Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] Le requérant est né en Inde et est arrivé pour la première fois au Canada en décembre 2000. En 2013, il a présenté une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV), au motif qu’il avait accumulé 10 ans de résidence au Canada. Quelques mois plus tard, il a également présenté une demande de Supplément de revenu garanti (SRG).

[3] Dans sa demande de pension de la SV, le requérant a précisé qu’il s’était absenté du Canada à deux occasions pour des périodes de plus de six mois depuis qu’il y était arrivé avec le statut de résident permanent en décembre 2000, soit pour des séjours prolongés en Inde, du 30 novembre 2001 au 26 juin 2003 et du 23 avril 2010 au 23 mai 2011. Le ministre a agréé sa demande de pension de la SV en décembre 2013. Ses séjours en Inde de plus de six mois ont été exclus aux fins du calcul de sa résidence, et il a été considéré que sa résidence au Canada reprenait dès qu’il y revenait après chacune ses absences prolongées. En définitive, le requérant a été jugé admissible à une pension partielle à hauteur de 10/40e.

[4] En décembre 2015, le ministre a réévalué l’admissibilité du requérant et conclu qu’il n’avait pas accumulé les 10 années de résidence requises aux fins d'admissibilité à une pension partielle de la SV. Il a donc établi un trop-payé, à la fois pour la SV et le SRG, totalisant 29 037,06 $. Le ministre a maintenu sa décision après révision et le requérant a fait appel de la décision au Tribunal de la sécurité sociale.

Questions en litige

[5] Le requérant résidait-il au Canada depuis au moins 10 ans depuis ses 18 ans avant la date de l’agrément de sa demande?

[6] Le ministre est-il habilité à réévaluer l’admissibilité du requérant une fois que sa demande de la SV avait été agréée et que des prestations avaient commencé à lui être versées?

Analyse

[7] Pour être admissible à une pension partielle de la SV, un requérant doit démontrer ce qui suit, selon la prépondérance des probabilités : il a au moins 65 ans; il a le statut de résident légal du Canada; et il a établi sa demeure au Canada et a vécu ordinairement au Canada pendant au moins 10 ans avant la date d’agrément de sa demande. Si le requérant a résidé au Canada pendant moins de 20 ans, il lui faut également démontrer qu’il résidait au Canada le jour précédant la date d’agrément de sa demandeNote de bas de page 1.

[8] Le Règlement sur la sécurité de la vieillesse établit une distinction entre la résidence au Canada et la présence au Canada. Une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada. Une personne est présente au Canada lorsqu’elle se trouve physiquement dans une région du CanadaNote de bas de page 2.

[9] La résidence est une question de fait qui nécessite un examen de l’ensemble du contexte se rapportant à l’individu concerné. De nombreux facteurs sont pertinents pour déterminer si une personne a établi sa demeure et vit ordinairement au Canada, comme les facteurs suivants dans le cas du requérant : ses liens sociaux au Canada et en Inde; la régularité et la durée de ses séjours au Canada et en Inde; et son mode de vie, soit de savoir s’il est suffisamment enraciné et établi au Canada, entre autresNote de bas de page 3.

[10] Je dois considérer l’ensemble de la preuve et des circonstances afin d’établir les périodes de résidence au Canada du requérant, à compter de son arrivée au pays en décembre 2000 et jusqu’à l’agrément de sa demande de pension de la SV en décembre 2013, et toute période de résidence ayant suivi l’agrément de sa demande. D’après l’historique de ses voyages, son témoignage de vive voix, ses passeports, et l’historique de ses voyages selon l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), voici les voyages du requérant jusqu’à ce jourNote de bas de page 4 :

