Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

Informations sur la décision

Résumé :

SV – Si un prestataire est séparé de son époux, le SRG est calculé comme si le prestataire est célibataire – La loi ne précise pas le sens du terme « séparé » – Il faut lire le sens ordinaire du terme et examiner comment il s’harmonise avec le contexte de la SV et l’intention du législateur – Le législateur n’avait pas l’intention de traiter les couples en union de fait différemment des couples mariés – Pour décider si un couple cohabite dans une relation conjugale, il faut tenir compte de certains facteurs comme le mode de vie et les arrangements financiers des deux personnes, leur comportement entre eux en privé et en public, l’aide et le soutien qu’ils se donnent, et la façon dont leur relation est perçue par les membres de leur famille et la communauté – Ces facteurs sont également pertinents pour décider si un couple marié s’est séparé.

Contenu de la décision



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Décision et motifs

Décision

[1] La requérante, A. V., a interjeté appel de la décision du ministre concernant le calcul de son Supplément de revenu garanti (SRG) selon un taux d’une personne avec un conjoint pensionné. Je rejette son appel. Voici mes motifs.

Aperçu

[2] Le SRG est une prestation fondée sur le revenu qui est versée en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV). Pour calculer le montant à verser, le ministre tient compte du revenu de la personne et du revenu de son époux. Toutefois, si la personne et son époux sont séparés depuis au moins trois mois, le SRG est calculé comme si la personne était célibataireNote de bas de page 1.

[3] La requérante et E. V. se sont mariés en Grèce en 1959Note de bas de page 2. Ils ont déménagé au Canada quelques années plus tard. La requérante a atteint l’âge de 65 ans en mars 2001 et a commencé à recevoir les prestations de pension de sécurité de la vieillesse (SV) et du SRG le mois suivantNote de bas de page 3. Comme la requérante a précisé dans sa demande de SRG qu’elle était séparée, le revenu de son époux n’a pas été pris en considération dans le calcul de son SRG. Cela signifiait que chaque mois, la requérante recevait un versement supérieur à ce qu’elle aurait touché si elle n’avait pas été séparée.

[4] En avril 2016, le ministre a décidé que la requérante et son époux avaient toujours vécu ensemble dans une relation conjugale, et que, par conséquent, le SRG de la requérante aurait dû être calculé selon un taux d’une personne avec un conjoint pensionné. Le ministre a déterminé que la requérante avait reçu des versements excédentaires d’avril 2001 à septembre 2014Note de bas de page 4. Le ministre a maintenu sa décision après révisionNote de bas de page 5, et la requérante a interjeté appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[5] Le ministre a rendu une décision semblable concernant le SRG d’E. V.. E. V. a également interjeté appel devant le TribunalNote de bas de page 6. J’ai décidé d’instruire les appels en même temps étant donné que les questions en litige et les preuves étaient les mêmes.

[6] V. V. est la fille de la requérante et de E. V.. Elle est également leur représentante dans le cadre de leurs appels. La requérante et elle ont participé à une audience par téléconférence. Elle m’a dit que son père était dans un établissement de soins et qu’il ne pouvait pas participer à l’audience, mais qu’il souhaitait que son appel soit instruit en son absence. J’ai donc décidé de poursuivre les deux audiences.

[7] Comme V. V. participait sur une base volontaire à des fins administratives et de soutien plutôt que comme une véritable représentante légale, je n’ai pas vu de problème à ce qu’elle soit également une témoin. J’ai entendu son témoignage et celui de la requérante. Pour rendre mes décisions, j’ai tenu compte de ces témoignages ainsi que de la preuve dans les deux dossiers. Sauf indication contraire, les références de page dans cette décision concernent des documents dans le dossier du Tribunal de la requérante.

Question en litige

[8] Je dois décider si la requérante et son époux ont déjà été séparés pendant une période continue d’au moins trois mois depuis que la requérante a commencé à recevoir son SRG en avril 2001. Il incombe à la requérante de prouver ce fait.

Analyse

Sens du terme « séparé »

[9] La Loi sur la SV établit que le SRG d’une personne est calculé comme si elle n’avait pas d’époux (c’est-à-dire comme si elle était célibataire) si elle et son époux sont séparés « depuis au moins trois mois », sans inclure le mois au cours duquel ils se sont séparésNote de bas de page 7.

