Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Motifs et décision

Comparutions

Appelant :

 A. N.

 

 Me Jack Handler (représentant)

Intimé :

 Observations écrites seulement

Aperçu

[1] L’appelant est né au Maroc le X X 1950, est arrivé au Canada le 1er mai 1975, et est devenu un citoyen canadien en 1978. La Régie des rentes du Québec (RRQ) reconnait qu’il est invalide depuis avril 2002 (GD2-27). L’appelant s’est marié au Maroc en novembre 2005 et il a deux garçons qui habitent là-bas avec leur mère (sa femme). Comme l’appelant, ses enfants détiennent la nationalité canadienne et marocaine, mais ni les enfants ni sa femme ne sont jamais venus au Canada. Toutefois, l’appelant entreprend actuellement les démarches pour les faire venir au Canada.

[2] Le 28 octobre 2014, l’appelant a présenté une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (pension de la SV) (GD2-3). Le 17 août 2015, il a aussi déposé une demande pour le Supplément de revenu garanti (SRG) (GD2-8). En octobre 2015, après l’étude du dossier, le ministre a constaté que, depuis août 2010, la résidence principale de l’appelant était au Maroc. Toutefois, l’appelant avait établi qu’il était résident du Canada pendant 31 ans, soit du 1er mai 1975 au 24 juillet 1998 et du 30 mars 2002 au 9 août 2010 (GD2-66).

[3] On a donc donné à l’appelant le choix entre une pension partielle (à 31/40e de la pleine pension) à partir d’octobre 2015 ou une pleine pension qui pourrait commencer le mois suivant une année complète de résidence au Canada (GD2-67). L’appelant a fait son choix (GD2-25) et il s’est vu accorder la pension partielle à partir d’octobre 2015 (GD2-22).

[4] Par la suite, l’appelant a demandé que son dossier soit révisé. Cependant, le 3 mars 2016, le ministre a maintenu sa décision initiale en disant que, depuis le 9 août 2010, l’appelant est plus souvent à l’extérieur du pays qu’au Canada (GD2-16). Alors, c’est cette décision prise à la suite du réexamen qui fait l’objet de l’appel devant le Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal).

[5] Pour les raisons qui suivent, l’appel est rejeté.

Façon de procéder

[6] Le présent appel a été instruit lors d’une audience par comparution en personne pour les raisons suivantes :

  1. la façon de procéder est celle qui permet le mieux à plusieurs participants d’assister ;
  2. il manque de l’information au dossier ou il est nécessaire d’obtenir des clarifications ;
  3. la façon de procéder est celle qui permet le mieux de traiter les incohérences que pourrait contenir la preuve ; et
  4. la façon de procéder est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[7] Lors de l’audience, le Tribunal a reçu de nouveaux documents de la part de l’appelant (GD8). Ces documents ont été transmis au ministre, mais des observations écrites supplémentaires en réponse à ces documents n’ont jamais été reçues.

Droit applicable

[8] La pension de la SV est une prestation mensuelle offerte en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV) aux personnes âgées de 65 ans et plus qui satisfont aux conditions canadiennes relatives à la résidence et au statut juridique. Une personne a droit à la pleine pension si elle répond aux exigences prévues par le paragraphe 3(1) de la Loi sur la SV :

Pleine pension

  1. 3 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, la pleine pension est payable aux personnes suivantes :
    1. a) celles qui avaient la qualité de pensionné au 1er juillet 1977 ;
    2. b) celles qui, à la fois :
      1. (i) sans être pensionnées au 1er juillet 1977, avaient alors au moins vingt-cinq ans et résidaient au Canada ou y avaient déjà résidé après l’âge de dix-huit ans, ou encore étaient titulaires d’un visa d’immigrant valide,
      2. (ii) ont au moins soixante-cinq ans,
      3. (iii) ont résidé au Canada pendant les dix ans précédant la date d’agrément de leur demande, ou ont, après l’âge de dix-huit ans, été présentes au Canada, avant ces dix ans, pendant au moins le triple des périodes d’absence du Canada au cours de ces dix ans tout en résidant au Canada pendant au moins l’année qui précède la date d’agrément de leur demande ;
    3. c) celles qui, à la fois :
      1. (i) n’avaient pas la qualité de pensionné au 1er juillet 1977,
      2. (ii) ont au moins soixante-cinq ans,
      3. (iii) ont, après l’âge de dix-huit ans, résidé en tout au Canada pendant au moins quarante ans avant la date d’agrément de leur demande.

