Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelant, B. R., est né en Inde et est arrivé au Canada en août 1992. En 2002, il a présenté une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV), au motif qu’il avait accumulé 10 ans de résidence au Canada. Peu de temps après, il a aussi présenté une demande de Supplément de revenu garanti (SRG), qui est une prestation additionnelle versée aux prestataires à faible revenu d’une pension de la SV vivant au Canada.

[3] Dans sa demande de pension de la SV, l’appelant a déclaré qu’il était retourné en Inde plusieurs fois, et que son plus long séjour s’était étalé du 30 novembre 1993 au 29 mai 1995 (absence de 1993 à 1995). L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social (ministre), lui a alors posé des questions afin de déterminer si son absence de 1993 à 1995 aurait pu interrompre sa résidence au Canada. Néanmoins, en décembre 2002, le ministre a agréé une pension de la SV à l’appelant, comme si sa résidence au Canada n’avait jamais été interrompue.

[4] En octobre 2010, le dossier de l’appelant a été sélectionné à des fins de réexamen. Le ministre a notamment modifié sa décision initiale de décembre 2002 sur son admissibilité, et a conclu que la résidence de l’appelant au Canada avait, dans les faits, été interrompue en raison de son absence de 1993 à 1995. En conséquence, la date du premier versement de ses prestations de la SV avait été reportée pour l’équivalent de cette période et le ministre a demandé à l’appelant de lui rembourser la totalité des prestations qu’il avait reçues entre septembre 2002 et février 2004, pour un total arrondi de 17 000 $.

[5] L’appelant a interjeté appel de la décision du ministre à la division générale du Tribunal mais il n’a pas eu gain de cause. Il a ensuite présenté une demande de permission d’appeler de la décision de la division générale à la division d’appel du Tribunal, demande que j’ai accueillie il y a de cela quelques mois.

[6] J’ai maintenant conclu que la division générale a commis une erreur de compétence du fait qu’elle ne s’est pas penchée sur le pouvoir du ministre à modifier sa décision initiale sur l’admissibilité. Par ailleurs, la division générale a commis une erreur de droit puisqu’elle a mal interprété les dispositions législatives pertinentes. Selon moi, le ministre n’était pas habilité à modifier sa décision initiale sur l’admissibilité, et il convient donc d’accueillir l’appel.

Questions préliminaire

[7] J’ai conclu qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience de vive voix en l’espèce et que l’appel pouvait être jugé sur la foi des observations et des documents figurant au dossier. J’ai choisi ce mode d’instruction pour les raisons suivantes :

  1. Les deux parties ont fait savoir qu’elles jugeaient adéquat ou préférable ce mode d’instruction;Note de bas de page 1
  2. Les faits qui sous-tendent l’affaire ne sont pas contestés;
  3. Le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale m’enjoint de procéder de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[8] Pour assurer l’équité de l’instance, j’ai donné à chacune des parties la possibilité de répondre aux observations présentées par l’autre partie.

[9] Tout en rédigeant les présents motifs de décision, j’ai suis arrivé à la conclusion que la décision récemment rendue par la Cour d’appel fédérale dans Kinney c. Canada (Procureur général) pourrait être pertinente à l’issue de cet appel.Note de bas de page 2 J’ai donc invité les parties à déposer des observations quant à l’application possible de l’arrêt Kinney, mais seul le ministre a donné suite à cette requête.Note de bas de page 3

Question en litige

[10] La division générale a-t-elle commis une erreur de compétence ou de droit en acceptant que le ministre avait le pouvoir de modifier sa décision initiale sur l’admissibilité?

Analyse

Cadre juridique de la division d’appel

[11] Pour qu’un appelant puisse avoir gain de cause à la division d’appel, il doit démontrer que la division générale a commis au moins l’une des trois erreurs (les moyens d’appel) énoncées au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS). Ces erreurs portent que la division générale :

  1. a) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[12] Pour déterminer la rigueur avec laquelle je dois examiner la décision de la division générale, je me suis penché sur les termes employés dans la Loi sur le MEDS.Note de bas de page 4 Conséquemment, toute erreur de compétence ou de droit peut justifier que j’intervienne.

La division générale a-t-elle commis une erreur de compétence ou de droit?

I. Contexte factuel

[13] Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’appelant a présenté une demande de pension de la SV environ 10 ans après être arrivé au Canada.Note de bas de page 5 Dans le cadre des conditions d’admissibilité à une pension partielle de la SV, l’appelant devait notamment prouver qu’il avait résidé au Canada pendant au moins 10 ans.Note de bas de page 6 De plus, il fallait que l’appelant se voie agréer une pension de la SV avant de pouvoir être admissible au SRG.Note de bas de page 7

[14] La Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV) établit une distinction fondamentale entre une personne qui réside au Canada et une personne qui n’y est que présente. Les deux termes sont définis à l’article 21 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse (Règlement sur la SV). Conformément à la définition, une personne est présente au Canada lorsqu’elle se trouve physiquement à l’intérieur des frontières du pays. Par contre, une personne réside seulement au Canada si elle y établit sa demeure et y vit ordinairement. Il peut être ardu de juger de la résidence d’une personne. Cet exercice nécessite d’examiner le contexte tout entier de la personne dont on veut déterminer la résidence; il existe tout de même une liste non exhaustive de facteurs qui peuvent aider ceux qui sont appelés à rendre des décisions en la matière.Note de bas de page 8

[15] Pour permettre au ministre d’établir la résidence au Canada d’une personne, celle-ci doit lui fournir les détails relatifs à ses périodes de résidence au Canada et à toutes ses absences pertinentes.Note de bas de page 9 En réponse à une question posée dans le formulaire de demande de pension de la SV, l’appelant a ainsi précisé qu’il vivait au Canda depuis le 21 août 1992. Avant cette date, il avait vécu en Inde. Cependant, il a aussi révélé qu’il était retourné en Inde plusieurs fois après ladite date, notamment à l’occasion de son absence de 1993 à 1995.Note de bas de page 10

[16] Lorsqu’il a évalué la résidence de l’appelant en 2002, le ministre avait écrit à ce dernier en notant ceci : [traduction] « Les renseignements que nous avons à votre dossier montrent que vous êtes arrivé au Canada en août 1992 et en êtes parti en décembre 1992. Vous êtes revenu au Canada en avril 1993, y êtes resté pendant 7 mois et 3 jours puis êtes parti pendant 1 an et demi. Sur une période de 2 ans et 9 mois, seuls 11 mois et 13 jours ont été passés au CanadaNote de bas de page 11. » Le ministre se demandait manifestement si l’appelant avait bel et bien établi sa résidence au Canada en août 1992, ou s’il l’avait seulement fait plus tard. Par conséquent, le ministre a envoyé à l’appelant un questionnaire dans le but de recueillir de plus amples renseignements sur ses absences du pays avant mai 1995.Note de bas de page 12

[17] Dans ses réponses au questionnaire, l’appelant a expliqué qu’il avait eu l’intention de résider de façon permanente au Canada à partir du 21 août 1992, et qu’il avait obtenu sa couverture d’assurance-maladie provinciale à cette époque.Note de bas de page 13 Il a déclaré qu’il était allé en Inde en décembre 1992 pour essayer de trouver des époux convenables pour ses enfants célibataires. Il est retourné en Inde en novembre 1993 pour assister à leurs mariages. Il a admis qu’il était resté en Inde pendant un bon bout de temps mais a souligné qu’il avait obtenu un permis de retour pour résident permanent, et a soutenu – et soutient toujours – que ce permis devrait représenter une preuve absolue de la continuité de sa résidence au Canada.Note de bas de page 14

[18] Au sujet de son absence de 1993 à 1995, l’appelant a aussi expliqué qu’il n’était qu’un visiteur en Inde, qu’il n’y était propriétaire ni d’une maison ni d’une entreprise, qu’il n’y avait pas travaillé ni fait de déclarations de revenus, et qu’il n’avait pas non plus de permis de conduire ou de régime d’assurance-maladie en Inde.Note de bas de page 15

[19] Le ministre a visiblement accepté les explications fournies par l’appelant et conclu que sa résidence au Canada n’avait pas été interrompue depuis son arrivée au pays en août 1992. Le ministre lui a donc accordé une pension partielle de la SV, ainsi qu’une prestation du SRG, et ces prestations lui ont été versées à compter de septembre 2002.Note de bas de page 16

[20] Plus tard, dans le cadre de l’enquête qu’il a entreprise en 2010, le ministre a recueilli des renseignements plus précis sur les absences du Canada de l’appelant. Le ministre a aussi appris que l’appelant touchait un revenu de pension de son ancien emploi en Inde, et que lui et ses deux fils avaient hérité, à titre de copropriétaires, d’une propriété agricole en Inde. L’appelant avait d’abord affirmé qu’il ne touchait pas de loyer grâce à cette propriété comme c’était ses fils qui cultivaient les terres, mais il a plus tard déclaré qu’il touchait un revenu grâce à la propriété, pour un total d’environ 320 $ à 435 $ par an.Note de bas de page 17 Les prestations du SRG de l’appelant ont été recalculées en fonction de ce revenu provenant de l’étranger, une question dont je ne suis pas saisi.Note de bas de page 18

[21] Cependant, le ministre affirme aussi que les renseignements recueillis dans le cadre de l’enquête lancée en 2010, considérés conjointement à l’information qui figurait déjà au dossier, démontraient clairement que l’appelant n’avait pas résidé au Canada lors de son absence de 1993 à 1995.Note de bas de page 19 Par conséquent, le ministre a infirmé sa décision de 2002 sur cette question, ce qui signifiait que l’appelant devenait seulement admissible aux prestations de la SV et du SRG à une date ultérieure, entraînant ainsi le supposé trop-perçu à son compte.

[22] L’appelant a demandé au ministre de procéder à une révision de sa décision portant sur sa résidence au Canada durant son absence de 1993 à 1995, mais le ministre a décidé de maintenir sa nouvelle position.

II. Instance devant la division générale

[23] L’appelant a interjeté appel de la décision du ministre à la division générale du Tribunal. La division générale a décidé d’instruire l’appel au moyen d’une téléconférence, à laquelle l’appelant n’a pas participé.

[24] Aux paragraphes 14, 15 et 43 de sa décision, la division générale a défini comme suit la question sur laquelle elle devait statuer : En s’absentant du Canada de 1993 à 1995, l’appelant a-t-il interrompu sa résidence au Canada de sorte que la date à laquelle il était devenu admissible à des prestations de la SV devrait être ajustée?

[25] La division générale a notamment noté dans sa décision :

  1. le paragraphe 23(1) du Règlement sur la SV, qui confère au ministre un vaste pouvoir pour recueillir des renseignements ou des éléments de preuve additionnels concernant l’admissibilité d’une personne à une prestation;
  2. le paragraphe 37(2) de la Loi sur la SV, qui prévoit que toute prestation de la SV reçue à tort doit être remboursée.

[26] La division générale a ensuite entrepris d’évaluer la résidence de l’appelant durant son absence de 1993 à 1995. D’après la division générale, l’appelant était obligé de prouver sa résidence au Canada selon la prépondérance des probabilités, mais il n’était pas parvenu à le faire.

III. Observations des parties

[27] Il convient de souligner que l’appelant n’a jamais été représenté lors de ces instances et que ses aptitudes en anglais sont limitées. Je comprends tout de même qu’il a essayé de soutenir les deux arguments suivants, tant à la division générale qu’à la division d’appel :

  1. En 2002, le ministre a décidé que son absence de 1993 à 1995 n’avait pas eu pour effet d’interrompre sa résidence au Canada, et le ministre ne devrait pas être autorisé à modifier sa décision à une date ultérieure;
  2. Sa résidence au Canada s’est poursuivie durant son absence de 1993 à 1995 puisque Emploi et Immigration Canada lui avait délivré un permis de retour pour résident permanent (et son statut d’immigration est d’ailleurs toujours valide aujourd’hui).Note de bas de page 20

[28] Je vais rapidement traiter du second argument de l’appelant à stade. En toute déférence, le statut d’immigration de l’appelant au Canada n’est que l’un des nombreux facteurs qui peuvent être pris en considération pour évaluer sa résidence au Canada aux termes de la Loi sur la SV. La résidence permanente aux fins d’immigration est distincte de la résidence au Canada dans l’optique d’établir l’admissibilité d’une personne à des prestations en vertu de la Loi sur la SV. Ainsi, le fait que l’appelant avait obtenu son permis de retour pour résident permanent n’est pas aussi concluant qui le souhaiterait.