[10] Le ministre a fait valoir que la séparation survient lorsqu’un couple vit séparément d’un commun accord, conformément à une séparation légale, ou lorsque l’un a quitté l’autre, comme le prévoit la loi de la province dans laquelle ils ont résidé sous le même toit pour la dernière foisNote de bas de page 8. Ce sens n’est pas faux, mais il ne figure pas dans la Loi sur la SV ni dans le Règlement sur la sécurité de la vieillesse. Comme les dispositions législatives sur la SV ne précisent pas le sens du terme « séparé », je dois lire le sens ordinaire du terme et examiner de quelle façon il s’harmonise avec le contexte de la SV et l’intention du législateurNote de bas de page 9.

[11] Le terme « séparé » signifie généralement que des personnes ou des choses ne sont pas ensemble. Toutefois, lorsqu’il est question de personnes mariées qui sont séparées, le sens est normalement beaucoup plus large. Cela signifie qu’elles ne sont pas ensemble parce qu’au moins l’une d’entre elles a décidé de ne pas vivre avec l’autre dans une relation semblable au mariage et a dit ou fait des choses qui le montrent bien.

[12] Je crois que le législateur s’attendait à ce que la Loi sur la SV ait également ce sens. J’ai tiré cette conclusion en me fondant sur une règle semblable pour les conjoints de faitNote de bas de page 10. Tout comme pour les conjoints mariés, le SRG de la requérante et de son époux est calculé selon leurs deux revenus jusqu’à ce qu’ils aient cessé d’être des conjoints de fait pendant au moins trois mois. Je ne crois pas que le législateur avait l’intention de traiter les couples en union de fait différemment des couples mariés. Selon moi, les facteurs laissant croire que deux personnes ne sont plus des conjoints de fait sont donc les mêmes que ceux donnant à penser qu’un couple marié est séparé.

[13] La Loi sur la SV précise qu’un conjoint de fait est « la personne qui […] vit avec la personne en cause dans une relation conjugaleNote de bas de page 11 ». De nombreuses décisions judiciaires expliquent ce que cela signifie. Bien que ces décisions portaient sur le Régime de pensions du Canada (RPC), elles sont pertinentes puisque la définition du terme « conjoint de fait » est la même dans le RPC et dans la Loi sur la SV.

[14] Les décisions démontrent que deux personnes peuvent cohabiter même si elles ne vivent pas sous le même toitNote de bas de page 12. Il est également possible d’être séparé tout en vivant sous le même toitNote de bas de page 13. Pour décider si un couple cohabite dans une relation conjugale, il faut tenir compte de facteurs comme le mode de vie et les arrangements financiers des deux personnes, leur comportement entre elles en privé et en public, l’aide et le soutien qu’elles se donnent, et la façon dont les membres de leur famille et la communauté perçoivent leur relationNote de bas de page 14. Je crois que ces facteurs sont également pertinents pour décider si un couple marié s’est séparé.

La requérante et son époux ne se sont pas séparés

[15] La preuve quant à la raison pour laquelle la requérante et son époux n’étaient plus ensemble est vague et parfois incohérente, tout comme le moment où ils se sont séparés. À mon avis, ils n’avaient pas l’intention de tromper qui que ce soit à propos de leur séparation. Ils ne comprennent pas très bien l’anglais et ont compté sur l’aide d’autres personnes pour remplir leurs formulaires. Comme je l’ai déjà précisé, le sens du terme « séparé » n’est pas clair. Toutefois, même avec l’interprétation la plus généreuse des éléments de preuve concernant leur mode de vie et le statut de leur relation, je ne peux pas conclure qu’ils ont déjà été séparés en ce qui concerne la Loi sur la SV.

[16] La requérante m’a dit qu’elle s’est toujours sentie séparée de son époux. Il lui a mené la vie très dure, mais elle lui a toujours donné une autre chance. Elle a déclaré que pendant de nombreuses années, ils n’ont pas eu de relations sexuelles et ont fait chambre à part, en plus d’avoir des comptes bancaires différents et de ne pas partager les dépenses. Elle ne se souvenait pas à quel moment ces arrangements distincts ont commencé, mais elle a déclaré que c’était bien avant 1998.

