Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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La décision et les motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli et l’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen.

Aperçu

[2] M. B. (l’appelante) est arrivée au Canada en 1986 et est devenue citoyenne canadienne en 1989. Elle est également devenue résidente permanente des États-Unis en 1992 et est devenue une citoyenne américaine naturalisée en 1999 (ce qui exigeait qu’elle obtienne sa résidence aux États-Unis). Elle a demandé et commencé à recevoir une pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) en juillet 2001. En 2013, le ministre de l’Emploi et du Développement social (le ministre) a fait enquête sur le dossier de la prestataire et a décidé qu’elle n’avait pas prouvé qu’elle avait une période de résidence au Canada suffisante pour être admissible à une pension de la SV. Le ministre a demandé à la prestataire de lui rembourser tous les montants qu’il lui avait versés.

[3] La prestataire a interjeté appel de cette décision devant le Tribunal. La division générale du Tribunal a tenu une audience en personne et a rejeté l’appel de la prestataire. Son appel devant la division d’appel du Tribunal est accueilli parce qu’il y a eu un manquement à la justice naturelle. L’appel est renvoyé à la division générale pour réexamen afin que tous les éléments de preuve pertinents puissent être examinés.

Questions préliminaires

[4] Lors de l’audition de l’appel, il est devenu évident que la division d’appel avait récemment rendu deux décisions pertinentes aux questions en litige dans le présent appel. La prestataire n’était pas au courant de ces décisions et le ministre ne les a pas abordées dans ses observations. Un délai supplémentaire a donc été accordé aux parties pour leur permettre de déposer des observations écrites sur les questions liées à ces décisions. Les deux parties ont déposé leurs observations dans le délai prescrit.

[5] La prestataire souhaitait également s’appuyer sur des éléments de preuve (déclarations de revenus) qui avaient été présentés à la division d’appel, mais qui n’avaient pas été produits en preuve devant la division générale.

[6] Dans ses observations supplémentaires, le ministre soutient qu’il a omis de déposer tous les documents pertinents auprès de la division générale et que cette erreur n’a été constatée qu’après la tenue de l’audience devant la division d’appel. Il fait valoir que comme la division générale ne disposait pas de tous les documents pertinents, l’appel devrait être accueilli et l’affaire renvoyée à la division générale afin que ces renseignements puissent être pris en considération.

Questions en litige

[7] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée de l’une des façons suivantes :

  1. en faisant erreur à propos du moment où la prestataire a présenté une demande à X Regional housing;
  2. en prenant les déclarations faites à l’enquêteur hors de leur contexte;
  3. en déclarant que la prestataire ne possédait pas de propriété après le décès de son mari en 2001;
  4. en ignorant les propos de la prestataire concernant les déclarations de revenus qu’elle a produites;
  5. en critiquant la prestataire pour avoir produit des renseignements sur les passages frontaliers de 2007 à 2014 alors que c’était ce qu’on lui demandait de faire;
  6. en reprochant à la prestataire de ne pas avoir envoyé des passeports complets alors que c’est le personnel de Service Canada qui a copié et transmis ces renseignements;
  7. en négligeant de prendre en considération les relevés bancaires de la prestataire;
  8. en concluant que la prestataire habitait dans la rue X de 2001 à 2007 alors qu’elle était toujours propriétaire d’un condominium à une autre adresse à ce moment-là?

[8] Y a-t-il eu manquement aux principes de justice naturelle parce que la division générale ne disposait pas de tous les documents pertinents?

[9] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a modifié sa décision initiale concernant l’admissibilité de la prestataire à la pension?

[10] La division générale a-t-elle commis une erreur de compétence lorsqu’elle a omis de déterminer si le ministre avait le pouvoir de réexaminer sa décision initiale sur l’admissibilité de la prestataire à la SV?

Analyse

[11] La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi sur le MEDS ») régit le fonctionnement du Tribunal. Elle n’énonce que trois moyens d’appel que la division d’appel peut prendre en considération. Ce sont les suivants : la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a commis une erreur de compétence, elle a commis une erreur de droit ou elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 1. Les arguments des parties sont examinés ci-dessous dans ce contexte.

