Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

Informations sur la décision

Résumé :

SV – L’appelante a une histoire compliquée à raconter – Elle prétend s’être séparée de son époux, puis s’être réconciliée avec lui ultérieurement – Elle affirme être résidente du Canada, même s’il lui manque le type de [traduction] « trace écrite » qui aurait définitivement établi ses liens avec le Canada – Elle fait valoir que sa preuve orale aurait été pertinente et d’une complémentarité précieuse au dossier – La division d’appel (DA) était d’accord – Une audience devant la division générale (DG) représente normalement la dernière occasion où la preuve peut être évaluée sur le fond – Dans une demande en matière de sécurité de la vieillesse, la crédibilité de la demanderesse est établie selon le témoignage livré à l’audience et renforcée par un interrogatoire éclairé – En l’espèce, la DA était convaincue que le refus de la DG d’entendre le témoignage de l’appelante avait entraîné un manquement à l’équité procédurale.

Contenu de la décision

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. L’affaire est renvoyée devant la division générale en vue d’une nouvelle audience.

Aperçu

[2] L’appelante, M. H., est née à Trinité en 1939 et entrée au Canada en tant que résidente permanente en février 1986. En janvier 2005, elle a présenté une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) dans laquelle elle a prétendu résider au Canada depuis 18 ans et 11 mois. Dans sa demande de pension de la SV, l’appelante a déclaré que, depuis son arrivée au Canada, elle ne s’est jamais absentée du pays pendant plus de six mois. Quelques mois plus tard, l’appelante a également présenté une demande initiale de Supplément de revenu garanti (SRG).

[3] L’intimé, c’est-à-dire le ministre de l’Emploi et du Développement social, a accueilli les deux demandes et a conclu que, compte tenu de la période de résidence au Canada déclarée par l’appelante, celle-ci était admissible à une pension partielle de la SV, à hauteur de 18/40e de la pension complète à compter de janvier 2005.

[4] En août 2011, le ministre a lancé une enquête sur le statut de l’appelante après avoir reçu des renseignements selon lesquels elle avait fait de fausses déclarations sur son état matrimonial dans ses demandes annuelles de SRG. En avril 2014, le ministre a réévalué l’admissibilité de l’appelante à des prestations de la SV et il a conclu qu’elle ne possédait pas les 10 années de résidence requises pour être admissible à une pension partielle. Le ministre a demandé le remboursement de prestations de la SV et du SRG totalisant près de 90 000 $ que l’appelante avait touchées entre janvier 2005 et janvier 2012. Cette décision a été maintenue après révision.

[5] En juin 2016, l’appelante a interjeté appel de la réévaluation du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a décidé de ne pas tenir une audience orale et a plutôt tranché en se fondant seulement sur un examen du dossier documentaire existant. En janvier 2019, la division générale a rejeté l’appel après avoir conclu que même si l’appelante avait des liens au Canada, elle n’avait jamais résidé au pays. La division générale a ordonné à l’appelante de rembourser la somme totale du trop-payé établi par le ministre.

[6] Le 17 avril 2019, l’appelante a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal. Un court document dans lequel elle a énoncé plusieurs prétendues erreurs de la part de la division générale était joint à sa demande, notamment :

  • La division générale n’a pas tenu compte des observations de l’appelante et a ignoré la preuve selon laquelle : i) elle n’a pas apporté la plupart de ses biens personnels au Canada lorsqu’elle a quitté Trinité; ii) elle a principalement vécu avec un de ses fils sans payer un loyer depuis; iii) son époux et elle sont séparés depuis bon nombre d’années, mais ils ont renoué leur relation en 2008.
  • La division générale n’a pas abordé le fait que l’une des enquêteuses du ministre a recommandé que la pension de la SV et le SRG soient rétablisNote de bas de page 1.
  • La division générale, tout comme le ministre, a ignoré un principe établi dans l’affaire Canada c DingNote de bas de page 2, dans laquelle il est conclu que les intentions de la partie requérante ne déterminent pas la résidence.
  • La division générale a mal interprété les dispositions de l’Accord sur la sécurité sociale entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République de Trinité-et-Tobago.
  • La division générale a conclu qu’elle n’était pas autorisée à appliquer les [traduction] « principes de justice ou d’équitéNote de bas de page 3 ». Il s’agit d’une erreur de droit puisque la division générale est tenue de suivre les principes de justice naturelle, ce qui comprend les concepts d’équité.
  • La division générale a choisi de rendre sa décision sur la foi du dossier, privant ainsi l’appelante de l’occasion d’expliquer pleinement la mesure dans laquelle elle satisfaisait aux exigences en matière de résidence au Canada.

[7] Le 22 mai 2019, j’ai accordé la permission d’en appeler parce que j’ai constaté au moins une cause défendable pour plusieurs motifs d’appel de l’appelante.

