Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Motifs et décision

Comparutions

Représentante de l’appelante : Jaël Marques de Souza — Bureau du Tuteur et curateur public de l’Ontario

Représentante de l’intimé : Amanda De Bruyne —Procureure générale du Canada et Jennifer Hockey — Observatrice

L’appelante n’a pas comparu.

Décision

L’appel est accueilli.

Introduction

[1] Il s’agit d’un appel contre une décision rendue le 31 juillet 2016 par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal), qui avait statué que l’appelante n’avait pas été incapable de présenter sa demande de supplément de revenu garanti (SRG) avant mars 2012, et qu’elle n’était donc pas admissible à des paiements rétroactifs en plus de ceux que lui avait déjà versés l’intimé.

[2] La permission d’en appeler a été accordée le 15 décembre 2016 au motif que la division générale pourrait avoir rendu une décision entachée d’une erreur.

Aperçu

[3] L’appelante, dont les intérêts financiers sont représentés par le Bureau du Tuteur et curateur public (BTCP), est née en septembre 1936 et a atteint l’âge de 65 ans en septembre 2001. Le 6 mars 2012, BTCP a présenté à l’intimé deux demandes de SRG pour le compte de l’appelante, pour les périodes de paiement allant de juillet 2010 à juin 2011 et de juillet 2011 à juin 2012. Le 29 mai 2012, l’intimé a approuvé les demandes pour une prise d’effet en avril 2011.

[4] Dans une lettre datée du 6 juin 2012, le BTCP a informé l’intimé qu’il avait été nommé tuteur légal aux biens de l’appelante en avril 2003, date où elle avait été jugée incapable de gérer ses finances, et ce jusqu’en août 2003, quand elle s’est trouvée sous la tutelle privée de son époux. Le BTCP a repris la tutelle de l’appelante le 28 mars 2011, et a découvert que l’appelante n’avait pas reçu de SRG depuis juin 2005. Le BTCP a demandé à l’intimé de réviser sa décision et de verser à madame T. C. des prestations rétroactives de SRG pour la période allant de juillet 2005 à mars 2011, comme elle avait été incapable de présenter une demande de SRG durant cette période.

[5] À la demande de l’intimé, Bill Lim, médecin généraliste, a rempli un certificat d’incapacité le 30 juin 2012. Il y a écrit qu’il connaissant madame T. C. depuis mars 2005 et qu’il la jugeait incapable de gérer ses affaires. Il a affirmé que sa déficience, laquelle il attribuait à la démence, remontait au 1er avril 2005. Il ne s’attendait pas à ce que son état s’améliore.

[6] Dans une lettre datée du 27 juillet 2012, l’intimé a avisé le BTCP qu’il lui avait précédemment envoyé le mauvais formulaire à remplir. L’intimé a joint à cette lettre une déclaration d’incapacité, que le docteur Lim a dûment remplie le 16 août 2012. Dans la déclaration, il a écrit que l’affection de madame T. C., qu’il a qualifiée de [traduction] « démence – maladie d’Alzheimer », la rendait incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. Il a précisé qu’elle souffrait de cette incapacité de manière permanente depuis 2010.

[7] Dans une lettre datée du 5 mars 2013, rédigée en réponse à la demande de l’intimé qui souhaitait obtenir un [traduction] « rapport descriptif », le docteur Lim a présenté un résumé des antécédents médicaux de madame T. C., précisant qu’elle avait été admise au foyer Mon Sheong le 31 mars 2005, et qu’elle avait reçu des diagnostics de démence, de diabète, de dépression, d’hypertension artérielle, d’insuffisance rénale et de coronaropathie. Madame T. C. avait précédemment séjourné dans un autre foyer de soins de longue durée. Le 1er septembre 2011, elle a été évaluée par l’équipe d’intervention dans le domaine de la santé mentale pour les personnes âgées, qui a conclu que son jugement et sa lucidité étaient affaiblis. Le docteur Lim a « jugé » madame T. C. incapable de gérer ses finances personnelles et ses soins de santé.

[8] Le 14 mars 2013, l’intimé a avisé le BTCP qu’il avait décidé, après avoir procédé à une révision de l’affaire, de maintenir sa décision originale concernant la date de prise d’effet des prestations de SRG de madame T. C..

[9] Dans une lettre datée du 9 avril 2013, le BTCP a fait appel devant la division générale de la décision issue de la révision de l’intimé, alléguant que l’incapacité de madame T. C. avait été prouvée en 2003 alors qu’elle avait été jugée incapable de gérer ses biens en vertu de l’article 16 dela Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui (Loi sur la prise de décisions).

[10] Le 31 mars 2016, la division générale a rendu une décision dans laquelle elle refusait d’accorder à madame T. C. davantage de prestations rétroactives de SRG, invoquant une preuve insuffisante pour démontrer qu’elle avait été incapable de former ou d’exprimer son intention de faire une demande, comme l’exige le paragraphe 28.1(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV).

