Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelante, A. S., est née en X en 1940 et a immigré aux États-Unis en 1966. Elle est entrée au Canada comme résidente permanente en avril 2001.

[3] En novembre 2011, l’appelante a présenté une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) dans laquelle elle a déclaré avoir vécu au Canada pendant au moins 10 ans. L’intimé, c’est-à-dire le ministre de l’Emploi et du Développement social (ministre), a approuvé la demande et a déterminé que, compte tenu des années de résidence au Canada déclarées par l’appelante, celle-ci avait droit à une pension partielle de la SV et à 10/40e d’une pension complète à compter de mai 2011.

[4] L’appelante a présenté une demande de Supplément de revenu garanti (SRG) en août 2012.

[5] En septembre 2014, à la suite d’une enquête portant sur l’admissibilité de l’appelante à une pension de la SV, le ministre a déterminé qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences en matière de résidence prévues par la Loi sur la Sécurité de la vieillesse (LSV) pour être admissible à une pension partielle de la SV. Elle également déterminé que, étant donné que l’appelante n’était pas admissible à une pension de la SV, elle était également inadmissible au SRG. Le ministre a ordonné que l’appelante rembourse la pension de la SV qu’elle avait touchée depuis mai 2011, soit plus de trois ans de prestations.

[6] L’appelante a interjeté appel de la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada. Dans une décision datée du 7 septembre 2017, la division générale a rejeté l’appel de l’appelant après avoir conclu qu’elle n’avait pas résidé au Canada pendant une période cumulative d’au moins 10 ans.

[7] Le 15 décembre 2107, l’appelante a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal. Un court document dans lequel elle a énoncé plusieurs prétendues erreurs de la part de la division générale était joint à sa demande, notamment :

  • La division générale a commis une erreur d’interprétation de l’article 21(1)(a) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse lorsqu’elle a conclu que le temps qu’a passé l’appelante au Canada représentait qu’une simple présence et non une résidence.
  • La division générale n’a fourni aucune explication pour justifier pourquoi elle a préféré la preuve du ministre à celle de l’appelante.
  • Au paragraphe 24 de sa décision, la division générale a fait référence au rapport de l’enquêteuse daté du 17 juillet 2014 dans lequel l’appelante aurait prétendument dit qu’elle n’avait aucun compte bancaire aux États-Unis. En fait, elle n’a jamais fait une telle déclaration et elle a révélé avoir de tels comptes.
  • Au paragraphe 39, la division générale a déclaré ce qui suit : [traduction] « Une personne ne peut pas établir sa demeure et "vivre ordinairement" dans plus d’un pays à la fois ». L’appelante n’a jamais affirmé avoir vécu dans plus d’un pays à la fois.
  • La division générale n’a fait aucune référence à une contradiction flagrante dans la preuve du ministre : son enquête portant sur l’admissibilité de l’appelante à une pension de la SV a conclu qu’elle n’avait aucun [traduction] « problème relativement à sa résidenceNote de bas de page 1 ».
  • L’appelante s’est vue refuser le droit à une audience équitable, car la division générale aurait dû avoir relevé la contradiction mentionnée précédemment et avoir alerté son ancien représentant légal.

[8] Dans ma décision datée du 28 février 2018, j’ai accordé la permission d’en appeler, car j’estimais qu’au moins l’une des observations de l’appelante conférait à l’appel une chance raisonnable de succès. Je n’ai tiré aucune conclusion quant aux autres moyens d’appel de l’appelante, mais j’ai autorisé une discussion à leur sujet pendant l’audience.

[9] Après avoir maintenant examiné les observations orales et écrites des parties, je conclus qu’aucun des motifs d’appel ne justifie l’annulation de la décision de la division générale.

Question préliminaires

[10] Le 16 avril 2016, à la suite de ma décision relative à la demande de permission d’en appeler, l’appelante a présenté une trousse documentaire de 111 pages comprenait des témoignages écrits et des relevés bancaires, qui semblent avoir été présentés dans l’intention de prouver sa résidence au Canada. D’après mes constatations, aucun de ces documents n’a été présenté à la division générale.