Dates Pays Durée du séjour (nombre de jours)
22 décembre 2000 au 30 novembre 2001 Canada 11 mois, 8 jours (343)
30 novembre 2001 au 26 juin 2003 Inde 18 mois, 26 jours (572)
26 juin 2003 au 5 décembre 2005 Canada 29 mois, 9 jours (894)
5 décembre 2005 au 21 avril 2006 Inde 4 mois, 16 jours (137)
21 avril 2006 au 24 octobre 2008 Canada 30 mois, 3 jours (917)
24 octobre 2008 au 24 mars 2009 Inde 5 mois (151)
24 mars 2009 au 21 novembre 2009 Canada 7 mois, 27 jours (242)
21 novembre 2009 au 15 février 2010 Inde 2 mois, 25 jours (86)
15 février 2010 au 23 avril 2010 Canada 2 mois, 8 jours (67)
23 avril 2010 au 23 mai 2011 Inde 13 mois (396)
23 mai 2011 au 21 août 2011 Canada 2 mois, 29 jours (90)
21 août 2011 au 17 février 2012 Inde 5 mois, 27 jours (179)
17 février 2012 au 31 octobre 2012 Canada 8 mois, 14 jours (257)
31 octobre 2012 au 23 avril 2013 États-Unis 5 mois, 23 jours (174)
23 avril 2013 au 31 août 2013 Canada 4 mois, 8 jours (130)
31 août 2013 au 12 octobre 2013 Inde 1 mois, 12 jours (42)
12 octobre 2013 au 11 décembre 2013 Canada 1 mois, 29 jours (60)
11 décembre 2013 au 28 mai 2014 Inde 5 mois 17 jours (169)
28 mai 2014 au 8 novembre 2014 Canada 5 mois, 11 jours (165)
8 novembre 2014 au 5 mai 2015 Inde 5 mois, 27 jours (181)
5 mai 2015 au 10 octobre 2015 Canada 5 mois, 5 jours (158)
10 octobre 2015 au 9 avril 2016 Inde 5 mois, 29 jours (183)
9 avril 2016 au 12 octobre 2016 Canada 6 mois, 3 jours (186)
12 octobre 2016 au 22 novembre 2016 Inde 1 mois, 10 jours (41)
22 novembre 2016 au 17 juillet 2017 Canada 6 mois, 26 jours (207)
17 juillet 2017 au 21 septembre 2017 Inde 2 mois, 4 jours (66)
21 septembre 2017 à maintenant Canada 13 mois, 16 jours (412)

[11] L’intimé a reçu la demande de pension de la SV du requérant le 5 juin 2013, et ce dernier a demandé que le service de sa pension débute dès qu’il y était admissibleNote de bas de page 5. L’intimé a reçu sa demande de SRG le 26 novembre 2013Note de bas de page 6. Le 20 décembre 2013, la demande de la SV du requérant a été agréée pour une pension partielle à hauteur de 10/40e payable à compter d’août 2013Note de bas de page 7. Le 20 décembre 2013, sa demande de SRG a été agréée pour un début de service en août 2013Note de bas de page 8.

[12] Quand le ministre a d’abord évalué la demande de la SV présentée par le requérant, les périodes suivantes ont été comptabilisées : 22 décembre 2000 au 30 novembre 2001, 26 juin 2003 au 23 avril 2010, et 23 mai 2011 au 31 août 2013Note de bas de page 9. Le requérant avait accumulé 3667 jours jusqu’au 31 août 2013 pour lui permettre de bénéficier d’une pension partielle à hauteur de 10/40e, comme il avait atteint, en août 2013, les 10 années de résidence minimales requises.

[13] Le 9 décembre 2015, l’intimé a écrit au requérant pour l’informer qu’il avait réévalué son admissibilité aux prestations de la SV et du SRG et conclu qu’il n’était pas admissible à une pension partielle puisqu’il n’avait pas accumulé au moins 10 ans de résidence au Canada. Un trop-payé totalisant 29 037,06 $ a été établi pour les prestations de la SV et du SRG qui lui avaient été versées d’août 2013 à décembre 2015Note de bas de page 10. L’intimé a expliqué que le requérant avait seulement été un résident du Canada pendant trois périodes brèves totalisant moins de quatre ans, et que les autres périodes passées au Canada correspondaient seulement à une présence plutôt qu’à une résidence au Canada.

[14] Le requérant a demandé une révision pour deux motifs. D’une part, il n’était pas d’accord avec les périodes pour lesquelles il avait été jugé absent du Canada comme il s’était seulement trouvé à l’étranger brièvement et, d’autre part, il a demandé que son absence ayant couru d’avril 2010 à mai 2011 ne soit pas considérée comme une interruption de sa résidence pour des motifs de compassionNote de bas de page 11. Le ministre a réévalué l’admissibilité du requérant selon les renseignements supplémentaires qu’il a fournis à l’appui de sa demande de révision. Le ministre a cependant conclu que, même si le requérant avait été présent longtemps au Canada avant le 23 avril 2010 et qu'il avait seulement voyagé en Inde de façon intermittente, la fréquence et la durée de sa présence au Canada et de ses absences du Canada démontraient qu’il avait conservé des liens plus forts en Inde qu’au Canada et qu’il avait accumulé environ sept ans de présence au CanadaNote de bas de page 12.