[11] Le 21 juillet 2016, après l’expiration du délai fixé par le paragraphe 57(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), la BTCP a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal, prétendant que différentes erreurs avaient été commises par la division générale. Dans ma décision du 15 décembre 2016, j’ai accordé un délai supplémentaire pour faire appel et, après avoir examiné les allégations de l’appelante, j’ai conclu qu’il existait une cause défendable au motif que la division générale pourrait avoir fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, particulièrement en :

  1. a) se contredisant dans son évaluation des différents rapports du docteur Lim concernant l’incapacité de l’appelante;
  2. b) rejetant la lettre de mars 2003 de Cynthia Turner, évaluatrice de la capacité professionnelle;
  3. c) affirmant que la preuve permettait seulement de conclure que l’appelante était devenue incapable, au sens de l’article 28.1 de la Loi sur la SV, plusieurs années après le certificat d’incapacité en vertu de la Loi sur la prise de décisions.

[12] Après avoir examiné les observations présentées dans le cadre de cette affaire, j’ai décidé de fixer une audience pour le 31 mai 2017 et d’instruire l’appel par vidéoconférence pour les raisons suivantes :

  1. la complexité des questions en litige;
  2. le fait que l’appelante était représentée;
  3. l’exigence prévue au Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[13] La position du BTCP était énoncée dans la demande de permission d’en appeler du 21 juillet 2016, qu’il a complétée en déposant d’autres observations le 30 janvier 2017. L’intimé a déposé ses observations le 27 janvier 2017.

Droit applicable

Loi sur la sécurité de la vieillesse

[14] Le paragraphe 11(2) de la Loi sur la SV prévoit que, sauf si le ministre dispense le pensionné de l’obligation de présenter une demande, le supplément n’est versé que sur demande agrégée du pensionné.

[15] Lorsqu’une personne répond aux exigences d’admissibilité pour la pension de la sécurité de la vieillesse (SV) et pour le SRG, elle se trouve soumise aux règles régissant le versement des prestations. Conformément au paragraphe 8(2) de la Loi sur la SV et de l’alinéa 5(2)a) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse, la pension de la SV peut être versée de façon rétroactive au maximum 11 mois avant le mois au cours duquel l’intimé a reçu la demande de pension de la SV. Aux termes de l’alinéa 11(7)a) de la Loi sur la SV, aucun SRG n’est versé pour tout mois antérieur de plus de 11 mois à celui au cours duquel l’intimé a reçu la demande de SRG. Aux termes de l’alinéa 11(7)b) de la Loi sur la SV, il n’est versé au pensionné aucun SRG pour tout mois pour lequel il ne peut recevoir de pension de la SV.

[16] L’article 28.1 de la Loi sur la SV prévoit une exception à la règle de rétroactivité maximale régissant le versement des prestations au titre de la Loi sur la SV. Cette disposition permet qu’une demande soit considérée comme ayant été faite plus tôt qu’elle ne l’a vraiment été, s’il est démontré que la personne visée par la demande était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestation. Les paragraphes 28.1(1) à (3) énoncent les exigences relatives à l’incapacité :

(1) Dans le cas où il est convaincu, sur preuve présentée par une personne ou quiconque de sa part, qu’à la date à laquelle une demande de prestation a été faite, la personne n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestation, le ministre peut réputer la demande faite au cours du mois précédant le premier mois au cours duquel le versement de la prestation en question aurait pu commencer ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon le ministre, la dernière période pertinente d’incapacité de la personne a commencé. […]

(3) Pour l’application des paragraphes (1) et (2), une période d’incapacité est continue, sous réserve des règlements.

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

[17] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[18] Conformément au paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS, la division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

Questions en litige

[19] Voici les questions sur lesquelles je dois statuer :

  1. Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’égard des décisions de la division générale?
  2. La division générale a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées en :
    1. jugeant que les évaluations du docteur Lim étaient contradictoires?
    2. écartant la lettre de mars 2003 de Cynthia Turner?
    3. concluant que la preuve démontrait seulement que l’appelante était devenue incapable, au sens de l’article 28.1 de la Loi sur la SV, plusieurs années après le certificat d’incapacité en vertu de la Loi sur la prise de décisions?
  3. c) Advenant une réponse affirmative à l’une des trois questions qui précèdent, quelle réparation faut-il accorder?

Observations et analyse

Degré de déférence

Observations de l’appelante

[20] L’appelante n’a présenté aucune observation concernant cette question.

Observations de l’intimé

[21] L’intimé souligne que la Cour d’appel fédérale a donné des précisions, dans Canada c. HuruglicaNote de bas de page 1, quant à l’approche que devraient adopter les tribunaux d’appel administratifs pour déterminer le degré de déférence dont ils doivent faire preuve à l’endroit des décisions provenant de tribunaux administratifs de grade inférieur. La cause Huruglica confirme que la norme de contrôle ou le degré de déférence qu’il faut appliquer à cette fin est celui que le législateur a prévu, et qui peut être découvert grâce au libellé de la loi habilitante. L’analyse est propre à chaque organe d’appel administratif.