[9] Ceux qui n’ont pas droit à la pleine pension peuvent être admissibles à une pension partielle en vertu du paragraphe 3(2) de la Loi sur la SV. Voici quelques dispositions pertinentes qui portent sur le paiement de pensions partielles :

Pension partielle

  1. 3 (2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, une pension partielle est payable aux personnes qui ne peuvent bénéficier de la pleine pension et qui, à la fois :
    1. a) ont au moins soixante-cinq ans ;
    2. b) ont, après l’âge de dix-huit ans, résidé en tout au Canada pendant au moins dix ans, mais moins de quarante ans avant la date d’agrément de leur demande et, si la période totale de résidence est inférieure à vingt ans, résidaient au Canada le jour précédant la date d’agrément de leur demande.

Montant

(3) Sous réserve du paragraphe 7.1(3), pour un mois donné, le montant de la pension partielle correspond aux n/40 de la pension complète, n étant le nombre total — arrondi conformément au paragraphe (4) — d’années de résidence au Canada depuis le dix- huitième anniversaire de naissance jusqu’à la date d’agrément de la demande.

Arrondissement

(4) Le nombre total d’années de résidence au Canada est arrondi au chiffre inférieur.

[10] La résidence et la présence au Canada sont définies par le Règlement sur la sécurité de la vieillesse (Règlement sur la SV) comme suit :

  1. 21 (1) Aux fins de la Loi et du présent règlement,
    1. a) une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada ; et
    2. b) une personne est présente au Canada lorsqu’elle se trouve physiquement dans une région du Canada.
  2. […]
  3. (4) Lorsqu’une personne qui réside au Canada s’absente du Canada et que son absence
    1. a) est temporaire et ne dépasse pas un an…


  4. cette absence est réputée n’avoir pas interrompu la résidence ou la présence de cette personne au Canada.

[11] Le SRG est une prestation mensuelle offerte aux bénéficiaires de la pension de la SV qui ont un faible revenu. Pour avoir droit au SRG, une personne doit (entre autres) maintenir sa résidence canadienne et ne doit pas s’absenter du pays pendant de longues périodes (Loi sur la SV, art. 11(7)(b) et (d)).

Question en litige

[12] La question dont est saisi le Tribunal dans le cadre du présent appel consiste à déterminer les années de résidence de l’appelant au Canada selon la Loi sur la SV. Cette décision aura une incidence sur son admissibilité à la pleine pension et au SRG.

[13] Il incombe à l’appelant de prouver sa résidence pour la période pertinente selon la prépondérance des probabilités (De Carolis c. Canada (P.G.), 2013 CF 366, para. 32).

Résumé de la preuve

[14] Lors de l’audience, le Tribunal a entendu le témoignage de l’appelant. Le Tribunal a considéré l’ensemble du dossier y compris la preuve orale et documentaire. Les éléments de preuve les plus pertinents, selon le Tribunal, sont résumés ci-après.

[15] D’après sa demande de pension de la SV, l’appelant est arrivé au Canada le 1er mai 1975 et ne s’est pas absenté du pays pendant plus de six mois depuis (GD2-4). Subséquemment, dans des questionnaires remplis par l’appelant, il a admis qu’il habitait au Maroc du 31 août 1998 au 31 mars 2002 (GD2-7 et 86 à 89). Il affirme qu’il était malade, se reposait, et habitait chez ses frères pendant cette période (GD2-86 et 181). L’appelant n’a pas pu expliquer au Tribunal pourquoi il avait omis cette période d’absence sur sa demande initiale.

[16] D’après son témoignage, l’appelant est rentré au Canada en 2002, car on lui avait accordé une subvention pour l’aider à payer son loyer. Il a reçu cette subvention jusqu’en avril 2007, moment où on lui a accordé l’appartement à prix modique dans lequel il habite actuellement. Entre temps, en avril 2003, la RRQ a reconnu qu’il était invalide, et ce depuis août 2002 (GD2-27). En plus de sa pension d’invalidité, l’appelant reçoit aussi l’aide sociale, et c’est grâce à ces prestations que ses médicaments, lunettes et soins dentaires sont gratuits (GD1-27 à 29). D’après l’appelant, il souffre d’une maladie de cœur, du diabète, de l’hypertension et de problèmes de prostate. Il a témoigné qu’il ne pourrait pas vivre ailleurs sans ces services.