Les périodes de présence au Canada du requérant ne peuvent pas toutes être considérées comme des périodes de résidence

[15] Dans sa demande de pension de la SV, le requérant prétendait être devenu un résident du Canada en décembre 2000. Durant l’audience, il a affirmé qu’il était en congé prolongé de son emploi d’X lorsqu’il était venu au Canada la première fois en décembre 2000 avec un visa de résident permanent. Il a affirmé qu’il était retourné chez lui en Inde en novembre 2001 parce qu’il avait toujours son emploi et avait pris des vacances prolongées d’un an. Après ses vacances d’un an, il avait repris son poste comme prévu, puis avait pris sa retraite et était retourné au Canada en juin 2003 avec l’intention d'y rester.

[16] Le 26 juin 2003 est la date la plus antérieure où il peut être considéré que le requérant a établi sa résidence permanente au Canada. La période qu’il a passée au Canada de décembre 2000 à novembre 2001 peut seulement être considérée comme une présence et non une résidence au Canada. En effet, le requérant prévoyait alors de quitter l’Inde pour un séjour prolongé, rien de plus. Il avait toujours son contrat de travail à titre d’enseignant et avait pris un congé d’un an pour des vacances. Il avait toujours sa résidence en Inde. La demeure familiale se trouve encore en Inde aujourd’hui, et ce sont maintenant son plus jeune fils et sa mère vieillissante qui y habitent. La demeure ancestrale comprend également une terre agricole dont s’occupe désormais son plus jeune fils.

[17] À sa venue au Canada en décembre 2000, le requérant s’était vu accorder un visa de résident permanent et avait été parrainé par sa fille. Par contre, l’octroi du statut de résident permanent n’est que l’un des facteurs pour établir une résidence permanente. Il se peut très bien qu’il avait la claire intention de devenir résident permanent du Canada dans l’avenir, sans pour autant être prêt dans l’immédiat à s’installer au Canada de façon permanente. Il n’avait pas réglé ses affaires personnelles en Inde, avait seulement demandé un congé temporaire et prévoyait de retourner en Inde afin de reprendre son emploi d’X. Il a déclaré dans son témoignage qu’il y était retourné pour X en 2001, et qu’il avait pris sa retraite à l’âge de 55 ans et était revenu au Canada en 2003.

Le requérant est devenu résident du Canada le 26 juin 2003

[18] Le requérant a démontré qu’il est devenu résident du Canada le 26 juin 2003. Il a témoigné que son épouse l’avait accompagné lorsqu’il était venu vivre au Canada. Il a suivi de nombreuses étapes pour établir sa demeure permanente au Canada. Il a travaillé, produit des déclarations de revenus et cotisé au Régime de pensions du Canada. Il a réalisé des gains constants pendant trois ans, de 2006 à 2008. Son dossier de l’ASFC révèle qu’il possédait un véhicule commercial qui traversait régulièrement la frontière entre les États-Unis et le Canada d’août 2006 à juin 2008Note de bas de page 13. Le requérant est devenu admissible à l’obtention de la citoyenneté canadienne en octobre 2008Note de bas de page 14.

[19] Le requérant a trois enfants d’âge adulte. Sa fille, la plus vieille d’entre eux, habitait au Canada lorsque le requérant a obtenu son visa de résident permanent, mais elle a plus tard déménagé aux États-Unis, où elle vit avec son époux. Son cadet vit en Ontario et son benjamin vit toujours en Inde. Quand le requérant a déménagé au Canada, ses parents âgés étaient tous les deux encore en vie.

[20] Je suis convaincue, d’après les éléments mis en preuve, que le requérant est devenu résident du Canada le 26 juin 2003.