[22] L’intimé laisse entendre que le libellé des alinéas 58(1)a) et b) de la Loi sur le MEDS révèle que le législateur ne souhaitait qu’aucune déférence ne soit témoignée à l’égard des décisions de la division générale relativement aux questions de justice naturelle, de compétence et de droit. Il suffit à la division générale de ne pas avoir observé un principe de justice naturelle, excédé sa compétence ou refusé de l’exercer, ou rendu une décision entachée d’une erreur de droit pour donner lieu à un appel. Contrairement aux erreurs énoncées à l’alinéa 58(1)c), les erreurs figurant aux alinéas 58(1)a) et b) ne sont pas qualifiées par des adjectifs. Ainsi, lorsqu’elle procède à un examen des décisions de la division générale en matière de justice naturelle, de compétence et de droit, la division d’appel a comme rôle de s’assurer que les décisions rendues sont correctes. Cette norme de contrôle est non seulement énoncée dans la loi, mais c’est également la norme de contrôle indiquée dans le cas d’un tribunal doté d’un mécanisme d’appel interne. Autrement, le rôle de la division d’appel serait futile, puisqu’il reviendrait au rôle qu’exerce une cour lors d’un contrôle judiciaire, et la division d’appel ne remplirait pas sa fonction d’inspecteur des décisions de la division générale.Note de bas de page 2

[23] L’intimé laisse entendre que l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS, à l’inverse, commande de la part de la division d’appel une déférence envers les conclusions de fait de la division générale. En effet, la division d’appel peut seulement toucher à la décision de la division générale si l’appelant démontre que la division générale a fondé sa décision sur une « conclusion de fait erronée » qu’elle a « tirée de façon abusive ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ».Note de bas de page 3 Ceci cadre effectivement avec le rôle de la division générale comme juge des faits : en comparaison de la division d’appel, la division générale a l’avantage d’avoir une connaissance plus intime de la preuve, comme elle a l’occasion d’examiner les documents, d’entendre directement les témoignages des parties, et d’évaluer la crédibilité.

Analyse

[24] Je suis tout à fait d’accord avec l’analyse de l’intimé. Bien que l’affaire Huruglica traite d’une décision qui provenait de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, elle a des incidences sur d’autres tribunaux administratifs. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a statué, comme l’avait précédemment établi la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-BrunswickNote de bas de page 4, qu’il n’était pas approprié de puiser dans les principes du contrôle judiciaire, dans le cadre d’instances administratives, puisque celles-ci peuvent refléter des priorités législatives qui différèrent de l’impératif constitutionnel de préserver la primauté du droit : « […] on ne doit pas simplement présumer que ce qui était réputé être la politique la plus appropriée pour les juridictions d’appel vaut également pour certains organismes administratifs d’appel. »

[25] Cette prémisse a amené la Cour à déterminer que le critère indiqué découle entièrement de la loi constitutive d’un tribunal administratif :

[...] [L]a détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est purement et essentiellement une question d’interprétation des lois, parce que le législateur peut concevoir tout type de structure administrative à plusieurs niveaux pour répondre à n’importe quel contexte. L’interprétation de la loi appelle l’analyse des mots de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] [...] et son objet [...]. L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur en ce qui a trait aux dispositions pertinentes de la LIPR et au rôle de la SAR [Section d’appel des réfugiés].

[26] En la matière, cela implique que les normes de la décision raisonnable et de la décision correcte ne s’appliquent pas, à moins que ces mots ou leurs variantes figurent expressément dans la législation fondatrice. Si l’on applique cette approche à la Loi sur le MEDS, on remarque que les alinéas 58(1)a) et 58(1)b) ne qualifient ni les erreurs de droit ni les manquements à la justice naturelle, ce qui donne à penser que la division d’appel ne devrait pas faire preuve de déférence à l’égard des interprétations de la division générale.

[27] Le mot « déraisonnable » ne figure pas dans le libellé de l’alinéa 58(1)c), qui porte sur les conclusions de fait erronées. Le critère énoncé contient plutôt les syntagmes qualificatifs « abusive ou arbitraire » et « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme le laisse entendre Huruglica, il faut interpréter ces mots pour ce qu’ils sont, mais les termes employés laissent croire que la division d’appel doit intervenir si la division générale a fondé sa décision sur une erreur qui est manifestement scandaleuse ou contraire au dossier.

