Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Décision et motifs

Décision

[1] Le demandeur et la partie mise en cause n’étaient pas résidents du Canada au sens de la Loi sur la Sécurité de la vieillesse (loi sur la SV) entre mai 2001 et octobre 2013.

Aperçu

[2] Le demandeur et la partie mise en cause ont chacun présenté une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV)Note de bas de page 1. Cependant, leurs demandes ont été refusées par l’intimé car celles-ci ne remplissaient pas l’exigence minimale de 10 années de résidence afin d’avoir droit à une pension de la SV.

[3] Le demandeur et la partie mise en cause se sont présentés initialement devant la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal) sous les dossiers GP-15-138 et GP-15-139 respectivement. Une décision a été rendue par la Division générale du Tribunal le 11 janvier 2018 et celle-ci a été portée en appel à la Division d’appel du Tribunal sous le numéro AD-18-232.

[4] Une entente de consentement est intervenue entre les parties et, conformément à l’article 59(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) ces affaires ont été renvoyées à la Division générale avec comme directive de tenir une audience de novo afin de déterminer au fond la résidence du demandeur et de la partie mise en cause au Canada entre mai 2001 et octobre 2013 en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV).

Question préliminaire

[5] Le demandeur et la partie mise en cause ont chacun déposé un Avis d’appel au Tribunal portant les numéros GP-15-138 et GP-15-139 respectivement. Suite au renvoi de la Division d’appel à la Division générale de ces affaires, deux nouveaux dossiers ont été créés portant respectivement les numéros GP-18-1724 et GP-18-1726.

[6] Étant donné que ces deux appels portent sur les mêmes questions de droit et de fait touchant l’admissibilité à la pension de la SV et de la résidence au Canada, le Tribunal rendra une seule décision pour ces deux dossiers, conformément aux articles 10 et 13 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Questions en litige

[7] Est-ce que le demandeur et la partie mise en cause étaient résidents du Canada au sens de la Loi sur la SV entre mai 2001 et octobre 2013?

[8] Si oui, est-ce que le demandeur et la partie mise en cause ont droit à une pension de la SV au moment auquel ils ont déposé une demande de SV, soit le 9 octobre 2013?

Analyse

Critères à appliquer pour déterminer l’admissibilité à une pension de la SV

[9] Le demandeur est décédé le 26 juillet 2015.Note de bas de page 2 La succession du demandeur était représentée par le fils du demandeur dument autorisé par une procuration le désignant à titre d’exécuteur testamentaire.Note de bas de page 3 Dans cette décision le fils du demandeur et le demandeur sont référencés comme étant le demandeur.

[10] Aux fins de la SV, une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada. Ce concept est distinct de celui de la présence. Une personne est présente au Canada lorsqu’elle se trouve physiquement dans une région du Canada.Note de bas de page 4 Une personne peut être présente au Canada sans être résidente du Canada.

[11] La résidence est une question de fait qui doit être tranchée selon les faits particuliers de chaque cause. Les intentions d’une personne ne sont pas des éléments décisifs. La décision DingNote de bas de page 5 a établi une liste non exhaustive de facteurs à prendre en considération afin de guider le Tribunal à décider la question de la résidence :

  1. Liens prenant la forme de biens mobiliers;
  2. Liens sociaux au Canada;
  3. Autres liens au Canada (assurance-maladie, permis de conduire, bail de location, dossiers fiscaux, etc.);
  4. Liens dans un autre pays;
  5. Régularité et durée des séjours au Canada par rapport à la fréquence et à la durée des absences du Canada;
  6. Le mode de vie de l’intéressé, ou la question de savoir si l’intéressé vivant au Canada y est enraciné de façon significative.Note de bas de page 6

[12] J’estime que le demandeur et la partie mise en cause n’ont pas établi leur demeure et qu’ils n’ont pas vécu ordinairement au Canada entre mai 2001 et octobre 2013, malgré leur présence intermittente et régulière au Canada pendant cette période.