[29] De son côté, le ministre soutient qu’aucune contrainte légale ne l’empêchait de réévaluer la résidence de l’appelant eu égard à son absence de 1993 à 1995. Le ministre se fonde sur l’article 23 du Règlement sur la SV et de l’article 37 de la Loi sur la SV pour soutenir qu’il détient un pouvoir réglementaire explicite et vaste pour demander, en tout temps, aux prestataires de pensions de la SV de produire des éléments de preuve sur leur admissibilité à la pension. De plus, si le ministre juge qu’une personne a touché une pension à laquelle elle n’avait pas droit, les prestations versées constituent une créance de Sa Majesté et peuvent être recouvrées.

[30] Conformément aux observations du ministre, des principes de common law comme ceux de functus officio (principe de dessaisissement) et de res judicata (principe de la chose jugée) ne permettent pas de déplacer le pouvoir explicitement conféré par la loi. Le Tribunal, s’il statuait autrement, irait manifestement à l’encontre de l’intention clairement exprimée par le législateur et la contrecarrerait.

[31] Le ministre nie également que la division générale n’a pas exercé sa compétence relativement à l’une des questions soulevées par l’appelant. Le ministre met plutôt en évidence la mention qu’elle a faite du paragraphe 23(1) du Règlement sur la SV, qui répond entièrement à la question de l’aptitude de ministre à modifier sa décision initiale sur l’admissibilité. Même si le ministre reconnaît que la division générale n’a pas directement traité de cette question, un tel oubli ne représente pas une erreur qui justifie une intervention de la division d’appel.

[32] Le ministre souligne également que, lorsqu’il a infirmé sa décision de 2002 concernant la résidence au Canda de l’appelant durant son absence de 1993 à 1995, il n’a pas uniquement examiné les renseignements qu’il avait déjà recueillis en 2002. C’est plutôt grâce à la combinaison de ces renseignements et de ceux qu’il a recueillis dans le cadre de son enquête lancée en 2010 qu’il a conclu que l’absence de 1993 à 1995 avait eu pour effet d’interrompre la résidence de l’appelant au Canada. Enfin, le ministre soutient que la division générale a bien appliqué les faits et le droit pour conclure que l’appelant n’avait pas réussi à prouver sa résidence au Canada durant son absence de 1993 à 1995.

IV. Erreurs de compétence et de droit commises par la division générale

[33] Dans sa lettre datée du 10 juin 2015 à l’intention de la division générale, l’appelant a souligné que le ministre avait approuvé ses demandes de prestations de la SV et du SRG en décembre 2002 et demandé que les sommes retenues lui soient remises aussitôt que possible.Note de bas de page 21

[34] À la lettre du 17 septembre 2015 de l’appelant étaient ensuite jointes des lettres du ministre montrant que celui-ci était au courant de son absence de 1993 à 1995 et qu’il avait interrogé l’appelant à ce sujet, mais qu’il avait ensuite décidé d’agréer ses demandes de prestations de la SV et du SRG à partir de la date la plus antérieure possible.Note de bas de page 22 L’appelant a demandé comment il était possible d’annuler ses prestations 10 ans après l’agrément du ministre.Note de bas de page 23

[35] À mon avis, il est suffisamment clair d’après ces documents que l’appelant contestait l’habilité du ministre à modifier sa décision initiale sur son admissibilité. Par contre, la division générale a affirmé dans sa décision qu’elle n’avait qu’une seule question à trancher, soit celle de la résidence de l’appelant au Canada durant son absence de 1993 à 1995. Dans ce contexte, j’ai conclu que la division générale a commis une erreur du fait qu’elle n’a pas exercé sa compétence relativement à une question qui avait été soulevée par l’appelant.

[36] Je ne peux souscrire à l’argument du ministre selon lequel cette erreur est négligeable étant donné que la division générale a fait référence au paragraphe 23(1) du Règlement sur la SV. Les différentes affirmations faites par la division générale sur cette question révèlent qu’elle n’a jamais cherché à savoir si la loi conférait au ministre le pouvoir de changer sa décision initiale sur l’admissibilité. Selon moi, on ne peut affirmer que la division générale a traité de la question simplement parce qu’elle a invoqué le paragraphe 23(1) du Règlement sur la SV, particulièrement à la lumière de ce qui suit :

  1. a) Dans sa décision, la division générale a clairement exposé la question à trancher à de nombreuses reprises, mais le pouvoir du ministre à modifier sa décision initiale sur l’admissibilité n’en a jamais fait partie;
  2. b) Le paragraphe 23(1) du Règlement sur la SV a été cité parmi de nombreuses autres dispositions législatives, mais sa pertinence par rapport à la décision n’a jamais été expliquée;
  3. c) Le paragraphe 23(1) du Règlement sur la SV n’a été ni analysé ni interprété.

[37] Par ailleurs, la division générale a commis une erreur de droit du fait qu’elle a mal interprété l’article 23 du Règlement sur la SV. Si la division générale a véritablement conclu, d’après cette disposition, que le ministre était habilité à modifier sa décision initiale sur l’admissibilité, elle a omis d’appliquer les principes pertinents de l’interprétation des lois, que je présente ci-dessous.

[38] Pour les raisons qui suivent et en vertu des pouvoirs que me confère le paragraphe 59(1) de la Loi sur la MEDS, j’ai jugé qu’il convenait en l’espèce de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre :

  1. a) Les faits de l’espèce sont complets et les faits pertinents ne sont pas contestés ou ne le sont que très peu;
  2. b) J’ai compétence pour trancher toute question de fait ou de droit nécessaire pour statuer sur l’appel;Note de bas de page 24
  3. c) Rien ne justifierait vraiment de renvoyer l’affaire à la division générale;
  4. d) Le Tribunal doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle permettent.Note de bas de page 25

[39] J’ai conclu que l’article 23 du Règlement sur la SV, lorsqu’il est bien interprété, n’autorise pas le ministre à modifier ses décisions initiales en matière d’admissibilité. Vu les pouvoirs limités que la loi confère au ministre, il était inutile que la division générale évalue la résidence de l’appelant durant son absence de 1993 à 1995. La division générale aurait plutôt dû confirmer l’admissibilité de l’appelant à une pension partielle de la SV et à une prestation du SRG à compter de septembre 2002.

[40] Comment faut-il alors interpréter l’article 23 du Règlement sur la SV?

V. Principes clés de l’interprétation législative

[41] Selon l’approche reconnue en matière d’interprétation des lois, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateu=Note de bas de page 26. » L’article 12 de la Loi d’interprétation édicte aussi que « [t]out texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. »

[42] L’objet de la Loi sur la SV, notamment son objectif altruiste, a été explicité comme suit par la Cour fédérale :Note de bas de page 27

Je dirais du régime de la SV qu’il a un objectif altruiste. Contrairement au Régime de pensions du Canada [L.R.C. (1985), ch. C-8], les prestations de la SV sont universelles et non contributives, et fondées exclusivement sur la résidence au Canada. Ce type de législation répond à un objectif social large et ouvert, que l’on pourrait même qualifier de caractéristique du paysage social au Canada. Il convient donc de l’interpréter de façon large, et il ne faudrait pas qu’une personne soit privée inconsidérément du droit aux prestations de la SV.

[43] La Cour d’appel fédérale a affirmé que la Loi sur la SV vise à procurer un soutien du revenu aux personnes âgées, ce qui est un objectif de politique générale urgent et réel.Note de bas de page 28 La Cour canadienne de l’impôt a dit de la Loi sur la SV qu’il s'agissait d’une « loi d’aide sociale qu’il faut interpréter d’une façon libérale en faveur des personnes qui devraient raisonnablement en bénéficierNote de bas de page 29. »

[44] Soulignons toutefois que l’article 23, qui est la principale disposition sur laquelle se fonde le ministre en l’espèce, ne fait pas partie de la Loi sur la SV mais bien du Règlement sur la SV. La Cour d’appel fédérale a statué qu’un décideur devant réconcilier une loi et son règlement doit recourir à la loi comme point de départ et interpréter les deux textes législatifs de la manière la plus harmonieuse possible, mais a aussi précisé que le règlement demeure, en définitive, restreint par la portée de sa loi habilitante :Note de bas de page 30

[traduction]

Normalement, en pareilles circonstances, la Cour se penche sur les dispositions de la loi habilitante pour déterminer avec précision, dans un premier temps, ce dont le législateur a permis la réglementation. Elle examine ensuite le texte réglementaire. Il est présumé que le règlement a été pris en conformité avec les dispositions de la loi habilitante et qu’il existe une cohérence entre la terminologie de la loi et celle du règlement. La Cour s’efforce alors d’interpréter ce dernier de façon que sa portée demeure dans les limites établies par la loi habilitante. Lorsque cela se révèle impossible, le règlement ou une partie de celui-ci est jugé ultra vires. La conciliation est donc la règle, et elle est réalisée dans la plupart des cas.

[45] Cette approche a déjà été appliquée relativement à la Loi sur la SV et au Règlement sur la SV dans le passé.Note de bas de page 31

VI. Article 23 du Règlement sur la SV

[46] Comme je l’ai mentionné précédemment, le ministre soutient que l’article 23 du Règlement sur la SV lui confère un vaste pouvoir pour enquêter sur l’admissibilité d’une personne à une pension de la SV et pour la réévaluer. Essentiellement, le ministre avance que l’admissibilité d’une personne à une pension de la SV peut être réévaluée en tout temps et pour n’importe quel motif. De plus, selon le ministre, le bénéficiaire serait tenu, lorsqu’il procède à une telle réévaluation, de prouver son admissibilité aux prestations qu’il touche.Note de bas de page 32

[47] Voici comment sont énoncés les pouvoirs du ministre à l’article 23 du Règlement sur la SV :

Autres renseignements et enquêtes avant ou après l’agrément de la demande ou l’octroi de la dispense

23 (1) Le Le ministre peut, avant ou après l’agrément d’une demande ou après l’octroi d’une dispense, exiger que le demandeur, la personne qui a fait la demande en son nom, le prestataire ou la personne qui touche la pension pour le compte de ce dernier, selon le cas, permette l’accès à des renseignements ou des éléments de preuve additionnels concernant l’admissibilité du demandeur ou du prestataire à une prestation.

(2) Le ministre peut, en tout temps, faire enquête sur l’admissibilité d’une personne à une prestation, y compris sur la capacité du prestataire pour ce qui est de l’administration de ses propres affaires.

[48] Le ministre défend aussi sa position en s’appuyant sur l’article 37 de la Loi sur la SV, selon lequel une personne doit rembourser les sommes qu’elle pourrait avoir touchées sans y avoir droit :

Obligation de restitution

37 (1) Le trop-perçu — qu’il s’agisse d’un excédent ou d’une prestation à laquelle on n’a pas droit — doit être immédiatement restitué, soit par remboursement, soit par retour du chèque.

Recouvrement du trop-perçu

(2) Le trop-perçu constitue une créance de Sa Majesté dont le recouvrement peut être poursuivi en tout temps à ce titre devant la Cour fédérale ou tout autre tribunal compétent, ou de toute autre façon prévue par la présente loi.

[49] Selon moi, les pouvoirs que le ministre prétend lui être conférés par l’article 23 du Règlement sur la SV sont extraordinaires, et une lecture adéquate des dispositions pertinentes ne permet pas de soutenir son interprétation.

[50] Conformément aux directives qui précèdent et qui ont été fournies par la Cour d’appel fédérale, j’ai entamé mon analyse en examinant la Loi sur la SV.

[51] Les conditions d’admissibilité à une pension pleine ou partielle de la SV figurent à l’article 3 de la Loi sur la SV. Le ministre agrée la demande s’il est convaincu que le requérant remplit ces conditions, mais la prise d’effet de son agrément varie conformément à l’article 5 du Règlement sur la SV. Voilà essentiellement la décision initiale du ministre sur l’admissibilité.

[52] Le premier versement d’une pension de la SV se fait au cours du mois qui suit l’agrément de la demande et la pension est viagère en vertu de la loi.Note de bas de page 33 Précisons surtout que la Loi sur la SV ne prévoit que deux situations où il y a cessation du versement d’une pension de la SV :Note de bas de page 34

  1. à la demande écrite du pensionné;
  2. au décès du pensionné.