Contradictions supposées dans la décision de la division générale

Observations de l’appelante

[28] Dans sa demande de permission d’en appeler, le BTCP a reproché à la division générale de s’être contredite en établissant, d’une part, une correspondance entre la capacité de prendre une décision en matière de soins de santé et de biens et l’intention de faire une demande de prestations, tout en se fiant, d’autre part, à une distinction entre différents types de capacités pour parvenir à sa décision finale. Au paragraphe 37, la division générale a affirmé que le docteur Lim avait fait savoir, dans la déclaration d’incapacité d’août 2012, que madame T. C. souffrait d’une incapacité depuis 2010. Au paragraphe 38, la division générale a écrit que le docteur Lim avait rapporté, dans sa lettre de mars 2013, que madame T. C. était [traduction] « jugée incapable de gérer ses finances personnelles et ses soins de santé depuis 2011 », affirmation qu’elle a qualifiée de [traduction] « difficilement conciliable avec le compte rendu précédent du docteur Lim, qui indiquait que madame T. C. souffrait d’une incapacité depuis 2010 », et donnait lieu à une [traduction] « contradiction flagrante ».

[29] Le BTCP fait valoir que la déclaration d’incapacité d’août 2012 portait sur l’incapacité de madame T. C. de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. En établissant un rapport d’égalité entre la capacité de prendre des décisions en matière de biens et de soins de santé et la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande, la division générale a contredit sa propre conclusion voulant que la capacité de prendre des décisions en matière de biens et de soins de santé différait de la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. La division générale s’est fondée sur la distinction entre la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations et la capacité de prendre des décisions en matière de biens pour conclure que la preuve était insuffisante pour établir que madame T. C. n’avait pas la capacité de former l’intention de faire une demande de prestations. Cependant, à moins que chacun de ces types de capacité soit lié à la capacité de former l’intention de faire une demande de prestations, elle a erré en concluant que les affirmations de 2010 et de 2011 du docteur Lim se contredisaient relativement à la capacité de madame T. C..

[30] Dans ses observations du 30 janvier 2017, le BTCP a soutenu que la division générale n’avait pas reconnu le recoupement entre la Loi sur la prise de décisions et les dispositions de la Loi sur la SV en matière d’incapacité. Dans les deux cas, l’accent est mis sur l’aptitude de la personne concernée à prendre des décisions, ce que la division générale a reconnu, au paragraphe 31 de sa décision, comme étant la question principale : [traduction] « Sous sa forme la plus simple, le critère relatif à l’incapacité selon l’article 28.1 consiste à déterminer si un appelant peut lui-même décider, que ce soit de sa propre initiative ou en réponse à un choix qui lui est présenté, qu’il aimerait présenter une demande de prestation. »

[31] Le BTCP soutient que ceci s’harmonise à la définition d’incapacité donnée par la Loi sur la prise de décisions. Qu’une personne soit incapable de comprendre des renseignements qui sont pertinents à la prise d’une décision ou d’évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision, le résultat est le même : une incapacité à prendre une décision. Si l’appelante est d’accord pour dire que le critère prévu à l’article 28.1 de la Loi sur la SV est plus restrictif et précis, la division générale n’a pas démontré pourquoi l’incapacité d’une personne à prendre une décision financière ne permettrait pas de déterminer sa capacité à prendre une décision financière en particulier. Comme on peut le lire dans Sedrak c. CanadaNote de bas de page 5, « [l]a capacité de former l’intention de faire une demande de prestations n’est pas de nature différente de la capacité de former une intention relativement aux autres possibilités qui s’offrent au demandeur de prestations. » En l’espèce, madame T. C. avait eu un tuteur aux biens de manière continue pour la période allant d’avril 2003 à la fin de la période de prestations visée. Concrètement, il découle de l’interprétation qu’a donnée la division générale à l’article 28.1 de la Loi sur la SV qu’elle n’avait aucun moyen d’obtenir des prestations pour la période en question, ce qui allait à l’encontre de l’objectif même de la Loi sur la SV : [traduction] « assurer la sécurité de la vieillesse ».

Observations de l’intimé

[32] Citant la Cour fédérale dans Canada c. Poon, l’intimé soutient que, lorsqu’on interprète l’article 28.1 de la Loi sur la SV, « il faut se demander non pas si l’intéressé est capable de composer avec les conséquences d’une demande, mais plutôt s’il était capable de former l’intention de faire ou non une demande […] ».Note de bas de page 6 Dans Canada c. DanielsonNote de bas de page 7, la Cour d’appel fédérale a statué que le décideur doit « examiner la preuve médicale ainsi que “les activités pertinentes de la personne en cause entre la date prétendue de début de l’invalidité et la date de la demande, ce qui nous informe sur la capacité de cette personne pendant la période en question ‘de former et d’exprimer’ l’intention de faire une demande”. »

[33] Comme l’a noté la division générale dans sa décision, la disposition sur l’incapacité prévue à l’article 28.1 de la Loi sur la SV est une exception à la règle de rétroactivité maximale qui permet à un pensionné de recevoir un SRG seulement si une demande a été présentée et approuvée pour cette année-là. Conformément à l’alinéa 11(7)a) de la Loi sur la SV, aucun SRG n’est versé pour tout mois antérieur de plus de 11 mois au mois de réception de la demande. La division générale a conclu à juste titre qu’elle n’avait pas compétence pour réputer la demande comme ayant été reçue avant 2010, comme les deux demandes présentées par l’appelante visaient respectivement les périodes de paiement de 2010-2011 et de 2011-2012. Étant donné que l’appelante n’avait pas présenté de demande pour une période de prestations précédant 2010, la division générale pouvait seulement évaluer son admissibilité à des prestations de SRG à compter de juillet 2010.