[17] Pour maintenir l’assurance maladie québécoise dont il bénéficie, l’appelant affirme qu’il doit être à l’intérieur de la province pendant au moins 183 jours par année civile. Bien qu’on ne lui a jamais donné un nombre de jours précis, l’appelant a aussi déclaré qu’il doit maintenir sa résidence québécoise pour avoir droit à son appartement à prix modique et à l’aide sociale.

[18] À l’appui de sa résidence canadienne depuis août 2010, l’appelant souligne surtout les documents suivants :

  1. une lettre d’admissibilité de janvier 2002 à juillet 2015 au régime d’assurance maladie du Québec (GD2-141). L’appelant déclare qu’il a été admissible à l’assurance maladie du Québec sans interruption de 2002 à la date de l’audience ;
  2. le registre de visites médicales provenant de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) (GD2-113 à 134) ;
  3. ses déclarations d’impôts produites régulièrement et à temps (GD1-53 à 59, et GD2-28 à 52 et 80) ;
  4. ses baux, de mars 2010 à février 2017 avec l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM) (GD1-23 à 24, et GD2-55 à 65). L’appelant affirme qu’il habite à cette même adresse depuis le 1er avril 2007 ;
  5. des carnets de réclamation émis par Emploi Québec qui couvrent certains mois dans les années de 2009 à 2016 (GD1-27 à 29) ;
  6. ses permis de conduire québécois valides de 2003 à 2006 et de 2010 à 2018 (GD1-29 et 62) ;
  7. des relevés bancaires pour certains mois entre novembre 2010 et août 2016 (GD1-30 à 48 et GD6-4 à 11) ;
  8. son admissibilité à une rente d’invalidité et à une rente de retraite québécoise (GD1-60 à 61) ; et
  9. ses passeports canadiens (GD2-150 à 176).

[19] D’après l’appelant, ses séjours au Maroc varient d’une année à l’autre. Tout dépend de ce qui se passe avec sa famille. Par exemple, il atteste être présent pour la naissance de ses fils — en février 2010 et en mai 2011 — et chaque fois, il est resté au pays pendant environ deux ou trois mois. D’autres fois, il avoue qu’il peut rester au Maroc pendant cinq ou six mois. Par contre, en 2015, il a déclaré être au Maroc pendant six semaines seulement et pendant 10 semaines en 2016. À la date de l’audience, l’appelant a indiqué qu’il y avait neuf mois depuis qu’il avait vu sa femme et ses enfants.

[20] Même s’il ne se souvenait pas très bien de toutes les dates, l’appelant a nié vigoureusement être absent du Canada pendant plus de six mois et a confirmé qu’il n’avait jamais fait plus d’un voyage au Maroc par année (car chaque voyage lui coûte cher).

[21] À ce sujet, la preuve documentaire contredit le témoignage de l’appelant. L’intimé a utilisé les passeports de l’appelant ainsi que l’historique des entrées au Canada consigné par l’Agence des services frontaliers du Canada (GD2-100) pour dresser une liste des allées et retours de l’appelant pendant la période pertinente (GD2-74 à 76) :

Du

Au

Pays

Durée (jours)

1-fév-2010Note de bas de page 1

27-mai-2010

Maroc

114

27-mai-2010

9-août-2010

Canada

75

9-août-2010

15-janv-2011

Maroc

158

15-janv-2011

15-avr-2011

Canada

91

15-avr-2011

14-sept-2011

Maroc

151

14-sept-2011

9-déc-2011

Canada

87

9-déc-2011

15-avr-2012

Maroc

127

15-avr-2012

9-août-2012

Canada

117

9-août-2012

8-fév-2013

Maroc

182

8-fév-2013

13-mai-2013

Canada

95

13-mai-2013

10-nov-2013

Maroc

180

10-nov-2013

6-mar-2014

Canada

117

6-mars-2014

25-oct-2014

Maroc

232

25-oct-2014

30-déc-2014

Canada

67

30-déc-2014

30-juin-2015

Maroc

181

[22] Cette information est corroborée avec celle du registre des visites médicales provenant de la RAMQ (GD2-115 à 134) et établit clairement que :

  1. les séjours de l’appelant au Maroc sont plus longs que ses séjours au Canada ;
  2. il a dépassé les six mois au Maroc lors d’un seul voyage en 2014 ;
  3. il a voyagé au Maroc plus qu’une fois dans les années 2010, 2011, et 2014 ;
  4. il a passé plus de cinq mois au Maroc au temps de la naissance de son deuxième fils ; et
  5. l’appelant a séjourné au Maroc pendant plus de six semaines en 2015.

