 2014 et attestant que monsieur R. J. vivait en union de fait avec l’appelante [traduction] « avant son décès » (GD2-71).
  12. Une lettre de S. Parlee-Shrider, infirmière autorisée et coordonnatrice des soins de monsieur R. J. durant les années précédant son décès. Elle a affirmé qu’elle avait rendu visite à maintes reprises à l’appelante et à monsieur R. J. [traduction] « et été témoin des excellents soins prodigués [par l’appelante] à R. J. J’avais cru comprendre que R. J. vivait avec la famille K. depuis des années. [L’appelante] s’occupait de R. J. 24 heures sur 24 et veillait à tous ses besoins » (GD2- 72).
  13. Une lettre datée du 20 octobre 2014, du révérend T. I., pasteur de la paroisse anglicane de Musquodoboit et Ship Harbour, qui déclarait que l’appelante était membre de la paroisse anglicane de X depuis longtemps, et qu’elle et monsieur R. J. [traduction] « avaient vécu ensemble à partir 1997 et jusqu’au moment de son décès » (GD2073).
  14. Un relevé pour la période du 12 mai 2014 au 12 juin 2014 pour un compte à la Banque Royale du Canada aux noms de monsieur R. J. et de l’appelante, qui montrait que des chèques avaient été émis et encaissés; que des paiements par carte de crédit avaient été faits; et que des versements avaient été faits par la RBC Dominium valeurs mobilières et par le service de la paie de Bell Aliant (GD2-92).

[20] Le 30 décembre 2014, l’appelante a été interrogée par un enquêteur des Services d’intégrité du RPC et de la SV. L’entrevue a eu lieu à un Centre Service Canada de Darmouth, en Nouvelle-Écosse (GD2-24-30). La transcription de l’entrevue révèle que l’appelante a fourni les renseignements suivants, qui sont pertinents en l’espèce :

  1. Monsieur R. J. est devenu son voisin en 1960, quand il a acheté la maison voisine de la maison habitée par l’appelante et son époux. L’appelante a affirmé qu’ [traduction] « ils n’entretenaient aucune autre relation jusqu’à ce que son époux décède ». Deux ans plus tard, l’appelante et monsieur R. J. se sont liés d’amitié. La fille la plus âgée de l’appelante avait alors quitté la maison, mais ses deux plus jeunes enfants — qui étaient âgés de 7 mois et de 22 mois au moment où son époux est décédé — [traduction] « l’ont pris comme père, et il a très bien joué ce rôle pour eux ». Elle a souligné que monsieur R. J. avait laissé quelque chose à ses enfants et à ses petits-enfants dans son testament.
  2. Elle habitait au X, X X. Elle était la seule propriétaire enregistrée de cette propriété et elle y habitait depuis 18 ans. L’appelante et son époux avaient été propriétaires du X, X X. Monsieur R. J. avait été propriétaire du X et du X, X X, et il avait cédé à l’appelante la propriété du X, X X. L’appelante avait vendu le X à une tierce partie en 1996, puis avait fait construire une petite maison au X. Sa fille avait hérité de la maison du X.
  3. Elle avait habité avec monsieur R. J. à partir de 1997 et jusqu’à son décès. Ils vivaient dans une situation semblable au mariage. Ils allaient à l’église ensemble lorsqu’ils le pouvaient. Il participait aux tâches ménagères dans la mesure du possible. Ils mangeaient ensemble. Ses petits-enfants l’appelaient [traduction] « papi ». Ni elle ni lui n’avaient de relation avec quelqu’un d’autre.
  4. Son compte téléphonique était au nom de monsieur R. J. parce qu’il avait travaillé pour la compagnie de téléphonie et profitait d’un rabais.
  5. Elle et monsieur R. J. n’avaient pas signé ensemble un bail, une hypothèque, ou un contrat d’achat ou de location pour la propriété du X, X X. Il lui avait dit qu’il lui donnerait de l’argent si elle en avait besoin. Il payait la moitié de la facture de mazout [traduction] « et [elle] recevai[t] de l’argent quand [elle] en avai[t] besoin ».
  6. Elle et monsieur R. J. avaient un compte bancaire conjoint. Elle était mandataire, ce qui lui donnait accès à ses actions et obligations. Il n’avait pas d’autres comptes bancaires, mais elle avait un compte séparé [traduction] « parce qu’[elle avait] d’autres factures à payer. » Ils n’avaient pas de cartes de crédits ou d’adhésions communes. Ils n’avaient pas la même protection en matière de soins médicaux. Elle avait essayé d’être couverte par le régime d’assurance que lui donnait son employeur auprès de la Croix-Bleue, mais sa demande avait été refusée comme elle avait été présentée après que monsieur R. J. eût pris sa retraite. Ils n’avaient touché aucune prestation fédérale, provinciale ou municipale qui soit basée sur un statut de personnes mariées.
  7. Elle n’avait pas d’assurance-vie. Dans son testament, elle ne faisait pas référence à monsieur R. J. comme époux parce qu’elle s’attendait à vivre plus longtemps que lui et parce qu’il n’avait pas besoin de cet argent.
  8. Dans sa déclaration de revenus, elle a déclaré être veuve. Monsieur R. J. ne voulait pas être nommé son époux sur ces documents parce qu’il ne le voulait pas, puisqu’ [traduction] « il payait un énorme montant d’impôt et pensait que c’était mieux ainsi. » Elle a souvent pensé à informer l’intimé ou l’ARC de son état matrimonial, mais monsieur R. J. [traduction] « avait juste l’impression que cela interférerait avec son revenu ». Elle ne savait pas qu’elle cachait ainsi des renseignements.
  9. Elle n’a pas été mentionnée comme étant l’épouse de monsieur R. J. dans les nécrologies de ses sœurs parce qu’ils vivaient en union de fait et parce que ses sœurs ne reconnaissaient pas l’appelante comme étant l’épouse de monsieur R. J.
  10. Elle savait que l’enquêteur n’était pas autorisé à demander si un couple avait eu de relations sexuelles dans le but de déterminer s’ils vivaient en union de fait, et elle a affirmé qu’elle et monsieur R. J. avaient chacun leur propre chambre.
  11. Elle avait soumis une seconde demande pour une pension de survivant du RPC parce qu’ [traduction] « [elle] avait reçu tellement de paperasse, [elle] pensait que la demande s’en allait à un autre ministère, alors [elle] l’a envoyée ».