[11] Pour les motifs fournis au début de l’audience, j’ai refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve dans le cadre de l’appel. Selon la décision rendue par la Cour fédérale dans l’arrêt Belo-Alves c CanadaNote de bas de page 2, la division d’appel n’est pas une instance où il convient habituellement de produire de nouveaux éléments de preuve, compte tenu des contraintes de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, qui n’accorde pas à la division d’appel le pouvoir d’examiner des éléments de preuve sur le fond.

Questions en litige

[12] Conformément à l’article 58 de la LMEDS, il n’existe que les trois moyens d’appel suivants à la division d’appel : i) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle; elle a commis une erreur de droit; elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[13] Les questions en litige dont je suis saisi sont les suivantes :

Question en litige no 1 : Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’égard de la division générale?

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle bien interprété le Règlement?

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle expliqué la raison pour laquelle elle a préféré la preuve du ministre à celle de l’appelante?

Question en litige no 4 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelante avait nié posséder des comptes bancaires aux États-Unis?

Question en litige no 5 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelante avait vécu [traduction] « dans plus d’un pays à la fois »?

Question en litige no 6 : La division générale a-t-elle commis une erreur en ne remarquant pas que l’enquête du ministre avait permis de conclure que l’appelante n’avait [traduction] « aucun problème de résidence »?

Question en litige no 7 : La division générale a-t-elle privé l’appelante d’une audience équitable en n’avertissant pas l’ancien représentant légal de la présumée contradiction entre l’enquête du ministre et sa décision de mettre fin au versement de la pension de la SV?

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelante, A. S., est née en X en 1940 et a immigré aux États-Unis en 1966. Elle est entrée au Canada comme résidente permanente en avril 2001.

[3] En novembre 2011, l’appelante a présenté une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) dans laquelle elle a déclaré avoir vécu au Canada pendant au moins 10 ans. L’intimé, c’est-à-dire le ministre de l’Emploi et du Développement social (ministre), a approuvé la demande et a déterminé que, compte tenu des années de résidence au Canada déclarées par l’appelante, celle-ci avait droit à une pension partielle de la SV et à 10/40e d’une pension complète à compter de mai 2011.

[4] L’appelante a présenté une demande de Supplément de revenu garanti (SRG) en août 2012.

[5] En septembre 2014, à la suite d’une enquête portant sur l’admissibilité de l’appelante à une pension de la SV, le ministre a déterminé qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences en matière de résidence prévues par la Loi sur la Sécurité de la vieillesse (LSV) pour être admissible à une pension partielle de la SV. Elle également déterminé que, étant donné que l’appelante n’était pas admissible à une pension de la SV, elle était également inadmissible au SRG. Le ministre a ordonné que l’appelante rembourse la pension de la SV qu’elle avait touchée depuis mai 2011, soit plus de trois ans de prestations.

[6] L’appelante a interjeté appel de la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada. Dans une décision datée du 7 septembre 2017, la division générale a rejeté l’appel de l’appelant après avoir conclu qu’elle n’avait pas résidé au Canada pendant une période cumulative d’au moins 10 ans.

[7] Le 15 décembre 2107, l’appelante a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal. Un court document dans lequel elle a énoncé plusieurs prétendues erreurs de la part de la division générale était joint à sa demande, notamment :

