Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Décision et motifs

Décision

[1] Les appels sont accueillis.

Contexte

[2] Les appelants, A. E. et A. K., des époux, ont demandé une pension de la Sécurité de la vieillesse (SV), en mars 2008. Dans leurs demandes respectives, A. E. a affirmé avoir résidé au Canada de février 1969 à janvier 1978 et A. K. de mars 1969 à janvier 1978.

[3] Dans une lettre du 23 janvier 2008, l’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social (ministre), a approuvé la demande de A. E. et lui a accordé une pension au taux de 8/40e. Le 4 juin 2008, le ministre a approuvé la demande de A. K. au taux de 8/40e. Dans les deux lettres d’approbation, les appelants étaient informés que s’ils n’étaient pas d’accord avec la décision du ministre, ils pouvaient présenter une demande de révision par écrit dans les 90 jours.

[4] Le 2 février 2008, A. E. a fait parvenir une lettre au ministre dans laquelle il s’oppose au calcul du montant de sa pension effectué par ce dernier. Il affirme avoir vécu au Canada de mars 1969 à janvier 1978, [traduction] soit « un total de 8 ans et 10 mois, et non seulement 8 ansNote de bas de page 1 ». Le ministre n’a pas répondu à la lettre.

[5] Dix ans plus tard, le 11 juillet 2018, le ministre a reçu une lettre des appelants, dans laquelle ils affirment avoir résidé au Canada durant neuf ans au totalNote de bas de page 2.

[6] Dans des réponses distinctes, datées du 21 août 2018Note de bas de page 3, le ministre accuse réception de la lettre des appelants, qu’il considère être une demande de révision. Le ministre informe les appelants qu’il ne peut pas examiner leur demande, car le délai de 90 jours pour présenter une demande de révision est prescrit depuis très longtemps.

[7] Le 21 septembre 2018, les appelants ont interjeté appel auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Ils affirment tous deux qu’ils ne se souviennent pas avoir reçu les avis d’approbation du ministre en 2008. Ils soulignent aussi qu’ils ont résidé au Canada pour plus de huit ans et qu’ils sont admissibles à une pension de la SV plus élevée.

[8] Dans des décisions distinctes, datées du 25 février 2019, la division générale a refusé d’accorder aux appelants une prolongation de délai pour présentation au ministre d’une demande de révision. La division générale a conclu que, en refusant de procéder à une révision des prestations de la Sécurité de la vieillesse, le ministre n’a pas tenu compte de facteurs pertinents et n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire. Par contre, la division générale a rendu la décision que, selon elle, le ministre aurait dû rendre, à savoir rejeter l’appel au motif que les appelants n’avaient pas offert d’explications raisonnables concernant le non-respect du délai ou n’avaient pas manifesté une intention constante de demander une révision au cours des dix années précédentes.

[9] Le 28 mars 2019, les appelants ont présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal. Dans ses observations, endossées par A. K., A. E. affirme qu’il a présenté sa demande de révision en retard, car il avait égaré les documents pertinents et les a retrouvés par hasard. Il affirme avoir répondu à toutes les lettres du ministre dès qu’il a été en mesure de le faire. Il souligne que, compte tenu de son âge avancé, il a des trous de mémoire et il trouve que les processus de demande et d’appel portent à confusion. Il ajoute que sa femme et lui souhaitent poursuivre leur appel, car ils ont sous-évalué la durée de leur résidence au Canada au moment de demander une pension de la SV en 2008.

[10] Dans la décision du 17 avril 2019, j’ai accordé la permission d’en appeler, car selon moi, il existe un argument défendable permettant de soutenir que la division générale a commis une erreur en rendant sa décision. Comme elle a conclu que le ministre a mal exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant aux appelants de prolonger le délai pour la présentation d’une demande de révision, la division générale a mal exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant cette prolongation.  

[11] Dans sa lettre du 17 mai 2019, le ministre a reconnu que la division générale a commis une erreur en faisant abstraction de la lettre de A. E. du 2 février 2008 et du fait qu’elle avait été reçue dans le délai de 90 jours pour demander une révision. Le ministre a recommandé que les appels soient accueillis et a invité la division d’appel à rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, à savoir accorder aux appelants une prolongation de délai pour demander une révision.