[34] C’est à l’appelante et à sa représentante qu’il incombait de démontrer qu’elle avait été incapable de former l’intention de faire une demande de SRG entre juillet 2005 et mars 2011. La preuve médicale ne permettait pas de conclure à une incapacité au sens de l’article 28.1 de la Loi sur la SV. La division générale n’a pas commis d’erreur en concluant que l’appelante n’avait pas été incapable, comme il n’y avait pas assez de preuves donnant à penser qu’elle avait été incapable de former l’intention de faire une demande de SRG durant la période considérée. Les documents qui suivent ont révélé à la division générale que l’appelante était incapable de gérer ses biens, ses finances et ses soins de santé :

  • la lettre datée du 28 mars 2003 de Cynthia Turner, évaluatrice de la capacité conformément à la Loi sur la prise de décisions, qui expliquait que l’appelante avait été [traduction] « jugée incapable de gérer ses biens » et incapable de demander une [traduction] « admission pour des soins de longue durée »;
  • le résumé de congé du 21 juin 2005 du Réseau universitaire de santé, indiquant que l’appelante présentait une [traduction] « confusion de base »;
  • le rapport de consultation initial de l’Institut de réadaptation de X, daté du 6 septembre 2011, où il était indiqué que l’appelante souffrait d’une [traduction] « démence légère »;
  • le certificat d’incapacité du 18 juillet 2012 du docteur Lim, dans lequel il était écrit que l’appelante souffrait de démence et de dépression depuis avril 2005 et qu’elle ne pouvait pas [traduction] « gérer ses affaires elle-même… nécessit[ait] une prise en charge totale »;
  • la déclaration d’incapacité du 16 août 2012 du docteur Lim, qui précisait que l’appelante était atteinte d’incapacité en raison de [traduction] « démence — maladie d’Alzheimer » depuis quelque temps en 2010;
  • la lettre du 5 mars 2003 du docteur Lim, dans laquelle il était écrit que l’appelante avait été admise au foyer de soins de longue durée le 31 mars 2003, que [traduction] « son jugement et sa lucidité [étaient] affaiblis », et qu’elle avait été [traduction] « jugée incapable de gérer ses finances personnelles et ses soins de santé depuis 2011 ».

[35] La division générale a estimé que la lettre de Cynthia Turner et le fait que l’appelante avait été jugée incapable conformément à la Loi sur la prise de décisions étaient pertinents à la question de l’incapacité. Néanmoins, la division générale a noté qu’il ne s’agissait pas d’un facteur déterminant, et a décidé d’accorder peu de valeur à cet élément de preuve étant donné que l’évaluation de la capacité menée par Cynthia Turner n’avait pas été présentée en preuve et que la question qu’elle devait elle-même trancher était de savoir si l’appelante avait été incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations de SRG et si cette incapacité avait été continue, comme le prévoit l’article 28.1 de la Loi sur la SV.

[36] Après avoir examiné le peu d’éléments de preuve produits par l’appelante, la division générale a jugé que la preuve [traduction] n’était « que d’une aide limitée » et que le rapport d’août 2012 du docteur Lim était le seul élément de preuve médicale qui se rattachait à la question de l’incapacité de l’appelante conformément à l’article 28.1 de la Loi sur la SV. Dans Simpson c. CanadaNote de bas de page 8, la Cour fédérale a affirmé qu’ « […] un tribunal n’est pas tenu de mentionner dans ses motifs chacun des éléments de preuve qui lui ont été présentés, mais il est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve. Deuxièmement, le poids accordé à la preuve, qu’elle soit orale ou écrite, relève du juge des faits. » Dans sa décision, et particulièrement dans son analyse, la division générale a fait référence à de nombreux rapports médicaux et les a examinés dans le but de déterminer si l’appelante avait été incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de SRG. L’admission de la preuve contenue dans certains rapports médicaux plutôt que d’autres ne prouve pas l’existence d’une erreur de droit qui motiverait une intervention de la division d’appel.