[53] Par contre, la Loi sur la SV prévoit de nombreuses circonstances entraînant la suspension d’une pension de la SV, notamment si un pensionné n’ayant pas 20 années de résidence au Canada quitte le Canada pour une période prolongée ou cesse d’y résider.Note de bas de page 35 Une pension de la SV peut être suspendue si le pensionné est incarcéré ou s’il n’observe pas la loi.Note de bas de page 36 La Loi sur la SV prévoit cependant, dans le cas où une pension a été suspendue, la possibilité d'une reprise du service de la pension une fois que le statut du pensionné est « rétabli ».

[54] J’estime donc que la Loi sur la SV établit une distinction importante entre la cessation d’une pension et la suspension de celle-ci. Il est crucial de comprendre qu’il n’existe que très peu de circonstances pouvant entraîner la cessation d’une pension de la SV, et ces circonstances sont si claires qu’il est peu probable qu’elles doivent faire l’objet d’une enquête.

[55] Bien entendu, je reconnais que les paragraphes 37(1) et (2) de la Loi sur la SV révèlent la possibilité que l’admissibilité d’un pensionné à des prestations de la SV ou leur montant peuvent changer au fil du temps. Je viens justement de donner des exemples de situations où un pensionné devrait voir sa pension de la SV suspendue, et le montant de la prestation du SRG d’un pensionné peut notamment changer en fonction de son état matrimonial. Ainsi, il existe de nombreuses circonstances qui peuvent inciter le ministre, même après sa décision initiale sur l’admissibilité, à faire enquête afin de déterminer si un pensionné demeure admissible à ses prestations de la SV ou si leur montant est exact.

[56] En examinant la Loi sur la SV, je n’ai pu trouver aucun fondement juridique pour soutenir que le ministre est habilité à changer ses anciennes décisions, comme ses décisions initiales sur l’admissibilité. La loi favorise le caractère définitif des décisions rendues, et les pensionnés s’attendent légitimement à pouvoir se fier aux décisions du ministre quant à leur admissibilité. Ainsi, si le ministre avait le pouvoir de revisiter ces décisions, on pourrait s’attendre à ce que la loi l’exprime en termes clairs. Comme il n’existe pas de disposition à cet effet, j’estime que cette situation ne fait pas partie de celles qui permettent de modifier l’admissibilité d’un pensionné, comme le prévoit l’article 37 de la Loi sur la SV.

[57] Il est important de souligner qu’il existe, dans certaines parties de la Loi sur la SV et d’autres lois qu’applique le ministre, des dispositions permettant à ce dernier de modifier ses décisions antérieures, ce qui rend d’autant plus frappant le fait que la Loi sur la SV ne prévoit aucune disposition de la sorte en ce qui concerne ses décisions sur l’admissibilité.

[58] Par exemple, le paragraphe 44.1(4) de la Loi sur la SV autorise le ministre à annuler ou modifier ses décisions relatives aux pénalités infligées. Cependant, il ne peut exercer ce pouvoir que dans certaines situations, notamment s’il est saisi de faits nouveaux.Note de bas de page 37 Une disposition semblable figure au paragraphe 90.1(4) du Régime de pensions du Canada (RPC).

[59] Soulignons justement, au sujet des décisions qu’il rend en vertu du RPC, que le ministre est aussi habilité à annuler ou modifier d’autres décisions sur la base de faits nouveaux.Note de bas de page 38 Le ministre paraît soutenir qu’il ne fait qu’exercer ce même pouvoir en l’espèce; par contre, la Loi sur la SV ne contient pas de disposition équivalente.

[60] Il convient aussi de mentionner la Loi sur l’assurance-emploi, dont l’application relève aussi du ministre même si c’est à la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) que sont conférés la majorité des pouvoirs. Cette loi donne à la Commission le pouvoir d’annuler ou de modifier ses décisions antérieures sur des demandes de prestations.Note de bas de page 39 Elle lui confère également le vaste pouvoir de réexaminer ses décisions antérieures d’un point de vue plus général, même si elle ne peut exercer ces pouvoirs que dans des délais précis.Note de bas de page 40

[61] En effet, le pouvoir que le ministre prétend détenir – soit celui de changer en tout temps et pour n’importe quel motif ses décisions antérieures – est un pouvoir extraordinaire. Même le ministre du Revenu national ne jouit pas d’un tel pouvoir en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.Note de bas de page 41

[62] Comme le législateur a expressément donné le pouvoir d’annuler, de modifier et de réexaminer d’anciennes décisions dans d’autres contextes où sont accordées des prestations, il est normal de croire que le législateur aurait employé des termes analogues dans la Loi sur la SV s’il avait eu l’intention de conférer au ministre le pouvoir de modifier ses décisions initiales sur l’admissibilité.

[63] En l’espèce, l’enquête du ministre a entraîné la modification de la date du premier versement des prestations de la SV et du SRG de l’appelant. Par contre, il est important de reconnaître que la modification d’une décision initiale sur l’admissibilité peut parfois causer la cessation complète des prestations de la SV (ce qui, d’après mon expérience, arrive effectivement parfois). Cela dit, comme je l’ai souligné plus tôt, la Loi sur la SV autorise uniquement la cessation des prestations de la SV dans deux situations : au décès du pensionné ou à la demande écrite de celui-ci. Une enquête et la modification d’une décision sur l’admissibilité ne font pas partie des situations où le ministre est autorisé à faire cesser les prestations de la SV d’un pensionné. Le ministre peut plutôt, à la suite d’une enquête, conclure que ses prestations devraient être suspendues, dans la mesure où il le conclut pour l’une des raisons prévues par la Loi sur la SV.

[64] L’interprétation que je fais de la Loi sur la SV est également appuyée par la portée du pouvoir réglementaire conféré au gouverneur en conseil. À cet égard, l’alinéa 34j) de la Loi sur la SV limite comme suit le pouvoir du gouverneur en conseil :

Règlement

34 Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements d’application de la présente loi et, notamment :

[…]

j) prévoir la suspension du service d’une prestation pendant toute enquête sur l’admissibilité du prestataire, ainsi que la réintégration ou la reprise du versement[.]

[65] Encore une fois, rien ne permet de penser que le législateur voulait donner au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements qui permettraient au ministre de modifier ses décisions antérieures sur l’admissibilité, entraînant ainsi possiblement la cessation rétroactive du versement de prestations de la SV et, plus encore, l’obligation de rembourser des trop-perçus.

[66] Je reconnais que les termes employés à l’article 23 du Règlement sur la SV donnent un vaste pouvoir au ministre; par contre, on ne peut interpréter cette législation subordonnée en la dissociant complètement de sa loi habilitante. Je dois plutôt m’efforcer d’interpréter l’article 23 du Règlement sur la SV d’une façon que sa portée demeure dans les limites établies par la loi habilitante. Autrement dit, l’article 23 du Règlement sur la SV doit être interprété d’une manière qui est en harmonie avec la Loi sur la SV et qui en respecte les limites.

[67] Dans cette optique, j’ai conclu que l’interprétation que le ministre m’exhorte à adopter dépasse la portée de la loi habilitante et ne peut être acceptée. À mon avis, l’interprétation du ministre va également à l’encontre d’une interprétation libérale de la Loi et du Règlement sur la SV, que les tribunaux me demandent d’adopter, de même qu’à l’encontre de leur objet, qui est de nature altruiste. Compte tenu du fait que le ministre a agréé la demande de prestations de la SV de l’appelant alors qu’il était conscient de son absence de 1993 à 1995, il me paraît évident qu’il est raisonnable que l’appelant puisse s’attendre à bénéficier de la Loi et du Règlement sur la SV et que les dispositions en jeu doivent interprétées de façon libérale en sa faveur.

[68] Je suis donc d’accord pour dire que le ministre jouit d’un vaste pouvoir pour sommer les prestataires à lui fournir des documents prouvant leur admissibilité à une pension de la SV, avant que celle-ci soit agréée. D’après mon interprétation de l’article 23 du Règlement sur la SV, le ministre n’est toutefois pas autorisé, après l’agrément d’une pension de la SV, à revenir sur ses pas pour changer sa décision initiale sur l’admissibilité. En effet, dès lors qu’est accordée une pension de la SV à un pensionné, l’article 23 du Règlement sur la SV autorise seulement le ministre à faire enquête dans le but de déterminer si la personne demeure admissible aux prestations et si leur montant demeure exact.

[69] Selon moi, cette limitation des pouvoirs du ministre est confortée par la décision Kinney de la Cour d’appel fédérale. Le ministre avait conclu que monsieur Kinney était admissible à une pension d’invalidité du RPC, même si cette admissibilité pouvait changer advenant que son état de santé s’améliore. En effet, le jugement Kinney découle d’une tentative du ministre à annuler la pension d’invalidité de monsieur Kinney au motif que celui-ci avait retrouvé une capacité de travail.

[70] Même si la présente affaire et l’affaire Kinney reposent sur des régimes de réglementation différents, elles partagent beaucoup de points communs. D’abord, l’application du RPC et l’application de la Loi sur la SV relèvent toutes deux du ministre. Ensuite, ces deux régimes de réglementation confèrent au ministre le vaste pouvoir de faire enquête sur l’admissibilité potentiellement changeante des bénéficiaires et de recouvrer toute somme versée à tort.Note de bas de page 42

[71] Dans Kinney, la décision de révision du ministre avait été rendue en mai 2004, mais visait à annuler la pension d’invalidité versée depuis décembre 1992. Parmi les différents arguments invoqués par monsieur Kinney, la Cour d’appel fédérale s’est attardée à la question de savoir si la loi conférait au ministre le pouvoir d’appliquer rétrospectivement l’admissibilité dès décembre 1992. Précisons que la Cour a souligné que le ministre avait rendu une décision le 2 avril 1998 qui confirmait que monsieur Kinney était admissible à une pension d’invalidité jusqu’à cette date.

[72] Le jugement de la Cour a été prononcé à l’audience, et il est donc plutôt court et ne contient pas autant de détails qu’on pourrait l’espérer. Malgré tout, la Cour a confirmé la capacité du ministre à annuler la pension d’invalidité de monsieur Kinney, mais a aussi statué qu’il n’était pas habilité à changer sa décision précédente du 2 avril 1998. Par conséquent, le ministre ne pouvait pas annuler la pension d’invalidité de monsieur Kinney pour la période précédant cette date.

[73] Le ministre soutient que Kinney ne s’applique pas en l’espèce vu les différences factuelles entre les deux causes. Je ne suis pas d’accord. En effet, je suis plutôt convaincu que le raisonnement opéré par la Cour d’appel fédérale dans Kinney s’applique également en l’espèce. Dans un système législatif comme dans l’autre, le ministre dispose de vastes pouvoirs lui permettant de faire enquête sur l’admissibilité d’un bénéficiaire à une prestation; cependant, la Cour d’appel fédérale a conclu que ces pouvoirs ne comprenaient pas le pouvoir de modifier une décision antérieure sur l’admissibilité.

[74] Selon le ministre, l’affaire Kinney est différente de la présente puisqu’au moins deux décisions sur l’admissibilité ont été rendues dans cette affaire : une décision initiale (dont la date est inconnue), et la décision du 2 avril 1998, qui confirmait l’admissibilité de monsieur Kinney à une pension d’invalidité jusqu’à cette date. Le ministre souligne qu’il n’y a, en l’espèce, qu’une décision initiale sur l’admissibilité et aucune décision subséquente. Selon moi, le nombre de décisions sur l’admissibilité n’est pas la pierre angulaire du jugement Kinney; ce qu’il faut plutôt en retenir, c’est que la dernière décision du ministre sur l’admissibilité devrait pouvoir être considérée comme exacte.  

[75] Dans l’affaire qui nous occupe, le ministre a conclu en décembre 2002 que l’appelant était admissible à des prestations de la SV et du SRG puisqu’il avait accumulé 10 ans de résidence au Canada depuis le mois d’août de cette année-là. Si l’on tient pour acquis que cette décision est exacte, le ministre ne pourrait pas plus tard revenir sur ses pas et décréter que l’appelant ne possédait pas, en date d’août 2002, 10 ans de résidence au Canada.

[76] J’ai noté plus tôt que le paragraphe 81(3) du RPC confère au ministre le pouvoir d’annuler ou de modifier ses décisions; par contre, j’estime important de préciser que ce pouvoir n’existait pas encore au moment où la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision dans Kinney. Ainsi, les deux systèmes législatifs étaient encore plus semblables à l’époque qu’ils le sont aujourd'hui.