Question en litige no 1 : Constatations de fait erronées

[12] L’appelante soutient que la division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées. Pour obtenir gain de cause sur ce fondement, la prestataire doit prouver trois choses : qu’une conclusion de fait était erronée, que la division générale a tiré cette conclusion de façon abusive, capricieuse ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, et que la décision rendue était fondée sur cette conclusion de faitNote de bas de page 2. La Loi sur le MEDS ne définit pas les termes « abusive » et « arbitraire ». Toutefois, certaines décisions des tribunaux ayant tenu compte de la Loi sur les Cours fédérales, où figure le même libellé, s’avèrent utiles. Il a été décidé, dans ce contexte, que le terme « abusif » signifiait d’« avoir statué sciemment à l’encontre de la preuve ». Le mot « arbitraire » désigne quelque chose « qui est irrégulier au point de sembler ne pas être conforme au droit »Note de bas de page 3. Chacun des arguments de la prestataire à cet égard est examiné ci-dessous.

a) Moment où la prestataire a présenté une demande à X Regional housing

[13] La division générale indique dans sa décision, en se fondant sur un questionnaire que la prestataire a rempli, que cette dernière a présenté une demande à X Regional Housing en 2011Note de bas de page 4. La prestataire soutient qu’il s’agit d’une conclusion de fait erronée parce qu’elle a produit des lettres concernant sa demande de logement datées d’août 2009, de juillet 2014 et de juillet 2017. Il semble donc que la conclusion de fait selon laquelle la prestataire a présenté une demande de logement en 2011 était erronée. Cependant, la division générale n’a pas fondé sa décision sur le moment où la prestataire a présenté sa demande de logement. Le fait que la prestataire a présenté une demande à X Regional Housing démontre qu’elle avait l’intention de résider dans la région de X. Toutefois, comme l’indique la décision de la division générale, l’intention d’une personne n’est pas déterminanteNote de bas de page 5. La décision de la division générale n’était pas fondée sur l’endroit où la prestataire avait l’intention de vivre, mais plutôt sur l’endroit où elle résidait réellement et où elle avait établi des liens de résidence plus solides. Par conséquent, cette conclusion de fait n’est pas erronée aux termes de la Loi sur le MEDS et l’appel ne peut être accueilli sur ce fondement.

b) Les déclarations de l’enquêteur

[14] La prestataire soutient également que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée parce qu’elle s’est appuyée sur un résumé d’une conversation téléphonique qu’elle a eue avec l’enquêteur. Elle soutient que parce qu’aucune transcription complète de la conversation n’a été fournie, la division générale a pris ces déclarations hors de leur contexte et s’est appuyée sur celles-ci de façon inappropriée. Toutefois, le dossier écrit dont la division générale est saisie contient un résumé de cette conversation. La prestataire en avait une copie et aurait pu corriger toute inexactitude dans le résumé lors de son témoignage à l’audience de la division générale. Elle ne l’a pas fait. Le contenu du dossier écrit a été reproduit fidèlement dans la décision de la division généraleNote de bas de page 6. La division générale n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a examiné cette preuve, ainsi que les documents écrits dont elle disposait et le témoignage de la prestataire, pour rendre sa décision.

c) Déclaration concernant la propriété appartenant à la prestataire

[15] La preuve présentée à la division générale concernant un condominium à X qui aurait appartenu à la prestataire et qu’elle aurait vendu n’était pas claire. La décision indique que la prestataire et son mari sont arrivés au Canada en 1986 et qu’ils ont vécu chez un parent jusqu’en 1993. Ils ont ensuite loué un appartement et y sont restés jusqu’en 1996, date à laquelle ils ont acheté un condominiumNote de bas de page 7. La prestataire a vendu le condominium en 2007Note de bas de page 8, bien qu’elle ait passé plus de temps en Floride qu’au Canada en 2001 et 2002 « sur ordre du médecin » et qu’elle ait loué le condominium à une amie pendant une partie de 2002 et 2003. La prestataire a déclaré à l’enquêteur qu’elle n’avait pas possédé de propriété au Canada depuis le décès de son mari (en 2001)Note de bas de page 9. Dans un questionnaire sur la résidence rempli en 2014, la prestataire a indiqué qu’elle vivait avec un ami à une adresse différente à X depuis 2004Note de bas de page 10.