[21] Lorsque l’enquêteur a laissé entendre que les renseignements et les documents qu’elle avait fournis à l’appui de sa demande ne permettaient pas de prouver une union de fait, l’appelante a répondu ce qui suit : [traduction] « Eh bien, c’était une union de fait. »

[22] L’enquêteur a fait référence aux lettres du docteur Bonang, de madame S. Parlee-Shrider et du révérend T. I., et a affirmé que [traduction] « ces lettres confirm[aient] que monsieur R. J. vivait chez [elle], et [il] voulait s’assurer [qu’elle] comprenait bien la définition d’une union de fait avant que la demande soit traitée. » L’enquêteur s’est ensuite exprimé comme suit :

[traduction]

Les personnes qui correspondent à la définition de conjoints de fait pour une pension du RPC ou de la Sécurité de la vieillesse ont les mêmes droits et les mêmes obligations que les personnes mariées lorsqu’elles demandent des prestations du RPC ou de la Sécurité de la vieillesse.

Dans le cadre du RPC et de la Sécurité de la vieillesse, le mot « union de fait » s’applique aux personnes qui ne sont pas mariées et qui vivent ensemble dans une relation conjugale pendant une période d’au moins un an sans interruption. L’adjectif « conjugale » suppose un engagement de la part des deux conjoints de fait à vivre dans une relation semblable au mariage, assumant ainsi les droits, devoirs et obligations qui s’appliquent typiquement aux couples mariés.

[23] L’enquêteur a posé la question suivante : [traduction] « D’après la définition que nous vous avons donnée de l’union de fait, estimez-vous être en union de fait avec Reginald E R. J.? Ce à quoi l’appelante a répondu : [traduction] « Absolument. »

[24] La transcription révèle que l’enquêteur a de nouveau lu la définition à l’appelante, qui a affirmé qu’elle en comprenait très bien le contenu et qu’elle ne souhaitait rien ajouter ou changer. Elle a dit [traduction] « non, tout cela est vrai ».

[25] En fonction de la preuve qui précède, l’intimé a déterminé que le SRG de l’appelante avait mal été calculé et l’a informée du trop-perçu. Cette décision a été maintenue après révision, et c’est elle qui fait l’objet de cet appel. Il n’est pas clair, d’après le dossier, pourquoi il a été calculé que le trop-perçu commençait en date de juillet 2000. On peut supposer que ce choix découle de la conclusion que l’union de fait entre l’appelante et monsieur R. J. avait commencé en juin 1999.