  • La division générale a commis une erreur d’interprétation de l’article 21(1)(a) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse lorsqu’elle a conclu que le temps qu’a passé l’appelante au Canada représentait qu’une simple présence et non une résidence.
  • La division générale n’a fourni aucune explication pour justifier pourquoi elle a préféré la preuve du ministre à celle de l’appelante.
  • Au paragraphe 24 de sa décision, la division générale a fait référence au rapport de l’enquêteuse daté du 17 juillet 2014 dans lequel l’appelante aurait prétendument dit qu’elle n’avait aucun compte bancaire aux États-Unis. En fait, elle n’a jamais fait une telle déclaration et elle a révélé avoir de tels comptes.
  • Au paragraphe 39, la division générale a déclaré ce qui suit : [traduction] « Une personne ne peut pas établir sa demeure et "vivre ordinairement" dans plus d’un pays à la fois ». L’appelante n’a jamais affirmé avoir vécu dans plus d’un pays à la fois.
  • La division générale n’a fait aucune référence à une contradiction flagrante dans la preuve du ministre : son enquête portant sur l’admissibilité de l’appelante à une pension de la SV a conclu qu’elle n’avait aucun [traduction] « problème relativement à sa résidenceNote de bas de page 1 ».
  • L’appelante s’est vue refuser le droit à une audience équitable, car la division générale aurait dû avoir relevé la contradiction mentionnée précédemment et avoir alerté son ancien représentant légal.

[8] Dans ma décision datée du 28 février 2018, j’ai accordé la permission d’en appeler, car j’estimais qu’au moins l’une des observations de l’appelante conférait à l’appel une chance raisonnable de succès. Je n’ai tiré aucune conclusion quant aux autres moyens d’appel de l’appelante, mais j’ai autorisé une discussion à leur sujet pendant l’audience.

[9] Après avoir maintenant examiné les observations orales et écrites des parties, je conclus qu’aucun des motifs d’appel ne justifie l’annulation de la décision de la division générale.

Question préliminaires

[10] Le 16 avril 2016, à la suite de ma décision relative à la demande de permission d’en appeler, l’appelante a présenté une trousse documentaire de 111 pages comprenait des témoignages écrits et des relevés bancaires, qui semblent avoir été présentés dans l’intention de prouver sa résidence au Canada. D’après mes constatations, aucun de ces documents n’a été présenté à la division générale.

[11] Pour les motifs fournis au début de l’audience, j’ai refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve dans le cadre de l’appel. Selon la décision rendue par la Cour fédérale dans l’arrêt Belo-Alves c CanadaNote de bas de page 2, la division d’appel n’est pas une instance où il convient habituellement de produire de nouveaux éléments de preuve, compte tenu des contraintes de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, qui n’accorde pas à la division d’appel le pouvoir d’examiner des éléments de preuve sur le fond.

Questions en litige

[12] Conformément à l’article 58 de la LMEDS, il n’existe que les trois moyens d’appel suivants à la division d’appel : i) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle; elle a commis une erreur de droit; elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[13] Les questions en litige dont je suis saisi sont les suivantes :

Question en litige no 1 : Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’égard de la division générale?

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle bien interprété le Règlement?

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle expliqué la raison pour laquelle elle a préféré la preuve du ministre à celle de l’appelante?

Question en litige no 4 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelante avait nié posséder des comptes bancaires aux États-Unis?

Question en litige no 5 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelante avait vécu [traduction] « dans plus d’un pays à la fois »?

Question en litige no 6 : La division générale a-t-elle commis une erreur en ne remarquant pas que l’enquête du ministre avait permis de conclure que l’appelante n’avait [traduction] « aucun problème de résidence »?

Question en litige no 7 : La division générale a-t-elle privé l’appelante d’une audience équitable en n’avertissant pas l’ancien représentant légal de la présumée contradiction entre l’enquête du ministre et sa décision de mettre fin au versement de la pension de la SV?

Analyse

Question en litige no 1 : Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’égard de la division générale?