[16] La division générale a examiné tous ces éléments de preuve et a tiré la conclusion de fait que la prestataire n’avait pas possédé de propriété au Canada depuis 2007Note de bas de page 11. Elle n’a pas commis d’erreur à cet égard. De plus, la possession d’une propriété ne détermine pas le lieu de résidence, de sorte que, même si cette conclusion de fait était erronée, la décision n’était pas fondée sur celle-ci. Par conséquent, l’appel ne peut être accueilli sur ce fondement.

d) Production de déclarations de revenus

[17] La décision de la division générale indique qu’aucune déclaration de revenus permettant de corroborer le lieu de résidence de la prestataire n’a été produiteNote de bas de page 12. Ce n’est pas une déclaration erronée. La prestataire n’a présenté à la division générale aucune déclaration de revenus. Elle souhaitait déposer en preuve certaines déclarations de revenus lors de l’audience de la division d’appel, mais elles n’ont pas été prises en considération parce les nouveaux éléments de preuve ne sont habituellement pas admis lors d’une audition d’appel.

e) Renseignements sur les passages frontaliers

[18] La décision de la division générale indique que la prestataire a fourni son historique de voyage pour la période du 1er mai 2007 au 30 avril 2014. Cet historique révèle cinq entrées au Canada pendant cette périodeNote de bas de page 13. La prestataire soutient que la division générale lui a reproché de ne pas avoir produit de preuve de ses entrées au Canada pour d’autres années alors qu’on ne le lui avait pas demandé de le faire. Cependant, la division générale n’a pas critiqué la prestataire. La décision ne fait qu’exposer la preuve concernant les entrées de la prestataire au Canada de 2007 à 2014. La décision indique également qu’il existait peu de preuves de ses absences du Canada de 2001 à 2007Note de bas de page 14. La prestataire ne conteste pas l’exactitude de ces déclarations. Ce ne sont pas des conclusions de fait erronées.

[19] En outre, il appartient à chaque partie de décider quels éléments de preuve elle présentera à l’appui de sa cause. Le ministre et le Tribunal ne sont pas responsables de demander des preuves supplémentaires à la prestataire. La division générale n’a pas commis d’erreur en ne demandant pas à la prestataire de fournir des éléments de preuve précis ou additionnels.

f) Passeports incomplets

[20] La décision de la division générale résume la preuve dont elle était saisie concernant les passeports des États-Unis, du Canada et de Trinité-et-Tobago de la prestataireNote de bas de page 15. Elle indique également que seule la page de couverture de certains de ces passeports figurait dans le dossier écrit. La prestataire soutient que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle lui a reproché de ne pas avoir envoyé des passeports complets alors que c’est le personnel de Service Canada qui a probablement commis une erreur en ne photocopiant pas toutes les pages des passeports et en ne les faisant pas parvenir au Tribunal. Toutefois, la décision n’était pas fondée sur le nombre de pages de passeports produites en preuve. Elle était fondée sur tous les éléments de preuve concernant la résidence de la prestataire au Canada et dans d’autres pays, y compris les timbres de passeports qui indiquaient ses dates d’entrée et de sortie. La prestataire ne conteste pas les dates d’entrée et de sortie. Par conséquent, la division générale n’a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée de la preuve liée aux passeports.

[21] Encore une fois, la prestataire a reçu une copie du dossier écrit dont la division générale était saisie. S’il manquait des renseignements importants, elle avait l’occasion de les présenter et de témoigner à cet égard lors de l’audience. Elle ne l’a pas fait. On ne peut reprocher à la division générale d’avoir examiné les éléments de preuve dont elle disposait dans ces circonstances.

g) Relevés bancaires

[22] La division générale fait référence aux relevés bancaires que la prestataire a présentés. Elle indique que les relevés bancaires suggèrent que la prestataire était au Canada d’avril à juin environ chaque année de 2007 à 2013.Note de bas de page 16 Elle conclut que les dossiers n’indiquent aucune activité qui corroborerait la position de la prestataire selon laquelle elle entretenait des liens solides avec le Canada avant ou après la vente de son condominium en 2007Note de bas de page 17. Il ressort clairement de ce qui précède que la division générale n’a pas fait fi de ces éléments de preuve. Elle a tenu compte de ces éléments de preuve ainsi que de la preuve orale et écrite pour rendre sa décision. Elle n’a commis aucune erreur à cet égard.

h) La prestataire habitait dans la rue X

[23] La division générale a écrit ce qui suit :

[Traduction]