[26] Dans une déclaration sous serment faite le 25 novembre 2016 (GD10-2-3), l’appelante a affirmé qu’elle avait cru comprendre, quand elle avait présenté sa demande de pension de survivant du RPC, que sa relation avec monsieur R. J. comptait pour une union de fait comme ils avaient habité ensemble pendant plus d’un an. Elle a affirmé que [traduction] « des gens » lui avaient donné ces renseignements, et qu’ils l’avaient fortement encouragée à demander des prestations du RPC. Elle avait aussi des soucis financiers à l’époque.

[27] L’appelante a ensuite ajouté ce qui suit : [traduction] « Maintenant que j’ai lu la définition d’une union de fait et que j’y ai bien réfléchi, je me rends compte que j’aurais dû vous répondre “non” quand vous m’avez demandé si j’estimais être en union de fait avec Reginald R. J. d’après la définition que nous m’avez avons donnée de l’union de fait. »

[28] L’appelante a dit qu’elle est âgée de 85 ans et qu’elle a besoin de plus de temps pour traiter de l’information, et qu’on aurait dû lui donner le choix d’amener avec elle un ami ou un avocat à l’entrevue, « qui aurait pu [lui] expliquer la définition d’une union de fait dans le contexte du Régime de pensions du Canada ».

[29] Dans une déclaration sous serment faite le 25 novembre 2016 (GD10-04-6), K. W. a déclaré être la fille de l’appelante; habiter la maison voisine depuis environ 15 ans; et connaître directement la relation entre l’appelante et monsieur R. J.

[30] Madame K. W. a affirmé que son père et monsieur R. J. étaient de bons amis jusqu’à la mort de son père, en 1967. Les familles sont restées en bons termes. En 1999, alors que monsieur R. J. avait environ 84 ans, l’appelante a accepté qu’il emménage chez elle pour qu’elle puisse s’occuper de lui. À cette époque, sa mère avait environ 64 ans.

[31] Madame K. W. a affirmé que monsieur R. J. et sa mère dormaient dans des chambres séparées pendant la période où ils avaient vécu ensemble. Elle passait la majeure partie de son temps à être sa soignante et à l’amener à ses rendez-vous. Leur relation n’était pas romantique et ne s’apparentait pas au mariage. Lorsqu’elle ne prenait pas soin de monsieur R. J., l’appelante [traduction] « vivait sa propre vie à l’extérieur de la maison, et elle avait ses propres amis et faisait ce qu’elle voulait ».

Observations

[32] L’appelante a soutenu qu’elle ne vivait pas en union de fait conformément à la définition du terme que donne la Loi sur la SV.

[33] L’intimé n’a pas présenté d’observations au Tribunal.

Analyse

[34] Comme précisé précédemment, la Loi sur la SV oblige une personne qui demande ou touche un SRG à décrire sa relation ou son état civil de façon exacte, et à informer le ministre de tout changement en la matière. Ceci inclut l’existence ou non d’un conjoint de fait. Le conjoint de fait est défini comme la personne qui, au moment considéré, vit avec la personne en cause dans une relation conjugale. 

[35] L’expression « vit avec » et le terme « relation conjugale » ne sont pas définis par la Loi sur la SV ou dans le RPC, qui contient une définition semblable de l’union de fait. Des tribunaux et des cours se sont penchés sur le sens de ces mots. Dans MDS c. Pratt, 2006 CP 22323, la Commission d’appel des pensions (CAP) a affirmé ce qui suit au paragraphe 44 :

« [L]e noyau de la relation [conjugale], c’est que les parties ont, par leurs actions et leur conduite, démontré une intention mutuelle de vivre ensemble dans une relation semblable au mariage d’une certaine permanence. La CAP a énuméré des facteurs qui indiquent l’existence d’une relation conjugale, lesquels ont été approuvés par la Cour fédérale du Canada dans McLaughlin c. Canada (Procureur général), 2012 CF 556 :

  1. le partage d’un toit, notamment le fait que les parties vivaient sous le même toit ou partageaient le même lit ou le fait que quelqu’un d’autre habitait chez elles;
  2. les rapports sexuels et personnels, notamment le fait que les parties avaient des relations sexuelles, étaient fidèles l’une à l’autre, communiquaient bien entre elles sur le plan personnel, prenaient leurs repas ensemble, s’entraidaient face aux problèmes ou à la maladie ou s’offraient des cadeaux;
  3. les services, notamment le rôle des parties dans la préparation des repas, le lavage, les courses, l’entretien du foyer et d’autres services ménagers;
  4. les activités sociales, notamment le fait que les parties participaient ensemble ou séparément aux activités du quartier ou de la collectivité et leurs rapports avec les membres de la famille de l’autre;
  5. l’image sociétale, notamment l’attitude et le comportement de la collectivité envers chacune des parties, considérées en tant que couple;
  6. le soutien, notamment les dispositions financières prises par les parties pour ce qui était de fournir les choses nécessaires à la vie et la propriété de biens;
  7. l’attitude et le comportement des parties à l’égard des enfants.