La résidence du requérant a été interrompue par son absence débutant le 23 avril 2010, et il a ensuite démontré des liens plus forts en Inde qu’au Canada

[21] La fréquence et la durée de ses absences du Canada ont commencé à changer vers la fin de 2009. Ses absences ont commencé à révéler qu’il avait possiblement des liens plus forts en Inde qu’au Canada en novembre 2009, alors qu’il a passé 86 jours Inde, puis seulement 67 jours au Canada avant de retourner en Inde durant 396 jours, s’absentant ainsi plus d’un an. Selon le Règlement, toute période d’absence d’une personne qui réside au Canada, qui est de nature temporaire et qui ne dépasse pas un an, est réputée n’avoir pas interrompu la résidence ou la présence de cette personne au CanadaNote de bas de page 15. Il ne s’ensuit pas nécessairement qu’une absence de plus d’un an interrompt la résidence au Canada. Il est nécessaire de considérer toutes les circonstances entourant cette absence.

[22] Le requérant a affirmé qu’il était retourné en Inde régulièrement parce que ses parents âgés ne se portaient pas bien et avaient besoin de son aide. Le requérant a affirmé que, durant son séjour de plus d’un an en Inde, d’avril 2010 à mai 2011, son père malade était ennuyé par des problèmes gastriques. Il est revenu au Canada le 23 mai 2011 et y a passé 90 jours avant de retourner en Inde, comme son père avec reçu entre-temps un diagnostic de cancer en phase terminale. Le père du requérant est décédé en août 2011, peu après son arrivée en Inde. Le requérant est ensuite demeuré en Inde pendant 179 jours.

[23] Depuis que le requérant a déménagé au Canada en 2003, son épouse a séjourné en Inde pendant des périodes prolongées afin de prendre soin de la mère âgée du requérant. Il convient de noter que le requérant a affirmé que son épouse avait elle aussi obtenu sa citoyenneté canadienne. Les 7 juillet 2015Note de bas de page 16, 23 septembre 2015Note de bas de page 17 et 13 février 2017Note de bas de page 18, le requérant a fait des déclarations selon lesquelles son épouse était restée en Inde. D’après les documents de voyage qu’il a soumis pour octobre 2008 à septembre 2016 et totalisant 13 voyages, son épouse ne l’aurait pas accompagnéNote de bas de page 19. Le requérant a affirmé que son épouse était revenue au Canada avec lui en septembre 2017, et que sa mère âgée était désormais prise en charge par son plus jeune fils et l’épouse de celui-ci.

[24] Du 21 novembre 2009 au 17 février 2012, le requérant a passé un total de 661 jours en Inde et 157 jours au Canada. Dans son témoignage, il a longuement expliqué son obligation culturelle et morale de veiller sur ses parents vieillissants. Il a affirmé que son épouse était demeurée en Inde la majeure partie du temps qu’il a passé au Canada puisque sa mère avait besoin de soins. Selon la description qu’il en a faite, le mode de vie du requérant est essentiellement le même au Canada comme en Inde. Dans les deux pays se trouve une demeure familiale entièrement équipée et meublée dans laquelle vit un membre de la famille toute l’année et où le requérant est le bienvenu et bénéficie de sa propre chambre. Il n’apporte que des vêtements et des effets personnels lorsqu’il voyage d’un pays à l’autre, que son séjour soit de courte ou de longue durée.

[25] Le requérant a affirmé qu’on s’attend à ce qu’il prenne soin de ses parents aussi longtemps qu’ils seront en vie, et que ses propres enfants ont une responsabilité semblable à son égard. Dès son arrivée au Canada, il était attendu que le requérant doive à tout moment quitter le pays en raison de son obligation morale et culturelle envers ses parents. Je juge que le requérant a maintenu un lien équivalent en Inde et au Canada depuis novembre 2009. Par conséquent, seules la durée et la fréquence de ses séjours dans chacun des pays peuvent permettre d’établir ses périodes de résidence et de présence dans chaque pays. Je constate que son statut de résident a changé le 23 avril 2010, interrompant ainsi sa résidence au Canada. Cette conclusion n’est pas strictement fondée sur son absence du Canada ayant duré 396 jours, mais aussi sur ses voyages de plus en plus fréquents en Inde et la courte durée de ses séjours au Canada avant comme après ses 396 jours d’absence, ainsi que sur la description de ses obligations envers sa famille.

[26] Le requérant a cessé d’être résident du Canada le 23 avril 2010, et n’était plus résident à tout le moins jusqu’en février 2012. Je conclus que la preuve démontre que le requérant était résident du Canada du 26 juin 2003 au 23 avril 2010, soit pendant un total de 2370 jours.