[8] Dans une lettre datée du 27 juin 2019, la représentante du ministre a convenu que le refus de la division générale d’entendre le témoignage de l’appelante constituait un manquement à l’équité procédurale. Par conséquent, l’audience ultérieure devant la division d’appel ne s’est pas concentrée sur les erreurs de la division générale, mais plutôt sur la meilleure façon de corriger ces erreurs.

[9] Comme je l’ai déclaré à l’audience, je suis d’accord avec les parties que la division générale a privé l’appelante de son droit d’être entendue. Dans les circonstances, je crois que la réparation la plus appropriée est de renvoyer l’affaire à la division générale en vue d’une autre audience, à savoir une audience qui comprend un témoignage.

Question en litige

[10] Aux termes de l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), il n’existe que trois moyens d’appel à la division d’appel : la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle; elle a commis une erreur de droit; elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[11] Étant donné que les deux parties ont convenu que la division générale avait omis d’observer un principe de justice naturelle lorsqu’elle a refusé d’entendre le témoignage de vive voix, je limiterai mes remarques à cette question.

Analyse

[12] Les liens de l’appelante au Canada ont fait l’objet d’un examen partiellement en raison des liens de son époux à Trinité, une personne très connue en tant que X et homme d’affaires. L’appelante insiste sur le fait que son époux et elle étaient séparés dans les années suivant son arrivée au Canada et que son mariage a effectivement pris fin après 1986. Dans ses motifs, la division générale n’a pas tiré de conclusions précises sur le mariage de l’appelante, mais elle a particulièrement souligné que, depuis l’entrée initiale au Canada, son époux avait continué de vivre à Trinité et à y exploiter une X.

[13] L’appelante affirme qu’en décidant d’instruire son appel seulement sur la foi d’un examen documentaire plutôt qu’en permettant toute forme de témoignage, la division générale a manqué à un principe de justice naturelle en la privant de son droit d’être entendue. D’ordinaire, je suis réticent à intervenir par rapport au pouvoir discrétionnaire de la division générale en ce qui concerne le choix du mode d’audience approprié, mais en l’espèce, il pourrait être justifié de faire exception.

[14] L’appelante a une histoire compliquée à raconter. Elle prétend s’être séparée de son époux, mais s’être réconciliée avec lui par la suite. Elle prétend avoir été résidente du Canada, et ce, même si elle n’a pas le type de [traduction] « trace écrite » qui aurait définitivement établi ses liens avec ce pays. Elle soutient que son témoignage de vive voix aurait été un ajout pertinent et précieux au dossier documentaire.

[15] Je suis d’accord. Une audience devant la division générale est habituellement l’occasion ultime d’apprécier la preuve sur le fond. Dans ses demandes de prestations de la SV, la crédibilité de la partie demanderesse est toujours une question en litige à un certain égard. La meilleure façon d’apprécier la crédibilité est en écoutant le témoignage, raffiné au moyen des échanges d’un interrogatoire éclairé. En l’espèce, je suis convaincu que le refus par la division générale d’entendre le témoignage de l’appelante a causé un manquement à l’équité procédurale.

Réparation

[16] La LMEDS énonce les pouvoirs de la division d’appel de corriger les erreurs commises par la division générale. En vertu de l’article 59(1), je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives, ou encore confirmer, infirmer ou modifier la décision de la division générale. De plus, en vertu de l’article 64 de la LMEDS, la division d’appel peut trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur une demande présentée sous le régime de la LMEDS.

[17] Au titre de l’article 3 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, la division d’appel doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus expéditive que les circonstances et l’équité le permettent, mais, en l’espèce, j’estime n’avoir d’autre choix que de renvoyer l’affaire à la division générale pour une nouvelle audience.

[18] Même si le représentant légal de l’appelante m’a encouragé à accélérer le processus en remplaçant la décision de la division générale par la mienne, je ne crois pas que le dossier soit suffisamment complet pour me permettre de trancher l’affaire sur le fond. L’omission par la division générale d’observer un principe de justice naturelle a entraîné l’exclusion de toute une catégorie de preuve qui pourrait avoir entraîné une issue différente si elle avait été examinée. Contrairement à la division d’appel, le mandat principal de la division générale est de soupeser la preuve et de tirer des conclusions de fait. Par conséquent, elle est en meilleure position que moi pour entendre le témoignage de l’appelante et explorer les pistes d’enquête qui pourraient en découler.

Conclusion

[19] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle. Comme le dossier n’est pas assez complet pour me permettre de statuer sur le fond de cette affaire, je renvoie l’affaire à la division générale afin que soit tenue une nouvelle audience.

[20] Pour éviter toute apparence de partialité, je demande à la division générale d’assigner cette affaire à un autre membre que celui ayant tranché dans un premier temps. Je demande également à la division générale de tenir une audience par téléconférence, par vidéoconférence ou en personne.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 29 juillet 2019

Téléconférence

M. H., appelante

A. H., représentant de l’appelante

Sandra Doucette, représentante de l’intimé

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