[37] De plus, une preuve insuffisante devrait être fatale à un requérant cherT. C.t à prouver son incapacité au sens de l’article 28.1 du RPC. En l’espèce, les éléments de preuve présentés à la division générale étaient faibles et contradictoires. Les notes médicales au dossier se rapportant à la période visée n’étaient pas suffisamment détaillées pour permettre de prouver que l’appelante avait été incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations de SRG entre juillet 2005 et mars 2011. La conclusion d’incapacité figurant dans la déclaration d’incapacité du docteur Lim ne devrait pas être considérée comme déterminante puisqu’elle contredisait ses autres rapports, notamment son certificat d’incapacité du 18 juillet 2012, dans lequel il était écrit que l’appelante ne pouvait pas gérer ses affaires personnelles et qu’elle avait besoin d’une prise en charge complète depuis avril 2005, ainsi que sa lettre du 5 mars 2013, où il avait conclu que son jugement et sa lucidité étaient affaiblis, et l’avait « jugée incapable de gérer ses finances personnelles et ses soins de santé depuis 2011. »

[38] Compte tenu de ce qui précède, l’appelante n’a pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la division générale a commis une erreur de fait de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, ou qu’elle a contredit ses propres conclusions.

Analyse

[39] Comme les trois évaluations du docteur Lim ont joué un rôle important dans cette instance, j’ai préparé le tableau suivant qui en résume le contenu, par souci de commodité :

Document Date Statut Date d’apparition
Certificat d’incapacité 30 juin 2012 Incapable de gérer ses affaires. 1er avril 2005
Déclaration d’incapacité 16 août 2012 Incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. 2010
Rapport descriptif 5 mars 2013 Admise au foyer Mon Sheong le 31 mars 2005, avec un diagnostic de démence. Évaluée en septembre 2011; son jugement et sa lucidité ont été jugés affaiblis. « Jugée » incapable de gérer ses finances personnelles et ses soins de santé depuis 2011; néanmoins, la date exacte de l’apparition de son incapacité est inconnue.

[40] Je ne suis pas d’accord que la division générale se soit contredite, comme le prétend le BTCP, en établissant un rapport d’égalité entre la capacité de prendre une décision en matière de soins de santé et de biens et l’intention de faire une demande de prestations, tout en se fondant sur différentes sortes de capacité pour parvenir à sa décision ultime. Mon examen de la décision révèle que, loin d’établir un rapport d’égalité entre ces deux sortes d’incapacité, la division générale a plutôt été conséquente et a établi une distinction entre elles.

[41] Je suis d’accord avec la division générale pour dire que le fait que madame T. C. avait été jugée incapable de gérer ses biens en vertu de la Loi sur la prise de décisions était pertinente à la question d’incapacité en vertu de l’article 28.1 de la Loi sur la SV, sans toutefois être déterminante. Cela dit, le critère juridique prévu à l’article 6 de la Loi sur la prise de décisions (selon lequel une personne est incapable de gérer ses biens si elle ne peut pas comprendre les renseignements qui sont pertinents à la prise d’une décision concernant la gestion de ses biens) diffère du critère prévu à l’article 28.1 de la Loi sur la SV en matière d’incapacité. Le critère relatif à l’incapacité conformément à l’article 28.1 de la Loi sur la SV, quant à lui, est plus restrictif et plus précis, puisqu’il sert uniquement à déterminer si une personne est capable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande.

[42] Quelle que soit l’autorité, une évaluation de la capacité nécessite un examen des éléments de preuve qui la sous-tendent, à la fois médicaux et contextuels. Il est manifeste que la division générale a fondé sa décision en grande partie sur les incohérences que contenaient les trois rapports du docteur Lim :

[traduction]

[36] Le certificat d’incapacité rempli par le docteur Lim en juin 2012 porte précisément sur la question de savoir si madame T. C. était considérée comme incapable de gérer ses affaires. La question de savoir si une personne est incapable de gérer ses affaires n’est pas la même que celle de savoir si une personne est incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. Bien qu’indubitablement liées, ces questions sont bel et bien distinctes. La capacité de gérer ses affaires est vraisemblablement beaucoup plus englobante que la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. Cela pourrait expliquer pourquoi le docteur Lim a jugé que madame T. C. était incapable de gérer ses affaires en 2005, mais qu’il l’a seulement jugée incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande en 2010.

[37] Dans le certificat d’incapacité, le docteur Lim a noté qu’il connaissait madame T. C. depuis mars 2005. Dans la déclaration d’incapacité, il a également écrit qu’il traitait madame T. C. au moment de l’apparition de son incapacité, en 2010. Comme le docteur Lim connaissait madame T. C. depuis 2005 et qu’il l’avait seulement jugée atteinte d’une incapacité en 2010, il est raisonnable d’en déduire que l’état de madame T. C. s’était détérioré entre mars 2005 et 2010. Cela dit, la nature de cette détérioration n’est malheureusement pas expliquée, ce qui porte le Tribunal à se demander ce qui avait pu T. C.ger en 2010 dans l’état de madame T. C. pour amener le docteur Lim à penser que son incapacité était apparue cette année-là.