[23] En regardant sur la base d’une année civile, l’appelant était absent du Canada pendant :

  1. au moins 236 jours en 2010 (puisqu’il était au Maroc pour la naissance de son fils, mais la date de son arrivée au Maroc n’est pas connue avec précision) ;
  2. 187 jours en 2011 ;
  3. 249 jours en 2012 ;
  4. 218 jours en 2013 ;
  5. 233 jours en 2014 ; et
  6. au moins 180 jours en 2015 (nous ne savons pas si l’appelant est reparti vers le Maroc après le 30 juin 2015).

[24] Pour ce qui est de ses autres attaches envers le Canada, l’appelant affirme que :

  1. il a une sœur et quatre enfants qui habitent au Canada (mais ce n’est que sa sœur qu’il voit sur une base assez régulière) ;
  2. il reçoit tous ses soins médicaux au Canada ;
  3. il ne maintient que son passeport canadien ;
  4. il a un numéro de téléphone au Canada depuis 2002 ;
  5. ses effets personnels sont tous au Canada ; et
  6. il vote aux élections canadiennes.

[25] Toutefois, il a aussi indiqué que, depuis son arrêt de travail comme machiniste, il ne fait rien dans une journée typique. Il n’a pas d’amis, juste quelques connaissances. Il ne fait pas partie d’une association ou d’une communauté religieuse. Les choses sont un peu pareilles au Maroc, dit-il : il ne connait personne là-bas sauf sa famille.

Observations

[26] L’appelant fait valoir qu’il est admissible à une pension de la SV et au SRG parce que sa résidence canadienne n’a pas été interrompue depuis 2002. À l’appui de sa position, l’appelant souligne surtout qu’il reçoit des services publics au Canada qui sont très importants pour lui et que sa résidence permanente au Canada compte parmi les critères d’admissibilité pour avoir droit à ces services. D’après lui, il n’a pas les moyens de vivre ailleurs.

[27] Le ministre fait valoir que l’appelant n’avait pas le droit, ni à une pension plus importante, ni au SRG parce qu’il ne réside pas au Canada depuis le 9 août 2010. Le ministre reconnait que l’appelant a toujours un appartement par l’intermédiaire de l’OMHM, reçoit des soins médicaux au Canada et a fait la majorité de ses déclarations de revenus à temps ; cependant, il est d’avis que l’appelant a beaucoup plus de liens avec le Maroc depuis août 2010. À l’appui de sa position, le ministre souligne surtout ce qui suit :

  1. l’appelant séjourne au Maroc pendant plus de 183 jours par année ;
  2. sa femme, ses deux enfants mineurs et ses frères habitent au Maroc ;
  3. les extraits de compte bancaire canadien et les carnets d’aide sociale concernant la gratuité des médicaments ne confirment pas la vie au Canada et sont fournis sur des périodes discontinues ;
  4. l’appelant a un compte bancaire et une petite pension de retraite marocaine (GD2-145 et GD6-2) ; et
  5. les mécanismes de vérification de l’OMHM quant à la résidence de l’appelant ne sont pas connus.

[28] Quant à la pension de retraite marocaine, l’appelant affirme qu’il ne peut toucher à celle- ci, sauf s’il réside au Maroc.

Analyse

[29] Dans la présente affaire, le Tribunal doit décider s’il est plus probable que non que l’appelant était résident du Canada pendant la période pertinente.

[30] La résidence est une question de fait qui exige un examen de toute la situation de la personne concernée et qui ne peut être déterminée en fonction des intentions de cette personne. La jurisprudence a établi une liste non exhaustive de facteurs qui peuvent guider le Tribunal lorsqu’il doit se pencher sur cette question, à savoir :

  1. liens prenant la forme de biens mobiliers (par exemple, meubles, automobile, compte bancaire, carte de crédit, etc.) ;
  2. liens sociaux au Canada (par exemple, faire partie d’une organisation ou être membre d’une association professionnelle, etc.) ;
  3. autres liens au Canada (par exemple, immobilier, l’assurance maladie, permis de conduire, loyer, bail, hypothèque, prêt, service public, police d’assurance vie, contrats, dossiers fiscaux, liste électorale, régime de retraite, etc.) ;
  4. liens dans un autre pays ;
  5. régularité et durée du séjour au Canada, ainsi que fréquence et durée des absences du Canada ; et
  6. mode de vie de l’intéressé, ou la question de savoir si l’intéressé vivant au Canada y est suffisamment enraciné et établi.