[17] V. V. est née en 1971. Elle m’a dit que son père était difficile et violent verbalement, et que sa mère était très anxieuse. Toute sa vie, elle a vu ses parents parfois ensemble et parfois séparés. Sa famille a vécu dans différents logements locatifs à Edmonton, mais son père se déplaçait en ville et ailleurs pour le travail. Lorsque les enfants sont devenus grands et qu’ils ont déménagé, sa mère a habité dans plusieurs appartements locatifs à Edmonton. V. V. a parfois vécu avec elle pour l’aider. De 1993 à 2001, V. V. a habité avec son copain. Sa mère n’a pas vécu avec elle pendant cette période, contrairement à son père qui est resté avec elle pendant quelques années. Elle ne savait pas où il était à d’autres moments.

[18] En 1998, la requérante et son époux ont déménagé dans la résidence de leur fils à X, en Alberta. L’épouse de leur fils, S. V., a déclaré qu’ils vivaient comme un couple chez eux, et qu’à sa connaissance, ils ne se considéraient pas comme séparésNote de bas de page 15.

[19] V. V. a un souvenir différent de la relation de ses parents à cette époque. Elle les considérait comme deux personnes étant ensemble, mais pas comme étant un couple. Ils étaient ensemble parce qu’ils avaient besoin du soutien de l’autre. V. V. a déclaré que cet arrangement était efficace la plupart du temps, mais qu’ils se disputaient à l’occasion. Sa mère partait alors à Edmonton pour aller rendre visite à sa fille. V. V. m’a dit que ses parents ont continué d’avoir des comptes bancaires différents et de payer leur propre partie du loyer à leur fils. Aucun d’eux n’a de biens, alors n’y avait rien à partager.

[20] En mai 2008, la requérante et son époux ont quitté la résidence de leur fils. V. V. m’a dit que depuis, ils ont vécu ensemble dans différents appartements autonomes pour personnes âgées à X et à Edmonton. À un moment donné, son père a tenté de vivre avec V. V. et son conjoint de fait à Edmonton, mais cela n’a pas fonctionné. Il est difficile de savoir à quel moment cela s’est produit ou combien de temps il est resté chez elle. Il semble que la requérante et son époux se sont séparés entre le 20 juillet et le 1er octobre 2011Note de bas de page 16. Toutefois, personne ne peut expliquer ce qui s’est passé durant cette période. Quoi qu’il en soit, la période n’était pas assez longue pour modifier le calcul de leur SRG.

[21] V. V. m’a dit que tous les appartements dans lesquels ont habité ses parents, y compris celui dans lequel ils ont emménagé en février cette année, avaient une chambre et deux lits à une place. Sa mère fait les repas, et son père en mange lorsqu’il en a envie. Elle a déclaré que ses parents ont conclu cet arrangement pour des raisons financières et parce qu’ils peuvent veiller l’un sur l’autre. Elle ne sait pas si leur communauté les perçoit comme un couple, mais elle a déclaré que tous les gens qui les connaissent sont au courant de leur situation. Selon elle, ses parents n’ont probablement pas divorcé parce que cela n’est pas pratique courante dans leur culture et parce que sa mère ne voulait pas renoncer à son mariage.

[22] Il s’agit d’un cas difficile à trancher, car de nombreux facteurs normalement associés à une relation conjugale sont absents. Ce qui unit ce couple est son permis de mariage, sa culture et le besoin d’avoir un colocataire pour des raisons financières et de soutien ménager. Toutefois, je ne peux pas ignorer le fait que malgré de nombreuses années de difficultés et de manque d’intimité, la requérante et son époux reviennent sans cesse l’un vers l’autre. Depuis 1998, ils ont choisi de vivre ensemble, à l’exception d’une brève période pendant laquelle ils étaient séparés. Pour cette raison, je ne peux pas conclure qu’ils ont déjà été séparés depuis qu’ils ont emménagé dans la résidence de leur fils en 1998. Cela signifie que le SRG de la requérante aurait dû être calculé en incluant le revenu de son époux depuis le début des versements en avril 2001.

[23] Je reconnais que cette conclusion peut causer préjudice à la requérante. Toutefois, je n’ai pas le pouvoir d’ignorer la Loi sur la SV pour des raisons de compassion ou des circonstances atténuantes.

Conclusion

[24] L’appel est rejeté.

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