[13] Le demandeur et la partie mise en cause ont confirmé les dates de leurs entrées et sorties du Canada depuis mai 2001 telles que compilées dans le tableau composé par l’intiméNote de bas de page 7 et sa déclaration d’absences du CanadaNote de bas de page 8. Le demandeur et la partie mise en cause ont confirmé toujours voyager entre le Canada et le Maroc ensemble, donc aux mêmes dates.

[14] J’examinerai maintenant les documents et les témoignages du demandeur et de la partie mise en cause en conformité avec les facteurs tels qu’établis dans l’arrêt Ding afin de conclure si le demandeur vit ordinairement au Canada et qu’il y a établi sa demeure.

1. Liens prenant la forme de biens mobiliers

[15] Le Tribunal estime que ce facteur ne supporte pas que le demandeur a établi sa demeure et vit ordinairement au Canada en ce qui concerne l’établissement de sa résidence canadienne.

[16] Le demandeur et la partie mise en cause ne sont venus au Canada qu’avec leurs vêtements et de petits effets personnels. Les meubles familiaux ont été laissés au Maroc au bénéfice de leurs trois filles qui y habitent toujours et qui ont conservé le logement familial. Lorsque le demandeur et la partie mise en cause sont arrivés au Canada, ils ont toujours habité dans les logements de leur fils et sont déménagés avec lui quand il a acheté une maison en 2004.

[17] Ils ont toujours eu une chambre à eux, dans laquelle le fils avait acheté des meubles à leur bénéfice. La chambre n’était occupée que par eux et ils pouvaient y laisser leurs vêtements et leurs effets personnel en permanence même lorsqu’ils étaient au Maroc. Ceci est la même situation que pour le logement au Maroc dans lequel les parents y ont une chambre à leur usage exclusif. Le fils a expliqué que ceci est une obligation morale et coutumière du respect voué aux parents.

[18] Le demandeur et la partie mise en cause sont donc arrivés avec leurs vêtements et quelques effets personnels. Tous leurs meubles ont été fournis par leur fils chez qui ils résident depuis leur arrivée au Canada. Les parents ne font que procéder au renouvellement de leur garde-robe tout étant fourni par leur fils au Canada pour leurs besoins canadiens.

[19] Le Tribunal convient que le fils a agi en personne responsable en fournissant à ses parents tous les biens dont ils avaient besoin et a su répondre à leurs besoins lorsque ceux-ci sont au Canada, mais ne peut donner beaucoup de poids à ce facteur afin d’en arriver à une conclusion que le demandeur a établi sa demeure et vit ordinairement au Canada étant donné que durant cette période de temps le demandeur et la partie mise en cause avaient relativement peu de lien prenant la forme de biens mobiliers au Canada.

2. Liens sociaux au Canada et au Maroc

[20] Le Tribunal n’estime pas que ce facteur appuie d’une façon concluante, une résidence au Canada.

[21] Au moment auquel ils sont arrivés au Canada, mai 2001, le demandeur avait 63 ans et la partie mise en cause 56 ans. Le demandeur avait pris sa retraite en 1998 d’un poste de chef de cabinet à la préfecture. Leur immigration au Canada n’avait jamais été prévue. Comme le demandeur a dit à son fils qu’il était tombé en amour avec le Canada lors d’une visite et qu’il voulait venir habiter au Canada, le fils a donc commencé les procédures d’immigration pour sa famille mais seuls ses parents ont été acceptés.

[22] Le fils du demandeur et de la partie mise en cause est arrivé au Canada en 1998 et est devenu citoyen canadien en 2003. Jusqu’à son départ du Maroc pour le Canada, le fils a toujours habité chez ses parents et ceux-ci étaient responsables de subvenir à ses besoins et aux besoins de ses trois sœurs. Le fils du demandeur a expliqué que selon la coutume marocaine, il incombe aux parents de s’occuper de leurs enfants et de subvenir à leurs besoins. Quand les parents deviennent plus vieux, cette responsabilité change et il incombe aux enfants, principalement aux fils, de s’occuper de leurs parents et de subvenir à leurs besoins et, par extension, aux besoins de du reste de la famille également.