[36] Dans l’arrêt Hodge c. Canada,2004 CSC 65, la Cour suprême du Canada a établi ce qui suit :

[…] [L]a cohabitation est un élément essentiel de l’union de fait. La « cohabitation », dans ce contexte, n’est pas synonyme de corésidence. Deux personnes peuvent cohabiter même si elles ne vivent pas sous le même toit et, inversement, elles peuvent ne pas cohabiter au sens où il faut l’entendre même si elles vivent sous le même toit.

Crédibilité

[37] Il incombe à l’appelante de prouver qu’elle ne cohabitait pas avec monsieur R. J. dans le cadre d’une relation conjugale au moment considéré. Pendant environ six mois après le décès de monsieur R. J., elle a activement demandé une pension de survivant du RPC, qui ne lui serait pas payable à moins qu’elle ait véritablement été dans une telle relation. Elle doit maintenant prouver le contraire.

[38] Le Tribunal n’accepte pas l’affirmation faite par l’appelante dans sa déclaration sous serment du 25 novembre 2016, voulant qu’elle était juste récemment parvenue à comprendre la définition d’une union de fait. Bien qu’elle ait pu, au début, ne pas bien comprendre son admissibilité à une pension de survivant et se questionner à ce sujet, il est rapidement devenu clair que le statut de soignante de l’appelante, qui vivait sous le même toi que monsieur R. J., ne suffisait pas à établir l’union de fait qui est requise.

[39] L’ensemble des communications entre l’appelante et Service Canada, allant de juillet 2014 à son entrevue avec l’enquêteur, avaient comme objectif de clarifier la nature de sa relation avec monsieur R. J., et une distinction très claire a été établie entre une « union de fait » — qui est une relation semblable au mariage — et tout autre type de relation. L’appelante avait reçu des conseils à plusieurs occasions sur le type de preuves qu’elle devrait fournir pour prouver une union de fait. Il est manifeste que le but de l’entrevue de janvier 2015 était de déterminer si l’appelante et monsieur R. J. vivaient dans une relation semblable au mariage ou en union de fait, plutôt que d’entretenir une relation fondée sur l’amitié et la prestation de soins.

[40] Pour ce qui est de la déclaration de l’appelante voulant qu’elle aurait dû être autorisée à participer à l’entrevue en compagnie d’un ami ou d’un avocat, la transcription révèle que les questions posées par l’enquêteur étaient claires et qu’elles avaient été comprises par l’appelante. Il a été demandé à l’appelante si elle et monsieur R. J. s’étaient engagés à vivre dans un état semblable au mariage, assumant ainsi les droits, devoirs et obligations qui s’appliquent typiquement aux couples mariés. Elle a affirmé avec certitude que cela était le cas. L’enquêteur a lu la transcription à l’appelante et lui a donné l’occasion d’ajouter quelque chose ou de faire des changements aux renseignements qui y figuraient. Elle n’a rien voulu faire. C’est seulement après avoir compris que ses déclarations auraient une incidence sur son admissibilité au SRG qui lui avait été versé pendant les 15 dernières années que l’appelante a voulu se rétracter.

[41] À l’évidence, l’appelante est prête à fournir et à cacher des renseignements en fonction de ce qu’elle considère comme lui étant avantageux d’un point de vue financier. Ceci nuit considérablement à sa crédibilité et à la capacité du Tribunal d’accorder une véritable valeur à la preuve que contiennent sa déclaration sous serment et toute autre déclaration qu’elle a pu faire. Le Tribunal a donc dû examiner les autres éléments de preuve pour déterminer s’il existait une union de fait.

[42] Le Tribunal accepte la preuve contenue dans la déclaration sous serment faite par K. W. Il s’agit de la seule information fournie par la fille de l’appelante, qui habite près de chez elle et qui aurait vraisemblablement pu faire une déclaration appuyant la demande de pension de survivant du RPC présentée par sa mère. Ce n’est pas ce qu’elle a fait, ce qui rend les renseignements fournis dans sa déclaration encore plus plausibles.

Preuve relative à la relation

[43] L’appelante a d’abord passé plusieurs mois à essayer de convaincre l’intimé qu’elle et monsieur R. J. étaient des conjoints de fait. Il était dans son intérêt de fournir autant de documents et de déclarations de témoins qu’elle le pouvait. Il est donc probable que le Tribunal dispose de l’ensemble des éléments de preuve qui auraient vraisemblablement permis de prouver l’union de fait défendue par l’appelante.