Le requérant n’avait pas accumulé 10 années de résidence au Canada en date de l’agrément de sa pension de la SV en décembre 2013

[27] D’après l’ensemble de la preuve, je juge que le requérant n’a pas démontré qu’il avait accumulé au moins 10 ans de résidence au Canada en date de décembre 2013, lorsque sa pension partielle à hauteur de 10/40e a été agréée. Par conséquent, le requérant n’était pas admissible aux prestations de la SV et du SRG à compter de décembre 2013, alors que des versements rétroactifs commençant en août 2013 lui ont été accordés.

Le ministre dispose de vastes pouvoirs pour réévaluer l’admissibilité à une pension de la SV après l’agrément de la demande et le début du service de la pension

[28] Le requérant et son représentant désigné ont fait référence à une décision récente de la division d’appel du TribunalNote de bas de page 20. Ils m’ont exhorté à suivre cette décision de la division d’appel qui, selon eux, établit que le ministre n’est pas habilité à réévaluer l’admissibilité à une pension de la SV une fois que celle-ci est agréée, et d’accueillir l’appel pour cette raison.

[29] J’ai examiné avec soin cette décision de la division d’appel. Je constate que les faits ne diffèrent pas sur le fond et que la cause du requérant ne peut être logiquement distinguée sur le fond de cette décision de la division d’appel. Bien qu’il existe des raisons impérieuses pour que le Tribunal ne se contredise pas, je ne suis pas liée par les décisions de la division d’appel. Je ne suis pas contrainte de suivre la logique de la décision de la division d’appel et je ne pourrais, en bonne conscience, suivre son raisonnement comme je juge plus convaincante une autre interprétation législative.

[30] Le membre de la division d’appel a conclu que le ministre ne pouvait, après avoir agréé une demande de pension de la SV et à défaut d’une déclaration fausse ou trompeuse du requérant, réévaluer subséquemment son admissibilité à la pension, cesser le versement de prestations auxquelles il n’est pas admissible, et établir un trop-payé. Je suis fortement en désaccord.

[31] Le requérant a touché des prestations auxquelles il n’était pas admissible parce que le ministre avait conclu qu’il y était admissible. Il n’a fait aucune déclaration fausse ou trompeuse, et il n’y a aucune preuve ni allégation d’intention frauduleuse. La principale question que devait trancher le ministre en l’espèce est identique à celle qu’il lui fallait trancher dans cette affaire de la division d’appel, soit de savoir si une absence prolongée mettait fin à la résidence de sorte que le requérant n’était pas admissible aux prestations lui ayant été versées pour la période visée. Les deux questions doivent être tranchées d’après les faits et, dans une cause comme dans l’autre, le ministre a rendu une décision qu’il a ensuite changée sur le fondement de faits qui pouvaient être connus au moment de sa décision initiale.

La décision de la division d’appel invoquée par le requérant n’a pas influencé ma décision comme je ne suis pas d’accord avec la logique suivie

[32] Le membre de la division d’appel a jugé que les pouvoirs conférés par l’article 23 du Règlement étaient extraordinaires, et cette détermination a joué un rôle essentiel dans la conclusion qui a été tirée. Je ne suis pas d’accord qu’il s’agit de pouvoirs extraordinaires; ils sont, selon moi, nécessaires.

[33] Les vastes pouvoirs conférés au ministre servent de contrepoids à l’objectif qui est d’honorer la nature altruiste de la loi conférant des prestations de la SV : ils permettent d’éviter les délais inutiles dans le traitement des demandes, tout en permettant de protéger les cordons de la bourse de la SV grâce au refus de prestations aux personnes inadmissibles. Ces pouvoirs sont nécessaires afin de préserver l’importance d’interpréter libéralement la Loi sur la sécurité de la vieillesse, comme elle doit l’être selon la Cour fédéraleNote de bas de page 21. Il serait inadmissible d’imposer aux pensionnés un stress énorme et évitable en raison du délai qu’occasionnerait l’examen exhaustif de chaque demande qui serait nécessaire pour que leur admissibilité ne puisse, une fois confirmée, faire l’objet d’une réévaluation ultérieure.