[77] Je m’empresse d’ajouter que ma conclusion en l’espèce ne signifie aucunement que les demandes de pension de la SV ne devraient pas faire l’objet d’examens rigoureux ou d’enquêtes. Au contraire, la Loi sur la SV donne au ministre le pouvoir d’évaluer minutieusement la résidence des requérants avant d’agréer leurs demandes. Une fois qu’une demande est agréée, le ministre peut encore mener des examens afin de déterminer si le requérant demeure admissible aux prestations (ou si les prestations versées sont du bon montant). À simple titre d’exemple, le ministre aurait pu déterminer, même en 2010, que la résidence de l’appelant au Canada avait été interrompue dès le lendemain de sa décision initiale sur l’admissibilité, et exigé que l’appelant rembourse la majeure partie des prestations de la SV qu’il avait touchées.Note de bas de page 43

[78] Par contre, la Loi sur la SV et le Règlement sur la SV ne permettent pas au ministre d’agréer une demande puis, des années plus tard – durant lesquelles les souvenirs s’estompent, les maladies peuvent s’installer, et les documents risquent d’être perdus ou détruits – de sommer les pensionnés à prouver de nouveau leur résidence au Canada pour une période pouvant remonter à plusieurs décennies. En effet, j’ai moi-même dû juger de nombreuses causes où le ministre avait insisté pour que des pensionnés s’adonnent à cet exercice précis, sans quoi ils seraient tenus responsables de trop-perçus pouvant atteindre 100 000 $, voire même 200 000 $.

[79] Dans M. E. c Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas de page 44, une décision sur laquelle le ministre se fonde, le ministre avait insisté auprès du pensionné pour qu’il prouve à nouveau sa résidence au Canada depuis 1972, soit depuis son arrivée au pays. L’enquête et la réévaluation du ministre avaient causé un stress énorme au pensionné, qui avait dû chercher à obtenir de l’aide financière pendant les six ou sept ans durant lesquels sa pension de la SV et sa prestation du SRG avaient été suspendues.

[80] Selon moi, cette affaire est un exemple parfait de l’injustice profonde et du stress immense que peuvent subir les pensionnés lorsque l’article 23 du Règlement sur la SV est interprété comme le fait le ministre. En effet, si la position du ministre était acceptée, celui-ci pourrait sans cesse réévaluer le dossier d’un pensionné au point d’en faire du harcèlement. J’ai plutôt conclu qu’une telle interprétation doit être rejetée puisqu’elle va à l’encontre du but et de l’objet de la Loi sur la SV.  

[81] Je reconnais qu’il existe des situations exceptionnelles où le ministre pourrait vouloir annuler une pension de la SV et réclamer que les sommes déjà versées soient remboursées, notamment sur le fondement de faits nouveaux ou dans les cas de fraude. Toutefois, le ministre détient seulement les pouvoirs que lui confère la loi, et je ne peux donner au ministre aucun pouvoir additionnel dont il aimerait disposer ou croit avoir besoin. Je ne peux qu’interpréter la portée de ses pouvoirs existants et annuler toute décision qu’il aurait rendue sans disposer du pouvoir législatif nécessaire.

[82] Je crois important de souligner que le ministre n’est pas sans recours si une personne touche vraiment des prestations de la SV de façon frauduleuse. Dans de tels cas, le ministre dispose des options prévues aux articles 44 et 44.1 de la Loi sur la SV. Aux termes de ces dispositions, une personne qui fait sciemment une déclaration fausse ou trompeuse dans sa demande court le risque d’être poursuivie pour une infraction punissable par procédure sommaire ou de se voir imposer une pénalité.Note de bas de page 45

[83] Je n’exclus pas non plus la possibilité que le ministre puisse, s’il conclut qu’un pensionné a touché des prestations de façon frauduleuse, exercer les pouvoirs que lui confèrent le paragraphe 9(5) et l’article 37 de la Loi sur la SV afin de suspendre le versement de sa pension et de recouvrer toute somme lui ayant été versée à tort, comme le pensionné n’aurait pas respecté ses obligations légales. De toute façon, si le législateur souhaitait donner au ministre le pouvoir d’annuler une pension de la SV et d’en exiger le remboursement, il devrait alors envisager d’exprimer son intention plus clairement en modifiant la Loi sur la SV et le Règlement sur la SV pour y insérer des dispositions législatives claires, semblables à celles utilisées ailleurs.

[84] Rappelons cependant que l’espèce n’est pas une case où le ministre prétend que l’appelant aurait obtenu ses prestations de la SV de façon frauduleuse. Le ministre ne prétend pas non plus en l’espèce qu’il aurait modifié sa décision initiale sur l’admissibilité en fonction de « faits nouveaux » (soit de faits qui n’auraient pu être connus au moment où le ministre a rendu sa décision initiale sur l’admissibilité).

[85] Plus précisément, le ministre n’a pas essayé d’utiliser contre l’appelant les pouvoirs dont il dispose en vertu des articles 44 et 44.1 de la Loi sur la SV, et il n’est aucunement allégué que l’appelant aurait fait des déclarations fausses ou trompeuses avant l'agrément de sa pension de la SV en 2002. De plus, même si le ministre souligne que sa réévaluation était fondée sur un élément de preuve supplémentaire qui avait seulement été mis en lumière durant l’enquête qu’il a entamée en 2010, rien ne permet de croire que cette information n'aurait pas pu être découverte en 2002 si le ministre avait alors mené un examen plus minutieux (soit en posant simplement quelques questions de plus).

[86] Avant de conclure cette analyse, il convient de souligner qu’il existe au moins une cause où la Cour fédérale a confirmé qu’un pensionné était responsable de rembourser des prestations qu’il avait touchées, après une réévaluation du ministre où celui-ci avait conclu, à l’inverse de sa décision initiale sur l’admissibilité, que le pensionné n’avait en fait jamais véritablement établi sa résidence au Canada.Note de bas de page 46 Toutefois, dans cette affaire, la Cour fédérale ne s’est jamais penchée sur le pouvoir du ministre à faire une telle réévaluation en vertu de la loi. En fait, il pourrait s’agir de la toute première fois que cette question est traitée directement.

[87] Pour toutes ces raisons, j’ai conclu que la Loi sur la SV et le Règlement sur la SV ne conféraient pas au ministre le pouvoir de modifier sa décision initiale sur l’admissibilité comme il l’a fait.

Conclusion

[88] Je suis d’avis que le ministre a outrepassé les pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur la SV et le Règlement sur la SV en essayant de modifier la décision initiale sur l’admissibilité qu’il avait rendue en décembre 2002. En vertu des pouvoirs que me confèrent les articles 59 et 64 de la Loi sur le MEDS, je conclus que l’appelant était admissible à sa pension partielle de la SV et à sa prestation du SRG à compter de septembre 2002.

[89] L’appel est accueilli.

Mode d’instruction :

Représentants :

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelant, B. R., est né en Inde et est arrivé au Canada en août 1992. En 2002, il a présenté une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV), au motif qu’il avait accumulé 10 ans de résidence au Canada. Peu de temps après, il a aussi présenté une demande de Supplément de revenu garanti (SRG), qui est une prestation additionnelle versée aux prestataires à faible revenu d’une pension de la SV vivant au Canada.

[3] Dans sa demande de pension de la SV, l’appelant a déclaré qu’il était retourné en Inde plusieurs fois, et que son plus long séjour s’était étalé du 30 novembre 1993 au 29 mai 1995 (absence de 1993 à 1995). L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social (ministre), lui a alors posé des questions afin de déterminer si son absence de 1993 à 1995 aurait pu interrompre sa résidence au Canada. Néanmoins, en décembre 2002, le ministre a agréé une pension de la SV à l’appelant, comme si sa résidence au Canada n’avait jamais été interrompue.

[4] En octobre 2010, le dossier de l’appelant a été sélectionné à des fins de réexamen. Le ministre a notamment modifié sa décision initiale de décembre 2002 sur son admissibilité, et a conclu que la résidence de l’appelant au Canada avait, dans les faits, été interrompue en raison de son absence de 1993 à 1995. En conséquence, la date du premier versement de ses prestations de la SV avait été reportée pour l’équivalent de cette période et le ministre a demandé à l’appelant de lui rembourser la totalité des prestations qu’il avait reçues entre septembre 2002 et février 2004, pour un total arrondi de 17 000 $.

[5] L’appelant a interjeté appel de la décision du ministre à la division générale du Tribunal mais il n’a pas eu gain de cause. Il a ensuite présenté une demande de permission d’appeler de la décision de la division générale à la division d’appel du Tribunal, demande que j’ai accueillie il y a de cela quelques mois.

[6] J’ai maintenant conclu que la division générale a commis une erreur de compétence du fait qu’elle ne s’est pas penchée sur le pouvoir du ministre à modifier sa décision initiale sur l’admissibilité. Par ailleurs, la division générale a commis une erreur de droit puisqu’elle a mal interprété les dispositions législatives pertinentes. Selon moi, le ministre n’était pas habilité à modifier sa décision initiale sur l’admissibilité, et il convient donc d’accueillir l’appel.

Questions préliminaire

[7] J’ai conclu qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience de vive voix en l’espèce et que l’appel pouvait être jugé sur la foi des observations et des documents figurant au dossier. J’ai choisi ce mode d’instruction pour les raisons suivantes :

  1. Les deux parties ont fait savoir qu’elles jugeaient adéquat ou préférable ce mode d’instruction;Note de bas de page 1
  2. Les faits qui sous-tendent l’affaire ne sont pas contestés;
  3. Le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale m’enjoint de procéder de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[8] Pour assurer l’équité de l’instance, j’ai donné à chacune des parties la possibilité de répondre aux observations présentées par l’autre partie.

[9] Tout en rédigeant les présents motifs de décision, j’ai suis arrivé à la conclusion que la décision récemment rendue par la Cour d’appel fédérale dans Kinney c. Canada (Procureur général) pourrait être pertinente à l’issue de cet appel.Note de bas de page 2 J’ai donc invité les parties à déposer des observations quant à l’application possible de l’arrêt Kinney, mais seul le ministre a donné suite à cette requête.Note de bas de page 3

Question en litige

[10] La division générale a-t-elle commis une erreur de compétence ou de droit en acceptant que le ministre avait le pouvoir de modifier sa décision initiale sur l’admissibilité?

Analyse

Cadre juridique de la division d’appel

[11] Pour qu’un appelant puisse avoir gain de cause à la division d’appel, il doit démontrer que la division générale a commis au moins l’une des trois erreurs (les moyens d’appel) énoncées au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS). Ces erreurs portent que la division générale :

  1. a) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[12] Pour déterminer la rigueur avec laquelle je dois examiner la décision de la division générale, je me suis penché sur les termes employés dans la Loi sur le MEDS.Note de bas de page 4 Conséquemment, toute erreur de compétence ou de droit peut justifier que j’intervienne.

La division générale a-t-elle commis une erreur de compétence ou de droit?