[44] Les seules déclarations ne provenant pas de l’appelante et donnant à croire qu’une union de fait existait sont celles du docteur Bonang, de madame Parlee-Shrider et du révérend T. I. Il n’y avait notamment aucune déclaration des enfants de l’appelante qui corrobore sa prétention qu’elle était la conjointe de fait de monsieur R. J., ou qu’ils le considéraient comme un père.

[45] L’appelante a soutenu que la lettre du docteur Bonang ne devrait pas être prise en compte parce que le docteur Bonang n’aurait aucunement pu connaître la nature de sa relation avec monsieur R. J.. Le Tribunal remarque que cette lettre a évidemment été écrite à la demande de l’appelante dans le but d’appuyer sa demande du RPC, et précisément dans le but de prouver son statut de conjointe de fait. Cependant, le docteur Bonang n’a fourni aucune date ni information justifiant sa conclusion. La lettre du docteur Bonang ne démontre rien de plus que son désir d’aider l’appelante.

[46] Les lettres de madame Parlee-Shrider et du révérend T. I. sont ambiguës. Comme pour la lettre du docteur Bonang, il ne fait aucun doute qu’elles ont été écrites pour aider l’appelante avec sa demande du RPC. Plutôt que de spécifier que l’appelante et monsieur R. J. étaient des conjoints de fait, ces lettres ne font qu’expliquer qu’ils vivaient ensemble. Madame Parlee-Shrider et le révérend T. I.n’étaient manifestement pas prêts à attester l’existence d’une union de fait, ce qui laisse croire qu’il n’y avait pas une union de fait à leurs yeux.

[47] La documentation révèle que l’appelante et monsieur R. J. ne s’affichaient pas comme des époux ou des conjoints en public, et qu’ils n’étaient pas considérés ainsi. Ils avaient un compte bancaire conjoint, mais l’appelante avait également une procuration pour s’occuper des actifs de monsieur R. J.; un arrangement qui cadre davantage avec une soignante qu’avec une épouse. Ils n’étaient copropriétaires d’aucune autre véritable propriété ou propriété personnelle. Dans son testament, monsieur R. J. parlait de l’appelante comme de son amie.

[48] La cession de la propriété de monsieur R. J. l’appelante, en 1995, semble avoir été faite aux fins de lotissement, et ne pas avoir été un cadeau. Même si l’appelante est avantagée par le testament du monsieur R. J., il n’était pas déraisonnable de la nommer exécutrice testamentaire et de lui laisser les legs qui lui ont été laissés, compte tenu du fait qu’elle avait assidûment pris soin de lui pendant de nombreuses années. C’est à la fille de monsieur R. J., et non à l’appelante, que revenait le reliquat de la succession.

[49] Monsieur R. J. a divorcé en 1962, et l’appelante est devenue veuve en 1967. Ils ont habité l’un à côté de l’autre pendant plus de 30 ans avant que monsieur R. J. emménage chez l’appelante, aux alentours de 1999. Cette période comprend de nombreuses années où il aurait été acceptable, d’un point de vue social, que deux individus non mariés en couple vivent ensemble en union de fait s’ils le souhaitaient. Ils ont seulement commencé à vivre sous le même toit quand l’appelante avait 68 ans et quand monsieur R. J. avait plus de 80 ans et avait probablement besoin d’aide, ce qui donne à penser que leur relation, jusqu’à ce moment-là, n’était pas une relation conjugale. Rien ne porte à croire que cela ait changé. Rien ne permet de conclure qu’ils aient déjà eu des relations sexuelles. Lorsqu’il aurait pu être avantageux pour l’appelante de prétendre qu’il y en avait eu une, elle ne l’a pas fait. Elle a plutôt dit qu’elle et monsieur R. J. dormaient dans des chambres séparées.

[50] Dans son ensemble, la preuve révèle une relation intime entre l’appelante et monsieur R. J., mais une relation qui était fondée sur une amitié platonique et sur son besoin d’avoir une soignante durant ses dernières années de vie. Cette relation n’était pas une « union de fait » au sens de la Loi sur la SV.

[51] Le Tribunal est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante n’a jamais vécu en union de fait avec monsieur R. J. Elle n’avait donc ni époux ni conjoint de fait pour la période considérée dans le cadre de cet appel ou de son admissibilité à un SRG à titre de célibataire.

Conclusion

[52] L’appel est accueilli.

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