[14] Dans l’arrêt Canada c HuruglicaNote de bas de page 3, la Cour d’appel fédérale a conclu que les tribunaux administratifs devraient plutôt se fier en premier lieu à leur loi constitutive pour déterminer leur rôle : « L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur [...] »

[15] À l’application de cette approche à la LMEDS, on peut voir que les articles 58(1)(a) et 58(1)(b) ne qualifient pas les erreurs de droit ou les manquements à un principe de justice naturelle, ce qui donne à penser que la division d’appel devrait établir une norme stricte à l’égard de la division général pour les questions d’interprétation législative. En revanche, le libellé de l’article 58(1)(c) donne à penser que la division générale se voit accorder un degré de déférence relativement à ses conclusions de fait. La décision doit être fondée sur la prétendue conclusion erronée, qui doit être tirée « de façon abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments portés à [la] connaissance [de la division générale] ». Comme le laisse entendre l’arrêt Huruglica, on doit donner à ces mots leur propre interprétation, mais les termes donnent à penser que la division d’appel devrait intervenir si la division générale commet une erreur de fait importante qui est non seulement déraisonnable, mais qui est clairement flagrante ou contraire au dossier.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle bien interprété le Règlement?

[16] L’article 3(2) de la LSV énonce que pour être admissible, une partie demanderesse doit avoir résidé au Canada pendant au moins 10 ans, mais, comme la division générale l’a fait remarquer, la « résidence » représente plus que la simple présence physique au Canada. L’article 21(1) du Règlement établit une distinction entre les deux états : une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada, mais une personne est présente si elle se trouve simplement dans une région du Canada physiquement.

[17] Dans sa décision, la division générale a énoncé correctement le droit applicable, mais elle devait également suivre la jurisprudence soulevée relativement à cette question en litige. Dans l’arrêt Canada c Ding et Singer c CanadaNote de bas de page 4, la Cour fédérale a conclu que la résidence, qu’une personne soit établie au Canada ou qu’elle y vive ordinairement, est une question de fait qui dépendant des circonstances de chaque cas et qui nécessite la prise en considération d’un certain nombre de facteurs, y compris : (i) des liens prenant la forme de comptes bancaires, de cartes de crédit et de biens personnels, comme des biens-fonds, des entreprises, des meubles ou des voitures; ii) des liens sociaux au Canada, comme la participation aux activités d’organisations professionnelles; iii) d’autres liens, comme une assurance-maladie, un permis de conduire, un loyer, un bail, un hypothèque, des relevés d’impôts fonciers, des polices d’assurance, des contrats, des déclarations de passeport, des déclarations de revenus ou des déclarations de revenus principales ou fédérales; iv) des liens dans un autre pays; v) régularité et durée du séjour au Canada, ainsi que la fréquence et la durée des absences du Canada; vi) la question de savoir si le mode de vie de la partie requérante au Canada est suffisamment enraciné et établir.

[18] Même si la division générale n’a pas précisément cité les arrêts Ding ou Singer, il est évident d’après la décision qu’elle a tenu compte d’un certain nombre de facteurs pour évaluer si l’appelante était résidente du Canada, y compris les suivants :

  • l’appelante a vécu dans des roulettes ou des autocaravanes dans diverses collectivités de l’Ontario de 2001 à 2012;
  • selon les relevés de services publics, elle a seulement vécu en Ontario sur une base saisonnière;
  • ses numéros de téléphone, ses enregistrements de véhicule et ses itinéraires de déplacement comprennent son adresse au X;
  • les seuls biens qu’elle possède se trouvent au X;
  • elle a touché des revenus de location pour ses biens au X ainsi qu’une pension de la sécurité sociale des États-Unis;
  • elle a produit des déclarations de revenus aux États-Unis pendant un grand nombre d’années, mais aucune au Canada;
  • même si elle est inscrite au régime public d’assurance-santé en Ontario, elle a également reçu des services de santé aux États-Unis par l’intermédiaire du régime d’assurance-santé américain Medicare.

[19] L’appelante prétend également que la division générale a ignoré de façon sélective des renseignements à l’appui de son allégation de résidence et qu’elle a fait une sélection aléatoire de la preuve pour appuyer une hypothèse préférée. J’aborderai cette observation dans la prochaine section.

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle expliqué la raison pour laquelle elle a préféré la preuve du ministre à celle de l’appelante?