[38] En mars 2013, le docteur Lim a indiqué, en plus du reste, que madame T. C. était « jugée incapable de gérer ses finances personnelles et ses soins de santé depuis 2011. » Cette affirmation est difficilement conciliable avec son compte rendu précédent, qui indiquait que madame T. C. souffrait d’une incapacité depuis 2010. Malheureusement, le dossier ne contient aucun autre rapport du docteur Lim qui puisse faire la lumière sur cette contradiction flagrante. Le Tribunal en vient donc à se demander si le docteur Lim a T. C.gé d’avis relativement à son incapacité entre août 2012 (moment où il a rempli la déclaration d’incapacité) et mars 2013 (moment où il a écrit sa lettre). [Mis en évidence par le soussigné]

[43] Essentiellement, la division générale a écarté l’ensemble de la preuve provenant du docteur Lim parce qu’il avait affirmé, d’une part, que l’appelante avait perdu « sa capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande » (le critère strict d’incapacité prévu à l’art. 28.1) et, d’autre part, qu’elle était incapable de gérer ses affaires et ses soins de santé (la norme plus englobante de la Loi sur la prise de décisions) depuis 2011. Il est maintenant question de savoir si la division générale, en décidant d’écarter la preuve du docteur Lim pour cette raison, a commis une erreur « abusive ou arbitre ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ».

[44] Comme je l’ai précisé, une certaine déférence doit être témoignée à l’endroit de la division générale, à titre de juge des faits, quant à la façon dont elle a examiné les rapports du docteur Lim. À première vue, la division générale a eu raison de soulever les incohérences dans les évaluations du docteur Lim portant sur les différentes capacités de madame T. C. après 2005. J’admets l’argument oral du BTCP selon lequel ces différences découlent en partie de la façon dont l’intimé a lui-même agi : comme il l’a reconnu dans sa lettre du 27 juillet 2012 (GD2-54), il avait d’abord envoyé au docteur Lim le mauvais formulaire et lui avait essentiellement posé la même question, moyennant de légères variantes, au courant de plusieurs mois. La possible confusion du docteur Lim est pardonnable, et je soupçonne que la plupart des médecins, qui sont occupés par les exigences de leur métier et ne sont pas formés relativement aux complexités des différentes normes juridiques en matière d’incapacité, pourraient avoir beaucoup de mal à fournir des réponses parfaitement compatibles.

[45] Il demeure malgré tout difficile de concilier les trois rapports du docteur Lim, à moins d’être prêt à pousser la logique jusqu’au bout. Le docteur Lim n’a jamais expliqué ce qui l’avait amené à conclure que l’appelante était devenue « incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande » en 2010. Il est également difficile de savoir pourquoi il a d’abord voulu préciser qu’avril 2005 était la date à laquelle madame T. C. était devenue incapable de gérer ses affaires, mais qu’il avait ensuite indiqué 2011 comme date « réputée » en réponse à une question qui était essentiellement la même, neuf mois plus tard.  

[46] En fin de compte, je conclus que la division générale a été au moins raisonnablement fondée à écarter la preuve du docteur Lim, même s’il se peut qu’il ait sincèrement essayé d’aider l’appelante.

Appréciation de la preuve fondée sur des conclusions de fait erronées

Observations de l’appelante

[47] D’une part, l’appelante soutient que la division générale a, au paragraphe 33 de sa décision, écarté sans raison la lettre du 28 mars 2003 de Cynthia Turner, qui concluait que madame T. C. était incapable de prendre une décision relativement à ses biens conformément à la Loi sur la prise de décisions. L’appelante nie que l’évaluation de la capacité [traduction] « n’avait pas été présentée en preuve », comme le prétend la division générale. Même si le rapport d’évaluation, qui est l’une des parties de l’évaluation de l’incapacité au titre de l’article 16 de la Loi sur la prise de décisions, n’a pas été soumis, le document fourni était signé par l’évaluatrice et décrivait les résultats de deux évaluations qu’elle avait menées.

[48] D’autre part, l’appelante conteste la conclusion de la division générale selon laquelle la preuve démontrait seulement qu’elle était devenue incapable, au sens de l’article 28.1 de la Loi sur la SV, plusieurs années après qu’eût été tirée la conclusion d’incapacité en vertu de la Loi sur la prise de décisions. L’appelante cite le rapport d’août 2012 du docteur Lim, voulant que son incapacité était apparue en 2010. L’appelante souligne que la division générale était consciente que le docteur Lim avait déjà affirmé, dans le certificat d’incapacité qu’il a rempli en juin 2012, qu’elle était incapable de [traduction] « gérer ses affaires » en date du 1er avril 2005, même s’il avait admis subséquemment que la date d’apparition n’était pas absolue.

Observations de l’intimé

[49] L’intimé maintient que la division générale a tenu compte de la lettre de madame Turner, dans laquelle il était écrit que l’appelante avait été [traduction] « jugée incapable de gérer ses biens » et incapable de demander une [traduction] « admission pour des soins de longue durée ». La division générale a considéré que la lettre, et le fait que l’appelante avait été jugée incapable au sens de la Loi sur la prise de décisions, étaient pertinents à la question de son incapacité. Cela dit, la division générale a noté que la lettre n’était pas déterminante et qu’elle ne méritait pas qu’on lui assigne une valeur considérable étant donné que l’évaluation complète de la capacité n’avait pas été présentée en preuve, et que la question qu’elle devait trancher était de savoir si l’appelante avait été incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande.