[23] Étant donné que les filles n’ont pas été acceptées, les parents ont été dans l’obligation de continuer leur va-et-vient entre le Maroc et le Canada. Cependant, ceci démontre le lien très fort que les parents avaient avec leurs trois filles restées au Maroc et avec le pays lui-même. Tel qu’indiqué au paragraphe 100, les séjours au Maroc y deviennent de plus en plus longs comparativement à ceux au Canada jusqu’au dépôt de la demande de SV.

[24] Le demandeur et la partie mise en cause n’ont d’autre famille au Canada que leur fils. Toute la famille est au Maroc, principalement leurs trois filles. Le fils travaille toute la journée, 10 heures à 12 heures par jour, et les parents sont laissés à eux-mêmes.

[25] La partie mise en cause est membre d’une association musulmane locale qui organise des activités communautaires et vient en aide aux membres de leur communauté dans le besoin. Sa participation se limite lors de fêtes ou d’activités spéciales et n’est pas régulière.

[26] Le demandeur et la partie mise en cause n’ont pas beaucoup d’amis au Canada. Les connaissances de ceux-ci sont principalement les amis de leur fils établis au Canada. Ils les voient principalement lors de fêtes musulmanes, soit chez les amis de leur fils, soit à la résidence de leur fils. Lors de son témoignage, le demandeur a indiqué que la majorité de la communauté musulmane est à Montréal et ceux-ci habitent en banlieue. Ceci est loin pour se déplacer pour le demandeur et la partie mise en cause. Le fils ne peut pas les conduire durant la semaine car il est au travail. La vie du demandeur et de la partie mise en cause est principalement sédentaire à la maison, de prendre des marches et faire des courses. Le fils leur donne de l’argent et ils vont faire l’épicerie.

[27] Le demandeur et la partie mise en cause ont un rythme de vie semblable au Maroc. Ils y passent du temps avec leurs filles et font des courses.

[28] Il est évident que le demandeur et la partie mise en cause maintiennent des liens d’attaches vers le Canada de même que vers le Maroc. Ces attaches envers le Canada sont devenues plus grandes depuis que leur fils est venu s’installer ici. Cependant, lors de leurs témoignages, le demandeur et la partie mise en cause ont indiqué ne faire que très peu d’activités au Canada et n’avoir ici que très peu de connaissance. Le demandeur et la partie mise en cause ont encore trois filles au Maroc, toute la famille élargie, les amis et les anciens collègues. Le Tribunal ne peut qu’en déduire que le demandeur et la partie mise en cause ont des liens sociaux plus grands avec le Maroc qu’avec le Canada.

3. Autres liens au Canada et au Maroc

[29] Le Tribunal estime que ce facteur ne permet pas d’établir de façon concluante la résidence du demandeur et de la partie mise en cause au Canada.

[30] Le demandeur avait un portable au Canada pour lequel le fils payait les factures.Note de bas de page 9 L’abonnement a commencé quelque peu après l’arrivée du demandeur et consistait en un forfait très limité pour les appels d’urgence. La partie mise en cause n’avait pas de téléphone portable. Le demandeur et la partie mise en cause utilisaient également des cartes d’appel.

[31] Le demandeur et la partie mise en cause ont témoigné avoir commencé à produire leurs déclarations d’impôts depuis 2002 et le faire à chaque année depuis. Aucune preuve documentaire n’a été produite à cet effet mais le Tribunal est satisfait du témoignage.

[32] Le demandeur et la partie mise en cause n’avaient pas de permis de conduire eu Canada. Ils en avaient cependant un au Maroc. Ils ont expliqué que les permis de conduire au Maroc n’avaient pas de date d’expiration et sont valides de la date d’émission jusqu’au décès du titulaire. En raison de problèmes de santé, le demandeur ne conduisait plus depuis 1996. La partie mise en cause avait son permis de conduire marocain depuis 1972 et ne conduisait plus non plus depuis plusieurs années, et ce, bien avant son arrivée au Canada. La responsabilité de conduire les parents où ils voulaient se rendre incombait aux enfants. Le demandeur a quand même choisi de garder son permis de conduire marocain bien qu’il ne l’utilisait pas car la famille avait pris la décision qu’il n’allait plus conduire, ce qui est un lien plus important avec le Maroc.