[20] L’appelante soutient que la division générale n’a pas abordé la preuve appuyant sa position comme le fait que ses enfants vivent au Canada et son témoignage dans lequel elle explique son style de vie nomade.

[21] Selon moi, cet argument a peu de fondement. La Cour d’appel fédérale a conclu que les tribunaux administratifs, comme la division générale, se voient accorder un pouvoir discrétionnaire appréciable quant à la façon dont ils examinent la preuve portée à leur connaissance. Dans la décision Simpson c. CanadaNote de bas de page 5, l’avocate de la demanderesse faisait mention d’un certain nombre de rapports médicaux que la Commission d’appel des pensions avait, à son avis, ignoré, mal compris ou mal interprété ou auxquels elle avait accordé trop de poids. En rejetant la demande de contrôle judiciaire, la Cour a affirmé ce qui suit :

Premièrement, un tribunal n’est pas tenu de mentionner dans ses motifs chacun des éléments de preuve qui lui ont été présentés, mais il est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve. Deuxièmement, le poids accordé à la preuve, qu’elle soit orale ou écrite, relève du juge des faits. Ainsi, une cour qui entend un appel ou une demande de contrôle judiciaire ne peut pas en règle générale substituer son appréciation de la valeur probante de la preuve à celle du tribunal qui a tiré la conclusion de fait contestée.

[22] En l’espèce, il est évident que la division générale a tenu compte des observations de l’appelante, et ce, même si elle n’a pas renvoyé à chacune de celles-ci dans le cadre de son analyse. Cependant, dans son résumé de la preuve, la division générale a preuve de l’appelant selon laquelle elle :

  • passe plus de 60 p. 100 de l’année au Canada;
  • a vécu chez sa belle-fille pendant son séjour au Canada;
  • a régulièrement recours à l’Assurance-santé de l’Ontario depuis 2007;
  • possède des comptes bancaires au Canada depuis bon nombre d’années.

[23] Le représentant de l’appelante a également contesté ce qu’il décrit comme étant une [traduction] « conclusion défavorable » en raison du fait que sa cliente n’a pas fourni, à la demande du ministre, des documents consignant ses déplacements de la part de l’Agence des services frontaliers du Canada et des services de douane et de la protection frontalière des États-Unis. Je suis sceptique quant à la validité de ce motif d’appel. Tout d’abord, cette observation ne correspond pas vraiment à l’une des erreurs prévues à l’article 58(1) de la LMEDS. Ensuite, je ne suis pas certain que la division générale a bel et bien tiré une conclusion défavorable; la division générale a simplement souligné que l’appelante n’avait pas fourni les documents requis dans le résumé de la preuve. Elle n’a pas renvoyé à ces documents dans le cadre de son analyse. Finalement, même si la division générale a bel et bien tiré cette conclusion, le fardeau de la preuve incombe à la personne qui prétend être admissible aux prestations de la SV, et cela est véridique même si le ministre a suspendu une pension ou y a mis fin après l’avoir approuvé, comme c’est le cas en l’espèce. En vertu de l’article 23 de la LSV, le ministre peut à tout moment lancer une enquête sur l’admissibilité d’une partie bénéficiaire et lui demander de fournir une preuve supplémentaire selon laquelle elle est résidente du Canada. Par conséquent, le fardeau a toujours incombé à l’appelante de démontrer qu’elle est admissible à la pension, et la division générale était autorisée à faire remarquer que l’appelante n’avait pas corroboré son allégation selon laquelle elle a passé la plus grande partie de son temps au Canada. L’appelante a renvoyé à la preuve au dossier selon laquelle elle avait tenté, sans succès, d’obtenir les renseignements demandés, mais il n’en demeure pas moins que sa tentative a échoué, ce qui a entraîné une lacune importante dans le dossier de la preuve. La division générale n’avait pas le droit de fonder sa décision sur cette lacune.