I. Contexte factuel

[13] Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’appelant a présenté une demande de pension de la SV environ 10 ans après être arrivé au Canada.Note de bas de page 5 Dans le cadre des conditions d’admissibilité à une pension partielle de la SV, l’appelant devait notamment prouver qu’il avait résidé au Canada pendant au moins 10 ans.Note de bas de page 6 De plus, il fallait que l’appelant se voie agréer une pension de la SV avant de pouvoir être admissible au SRG.Note de bas de page 7

[14] La Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV) établit une distinction fondamentale entre une personne qui réside au Canada et une personne qui n’y est que présente. Les deux termes sont définis à l’article 21 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse (Règlement sur la SV). Conformément à la définition, une personne est présente au Canada lorsqu’elle se trouve physiquement à l’intérieur des frontières du pays. Par contre, une personne réside seulement au Canada si elle y établit sa demeure et y vit ordinairement. Il peut être ardu de juger de la résidence d’une personne. Cet exercice nécessite d’examiner le contexte tout entier de la personne dont on veut déterminer la résidence; il existe tout de même une liste non exhaustive de facteurs qui peuvent aider ceux qui sont appelés à rendre des décisions en la matière.Note de bas de page 8

[15] Pour permettre au ministre d’établir la résidence au Canada d’une personne, celle-ci doit lui fournir les détails relatifs à ses périodes de résidence au Canada et à toutes ses absences pertinentes.Note de bas de page 9 En réponse à une question posée dans le formulaire de demande de pension de la SV, l’appelant a ainsi précisé qu’il vivait au Canda depuis le 21 août 1992. Avant cette date, il avait vécu en Inde. Cependant, il a aussi révélé qu’il était retourné en Inde plusieurs fois après ladite date, notamment à l’occasion de son absence de 1993 à 1995.Note de bas de page 10

[16] Lorsqu’il a évalué la résidence de l’appelant en 2002, le ministre avait écrit à ce dernier en notant ceci : [traduction] « Les renseignements que nous avons à votre dossier montrent que vous êtes arrivé au Canada en août 1992 et en êtes parti en décembre 1992. Vous êtes revenu au Canada en avril 1993, y êtes resté pendant 7 mois et 3 jours puis êtes parti pendant 1 an et demi. Sur une période de 2 ans et 9 mois, seuls 11 mois et 13 jours ont été passés au CanadaNote de bas de page 11. » Le ministre se demandait manifestement si l’appelant avait bel et bien établi sa résidence au Canada en août 1992, ou s’il l’avait seulement fait plus tard. Par conséquent, le ministre a envoyé à l’appelant un questionnaire dans le but de recueillir de plus amples renseignements sur ses absences du pays avant mai 1995.Note de bas de page 12

[17] Dans ses réponses au questionnaire, l’appelant a expliqué qu’il avait eu l’intention de résider de façon permanente au Canada à partir du 21 août 1992, et qu’il avait obtenu sa couverture d’assurance-maladie provinciale à cette époque.Note de bas de page 13 Il a déclaré qu’il était allé en Inde en décembre 1992 pour essayer de trouver des époux convenables pour ses enfants célibataires. Il est retourné en Inde en novembre 1993 pour assister à leurs mariages. Il a admis qu’il était resté en Inde pendant un bon bout de temps mais a souligné qu’il avait obtenu un permis de retour pour résident permanent, et a soutenu – et soutient toujours – que ce permis devrait représenter une preuve absolue de la continuité de sa résidence au Canada.Note de bas de page 14

[18] Au sujet de son absence de 1993 à 1995, l’appelant a aussi expliqué qu’il n’était qu’un visiteur en Inde, qu’il n’y était propriétaire ni d’une maison ni d’une entreprise, qu’il n’y avait pas travaillé ni fait de déclarations de revenus, et qu’il n’avait pas non plus de permis de conduire ou de régime d’assurance-maladie en Inde.Note de bas de page 15

[19] Le ministre a visiblement accepté les explications fournies par l’appelant et conclu que sa résidence au Canada n’avait pas été interrompue depuis son arrivée au pays en août 1992. Le ministre lui a donc accordé une pension partielle de la SV, ainsi qu’une prestation du SRG, et ces prestations lui ont été versées à compter de septembre 2002.Note de bas de page 16

[20] Plus tard, dans le cadre de l’enquête qu’il a entreprise en 2010, le ministre a recueilli des renseignements plus précis sur les absences du Canada de l’appelant. Le ministre a aussi appris que l’appelant touchait un revenu de pension de son ancien emploi en Inde, et que lui et ses deux fils avaient hérité, à titre de copropriétaires, d’une propriété agricole en Inde. L’appelant avait d’abord affirmé qu’il ne touchait pas de loyer grâce à cette propriété comme c’était ses fils qui cultivaient les terres, mais il a plus tard déclaré qu’il touchait un revenu grâce à la propriété, pour un total d’environ 320 $ à 435 $ par an.Note de bas de page 17 Les prestations du SRG de l’appelant ont été recalculées en fonction de ce revenu provenant de l’étranger, une question dont je ne suis pas saisi.Note de bas de page 18

[21] Cependant, le ministre affirme aussi que les renseignements recueillis dans le cadre de l’enquête lancée en 2010, considérés conjointement à l’information qui figurait déjà au dossier, démontraient clairement que l’appelant n’avait pas résidé au Canada lors de son absence de 1993 à 1995.Note de bas de page 19 Par conséquent, le ministre a infirmé sa décision de 2002 sur cette question, ce qui signifiait que l’appelant devenait seulement admissible aux prestations de la SV et du SRG à une date ultérieure, entraînant ainsi le supposé trop-perçu à son compte.

[22] L’appelant a demandé au ministre de procéder à une révision de sa décision portant sur sa résidence au Canada durant son absence de 1993 à 1995, mais le ministre a décidé de maintenir sa nouvelle position.

II. Instance devant la division générale

[23] L’appelant a interjeté appel de la décision du ministre à la division générale du Tribunal. La division générale a décidé d’instruire l’appel au moyen d’une téléconférence, à laquelle l’appelant n’a pas participé.

[24] Aux paragraphes 14, 15 et 43 de sa décision, la division générale a défini comme suit la question sur laquelle elle devait statuer : En s’absentant du Canada de 1993 à 1995, l’appelant a-t-il interrompu sa résidence au Canada de sorte que la date à laquelle il était devenu admissible à des prestations de la SV devrait être ajustée?

[25] La division générale a notamment noté dans sa décision :

  1. le paragraphe 23(1) du Règlement sur la SV, qui confère au ministre un vaste pouvoir pour recueillir des renseignements ou des éléments de preuve additionnels concernant l’admissibilité d’une personne à une prestation;
  2. le paragraphe 37(2) de la Loi sur la SV, qui prévoit que toute prestation de la SV reçue à tort doit être remboursée.

[26] La division générale a ensuite entrepris d’évaluer la résidence de l’appelant durant son absence de 1993 à 1995. D’après la division générale, l’appelant était obligé de prouver sa résidence au Canada selon la prépondérance des probabilités, mais il n’était pas parvenu à le faire.

III. Observations des parties

[27] Il convient de souligner que l’appelant n’a jamais été représenté lors de ces instances et que ses aptitudes en anglais sont limitées. Je comprends tout de même qu’il a essayé de soutenir les deux arguments suivants, tant à la division générale qu’à la division d’appel :

  1. En 2002, le ministre a décidé que son absence de 1993 à 1995 n’avait pas eu pour effet d’interrompre sa résidence au Canada, et le ministre ne devrait pas être autorisé à modifier sa décision à une date ultérieure;
  2. Sa résidence au Canada s’est poursuivie durant son absence de 1993 à 1995 puisque Emploi et Immigration Canada lui avait délivré un permis de retour pour résident permanent (et son statut d’immigration est d’ailleurs toujours valide aujourd’hui).Note de bas de page 20

[28] Je vais rapidement traiter du second argument de l’appelant à stade. En toute déférence, le statut d’immigration de l’appelant au Canada n’est que l’un des nombreux facteurs qui peuvent être pris en considération pour évaluer sa résidence au Canada aux termes de la Loi sur la SV. La résidence permanente aux fins d’immigration est distincte de la résidence au Canada dans l’optique d’établir l’admissibilité d’une personne à des prestations en vertu de la Loi sur la SV. Ainsi, le fait que l’appelant avait obtenu son permis de retour pour résident permanent n’est pas aussi concluant qui le souhaiterait.

[29] De son côté, le ministre soutient qu’aucune contrainte légale ne l’empêchait de réévaluer la résidence de l’appelant eu égard à son absence de 1993 à 1995. Le ministre se fonde sur l’article 23 du Règlement sur la SV et de l’article 37 de la Loi sur la SV pour soutenir qu’il détient un pouvoir réglementaire explicite et vaste pour demander, en tout temps, aux prestataires de pensions de la SV de produire des éléments de preuve sur leur admissibilité à la pension. De plus, si le ministre juge qu’une personne a touché une pension à laquelle elle n’avait pas droit, les prestations versées constituent une créance de Sa Majesté et peuvent être recouvrées.

[30] Conformément aux observations du ministre, des principes de common law comme ceux de functus officio (principe de dessaisissement) et de res judicata (principe de la chose jugée) ne permettent pas de déplacer le pouvoir explicitement conféré par la loi. Le Tribunal, s’il statuait autrement, irait manifestement à l’encontre de l’intention clairement exprimée par le législateur et la contrecarrerait.

[31] Le ministre nie également que la division générale n’a pas exercé sa compétence relativement à l’une des questions soulevées par l’appelant. Le ministre met plutôt en évidence la mention qu’elle a faite du paragraphe 23(1) du Règlement sur la SV, qui répond entièrement à la question de l’aptitude de ministre à modifier sa décision initiale sur l’admissibilité. Même si le ministre reconnaît que la division générale n’a pas directement traité de cette question, un tel oubli ne représente pas une erreur qui justifie une intervention de la division d’appel.

[32] Le ministre souligne également que, lorsqu’il a infirmé sa décision de 2002 concernant la résidence au Canda de l’appelant durant son absence de 1993 à 1995, il n’a pas uniquement examiné les renseignements qu’il avait déjà recueillis en 2002. C’est plutôt grâce à la combinaison de ces renseignements et de ceux qu’il a recueillis dans le cadre de son enquête lancée en 2010 qu’il a conclu que l’absence de 1993 à 1995 avait eu pour effet d’interrompre la résidence de l’appelant au Canada. Enfin, le ministre soutient que la division générale a bien appliqué les faits et le droit pour conclure que l’appelant n’avait pas réussi à prouver sa résidence au Canada durant son absence de 1993 à 1995.

IV. Erreurs de compétence et de droit commises par la division générale

[33] Dans sa lettre datée du 10 juin 2015 à l’intention de la division générale, l’appelant a souligné que le ministre avait approuvé ses demandes de prestations de la SV et du SRG en décembre 2002 et demandé que les sommes retenues lui soient remises aussitôt que possible.Note de bas de page 21

[34] À la lettre du 17 septembre 2015 de l’appelant étaient ensuite jointes des lettres du ministre montrant que celui-ci était au courant de son absence de 1993 à 1995 et qu’il avait interrogé l’appelant à ce sujet, mais qu’il avait ensuite décidé d’agréer ses demandes de prestations de la SV et du SRG à partir de la date la plus antérieure possible.Note de bas de page 22 L’appelant a demandé comment il était possible d’annuler ses prestations 10 ans après l’agrément du ministre.Note de bas de page 23

[35] À mon avis, il est suffisamment clair d’après ces documents que l’appelant contestait l’habilité du ministre à modifier sa décision initiale sur son admissibilité. Par contre, la division générale a affirmé dans sa décision qu’elle n’avait qu’une seule question à trancher, soit celle de la résidence de l’appelant au Canada durant son absence de 1993 à 1995. Dans ce contexte, j’ai conclu que la division générale a commis une erreur du fait qu’elle n’a pas exercé sa compétence relativement à une question qui avait été soulevée par l’appelant.

[36] Je ne peux souscrire à l’argument du ministre selon lequel cette erreur est négligeable étant donné que la division générale a fait référence au paragraphe 23(1) du Règlement sur la SV. Les différentes affirmations faites par la division générale sur cette question révèlent qu’elle n’a jamais cherché à savoir si la loi conférait au ministre le pouvoir de changer sa décision initiale sur l’admissibilité. Selon moi, on ne peut affirmer que la division générale a traité de la question simplement parce qu’elle a invoqué le paragraphe 23(1) du Règlement sur la SV, particulièrement à la lumière de ce qui suit :

  1. a) Dans sa décision, la division générale a clairement exposé la question à trancher à de nombreuses reprises, mais le pouvoir du ministre à modifier sa décision initiale sur l’admissibilité n’en a jamais fait partie;
  2. b) Le paragraphe 23(1) du Règlement sur la SV a été cité parmi de nombreuses autres dispositions législatives, mais sa pertinence par rapport à la décision n’a jamais été expliquée;
  3. c) Le paragraphe 23(1) du Règlement sur la SV n’a été ni analysé ni interprété.

[37] Par ailleurs, la division générale a commis une erreur de droit du fait qu’elle a mal interprété l’article 23 du Règlement sur la SV. Si la division générale a véritablement conclu, d’après cette disposition, que le ministre était habilité à modifier sa décision initiale sur l’admissibilité, elle a omis d’appliquer les principes pertinents de l’interprétation des lois, que je présente ci-dessous.