[33] Au Maroc, le demandeur et la partie mise en cause bénéficiaient de la couverture de santé offerte à tous les citoyens marocains et bénéficiaient en plus de la couverture additionnelle offerte aux employés et aux retraités de l’état pour les services non-couverts par le régime public. Le demandeur et la partie mise en cause ont expliqué être bénéficiaires d’une mutuelle leur offrant une couverture médicale étant donné que le demandeur était un retraité de l’état et que ceci était un droit acquis pour lui et son épouse. Il n’avait donc pas besoin d’acheter d’assurance-voyages spécifique, mêmes si certains services n’étaient pas couverts.

[34] Au Canada, le demandeur et la partie mise en cause étaient assurés sous le régime public de la RAMQ du Québec. Cependant ils n’avaient aucunes couvertures additionnelles privées afin de combler les biens et services non-couverts par le régime provincial. Le demandeur et la partie mise en cause ont indiqué avoir leur médecin de famille au Canada depuis 2010, leur dossier médical à l’hôpital local et à la pharmacie.

[35] Le Tribunal ne peut qu’en déduire que le demandeur et la partie mise en cause ont des liens plus grands et une couverture des services médicaux plus large au Maroc qu’au Canada.

[36] Le demandeur et la partie mise en cause n’ont pas de testaments au Canada. Ils ont expliqué que le demandeur n’a pas laissé de testament puisqu’il est marocain et que la succession sans testament est possible au MarocNote de bas de page 10. Lors de l’appel, le demandeur a clarifié que la coutume au Maroc découle de la Charia sur laquelle le Code civil marocain est basé et qui prévoit la division des actifs au moment du décès. De plus le demandeur a indiqué qu’ils ne possédaient pas de biens. Même si ceux-ci n’ont pas de biens au Canada, un testament facilite les procédures rencontrées par la succession lors du décès. Le Tribunal ne peut qu’en déduire que le demandeur et la partie mise en cause avaient fait le choix de suivre les procédures lors d’un décès selon les lois du Maroc ce qui démontre un lien plus grand avec le Maroc qu’avec le Canada.

[37] Bien que le demandeur disait qu’il aime le Canada plus que le Maroc et que dans la tradition musulmane un musulman doit se faire enterrer dans les 24 heures suivants le décès, la famille du demandeur a fait le choix de le faire enterrer au Maroc. Cette décision a été prise afin de permettre aux trois sœurs de pouvoir visiter la tombe de leur père à tous les vendredis. De plus, la famille croit que les gens doivent être enterrés dans leur pays d’origine. Le demandeur a aussi indiqué qu’il considère les cimetières musulmans au Canada comme étant mal gérés.

[38] Le demandeur était éligible à une pension à titre de retraité de la fonction publique qui lui donnait une rente équivalente à 80% de son salaire. Cette rente est déposée directement dans son compte bancaire au Maroc. Lors de leurs témoignages, le demandeur et la partie mise en cause ont indiqué que les sommes reçues de cette rente servaient exclusivement à l’entretien de l’appartement au Maroc et à la subsistance des trois filles du couple qui sont toujours au Maroc. Suite au décès du demandeur, la partie mise en cause continue de recevoir cette rente à raison de 50% de la rente qui était versée au demandeur. Cette rente est maintenant déposée dans un nouveau compte au Maroc que la partie mise en cause y a ouvert. Le fils du demandeur comble l’écart de la pension afin de toujours aider ses sœurs, ceci étant une obligation morale et coutumière de la famille tel que le demandeur l’a expliqué lors de son témoignage.