[12] J’ai déterminé qu’une audience orale n’était pas nécessaire pour l’instruction de cet appel. Je procède uniquement à la lumière de la preuve documentaire au dossier du fait qu’il n’y a pas d’information manquante dans le dossier et qu’il n’est pas nécessaire d’obtenir des précisions.

[13] Après avoir examiné le dossier et tenu compte des observations écrites des parties, je conclus que la décision de la division générale doit être annulée et qu’une prolongation doit être accordée aux appelants pour demander une révision de l’évaluation du ministre de leurs prestations de la SV.

Question en litige

[14] Selon l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), il existe uniquement trois moyens d’appel à la division d’appel, soit la division générale : (i) doit ne pas avoir observé un principe de justice naturelle, (ii) avoir commis une erreur ou (iii) avoir fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[15] Je dois déterminer si la division générale a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en refusant aux appelants une prolongation du délai pour demander une révision.

Analyse

[16] Comme les appels des appelants sont liés et, à quelques exceptions près, sont fondés sur les mêmes faits et questions, je les examinerai comme s’il s’agissait d’un seul recours.

[17] En vertu de l’article 29.1(1) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse (RSV), le ministre peut accorder une prolongation de délai pour la présentation d’une demande de révision, s’il est convaincu (i) qu’il existe une explication raisonnable et (ii) que l’appelant a manifesté l’intention constante de demander la révision. Conformément à l’article 29.1(2) du RSV, si la demande de révision est présentée après 365 jours suivant celui où la décision initiale a été communiquée par écrit à l’appelant, le ministre doit aussi être convaincu (i) que la demande de révision a des chances raisonnables de succès et (ii) que l’autorisation du délai supplémentaire ne porte préjudice à aucune partie.

[18] Quand il a refusé d’autoriser la demande de révision des appelants en août 2018, le ministre n’a fourni aucune raison pour justifier son refus, à l’exception du délai qui n’aurait pas été respecté. Rien n’indique que le ministre a tenu compte des quatre facteurs énoncés précédemment, comme l’exige la loi. La division générale a appuyé les appelants en concluant que le ministre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire et, tout naturellement, les appelants ne contestent pas cet aspect de la décision. Je suis convaincu que la division générale a correctement suivi la loi sur cette question.

[19] Cependant, selon moi, la division générale n’a pas, elle aussi, exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire en décidant de ne pas accorder de prolongation de délai pour la présentation d’une demande de révision.

[20] Dans sa décision, la division générale a examiné les quatre facteurs énoncés à l’article 29.1 du RSV, mais elle a conclu qu’il n’y avait aucun motif d’accorder aux appelants une prolongation de délai pour demander une révision, car ils n’avaient donné aucune explication raisonnable concernant le non-respect du délai ou n’avaient pas manifesté l’intention constante d’interjeter appel. La division générale a cité à juste titre la décision Canada c PurcellNote de bas de page 4, dans laquelle la Cour fédérale a conclu qu’un pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé de façon judiciaire si le décideur :

  • agit de mauvaise foi;
  • agit dans un but ou pour un motif irrégulier;
  • tient compte d’un facteur non pertinent;
  • fait abstraction d’un facteur pertinent;
  • agit de manière discriminatoire.

Cependant, il n’est pas suffisant de bien citer la jurisprudence, elle doit aussi être appliquée correctement. Bien que les appelants n’aient pas précisément soulevé cet argument, je conclus que la division générale s’est écartée de la décision Purcell, en faisant abstraction d’un facteur pertinent dans sa décision de refuser d’accorder une prolongation de délai pour demander une révision. Comme il est mentionné précédemment, le dossier fait état que, à la suite de la lettre initiale du ministre datée du 23 janvier 2008, A. E. a répondu le 2 février 2008 au moyen d’une lettre, dans laquelle il signale être en désaccord avec le montant de la pension calculé. Apparemment, le ministre a fait abstraction de cette lettre, même si elle a été présentée dans le délai de 90 jours. Bien que la lettre ne mentionne pas expressément la demande de révision, il est évident qu’il s’agissait de l’intention de son expéditeur.