[38] Pour les raisons qui suivent et en vertu des pouvoirs que me confère le paragraphe 59(1) de la Loi sur la MEDS, j’ai jugé qu’il convenait en l’espèce de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre :

  1. a) Les faits de l’espèce sont complets et les faits pertinents ne sont pas contestés ou ne le sont que très peu;
  2. b) J’ai compétence pour trancher toute question de fait ou de droit nécessaire pour statuer sur l’appel;Note de bas de page 24
  3. c) Rien ne justifierait vraiment de renvoyer l’affaire à la division générale;
  4. d) Le Tribunal doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle permettent.Note de bas de page 25

[39] J’ai conclu que l’article 23 du Règlement sur la SV, lorsqu’il est bien interprété, n’autorise pas le ministre à modifier ses décisions initiales en matière d’admissibilité. Vu les pouvoirs limités que la loi confère au ministre, il était inutile que la division générale évalue la résidence de l’appelant durant son absence de 1993 à 1995. La division générale aurait plutôt dû confirmer l’admissibilité de l’appelant à une pension partielle de la SV et à une prestation du SRG à compter de septembre 2002.

[40] Comment faut-il alors interpréter l’article 23 du Règlement sur la SV?

V. Principes clés de l’interprétation législative

[41] Selon l’approche reconnue en matière d’interprétation des lois, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateu=Note de bas de page 26. » L’article 12 de la Loi d’interprétation édicte aussi que « [t]out texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. »

[42] L’objet de la Loi sur la SV, notamment son objectif altruiste, a été explicité comme suit par la Cour fédérale :Note de bas de page 27

Je dirais du régime de la SV qu’il a un objectif altruiste. Contrairement au Régime de pensions du Canada [L.R.C. (1985), ch. C-8], les prestations de la SV sont universelles et non contributives, et fondées exclusivement sur la résidence au Canada. Ce type de législation répond à un objectif social large et ouvert, que l’on pourrait même qualifier de caractéristique du paysage social au Canada. Il convient donc de l’interpréter de façon large, et il ne faudrait pas qu’une personne soit privée inconsidérément du droit aux prestations de la SV.

[43] La Cour d’appel fédérale a affirmé que la Loi sur la SV vise à procurer un soutien du revenu aux personnes âgées, ce qui est un objectif de politique générale urgent et réel.Note de bas de page 28 La Cour canadienne de l’impôt a dit de la Loi sur la SV qu’il s'agissait d’une « loi d’aide sociale qu’il faut interpréter d’une façon libérale en faveur des personnes qui devraient raisonnablement en bénéficierNote de bas de page 29. »

[44] Soulignons toutefois que l’article 23, qui est la principale disposition sur laquelle se fonde le ministre en l’espèce, ne fait pas partie de la Loi sur la SV mais bien du Règlement sur la SV. La Cour d’appel fédérale a statué qu’un décideur devant réconcilier une loi et son règlement doit recourir à la loi comme point de départ et interpréter les deux textes législatifs de la manière la plus harmonieuse possible, mais a aussi précisé que le règlement demeure, en définitive, restreint par la portée de sa loi habilitante :Note de bas de page 30

[traduction]

Normalement, en pareilles circonstances, la Cour se penche sur les dispositions de la loi habilitante pour déterminer avec précision, dans un premier temps, ce dont le législateur a permis la réglementation. Elle examine ensuite le texte réglementaire. Il est présumé que le règlement a été pris en conformité avec les dispositions de la loi habilitante et qu’il existe une cohérence entre la terminologie de la loi et celle du règlement. La Cour s’efforce alors d’interpréter ce dernier de façon que sa portée demeure dans les limites établies par la loi habilitante. Lorsque cela se révèle impossible, le règlement ou une partie de celui-ci est jugé ultra vires. La conciliation est donc la règle, et elle est réalisée dans la plupart des cas.

[45] Cette approche a déjà été appliquée relativement à la Loi sur la SV et au Règlement sur la SV dans le passé.Note de bas de page 31

VI. Article 23 du Règlement sur la SV

[46] Comme je l’ai mentionné précédemment, le ministre soutient que l’article 23 du Règlement sur la SV lui confère un vaste pouvoir pour enquêter sur l’admissibilité d’une personne à une pension de la SV et pour la réévaluer. Essentiellement, le ministre avance que l’admissibilité d’une personne à une pension de la SV peut être réévaluée en tout temps et pour n’importe quel motif. De plus, selon le ministre, le bénéficiaire serait tenu, lorsqu’il procède à une telle réévaluation, de prouver son admissibilité aux prestations qu’il touche.Note de bas de page 32

[47] Voici comment sont énoncés les pouvoirs du ministre à l’article 23 du Règlement sur la SV :

Autres renseignements et enquêtes avant ou après l’agrément de la demande ou l’octroi de la dispense

23 (1) Le Le ministre peut, avant ou après l’agrément d’une demande ou après l’octroi d’une dispense, exiger que le demandeur, la personne qui a fait la demande en son nom, le prestataire ou la personne qui touche la pension pour le compte de ce dernier, selon le cas, permette l’accès à des renseignements ou des éléments de preuve additionnels concernant l’admissibilité du demandeur ou du prestataire à une prestation.

(2) Le ministre peut, en tout temps, faire enquête sur l’admissibilité d’une personne à une prestation, y compris sur la capacité du prestataire pour ce qui est de l’administration de ses propres affaires.

[48] Le ministre défend aussi sa position en s’appuyant sur l’article 37 de la Loi sur la SV, selon lequel une personne doit rembourser les sommes qu’elle pourrait avoir touchées sans y avoir droit :

Obligation de restitution

37 (1) Le trop-perçu — qu’il s’agisse d’un excédent ou d’une prestation à laquelle on n’a pas droit — doit être immédiatement restitué, soit par remboursement, soit par retour du chèque.

Recouvrement du trop-perçu

(2) Le trop-perçu constitue une créance de Sa Majesté dont le recouvrement peut être poursuivi en tout temps à ce titre devant la Cour fédérale ou tout autre tribunal compétent, ou de toute autre façon prévue par la présente loi.

[49] Selon moi, les pouvoirs que le ministre prétend lui être conférés par l’article 23 du Règlement sur la SV sont extraordinaires, et une lecture adéquate des dispositions pertinentes ne permet pas de soutenir son interprétation.

[50] Conformément aux directives qui précèdent et qui ont été fournies par la Cour d’appel fédérale, j’ai entamé mon analyse en examinant la Loi sur la SV.

[51] Les conditions d’admissibilité à une pension pleine ou partielle de la SV figurent à l’article 3 de la Loi sur la SV. Le ministre agrée la demande s’il est convaincu que le requérant remplit ces conditions, mais la prise d’effet de son agrément varie conformément à l’article 5 du Règlement sur la SV. Voilà essentiellement la décision initiale du ministre sur l’admissibilité.

[52] Le premier versement d’une pension de la SV se fait au cours du mois qui suit l’agrément de la demande et la pension est viagère en vertu de la loi.Note de bas de page 33 Précisons surtout que la Loi sur la SV ne prévoit que deux situations où il y a cessation du versement d’une pension de la SV :Note de bas de page 34

  1. à la demande écrite du pensionné;
  2. au décès du pensionné.

[53] Par contre, la Loi sur la SV prévoit de nombreuses circonstances entraînant la suspension d’une pension de la SV, notamment si un pensionné n’ayant pas 20 années de résidence au Canada quitte le Canada pour une période prolongée ou cesse d’y résider.Note de bas de page 35 Une pension de la SV peut être suspendue si le pensionné est incarcéré ou s’il n’observe pas la loi.Note de bas de page 36 La Loi sur la SV prévoit cependant, dans le cas où une pension a été suspendue, la possibilité d'une reprise du service de la pension une fois que le statut du pensionné est « rétabli ».

[54] J’estime donc que la Loi sur la SV établit une distinction importante entre la cessation d’une pension et la suspension de celle-ci. Il est crucial de comprendre qu’il n’existe que très peu de circonstances pouvant entraîner la cessation d’une pension de la SV, et ces circonstances sont si claires qu’il est peu probable qu’elles doivent faire l’objet d’une enquête.

[55] Bien entendu, je reconnais que les paragraphes 37(1) et (2) de la Loi sur la SV révèlent la possibilité que l’admissibilité d’un pensionné à des prestations de la SV ou leur montant peuvent changer au fil du temps. Je viens justement de donner des exemples de situations où un pensionné devrait voir sa pension de la SV suspendue, et le montant de la prestation du SRG d’un pensionné peut notamment changer en fonction de son état matrimonial. Ainsi, il existe de nombreuses circonstances qui peuvent inciter le ministre, même après sa décision initiale sur l’admissibilité, à faire enquête afin de déterminer si un pensionné demeure admissible à ses prestations de la SV ou si leur montant est exact.

[56] En examinant la Loi sur la SV, je n’ai pu trouver aucun fondement juridique pour soutenir que le ministre est habilité à changer ses anciennes décisions, comme ses décisions initiales sur l’admissibilité. La loi favorise le caractère définitif des décisions rendues, et les pensionnés s’attendent légitimement à pouvoir se fier aux décisions du ministre quant à leur admissibilité. Ainsi, si le ministre avait le pouvoir de revisiter ces décisions, on pourrait s’attendre à ce que la loi l’exprime en termes clairs. Comme il n’existe pas de disposition à cet effet, j’estime que cette situation ne fait pas partie de celles qui permettent de modifier l’admissibilité d’un pensionné, comme le prévoit l’article 37 de la Loi sur la SV.

[57] Il est important de souligner qu’il existe, dans certaines parties de la Loi sur la SV et d’autres lois qu’applique le ministre, des dispositions permettant à ce dernier de modifier ses décisions antérieures, ce qui rend d’autant plus frappant le fait que la Loi sur la SV ne prévoit aucune disposition de la sorte en ce qui concerne ses décisions sur l’admissibilité.

[58] Par exemple, le paragraphe 44.1(4) de la Loi sur la SV autorise le ministre à annuler ou modifier ses décisions relatives aux pénalités infligées. Cependant, il ne peut exercer ce pouvoir que dans certaines situations, notamment s’il est saisi de faits nouveaux.Note de bas de page 37 Une disposition semblable figure au paragraphe 90.1(4) du Régime de pensions du Canada (RPC).

[59] Soulignons justement, au sujet des décisions qu’il rend en vertu du RPC, que le ministre est aussi habilité à annuler ou modifier d’autres décisions sur la base de faits nouveaux.Note de bas de page 38 Le ministre paraît soutenir qu’il ne fait qu’exercer ce même pouvoir en l’espèce; par contre, la Loi sur la SV ne contient pas de disposition équivalente.

[60] Il convient aussi de mentionner la Loi sur l’assurance-emploi, dont l’application relève aussi du ministre même si c’est à la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) que sont conférés la majorité des pouvoirs. Cette loi donne à la Commission le pouvoir d’annuler ou de modifier ses décisions antérieures sur des demandes de prestations.Note de bas de page 39 Elle lui confère également le vaste pouvoir de réexaminer ses décisions antérieures d’un point de vue plus général, même si elle ne peut exercer ces pouvoirs que dans des délais précis.Note de bas de page 40

[61] En effet, le pouvoir que le ministre prétend détenir – soit celui de changer en tout temps et pour n’importe quel motif ses décisions antérieures – est un pouvoir extraordinaire. Même le ministre du Revenu national ne jouit pas d’un tel pouvoir en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.Note de bas de page 41

[62] Comme le législateur a expressément donné le pouvoir d’annuler, de modifier et de réexaminer d’anciennes décisions dans d’autres contextes où sont accordées des prestations, il est normal de croire que le législateur aurait employé des termes analogues dans la Loi sur la SV s’il avait eu l’intention de conférer au ministre le pouvoir de modifier ses décisions initiales sur l’admissibilité.

[63] En l’espèce, l’enquête du ministre a entraîné la modification de la date du premier versement des prestations de la SV et du SRG de l’appelant. Par contre, il est important de reconnaître que la modification d’une décision initiale sur l’admissibilité peut parfois causer la cessation complète des prestations de la SV (ce qui, d’après mon expérience, arrive effectivement parfois). Cela dit, comme je l’ai souligné plus tôt, la Loi sur la SV autorise uniquement la cessation des prestations de la SV dans deux situations : au décès du pensionné ou à la demande écrite de celui-ci. Une enquête et la modification d’une décision sur l’admissibilité ne font pas partie des situations où le ministre est autorisé à faire cesser les prestations de la SV d’un pensionné. Le ministre peut plutôt, à la suite d’une enquête, conclure que ses prestations devraient être suspendues, dans la mesure où il le conclut pour l’une des raisons prévues par la Loi sur la SV.