[39] Le demandeur possédait un compte de banque au Maroc qu’il a toujours conservé et dans lequel sa pension était déposée. La partie mise en cause ne possédait pas de compte de banque au Maroc jusqu’au moment auquel elle a dû en ouvrir un suite au décès de son époux. Le demandeur faisait des chèques postdatés au nom d’une de ses filles afin de payer le loyer et gérer les dépenses de l’appartement. Le demandeur et la partie mise en cause ont indiqué avoir chacun un compte bancaire au CanadaNote de bas de page 11.

[40] Le demandeur et la partie mise en cause ont indiqué que depuis qu’ils ont la citoyenneté canadienne ils n’ont qu’un passeport canadien et qu’ils ne possèdent plus de passeports marocains. Ils ne conservent que leurs cartes d’identité nationale. Le demandeur a cependant clarifié lors de son témoignage que l’on peut entrer ou sortir du Maroc avec une carte d’identité nationale marocaine uniquement sans utiliser de passeport national tant et aussi longtemps que l’on est en possession d’un passeport quelconque.

[41] Le demandeur possédait une automobile au Maroc jusqu’à son départ pour le Canada. Deux des trois filles possèdent un permis de conduire mais seulement une des filles conduit régulièrement. La voiture que le demandeur possédait a été vendue lorsque le demandeur et la partie mise en cause sont partis au Canada et une voiture plus récente a été achetée par le fils de ceux-ci. La voiture a été enregistrée au nom d’une des filles du demandeur et de la partie mise en cause pour qu’elle puisse faire les courses nécessaires et conduire les parents lorsqu’ils sont au Maroc. C’est le fils du demandeur qui paie l’assurance et la carte grise du véhicule qui sont au nom d’une des filles du demandeur tel qu’il l’a mentionné lors de son témoignage. Le demandeur et la partie mise en cause n’ont pas de véhicule au Canada. Dans les deux pays se sont les enfants qui sont responsables de transporter les parents lorsqu’ils en ont besoin.

[42] Le demandeur et la partie mise en cause ne voyageaient qu’entre le Canada et la Maroc, sauf une fois où ils ont fait un petit voyage de 4 jours aux États-Unis pour se rendre à New-York, Boston et Philadelphie vers 2008.

[43] Le logement familial au Maroc y est loué depuis 1974. Il sert de résidence familiale depuis cette date. Suite à l’immigration des parents au Canada, ceux-ci ont gardé l’appartement au Maroc pour leurs trois filles. Le loyer est payé à partir du dépôt de la rente de retraite du demandeur qui est versée directement dans son compte de banque au Maroc. C’est la fille du demandeur qui est responsable des paiements grâce aux chèques postdatés en sa faveur que le demandeur a émis. Le demandeur et la partie mise en cause possèdent une chambre meublée à l’intérieur de ce logement dans laquelle ils peuvent laisser leurs effets personnels. Le demandeur a expliqué lors de son témoignage que les enfants respectent l’intimité et le caractère personnel de la chambre des parents et ne pourraient pas l’occuper même si les parents sont absents durant une longue période.

[44] Le demandeur a répondu ne pas avoir renoncé à sa résidence au Maroc dans un questionnaire reçu par les Opérations internationales le 30 mai 2012.Note de bas de page 12

[45] Encore une fois, le demandeur et la partie mise en cause démontrent qu’ils maintiennent des liens d’attache avec le Canada de même qu’avec le Maroc. Cependant, il parait évident au Tribunal que les liens demeurent plus fort avec le Maroc qu’avec le Canada. Les comptes de banques et les opérations qui y sont faites au Maroc, les liens juridiques pour le testament, la couverture médicale et l’utilisation des services médicaux faite ou possible en fonction de la couverture démontrent au Tribunal cet attachement.

[46] Le Tribunal considère que le demandeur et la partie mise en cause ont conservé des liens très forts avec leur pays d’origine, voire plus forts même que ceux établis au Canada, et ne permettent pas au Tribunal d’arriver à une conclusion que le demandeur et la partie mise en cause ont établi leur demeure et vivent ordinairement au Canada, étant donné, entre autres, qu’ils y ont conservé un appartement, un compte de banque avec une pension de retraite de l’état qui lui est versé.