« Cependant, ses liens avec la Floride, l’incertitude quant à ses séjours au Canada et la durée de ces séjours ainsi que la fréquence et la durée de ses absences du Canada suggèrent que son départ [de la prestataire] du Canada après le décès de son mari en 2001 et la location de son condo en 2002 marquent un tournant dans ses liens avec la Floride et non avec le Canada. Le Tribunal conclut que, de juillet 2001 à novembre 2007, ses liens avec la Floride ont été la caractéristique prédominante de sa résidence. Le Tribunal conclut que les caractéristiques d’une résidence en Floride subsistent malgré le fait qu’elle retournait demeurer dans sa chambre au domicile de D. Le Tribunal conclut qu’elle a été et continue d’être une résidente de la Floride au sens de la définition donnée dans l’arrêt Ding. »Note de bas de page 18

La prestataire soutient que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée parce qu’elle ne demeurait pas dans la rue X en 2001 et en 2002. Elle était propriétaire d’un condominium à une autre adresse à ce moment-là. Bien que ce fut peut-être une erreur de mentionner que la prestataire vivait dans une chambre dans la rue X, la décision n’était pas fondée sur l’adresse où la prestataire demeurait. Elle était fondée sur l’incertitude quant à ses séjours au Canada et sur la durée de ses séjours au Canada, sur la fréquence et la durée de ses absences du Canada ainsi que sur sa résidence en Floride pendant la période en question.

[24] Par conséquent, la division générale n’a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée aux termes de la Loi sur le MEDS. L’appel ne peut être accueilli sur ce fondement.

Question en litige no 2 : Justice naturelle

[25] Un autre des moyens d’appel prévus par la Loi sur le MEDS est que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle. Ces principes visent à s’assurer que toutes les parties à un appel ont la possibilité de saisir le Tribunal de leur cause, de connaître la preuve contre elles et d’y répondre, et d’obtenir d’un arbitre indépendant une décision rendue au regard des faits et du droit.

[26] En l’espèce, la prestataire souhaitait déposer des éléments de preuve supplémentaires lors de l’audience de la division d’appel. Les nouveaux éléments de preuve ne sont habituellement pas admis dans le cadre d’un appel devant la division d’appelNote de bas de page 19, de sorte qu’ils n’ont pas été acceptés.

[27] Toutefois, le ministre est tenu de déposer auprès du Tribunal une copie de sa décision et de tout document pertinent par rapport à cette décisionNote de bas de page 20. Lorsque le ministre a déposé ses dernières observations, il a également déposé un affidavit qui comprenait environ 80 pages de documents qui avaient été obtenus au cours de son enquête sur cette affaire et qui n’avaient pas été déposés auprès du Tribunal. La division générale n’a pas pris ces documents en considération, bien qu’ils peuvent être pertinents par rapport aux questions en litige. Il s’agit d’un manquement aux principes de justice naturelle. La prestataire ne serait pas en mesure de répondre entièrement aux arguments plaidés par le ministre sans avoir vu ces documents. L’appel doit être accueilli sur ce fondement.

Autres questions

[28] Le présent appel soulève également des questions d’erreurs de droit et d’erreurs de compétence. Toutefois, je n’ai pas à trancher ces questions pour le moment, car j’ai décidé que l’appel doit être accueilli pour les motifs susmentionnés.

Conclusion

[29] L’appel est accueilli parce qu’il y a eu un manquement à la justice naturelle.

[30] La Loi sur le MEDS énonce les redressements que la division d’appel peut accorder lorsqu’un appel est accueilliNote de bas de page 21. Il convient de renvoyer l’appel à la division générale du Tribunal pour réexamen. Le dossier est incomplet parce que des éléments de preuve pertinents n’ont pas été déposés auprès du Tribunal comme l’exige le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale. La question à trancher, à savoir si la prestataire résidait au Canada, est une question de fait qui doit être tranchée en tenant compte de la preuve. L’appréciation de la preuve est au cœur du mandat et de la compétence de la division générale.

[31] Tenant compte de la preuve présentée à la division d’appel du Tribunal, l’appel est donc renvoyé à la division générale pour réexamen.

[32] La division générale devrait déterminer si une toute nouvelle audience est nécessaire ou si l’affaire peut être tranchée en se fondant sur le dossier écrit et l’enregistrement de la première audience de la division générale, en offrant aux parties l’occasion de compléter ou de clarifier leur témoignage.

[33] Le ministre a demandé que l’appel soit renvoyé à un membre différent de la division générale. Je ne vois aucune raison de donner cette directive en l’espèce.

Date de l’appel :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 27 septembre 2018

Téléconférence

David Mellor et Richard Bohrer, représentants de l’appelante
Tiffany Glover, avocate de l’intimé

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