[64] L’interprétation que je fais de la Loi sur la SV est également appuyée par la portée du pouvoir réglementaire conféré au gouverneur en conseil. À cet égard, l’alinéa 34j) de la Loi sur la SV limite comme suit le pouvoir du gouverneur en conseil :

Règlement

34 Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements d’application de la présente loi et, notamment :

[…]

j) prévoir la suspension du service d’une prestation pendant toute enquête sur l’admissibilité du prestataire, ainsi que la réintégration ou la reprise du versement[.]

[65] Encore une fois, rien ne permet de penser que le législateur voulait donner au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements qui permettraient au ministre de modifier ses décisions antérieures sur l’admissibilité, entraînant ainsi possiblement la cessation rétroactive du versement de prestations de la SV et, plus encore, l’obligation de rembourser des trop-perçus.

[66] Je reconnais que les termes employés à l’article 23 du Règlement sur la SV donnent un vaste pouvoir au ministre; par contre, on ne peut interpréter cette législation subordonnée en la dissociant complètement de sa loi habilitante. Je dois plutôt m’efforcer d’interpréter l’article 23 du Règlement sur la SV d’une façon que sa portée demeure dans les limites établies par la loi habilitante. Autrement dit, l’article 23 du Règlement sur la SV doit être interprété d’une manière qui est en harmonie avec la Loi sur la SV et qui en respecte les limites.

[67] Dans cette optique, j’ai conclu que l’interprétation que le ministre m’exhorte à adopter dépasse la portée de la loi habilitante et ne peut être acceptée. À mon avis, l’interprétation du ministre va également à l’encontre d’une interprétation libérale de la Loi et du Règlement sur la SV, que les tribunaux me demandent d’adopter, de même qu’à l’encontre de leur objet, qui est de nature altruiste. Compte tenu du fait que le ministre a agréé la demande de prestations de la SV de l’appelant alors qu’il était conscient de son absence de 1993 à 1995, il me paraît évident qu’il est raisonnable que l’appelant puisse s’attendre à bénéficier de la Loi et du Règlement sur la SV et que les dispositions en jeu doivent interprétées de façon libérale en sa faveur.

[68] Je suis donc d’accord pour dire que le ministre jouit d’un vaste pouvoir pour sommer les prestataires à lui fournir des documents prouvant leur admissibilité à une pension de la SV, avant que celle-ci soit agréée. D’après mon interprétation de l’article 23 du Règlement sur la SV, le ministre n’est toutefois pas autorisé, après l’agrément d’une pension de la SV, à revenir sur ses pas pour changer sa décision initiale sur l’admissibilité. En effet, dès lors qu’est accordée une pension de la SV à un pensionné, l’article 23 du Règlement sur la SV autorise seulement le ministre à faire enquête dans le but de déterminer si la personne demeure admissible aux prestations et si leur montant demeure exact.

[69] Selon moi, cette limitation des pouvoirs du ministre est confortée par la décision Kinney de la Cour d’appel fédérale. Le ministre avait conclu que monsieur Kinney était admissible à une pension d’invalidité du RPC, même si cette admissibilité pouvait changer advenant que son état de santé s’améliore. En effet, le jugement Kinney découle d’une tentative du ministre à annuler la pension d’invalidité de monsieur Kinney au motif que celui-ci avait retrouvé une capacité de travail.

[70] Même si la présente affaire et l’affaire Kinney reposent sur des régimes de réglementation différents, elles partagent beaucoup de points communs. D’abord, l’application du RPC et l’application de la Loi sur la SV relèvent toutes deux du ministre. Ensuite, ces deux régimes de réglementation confèrent au ministre le vaste pouvoir de faire enquête sur l’admissibilité potentiellement changeante des bénéficiaires et de recouvrer toute somme versée à tort.Note de bas de page 42

[71] Dans Kinney, la décision de révision du ministre avait été rendue en mai 2004, mais visait à annuler la pension d’invalidité versée depuis décembre 1992. Parmi les différents arguments invoqués par monsieur Kinney, la Cour d’appel fédérale s’est attardée à la question de savoir si la loi conférait au ministre le pouvoir d’appliquer rétrospectivement l’admissibilité dès décembre 1992. Précisons que la Cour a souligné que le ministre avait rendu une décision le 2 avril 1998 qui confirmait que monsieur Kinney était admissible à une pension d’invalidité jusqu’à cette date.

[72] Le jugement de la Cour a été prononcé à l’audience, et il est donc plutôt court et ne contient pas autant de détails qu’on pourrait l’espérer. Malgré tout, la Cour a confirmé la capacité du ministre à annuler la pension d’invalidité de monsieur Kinney, mais a aussi statué qu’il n’était pas habilité à changer sa décision précédente du 2 avril 1998. Par conséquent, le ministre ne pouvait pas annuler la pension d’invalidité de monsieur Kinney pour la période précédant cette date.

[73] Le ministre soutient que Kinney ne s’applique pas en l’espèce vu les différences factuelles entre les deux causes. Je ne suis pas d’accord. En effet, je suis plutôt convaincu que le raisonnement opéré par la Cour d’appel fédérale dans Kinney s’applique également en l’espèce. Dans un système législatif comme dans l’autre, le ministre dispose de vastes pouvoirs lui permettant de faire enquête sur l’admissibilité d’un bénéficiaire à une prestation; cependant, la Cour d’appel fédérale a conclu que ces pouvoirs ne comprenaient pas le pouvoir de modifier une décision antérieure sur l’admissibilité.

[74] Selon le ministre, l’affaire Kinney est différente de la présente puisqu’au moins deux décisions sur l’admissibilité ont été rendues dans cette affaire : une décision initiale (dont la date est inconnue), et la décision du 2 avril 1998, qui confirmait l’admissibilité de monsieur Kinney à une pension d’invalidité jusqu’à cette date. Le ministre souligne qu’il n’y a, en l’espèce, qu’une décision initiale sur l’admissibilité et aucune décision subséquente. Selon moi, le nombre de décisions sur l’admissibilité n’est pas la pierre angulaire du jugement Kinney; ce qu’il faut plutôt en retenir, c’est que la dernière décision du ministre sur l’admissibilité devrait pouvoir être considérée comme exacte.  

[75] Dans l’affaire qui nous occupe, le ministre a conclu en décembre 2002 que l’appelant était admissible à des prestations de la SV et du SRG puisqu’il avait accumulé 10 ans de résidence au Canada depuis le mois d’août de cette année-là. Si l’on tient pour acquis que cette décision est exacte, le ministre ne pourrait pas plus tard revenir sur ses pas et décréter que l’appelant ne possédait pas, en date d’août 2002, 10 ans de résidence au Canada.

[76] J’ai noté plus tôt que le paragraphe 81(3) du RPC confère au ministre le pouvoir d’annuler ou de modifier ses décisions; par contre, j’estime important de préciser que ce pouvoir n’existait pas encore au moment où la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision dans Kinney. Ainsi, les deux systèmes législatifs étaient encore plus semblables à l’époque qu’ils le sont aujourd'hui.

[77] Je m’empresse d’ajouter que ma conclusion en l’espèce ne signifie aucunement que les demandes de pension de la SV ne devraient pas faire l’objet d’examens rigoureux ou d’enquêtes. Au contraire, la Loi sur la SV donne au ministre le pouvoir d’évaluer minutieusement la résidence des requérants avant d’agréer leurs demandes. Une fois qu’une demande est agréée, le ministre peut encore mener des examens afin de déterminer si le requérant demeure admissible aux prestations (ou si les prestations versées sont du bon montant). À simple titre d’exemple, le ministre aurait pu déterminer, même en 2010, que la résidence de l’appelant au Canada avait été interrompue dès le lendemain de sa décision initiale sur l’admissibilité, et exigé que l’appelant rembourse la majeure partie des prestations de la SV qu’il avait touchées.Note de bas de page 43

[78] Par contre, la Loi sur la SV et le Règlement sur la SV ne permettent pas au ministre d’agréer une demande puis, des années plus tard – durant lesquelles les souvenirs s’estompent, les maladies peuvent s’installer, et les documents risquent d’être perdus ou détruits – de sommer les pensionnés à prouver de nouveau leur résidence au Canada pour une période pouvant remonter à plusieurs décennies. En effet, j’ai moi-même dû juger de nombreuses causes où le ministre avait insisté pour que des pensionnés s’adonnent à cet exercice précis, sans quoi ils seraient tenus responsables de trop-perçus pouvant atteindre 100 000 $, voire même 200 000 $.

[79] Dans M. E. c Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas de page 44, une décision sur laquelle le ministre se fonde, le ministre avait insisté auprès du pensionné pour qu’il prouve à nouveau sa résidence au Canada depuis 1972, soit depuis son arrivée au pays. L’enquête et la réévaluation du ministre avaient causé un stress énorme au pensionné, qui avait dû chercher à obtenir de l’aide financière pendant les six ou sept ans durant lesquels sa pension de la SV et sa prestation du SRG avaient été suspendues.

[80] Selon moi, cette affaire est un exemple parfait de l’injustice profonde et du stress immense que peuvent subir les pensionnés lorsque l’article 23 du Règlement sur la SV est interprété comme le fait le ministre. En effet, si la position du ministre était acceptée, celui-ci pourrait sans cesse réévaluer le dossier d’un pensionné au point d’en faire du harcèlement. J’ai plutôt conclu qu’une telle interprétation doit être rejetée puisqu’elle va à l’encontre du but et de l’objet de la Loi sur la SV.  

[81] Je reconnais qu’il existe des situations exceptionnelles où le ministre pourrait vouloir annuler une pension de la SV et réclamer que les sommes déjà versées soient remboursées, notamment sur le fondement de faits nouveaux ou dans les cas de fraude. Toutefois, le ministre détient seulement les pouvoirs que lui confère la loi, et je ne peux donner au ministre aucun pouvoir additionnel dont il aimerait disposer ou croit avoir besoin. Je ne peux qu’interpréter la portée de ses pouvoirs existants et annuler toute décision qu’il aurait rendue sans disposer du pouvoir législatif nécessaire.

[82] Je crois important de souligner que le ministre n’est pas sans recours si une personne touche vraiment des prestations de la SV de façon frauduleuse. Dans de tels cas, le ministre dispose des options prévues aux articles 44 et 44.1 de la Loi sur la SV. Aux termes de ces dispositions, une personne qui fait sciemment une déclaration fausse ou trompeuse dans sa demande court le risque d’être poursuivie pour une infraction punissable par procédure sommaire ou de se voir imposer une pénalité.Note de bas de page 45

[83] Je n’exclus pas non plus la possibilité que le ministre puisse, s’il conclut qu’un pensionné a touché des prestations de façon frauduleuse, exercer les pouvoirs que lui confèrent le paragraphe 9(5) et l’article 37 de la Loi sur la SV afin de suspendre le versement de sa pension et de recouvrer toute somme lui ayant été versée à tort, comme le pensionné n’aurait pas respecté ses obligations légales. De toute façon, si le législateur souhaitait donner au ministre le pouvoir d’annuler une pension de la SV et d’en exiger le remboursement, il devrait alors envisager d’exprimer son intention plus clairement en modifiant la Loi sur la SV et le Règlement sur la SV pour y insérer des dispositions législatives claires, semblables à celles utilisées ailleurs.

[84] Rappelons cependant que l’espèce n’est pas une case où le ministre prétend que l’appelant aurait obtenu ses prestations de la SV de façon frauduleuse. Le ministre ne prétend pas non plus en l’espèce qu’il aurait modifié sa décision initiale sur l’admissibilité en fonction de « faits nouveaux » (soit de faits qui n’auraient pu être connus au moment où le ministre a rendu sa décision initiale sur l’admissibilité).

[85] Plus précisément, le ministre n’a pas essayé d’utiliser contre l’appelant les pouvoirs dont il dispose en vertu des articles 44 et 44.1 de la Loi sur la SV, et il n’est aucunement allégué que l’appelant aurait fait des déclarations fausses ou trompeuses avant l'agrément de sa pension de la SV en 2002. De plus, même si le ministre souligne que sa réévaluation était fondée sur un élément de preuve supplémentaire qui avait seulement été mis en lumière durant l’enquête qu’il a entamée en 2010, rien ne permet de croire que cette information n'aurait pas pu être découverte en 2002 si le ministre avait alors mené un examen plus minutieux (soit en posant simplement quelques questions de plus).