4. Régularité et durée des séjours au Canada

[47] Le Tribunal estime que ce facteur appuie la conclusion d’une résidence canadienne.

[48] Le demandeur et la partie mise en cause ont indiqué passer plus de temps au Canada avec leur fils qu’avec leurs trois filles restées au Maroc parce que celui-ci est le seul fils et le plus jeune de la famille. Cependant ceux-ci sont aussi très attentifs aux besoins de leurs filles. Par exemple, ils sont retournés presqu’un an au Maroc lorsqu’une de celles-ci s’est séparée puis a divorcé de son époux quelques mois après son mariage.

[49] Le demandeur a soumis une déclaration de ses entrées et ses sorties du CanadaNote de bas de page 13. Suite à cette déclaration l’intimé a procédé au calcul du nombre de jours que le demandeur et la partie mise en cause ont passé au Canada et au MarocNote de bas de page 14. Les résultats démontrent ce qui suit :

2001 – Canada 7 mois et 6 jours, Maroc 6 jours;
2002 – Canada 8 mois et 27 jours, Maroc 3 mois et 4 jours;
2003 – Canada 9 mois et 11 jours, Maroc 2 mois et 19 jours;
2004 – Canada 7 mois et 30 jours, Maroc 4 mois;
2005 – Canada 7 mois et 29 jours, Maroc 4 mois et 2 jours;
2006 – Canada 7 mois et 11 jours, Maroc 4 mois et 20 jours;
2007 – Canada 11 mois et 14 jours, Maroc 17 jours;
2008 – Canada 7 mois et 2 jours, Maroc 4 mois et 29 jours;
2009 – Canada 1 mois et 19 jours, Maroc 10 mois et 12 jours;
2010 – Canada 5 mois et 20 jours, Maroc 7 mois et 10 jours;
2011 – Canada 7 mois et 26 jours, Maroc 4 mois et 5 jours.

[50] Les allers et venues du demandeur et de la partie mise en cause démontrent une régularité des séjours au Canada. Cependant, la durée des séjours au Canada et au Maroc varie en fonction des années. Les séjours au Canada qui étaient plus longs à leur arrivée tendent à raccourcir avec le temps et, inversement, les séjours au Maroc tendent à s’allonger passant de 1 mois approximativement en 2001 pour aller jusqu’à 10 mois entre 2009 et 2010.

[51] Cependant, le Tribunal convient que la régularité et la durée des séjours au Canada appuient la conclusion d’une résidence canadienne.

5. Mode de vie du demandeur

[52] Le demandeur a expliqué lors de son témoignage que les liens entre les parents et leurs enfants découlent d’une obligation morale et culturelle afin de subvenir aux besoins de la famille. Cependant le mode de vie du demandeur et de la partie mise en cause démontre que ceux-ci vivent aussi bien avec leur fils qu’avec leurs trois filles restées au Maroc. Leurs occupations de tous les jours y sont les mêmes et sont très limitées.

[53] Le demandeur et la partie mise en cause profitent d’un appartement familial qui est resté dans la famille et qui découle, par cette passation, de la même obligation morale.  Cette même obligation morale fait en sorte que, depuis le décès du demandeur, le fils compense maintenant le manque à gagner de la pension qui était versée à son père. Le lien familial est très fort en raison de la tradition marocaine, arabe et musulmane. Mais ce lien est très fort entre les parents et leur fils de même qu’entre les parents et leurs trois filles.

[54] Le fils du demandeur a rapporté que le demandeur se déclarait être très fier d’être devenu canadien et qu’il était tombé en amour avec le pays dès le moment même de sa première visite au Canada en 1999. Cependant ceci n’est pas un critère afin d’établir si une personne demeure et vit ordinairement au Canada.