[50] En écartant cet élément de preuve, la division générale n’a pas commis une erreur de fait de façon abusive ou arbitraire puisque les renseignements contenus dans la lettre ne se rapportaient pas à l’incapacité de l’appelante au sens de la Loi sur la SV. La division générale avait compétence pour accorder davantage de poids à d’autres éléments de preuve médicale, tels que la déclaration d’incapacité d’août 2012 du docteur Lim, qui portait sur l’incapacité de l’appelante au sens de l’article 28.1 de la Loi sur la SV.

Analyse — lettre de cynthia turner

[51] Dans son analyse, la division générale a déclaré que [traduction] « seulement peu d’éléments de preuve médicale ont été déposés pour soutenir cet appel, et [que] la preuve au dossier n’[était] que d’une aide limitée. » Comme nous l’avons vu, la division générale a jugé que les trois rapports du docteur Lim étaient problématiques, mais elle a aussi accordé peu de poids au seul élément de preuve qui datait du début de la période où l’appelante prétendait avoir été incapable. La lettre du 28 mars 2003 de Cynthia Turner concluait que l’appelante était incapable de gérer ses biens ou de prendre une décision relativement à des soins de santé de longue durée. Même si elle a admis que la lettre de madame Turner était pertinente, la division générale l’a effectivement écartée du fait que [traduction] « l’évaluation de la capacité effectuée par l’évaluatrice n’avait pas été présentée en preuve. »

[52] L’argument selon lequel la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance est, à mon avis, fondé. Bien qu’elle était brève, la lettre de madame Turner représentait manifestement la dernière section de ce qu’on peut présumer être une évaluation approfondie visant à établir si madame T. C. avait la capacité d’agir. Dans sa décision, la division générale a reconnu qu’un tel rapport existait, même s’il ne figurait pas au dossier dont elle disposait. Durant l’audience, la représentante du BTCP a fait savoir que, pour des raisons de confidentialité, son bureau avait délibérément choisi de ne pas soumettre l’intégralité des résultats de l’évaluation de madame Turner, comme il était persuadé que le fait que l’appelante avait été formellement déclarée incapable il y a de cela plus de 10 ans aurait suffi à convaincre l’intimé et la division générale. Si la décision du BTCP de ne pas dévoiler le rapport en entier a pu être malavisée, la lettre de madame Turner comme telle comportait des renseignements pertinents et potentiellement importants quant à l’état mental de l’appelante durant la période où elle serait devenue incapable. Si un tribunal administratif a le droit d’apprécier la preuve comme il le juge adéquat, il doit le faire uniquement dans des limites raisonnables. En l’espèce, la division générale n’a effectivement accordé aucun poids à un élément de preuve crucial, et ce pour des motifs fallacieux.

Analyse — manque de preuves d’incapacité

[53] L’appelante conteste la conclusion que la division générale a tirée au paragraphe 34 de sa décision, selon laquelle la preuve démontrait seulement qu’elle était devenue incapable, au sens de l’article 28.1 de la Loi sur la SV, plusieurs années après la conclusion d’incapacité en vertu de la Loi sur la prise de décisions.

[54] Je suis d’accord que la division générale a commis une erreur à cet égard. D’un point de vue général, il semble que la division générale ait, en majeure partie, fondé sa décision de rejeter l’appel de l’appelante sur le fait qu’aucun professionnel de la santé n’avait déclaré, en utilisant les termes exacts de l’article 28.1, que madame T. C. « n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande » de prestation, avant août 2012. Bien entendu, il était très peu probable qu’un document décrive son état mental en termes aussi précis à moins qu’une demande en vertu de la Loi sur la SV ne fasse l’objet d’un litige. En l’espèce, il existe des preuves pertinentes d’incapacité qui remontent jusqu’au début des années 2000, qui sont néanmoins fragmentaires et rétrospectives et, bien qu’elles ne contiennent pas les formulations exactes de la Loi sur la SV, il ne s’agit pas là d’un motif suffisant pour les écarter ou fortement les discréditer. Bien que la division générale a qualifié de [traduction] « pertinente » la lettre de madame Turner, elle ne semble pas avoir véritablement considéré la question de savoir comment une personne ayant été admise dans un établissement de soins de longue durée, compte tenu de son incapacité à gérer ses biens et à prendre des décisions pour ses propres soins de santé, serait capable de former ou d’exprimer l’intention requise pour faire une demande.

Conclusion

[55] Pour les motifs exposés précédemment, l’appel est accueilli.

[56] L’article 59 de la Loi sur le MEDS énonce les réparations que la division d’appel peut accorder en appel. Pour prévenir toute crainte de partialité, il convient en l’espèce de renvoyer l’affaire à la division générale afin qu’un autre membre de la division générale tienne une audience de novo.

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