[86] Avant de conclure cette analyse, il convient de souligner qu’il existe au moins une cause où la Cour fédérale a confirmé qu’un pensionné était responsable de rembourser des prestations qu’il avait touchées, après une réévaluation du ministre où celui-ci avait conclu, à l’inverse de sa décision initiale sur l’admissibilité, que le pensionné n’avait en fait jamais véritablement établi sa résidence au Canada.Note de bas de page 46 Toutefois, dans cette affaire, la Cour fédérale ne s’est jamais penchée sur le pouvoir du ministre à faire une telle réévaluation en vertu de la loi. En fait, il pourrait s’agir de la toute première fois que cette question est traitée directement.

[87] Pour toutes ces raisons, j’ai conclu que la Loi sur la SV et le Règlement sur la SV ne conféraient pas au ministre le pouvoir de modifier sa décision initiale sur l’admissibilité comme il l’a fait.

Conclusion

[88] Je suis d’avis que le ministre a outrepassé les pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur la SV et le Règlement sur la SV en essayant de modifier la décision initiale sur l’admissibilité qu’il avait rendue en décembre 2002. En vertu des pouvoirs que me confèrent les articles 59 et 64 de la Loi sur le MEDS, je conclus que l’appelant était admissible à sa pension partielle de la SV et à sa prestation du SRG à compter de septembre 2002.

[89] L’appel est accueilli.

Mode d’instruction :

Représentants :

Sur la foi du dossier

B. R., non représenté
Michael Stevenson, pour l’intimé

Annexe

Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9

Premier versement

8 (1) Le premier versement de la pension se fait au cours du mois qui suit l’agrément de la demande présentée à cette fin; si celle-ci est agréée après le dernier jour du mois de sa réception, l’effet de l’agrément peut être rétroactif au jour — non antérieur à celui de la réception de la demande — fixé par règlement.

Exception

(2) Toutefois, si le demandeur a déjà atteint l’âge de soixante-cinq ans au moment de la réception de la demande, l’effet de l’agrément peut être rétroactif à la date fixée par règlement, celle-ci ne pouvant être antérieure au jour où il atteint cet âge ni précéder de plus d’un an le jour de réception de la demande.

[…]

Durée

(3) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, la pension est viagère, le dernier versement en étant effectué pour le mois du décès.

Suspension en cas d’absence du pays

9 (1) Le service de la pension est suspendu après le sixième mois d’absence ininterrompue du Canada qui suit l’ouverture du droit à pension — le mois du départ n’étant pas compté et indépendamment du fait que celui-ci soit survenu avant ou après cette ouverture — et il ne peut reprendre que le mois où le pensionné revient au Canada.

Exception

(2) Malgré le paragraphe (1), il n’y a pas suspension du service de la pension si le pensionné justifie lors de son départ du pays d’au moins vingt années de résidence au Canada après l’âge de dix-huit ans.

Suspension en cas de cessation de résidence

(3) La cessation de résidence au Canada, qu’elle survienne avant ou après l’ouverture du droit à pension, entraîne la suspension des versements après le sixième mois qui suit la fin du mois où elle est survenue. Dans tous les cas, les versements peuvent reprendre à compter du mois où le pensionné réside de nouveau au Canada.

Exception

(4) Malgré le paragraphe (3), le service de la pension n’est pas suspendu si le pensionné qui cesse de résider au Canada justifie alors d’au moins vingt années de résidence après l’âge de dix-huit ans.

Inobservation de la loi

(5) Le service de la pension peut aussi être suspendu en cas de manquement aux dispositions de la présente loi ou de ses règlements; il ne peut alors reprendre qu’après observation, par le pensionné, de ces dispositions.

Demande de cessation

9.1 (1) Tout pensionné peut présenter au ministre une demande écrite de cessation du service de la pension.

...

Règlements

34 Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements d’application de la présente loi et, notamment :

[…]

j) prévoir la suspension du service d’une prestation pendant toute enquête sur l’admissibilité du prestataire, ainsi que la réintégration ou la reprise du versement;

...

Obligation de restitution

37 (1) Le trop-perçu — qu’il s’agisse d’un excédent ou d’une prestation à laquelle on n’a pas droit — doit être immédiatement restitué, soit par remboursement, soit par retour du chèque.

Recouvrement du trop-perçu

(2) Le trop-perçu constitue une créance de Sa Majesté dont le recouvrement peut être poursuivi en tout temps à ce titre devant la Cour fédérale ou tout autre tribunal compétent, ou de toute autre façon prévue par la présente loi.

...

Infractions

44 (1) Commet une infraction punissable par procédure sommaire quiconque :

  1. a) fait sciemment une déclaration fausse ou trompeuse — y compris par la non-révélation de certains faits — dans l’une des demandes ou déclarations prévues par la présente loi, ou obtient le service d’une prestation par de faux semblants;

[…]

...

Pénalités

44.1 (1) S’il prend connaissance de faits qui, à son avis, démontrent qu’une personne a commis l’un des actes ou omissions ci-après, le ministre peut lui infliger une pénalité pour chacun de ces actes ou omissions :

  1. a) à l’occasion notamment d’une demande, faire sciemment une affirmation ou une déclaration qu’elle sait être fausse ou trompeuse;
  2. a.1) omettre sciemment de corriger toute inexactitude concernant les renseignements fournis par le ministre tel que requis par les paragraphes 5(6), 11(3,3), 15(2,4), 19(4,05) ou 21(4,3);
  3. b) à l’occasion notamment d’une demande, faire une affirmation ou une déclaration qu’elle sait être fausse ou trompeuse, en raison de la dissimulation de certains faits;
  4. c) omettre sciemment de déclarer au ministre tout ou partie de son revenu;
  5. d) recevoir ou obtenir, notamment par chèque, une prestation au bénéfice de laquelle elle sait qu’elle n’est pas admissible ou une somme qu’elle sait excéder la prestation à laquelle elle est admissible et omettre de retourner la prestation ou le trop-perçu sans délai;
  6. e) participer, consentir ou acquiescer à la commission de tout acte ou omission visé à l’un ou l’autre des alinéas a) à d).

[…]

Modification ou annulation de la décision

(4) Le ministre peut réduire la pénalité infligée en vertu du paragraphe (1) ou annuler la décision qui l’inflige dans l’un ou l’autre des cas suivants :

  1. a) il est saisi de faits nouveaux;
  2. b) il est convaincu que la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou qu’elle est fondée sur une erreur relative à un tel fait…

Règlement sur la sécurité de la vieillesse, C.R.C., ch. 1246

Autres renseignements et enquêtes avant ou après l’agrément de la demande ou l’octroi de la dispense

23 (1) Le ministre peut, avant ou après l’agrément d’une demande ou après l’octroi d’une dispense, exiger que le demandeur, la personne qui a fait la demande en son nom, le prestataire ou la personne qui touche la pension pour le compte de ce dernier, selon le cas, permette l’accès à des renseignements ou des éléments de preuve additionnels concernant l’admissibilité du demandeur ou du prestataire à une prestation.

(2) Le ministre peut, en tout temps, faire enquête sur l’admissibilité d’une personne à une prestation, y compris sur la capacité du prestataire pour ce qui est de l’administration de ses propres affaires.

Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8

Remise de la prestation indue

66 (1) Une personne ou un ayant droit qui a reçu ou obtenu, par chèque ou autrement, un paiement de prestation auquel elle n’a pas droit, ou à qui a été payée une prestation dont le montant excédait celui auquel elle avait droit, doit immédiatement retourner le chèque ou le montant, ou l’excédent, selon le cas.

Recouvrement des prestations

(2) La prestation ou la partie de celle-ci que touche une personne et à laquelle elle n’a pas droit constitue une créance de Sa Majesté dont le recouvrement peut être poursuivi en tout temps à ce titre devant la Cour fédérale ou tout autre tribunal compétent, ou de toute autre façon prévue par la présente loi.

...

Cas où la pension cesse d’être payable

70 (1) Une pension d’invalidité cesse d’être payable avec le paiement qui concerne, selon le cas :

  1. a) le mois au cours duquel le bénéficiaire cesse d’être invalide;

 […]

...

Annulation ou modification de la décision

81 (3) Le ministre peut, en se fondant sur des faits nouveaux, annuler ou modifier une décision qu’il a lui-même rendue conformément à la présente loi.

Règlement sur le Régime de pensions du Canada, C.R.C., ch. 385

Retenue des prestations

59 (1) Lorsque la Loi ou le présent règlement exige qu’il y ait des preuves pour déterminer si un bénéficiaire peut recevoir des prestations ou continuer à en recevoir et, qu’à la demande du ministre, le bénéficiaire produit des preuves jugées insatisfaisantes par le ministre, ou omet de produire les preuves demandées, le ministre peut, sur avis écrit de 30 jours, suspendre le paiement des prestations jusqu’à ce que le bénéficiaire ait soumis les preuves requises qui permettent au ministre d’être convaincu quant à son admissibilité à recevoir les prestations.

(2) La prestation qui n’est plus suspendue doit être payée pour toute partie de la période de suspension durant laquelle le bénéficiaire était admissible à la recevoir.

...

Détermination de l’invalidité

68 (2) En plus des exigences du paragraphe (1), une personne dont l’invalidité reste à déterminer ou a été déterminée en vertu de la Loi, peut être requise à l’occasion par le ministre

  1. a) de fournir une déclaration de ses emplois ou de ses gains pour n’importe quelle période; et
  2. b) de se soumettre à tout examen spécial et de fournir tout rapport que le ministre estimera nécessaire en vue de déterminer l’invalidité de cette personne.

...

69 (1) En vue de déterminer si un certain montant doit être payé ou doit continuer d’être payé comme prestation à l’égard d’une personne dont on a déterminé l’invalidité au sens de la Loi, le ministre peut requérir ladite personne, de temps à autre,

  1. a) de se soumettre à tout examen spécial,
  2. b) de fournir tout rapport, et
  3. c) de fournir toute déclaration sur son emploi et ses gains, pour toute période, qu’il peut indiquer.

[…]

70 (1) Lorsqu’une personne dont on a déterminé l’invalidité au sens de la Loi ne se conforme pas, sans raison valable, aux conditions posées par le ministre en vertu de l’article 69, elle peut être déclarée avoir cessé d’être invalide au moment que le ministre décidera, ce moment ne pouvant cependant être antérieur au jour où la personne ne s’est pas ainsi conformée.

(2) Aux fins du paragraphe (1), raison valable signifie un risque important pour la santé ou la vie d’une personne.

Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23

Nouvel examen de la demande

52 (1) Malgré l’article 111 mais sous réserve du paragraphe (5), la Commission peut, dans les trente-six mois qui suivent le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables, examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations.

Décision

(2) Si elle décide qu’une personne a reçu une somme au titre de prestations pour lesquelles elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice desquelles elle n’était pas admissible, ou n’a pas reçu la somme pour laquelle elle remplissait les conditions requises et au bénéfice de laquelle elle était admissible, la Commission calcule la somme payée ou à payer, selon le cas, et notifie sa décision au prestataire.

Somme remboursable

(3) Si la Commission décide qu’une personne a reçu une somme au titre de prestations auxquelles elle n’avait pas droit ou au bénéfice desquelles elle n’était pas admissible :

  1. a) la somme calculée au titre du paragraphe (2) est celle qui est remboursable conformément à l’article 43;
  2. b) la date à laquelle la Commission notifie la personne de la somme en cause est, pour l’application du paragraphe 47(3), la date où la créance a pris naissance.

Somme payable

(4) Si la Commission décide qu’une personne n’a pas reçu la somme au titre de prestations pour lesquelles elle remplissait les conditions requises et au bénéfice desquelles elle était admissible, la somme calculée au titre du paragraphe (2) est celle qui est payable au prestataire.

Prolongation du délai de réexamen de la demande

(5) Lorsque la Commission estime qu’une déclaration ou affirmation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestations, elle dispose d’un délai de soixante-douze mois pour réexaminer la demande.

...

Annulation ou modification de la décision

111 La Commission peut annuler ou modifier toute décision rendue à l’égard d’une demande particulière de prestations si des faits nouveaux lui sont présentés ou si elle est convaincue que la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21

Principe et interprétation

12 Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

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