[24] Bien que l’appelante puisse être en désaccord avec la décision de la division générale, il est loisible à un tribunal administratif de soupeser la preuve, de déterminer les faits, le cas échéant, qu’il a choisi d’accepter ou d’écarter avant de finalement rendre une décision fondée sur son interprétation et son analyse des éléments portés à sa connaissance. Pour en arriver à sa conclusion selon laquelle l’appelante n’a jamais été résidente au Canada, la division générale a suivi la loi et a fait ce que je considère comme étant une appréciation de bonne foi de la preuve mise à sa disposition.

Question en litige no 4 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelant avait nié posséder des comptes bancaires aux États-Unis?

[25] L’appelante conteste le paragraphe 24 de la décision de la division générale, qui s’est fondée sur le rapport d’enquête daté du 17 juillet 2014 pour conclure que l’appelante avait nié avoir des comptes bancaires aux États-Unis. L’appelante déclare n’avoir jamais fait une telle déclaration et avoir révélé l’existence de tels comptes.

[26] Je ne vois pas le bien-fondé de cette observation. Le rapport d’enquête (à GD2-43) fait bel et bien état de ce qui suit : [traduction] « A. S. [sic] a déclaré qu’ils n’ont pas de comptes bancaires aux États-Unis. » La division générale n’a donc pas commis une erreur quant à ce fait. Il était loisible à l’appelante de contester la conclusion de l’enquêteuse à l’audience, et c’est ce qu’elle semble avoir fait en insistant que son époux et elle avaient des comptes bancaires aux États-Unis avant et après leur immigration au Canada.

[27] La raison pour laquelle elle a voulait agir ainsi n’était pas clair, car, à première vue, l’existence de comptes bancaires américains minait son allégation de résidence au Canada. Quoi qu’il en soit, il ne semble pas que cette question jouait un grand rôle dans la décision de la division générale, qui n’a pas renvoyé aux comptes bancaires dans le cadre de l’analyse.

Question en litige no 5 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelante avait vécu [traduction] « dans plus d’un pays à la fois »?

[28] L’appelante conteste le paragraphe 39 de la décision de la division générale dans laquelle elle a déclaré ce qui suit : [traduction] « Une personne ne peut pas établir sa demeure et "vivre normalement" dans plus d’un pays à la fois. » L’appelante nie avoir fait une telle déclaration à cet égard.

[29] À mon avis, il n’y a pas de bien-fondé relativement à cette observation; l’appelante aurait confondu l’analyse avec une conclusion de fait. Il est clair, selon le contexte de l’extrait contesté, que la division générale n’a pas attribué les mots à l’appelante, mais qu’elle offrait plutôt son interprétation du droit. Je ne constate rien de mal avec la compréhension de la résidence comme un concept juridique par la division générale; l’utilisation du mot « ordinairement » à l’article 21(1) du Règlement prévoit implicitement que, aux fins d’admissibilité à la pension de la SV, une personne ne peut être résidente d’un pays autre que le Canada.

Question en litige no 6 : La division générale a-t-elle commis une erreur en ne remarquant pas que l’enquête du ministre avait permis de conclure que l’appelante n’avait [traduction] « aucun problème de résidence »?

[30] L’appelante prétend que la division générale n’a pas remarqué une [traduction] « contradiction flagrante » entre l’enquête du ministre datée du 18 septembre 2014 ayant permis de conclure qu’elle était résidente du Canada et la suspension ultérieure de la pension, qui était fondée sur une conclusion qu’elle n’était pas résidente de ce pays.