[55] Suite au décès du demandeur le 26 juillet 2015, le fils a demandé à la partie mise en cause si elle voulait retourner vivre au Maroc avec ses sœurs afin qu’elles puissent lui offrir, avec la famille élargie, le support nécessaire dans ces moments difficiles. La partie mise en cause a indiqué ne pas vouloir y retourner et que pour elle sa vie est maintenant au Canada. Cependant ma décision doit être rendue en fonction de si le demandeur et la partie mise en cause rencontraient les exigences d’éligibilité pour la SV à la date de la demande de SV soit le 9 octobre 2013.

[56] Le demandeur et la partie mise en cause mènent une vie simple au Canada comparable à la vie qu’ils vivaient au Maroc.  Ils habitent avec leur fils lorsqu’ils sont au Canada et celui-ci s’occupent d’eux. Ils habitent avec leurs trois filles lorsqu’ils sont Maroc et celles-ci s’occupent d’eux. Ils ne font que passer du temps à la maison, prennent des marches et font des emplettes lorsqu’ils sont au Canada. Ils font la même chose lorsqu’ils sont au Maroc. Leur fils les conduit lorsqu’ils désirent se déplacer et que celui-ci ne travaille pas. Même chose au Maroc quand l’une des filles les conduit lorsqu’ils doivent se déplacer.

[57] Encore une fois, le demandeur et la partie mise en cause ont certaines attaches au Canada, mais celles-ci ne sont pas différentes que celles que le demandeur et la partie mise en cause ont au Maroc. Le Tribunal considère que le mode de vie du demandeur et de la partie mise en cause ne soutient pas que le demandeur a établi sa demeure et vit ordinairement au Canada mais plutôt que l’attache du demandeur et de la partie mise en cause au Canada est tout simplement de nature familiale étant donné que leur fils vit maintenant au Canada.

Conclusion

[58] Le Tribunal est sensible aux arguments présentés par le demandeur et la partie mise en cause qui disent aimer le Canada et s’y sentir maintenant chez eux. Cependant le Tribunal doit considérer tous les facteurs afin d’arriver à une conclusion que le demandeur et la partie mise en cause ont établi leur demeure et vivent ordinairement au Canada.

[59] Le Tribunal comprend l’attachement des parents à tous leurs enfants, leur fils qui vit maintenant au Canada et leurs trois filles qui sont toujours au Maroc, mais le fait d’avoir une chambre leur étant dédiée au Canada lors de leurs visites à leur fils qui prend toutes leurs dépenses à sa charge, même s’ils sont maintenant des citoyens canadiens, ne fait pas d’eux des personnes qui ont établi leur demeure et vivent ordinairement au Canada.

[60] En conséquence le Tribunal considère que, selon son analyse, 5 des 6 facteurs dans l’arrêt Ding (énumérés au paragraphe 63 de cette décision) ne permettent pas de conclure que le demandeur et la partie mise en cause ont établi leur demeure et vivent ordinairement au Canada. Seulement un facteur appuie la conclusion que le demandeur et la partie mise en cause vivent ordinairement au Canada. Cependant, bien que ce facteur soit celui de la régularité et de la durée des séjours au Canada (le facteur 4 de mon analyse), le Tribunal ne lui donne pas beaucoup de poids car ce facteur ne représente seulement qu’une présence au Canada plutôt qu’un enracinement dans la vie sociale et économique canadienne. C’est cet enracinement dans la vie sociale et économique canadienne qui permet particulièrement d’établir que des personnes demeurent et vivent ordinairement au Canada.

[61] Le Tribunal doit rendre sa décision en fonction de la preuve reçue et du témoignage entendu lors de l’appel. En conséquence, le Tribunal croit que l’intimé a, selon la prépondérance des probabilités, correctement évalué le dossier du demandeur et de la partie mise en cause et que ceux-ci n’étaient pas résidents du Canada au sens de la Loi sur la SV entre mai 2001 et octobre 2013 mais bien seulement présents au Canada.

[62] Étant donné la conclusion à laquelle le Tribunal est arrivé, le demandeur et la partie mise en cause n’ont pas droit à une pension de la SV au moment auquel ils ont déposé une demande de SV, soit le 9 octobre 2013.

[63] L’appel est rejeté.

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