[34] La législation traitant de la suspension d’une prestation, ou de la cessation d’une prestation, suppose qu’une prestation soit payable au prestataire en premier lieu. Les cas où un prestataire n’a jamais été admissible à la prestation sont complètement différents. Pour ce qui est du requérant, ses prestations, en rétrospective, ne lui avaient jamais été payables depuis le début de leur versement, comme le requérant n’avait pas encore accumulé les 10 années de résidence minimales pour être admissible à une pension partielle de la SV. Ses prestations ont été « suspendues » durant l’enquête, conformément au RèglementNote de bas de page 22. Une fois l’enquête close, il ne peut plus être considéré qu’il y a eu « suspension » ou « cessation » de la prestation. Son versement a simplement pris fin comme le ministre a conclu que le requérant n’était pas admissible au bénéfice de la prestation et qu'il ne l’avait en fait jamais été.

[35] À mon avis, en faisant référence au Régime de pensions du Canada (RPC) et aux pouvoirs qu’il confère au ministre, le membre de la division d’appel ne parvient pas à appuyer sa conception limitée des pouvoirs que l’article 23 du Règlement confère au ministre. En effet, recouvrer la capacité à détenir une occupation rémunératrice et établir une période de résidence minimale pour être admissible à une pension de la SV sont deux choses très différentes. Il est important de souligner les différences qui existent entre le processus de demande de pension d’invalidité du RPC et le processus de demande d’une pension de la SV. Le long processus menant à l’agrément d’une pension d’invalidité en vertu du RPC, où une demande doit être étayée par des éléments de preuve médicale objectifs et est tranchée par un évaluateur médical compétent, différencie les prestations d’invalidité des prestations de la SV. Le RPC fait foi de cette différence entre les exigences pour être admissible à une pension de la SV et celles pour être admissible à une pension de la SV, comme il impose au ministre la charge de la preuve pour mettre fin au service d’une pension d’invalidité déjà agréée. Il revient effectivement au ministre de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, l’état de santé du bénéficiaire ne le rend plus invalide. Compte tenu de l’examen poussé qui précède l’agrément d’une pension d’invalidité du RPC, il est raisonnable que le ministre ne puisse infirmer une décision sur l’admissibilité à une telle pension.

[36] Au paragraphe 81 de sa décision, le membre de la division d’appel reconnaît que, sur le fondement de faits nouveaux ou dans les cas de fraude, le ministre est habilité, en vertu de l’article 23 du Règlement, à annuler une pension de la SV et à exiger le rembourser de sommes déjà versées. Cependant, le membre de la division d’appel a conclu que les pouvoirs dont dispose le ministre pour réévaluer les dossiers n’interviennent que s’il y a eu fraude ou intention de tromper, ou si sont découverts des faits nouveaux qui n’auraient pu être connus plus tôt. Sauf le respect que je lui dois, je ne suis pas d’accord avec cette interprétation restrictive des pouvoirs conférés au ministre.

[37] Il est reconnu à juste titre, dans la décision de la division d’appel, qu’il faut autant que possible éviter aux bénéficiaires vieillissants de prestations de la SV les difficultés pouvant être causées par un trop-payé. Toutefois, le ministre a le pouvoir discrétionnaire de faire remise de la totalité ou d’une partie des sommes versées indûment à titre de prestations dans les cas où leur remboursement causerait au débiteur des difficultés indues ou si le trop-payé est dû à un avis erroné ou à une erreur administrativeNote de bas de page 23. C’est précisément la réparation que doit demander un requérant pour qui le ministre a approuvé une pension de la SV qui n’aurait jamais dû être approuvée. Je ne peux imaginer de meilleur exemple d’erreur administrative ou de cause de difficultés indues que le fait d’avoir accordé une pension à une personne qui n’y était pas admissible parce qu’elle n’avait pas résidé au Canada pendant au moins 10 ans.

[38] Je ne suis pas tenue de suivre la logique présentée dans la décision de la division d’appel et je conclus que le pouvoir dont dispose le ministre pour réévaluer l’admissibilité est un pouvoir vaste pouvant être utilisé dans des causes où il n’est question ni fraude ni de fausses déclarations. 

Conclusion

[39] Le requérant n’avait pas accumulé 10 ans de résidence au Canada en date de décembre 2013 et n’était pas admissible aux 10/40e d’une pension de la SV ni au SRG. Le ministre est habilité à réévaluer son admissibilité. Le trop-payé établi par le ministre constitue une créance de Sa Majesté dont le recouvrement peut être poursuivi conformément à la LoiNote de bas de page 24.

[40] L’appel est rejeté.

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