    (Canada (MDRH) c. Ding, 2005 CF 76 ; Singer c. Canada (P.G.), 2010 CF 607, affirmée 2011 CAF 178 ; J.R.E. c. MRHDC, 2014 TSSDGSR 10.)

[31] L’évaluation de la résidence d’une personne est fluide en ce sens que la valeur accordée à un facteur dans une situation déterminée ne conviendra pas dans un autre contexte : Singer, para. 33 et 36.

[32] Dans le contexte actuel, la régularité et durée du séjour au Canada ainsi que la fréquence et durée des absences du Canada est un facteur important. Toutefois, il a déjà été établi que le témoignage de l’appelant à ce sujet n’était pas fiable (voir les paragraphes 19 à 23 ci-dessus). Par conséquent, le Tribunal a abordé le témoignage de l’appelant avec une certaine prudence.

[33] Après une étude approfondie des éléments de preuve au dossier, le Tribunal constate que la résidence canadienne de l’appelant a été interrompue vers le 1er février 2010, mois pendant lequel son fils est né au Maroc. Bien que cette date soit antérieure à celle qui a été retenue par le ministre, ce risque est toujours présent étant donné la nature de l’appel de novo devant le Tribunal (c’est-à-dire un appel où toute la preuve et les faits sont examinés à nouveau) (Stevens (Succession) c. Canada (Procureur général), 2011 CF 103). En vertu de l’article 54 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, le Tribunal peut infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision visée par l’appel ou rendre la décision que le ministre aurait dû rendre. En conséquence, le Tribunal doit être convaincu que les conclusions du ministre sont bien fondées. Sinon, les périodes de résidence retenues par le ministre peuvent être élargies ou rétrécies.

[34] En l’espèce, la preuve documentaire démontre que l’appelant est rentré au Canada le 27 mai 2010, mais la date de son départ vers le Maroc n’est pas connue avec précision. Toutefois, l’appelant a admis lors de l’audience qu’il était présent au Maroc pour la naissance de son fils, soit le 24 février 2010. Par conséquent, il est établi que l’appelant était absent du Canada pendant la plus grande partie de l’année civile 2010.

[35] Bien que les périodes de résidence retenues par le Tribunal soient moins larges que celles qui ont été retenues par le ministre, la décision du Tribunal n’a pas d’incidence sur le montant de la pension partielle auquel l’appelant a droit. Le Tribunal estime que la résidence canadienne de l’appelant a été interrompue le 1er février 2010 (pour les raisons que le Tribunal a expliquées dans la note 1, ci-dessus) ; toutefois, l’appelant compte toujours plus de 31 ans de résidence canadienne.

[36] Il est évident que l’appelant maintient des liens d’attaches vers le Canada, comme vers son pays natal. Cependant, le Tribunal estime que ses attaches vers le Maroc sont devenues plus importantes à partir de l’arrivée de son fils en février 2010. Notamment, l’appelant a témoigné qu’il ne « fait rien » au Canada et qu’il n’a que de simples connaissances ici. Le Tribunal déduit alors que les personnes dont il est le plus proche sont au Maroc, soit sa femme, ses enfants et ses frères.

[37] L’appelant souligne le grand nombre d’allocations et de services publics qu’il reçoit gratuitement au Québec, dont le maintien de sa résidence québécoise est un critère d’admissibilité. Cependant, le Tribunal ne peut pas constater dans quelle mesure les agences gouvernementales pertinentes sont conscientes du fait que l’appelant est absent du pays pendant de longues périodes. Par exemple, l’avertissement suivant apparait dans la lettre de la RAMQ confirmant son admissibilité (GD2-141) : « Nous tenons à vous informer que les périodes d’admissibilité aux régimes d’assurances mentionnées dans cette lettre sont le reflet des informations fournies par la personne assurée et qu’elles n’ont pas systématiquement fait l’objet d’une vérification de la part de la Régie. Veuillez utiliser cette information avec discernement. »

[38] Pour ce qui est de l’aide sociale, le Tribunal convient aux critiques formulées par le ministre : les feuillets déposés par l’appelant comme preuve d’admissibilité à ce programme ne couvrent pas une période continue (GD2-27 à 29). Il en est de même pour les relevés bancaires versés au dossier du Tribunal (GD1-30 à 48). Ces éléments de preuve sont peu convaincants quant à la résidence canadienne de l’appelant. Par ailleurs, le Tribunal ne peut conclure à l’admissibilité de l’appelant à l’aide sociale pendant toute la période pertinente. Et quant aux vérifications que l’OMHM pourrait effectuer, l’appelant a témoigné que l’on « donne un peu de distance » aux résidents.