[31] Le rapport produit à la suite de l’enquête du ministre sur le statut de résidente canadienne de l’appelante aurait joué au moins un certain rôle dans la décision de mettre fin à sa pension de la SV et de demander le remboursement des fonds versés précédemment. L’appelante a raison lorsqu’elle souligne que l’enquêteuse, qui l’a personnellement reçue en entrevue et qui a examiné ses documents, a conclu qu’elle avait [traduction] « des liens de résidence au Canada » et a recommandé que le ministre [traduction] « maintienne l’admissibilité [de l’appelante] à une pension de la Sécurité de la vieillesse au taux actuel [...] »

[32] Cependant, je ne suis pas certain certain de savoir si le ministre s’est réellement contredit, et, le cas échant, si la division générale était autorisée à tenir compte de la contradiction. Selon une note manuscrite dans ce même rapport daté du 18 septembre 2014, quelqu’un, possiblement un cadre supérieur, a décidé, sans fournir d’explication, de rejeter la recommandation de l’enquêteuse et de déclarer que l’appelante n’était pas une résidente. Je peux comprendre à quel point il peut avoir été contrariant pour l’appelante de découvrir la mesure dans laquelle elle a passé si proche de conserver sa pension, mais la décision du ministre d’écarter sa propre enquête n’est pas pertinente au final en ce qui concerne la question de l’admissibilité. La division générale n’a pas le pouvoir d’examiner les processus internes grâce auxquels le ministre se prononce sur les demandes de prestations. En vertu de l’article 28 de la LSV et de l’article 54 de la LMEDS, le mandat de la division générale est d’examiner l’ensemble de la preuve mise à sa disposition et d’effectuer une nouvelle appréciation du bien-fondé de la demande.

[33] L’appelante a probablement raison de déclarer que la division générale n’a pas remarqué la décision du ministre de rejeter la conclusion de l’enquêteuse quant à sa résidence. Il n’y avait aucune mention à cet égard dans l’enregistrement audio de l’audience, et cela n’a joué aucun rôle dans la décision écrite ultérieurement par la division générale. Quoi qu’il en soit, cela importe peu. On ne peut pas reprocher à la division générale de ne pas avoir examiné un facteur qui était, quoi qu’il en soit, non pertinent relativement à sa décision. De plus, même si le ministre pourrait avoir écarté les conclusions de l’enquête, personne n’a contesté les faits établis par cette enquête, l’élément central d’une entrevue longue et détaillée avec l’appelante à son domicile. La division générale s’est fondée en partie sur ces mêmes faits pour conclure que l’appelante n’était pas une résidente, et je ne constate rien qui puisse laisser entendre qu’elle les a mal interprétés ou qu’elle a fait une fausse déclaration relativement à ceux-ci.

Question en litige no 7 : La division générale a-t-elle privé l’appelante d’une audience équitable?

[34] L’appelante soutient qu’on l’a privée d’une audience équitable parce qu’elle a été victime de [traduction] « fausses déclarations inefficaces ».

[35] Encore une fois, cet argument, qui renvoie à la décision du ministre d’infirmer la conclusion de l’enquêteuse en matière de résidence, n’a aucun fondement. Comme il a été mentionné précédemment, la [traduction] « contradiction » décrite par l’appelante est simplement le reflet de tensions dans le processus décisionnel interne du ministre, ce qui outrepasse donc la compétence de la division générale. L’ancien représentant de l’appelant ne peut pas être critiqué pour avoir soulevé un argument selon lequel un argument n’avait aucun fondement juridique; s’il avait tenté de contester l’infirmation, la division générale aurait été justifiée d’écarter l’argument parce qu’il n’a pas la compétence de l’examiner.

[36] L’appelante pourrait être insatisfaite du travail de son représentant légal, mais cela ne signifie pas qu’elle a été privée de justice naturelle. Au contraire, la division générale a tenu une audience impartiale pour trancher les questions pertinentes et elle a autorisé l’appelante à présenter sa preuve, à formuler des arguments et à donner un long témoignage relativement à sa cause.

Conclusion

[37] Pour les motifs mentionnés précédemment, l’appelante ne m’a pas démontré que, dans l’ensemble, la division générale avait commis une erreur qui correspond à l’un des moyens d’appel prévus à l’article 58(1) de la LMEDS.

[38] L’appel est donc rejeté.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 24 août 2018

Téléconférence

A. S., appelante
Eddie Kadi, représentant de l’appelante
Carole Vary, représentante de l’intimé

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.