[21] La Division générale était certainement au fait de l’existence de la lettre du 2 février 2008, mais elle n’y a guère accordé d’importance, sauf pour démontrer que A. E. avait bien reçu la lettre de décision du ministre :

[traduction]
Comme le requérant a fait mention de la lettre de décision du 23 janvier 2008 dans sa correspondance à Service Canada du 2 février 2008, je conclus qu’il avait reçu la lettre de décision à cette date. Il avait jusqu’au 2 mai 2008 pour demander une révision. Le ministre n’a reçu la demande de révision que le 11 juillet 2018, soit plus de 10 ans après que la lettre de décision lui ait été envoyéeNote de bas de page 5.

La division générale n’a pas demandé pourquoi la lettre du 2 février 2008 ne pouvait pas être considérée comme une demande de révision. Je tiens à faire remarquer que 10 ans plus tard, la lettre de A. E. du 11 juillet 2018 était considérée par le ministre comme une demande de révision, même si, à l’instar de la lettre précédente, le terme « révision » n’y figurait pas.

[22] La Cour d’appel fédérale a conclu que l’annulation d’une ordonnance discrétionnaire exige que l’appelant établisse que le décideur a commis une « erreur dominante et manifeste »Note de bas de page 6. Selon moi, la division générale a commis cette erreur en ne tenant pas compte de la preuve selon laquelle A. E. avait, en fait, respecté le délai de 90 jours pour demander une révision en 2008.

Réparation

[23] La LMEDS confère à la division d’appel le pouvoir de corriger les erreurs commises par la division générale. En vertu de l’article 59(1), je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément à certaines directives ou confirmer, infirmer ou modifier la décision de la division générale. La division d’appel peut également, en vertu de l’article 64 de la LMEDS, trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur une demande présentée sur le fondement de la loi.

[24] Au titre de l’article 3 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, la division d’appel doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus expéditive que les circonstances et l’équité le permettent. Je peux renvoyer l’affaire à la division générale pour une nouvelle audience, mais cette mesure ne ferait que retarder le règlement final d’une demande qui date maintenant de plus de dix ans. Heureusement, le ministre recommande que je rende simplement la décision que la division générale aurait dû rendre et que j’accorde aux appelants une prolongation de délai pour demander une révision.

[25] Je partage cet avis. Si la division générale avait reconnu l’importance de la lettre de A. E. du 2 février 2008, elle aurait sans doute exercé son pouvoir discrétionnaire plus judicieusement et serait parvenue à une conclusion différente. Selon mon évaluation du dossier, je suis convaincu que les appelants méritent que leur affaire fasse l’objet d’une révision, même si l’affaire date depuis déjà longtemps. Premièrement, les appelants avaient une explication raisonnable concernant le non-respect du délai : le ministre a fait abstraction de leur demande de révision originale et, pendant plus de dix ans, ils ont assumé qu’ils n’avaient plus aucun recours. En deuxième lieu, je suis convaincu que les appelants ont manifesté une intention constante de demander une révision. Bien que leur demande de révision originale n’ait pas été prise en considération, ils ont conservé les documents relatifs à leur demande pendant plus de dix ans, vraisemblablement parce qu’ils espéraient la relancer un jour. Troisièmement, j’estime que la demande de révision des appelants a une chance de succès s’ils possèdent des documents permettant d’établir qu’ils ont vécu au Canada pendant plus de huit ans, comme ils le font valoir. Enfin, selon moi, le ministre ne subira aucun préjudice si le délai pour demander une révision est prolongé, notamment parce que son représentant a déjà consenti à la prolongation.  

Conclusion

[26] J’accueille le présent appel. La division générale a refusé d’accorder aux appelants une prolongation de délai pour demander une révision sans tenir compte de la preuve selon laquelle le ministre a fait abstraction de la demande de révision originale des appelants datant d’il y a plus de dix ans. Ce faisant, la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[27] Comme j’ai déterminé que la preuve au dossier était suffisante pour me permettre de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, j’accorde aux appelants une prolongation de délai pour demander une révision de l’évaluation initiale de leurs prestations de la SV effectuée par le ministre. Par conséquent, ordre est donné au ministre de réviser tout élément de preuve que les appelants présenteront concernant leurs périodes de résidence respectives au Canada.

 

Mode d’instruction :

Comparutions :

Sur la foi du dossier

A. E. et A. K., se représentant eux-mêmes

Susan Johnstone, pour l’intimé

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