[39] L’appelant fait valoir que son foyer unique est au Canada. Cependant, le Tribunal estime qu’il est bien hébergé pendant ses séjours au Maroc. En effet, il reste pendant de longues périodes et a témoigné que sa femme et ses enfants viennent habiter avec lui quand il est là. De plus, ses frères lui prêtent une voiture.

[40] L’appelant souligne le fait qu’il a présenté ses déclarations de revenus chaque année pendant la période pertinente. De plus, dans une lettre datée du 31 octobre 2016, l’Agence du revenu du Canada a indiqué qu’il n’a pas pu déterminer si l’appelant était un résident du Canada ou non (GD7-2). Au lieu, l’ARC a demandé de plus amples informations « pour que nous puissions déterminer votre statut de résidence aux fins de l’impôt sur le revenu ». Dans la lettre provenant de l’ARC, on n’a pas statué sur la résidence de l’appelant. Au lieu, on a demandé de plus amples informations avant de rendre une décision à ce sujet.

[41] Le Tribunal reconnait que l’appelant a produit ses déclarations de revenus au Canada chaque année et que ses comptes bancaires les plus importants sont au Québec. De plus, il affirme qu’il n’a qu’un téléphone cellulaire au Canada, mais aucun document n’a été versé au dossier d’appel afin de démontrer ceci. En revanche, l’appelant a témoigné qu’il change de numéro de téléphone souvent et qu’il avait résilié son contrat pour son cellulaire au Canada avant son dernier voyage au Maroc. Dans l’ensemble alors, le Tribunal estime que les liens d’attaches de l’appelant envers le Maroc sont plus importants que ceux envers le Canada.

[42] Finalement, le Tribunal a aussi examiné le paragraphe 21(4) du Règlement sur la SV (cité ci-dessus). Cette disposition législative veille à ce que les absences de moins d’un an et de caractère temporaire n’interrompent pas une période de résidence canadienne (Duncan c. Canada (P.G.), 2013 CF 319 au para. 26). Le Tribunal est d’avis que l’appelant ne peut pas profiter de ce paragraphe parce que ses absences du Canada n’ont pas le caractère temporaire. Au contraire, sa famille est au Maroc, et depuis 2010, il passe la plus grande partie de chaque année avec eux.

[43] Avant de conclure, il importe de mentionner que l’évaluation du Tribunal prend sa fin vers le mois d’octobre 2015, soit le mois d’entrée en vigueur de la pension partielle de l’appelant. D’après l’appelant, par exemple, il n’est pas rentré au Maroc depuis mars 2016 et il entreprend actuellement les démarches nécessaires pour que sa femme et ses enfants puissent immigrer au Canada. Il se peut alors que sa résidence canadienne soit rétablie, mais cette question en est une qui doit d’abord être examinée par le ministre.

Conclusion

[44] Le Tribunal a considéré l’ensemble de la preuve et constate que l’appelant n’a pas centré son mode de vie au Canada entre le 1er février 2010 et octobre 2015. Alors, les périodes de résidence canadienne retenues par le Tribunal sont :

  1. du 1er mai 1975 au 24 juillet 1998 ; et
  2. du 30 mars 2002 au 31 janvier 2010.

[45] En conséquence, l’appelant n’avait pas le droit à la pleine pension puisqu’il ne résidait pas au Canada pendant l’année qui précédait la date d’agrément de sa demande (Loi sur la SV, art. 3(1)(b)(iii)). Par ailleurs, le ministre avait raison d’accorder à l’appelant une pension partielle à raison de 31/40e et de lui refuser le SRG. L’appelant a la possibilité de présenter une nouvelle demande de SRG, avec preuve de sa résidence canadienne à partir du 31 octobre 2015.

[46] L’appel est refusé.

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