Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. L’affaire est renvoyée à la division générale afin qu’une nouvelle audience soit tenue.

Aperçu

[2] L’appelant, R. G., est né au Guyana en 1942 et est arrivé au Canada en tant que résident permanent en 1976. En 1992, il est retourné au Guyana, où il a passé les douze années suivantes à exercer diverses fonctions.

[3] En septembre 2016, l’appelant a présenté une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV), alléguant qu’il résidait au Canada depuis au moins dix ansNote de bas de page 1. L’appelant a précisé ses périodes de résidence au Canada du 4 mars 1976 au 21 septembre 1992 et du 4 mars 2004 à la date de la demandeNote de bas de page 2.

[4] L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social (ministre), a demandé à l’appelant de fournir des éléments de preuve, comme des passeports et des relevés de services publics, à l’appui de sa prétention de résidence au Canada. En réponse, le conseiller juridique de l’appelant à l’époque a présenté une lettre alléguant que, pendant qu’il était au Guyana, son client avait travaillé de 1994 à 2001 pour une société canadienne à part entièreNote de bas de page 3. Le conseiller a fait valoir que ces sept années devraient être ajoutées au calcul de la résidence de l’appelant, ce qui lui donne les vingt années nécessaires pour être admissible à une pension de la SV. La lettre accompagnée de correspondance des années 1990 et du début des années 2000 indiquant que l’appelant était associé à X, une entreprise située à X.

[5] En 2017, le ministre a rejeté la demande, concluant que l’appelant n’avait vécu au Canada que 15 ans et 315 jours depuis son 18eanniversaireNote de bas de page 4. Bien que sa lettre de refus ne l’indique pas explicitement, le ministre a également laissé entendre qu’il ne croyait pas l’affirmation de l’appelant selon laquelle il était actuellement résident canadien. Le ministre a par la suite confirmé son refus à la suite de sa révision.

[6] L’appelant a interjeté appel du refus du ministre à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu une audience par téléconférence et, dans une décision du 23 avril 2019, a rejeté l’appel, concluant que l’appelant [traduction] » n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était résident du Canada pendant une période plus longue que celle que le ministre a déterminée »Note de bas de page 5. En même temps, la division générale a conclu que les sept années de travail de l’appelant au sein d’une entreprise canadienne pendant qu’il était au Guyana ne constituaient pas une résidence au sens de la Loi sur la SV ou du Règlement sur la sécurité de la vieillesse (Règlement sur la SV).

[7] Le 11 juillet 2019, l’appelant a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal. Deux déclarations écrites accompagnant sa demande alléguaient de nombreuses erreurs de la part de la division générale. Entre autres observations, l’appelant a soutenu que la division générale avait fait fi des éléments de preuve et mal interprété la loi en concluant qu’il avait résidé au Canada pendant un peu moins de 16 ans.

[8] Le 9 août 2019, j’ai accordé l’autorisation d’interjeter appel, car j’ai constaté au moins une cause défendable pour plusieurs questions soulevées par l’appelant. J’ai ensuite fixé une téléconférence pour entendre les arguments sur le bien-fondé de ces questions.

Questions préliminaires

[9] Le Tribunal a envoyé un avis aux parties les informant que l’audience par téléconférence aurait lieu le 21 octobre 2019. L’avis indiquait également aux parties qu’elles avaient 45 jours à partir de la date de l’autorisation d’interjeter appel pour présenter d’autres observations écrites.

[10] L’appelant, avec l’aide d’un cabinet d’avocats établi au Guyana, a déposé des documents le 6 septembre 2016. Parmi ces documents, il y avait une lettre de l’appelant exprimant sa préférence pour une audience par questions et réponses écrites. Les documents comprenaient également des documents qui avaient déjà été présentés à la division générale.

[11] Le 18 septembre 2019, Mme Doucette, la représentante du ministre, a demandé une prolongation de dix jours pour le dépôt de documents. J’ai estimé la demande raisonnable et je l’ai approuvée. Le 25 septembre 2019, l’appelant a fait part de son opposition à la prolongation du délai parce que, selon lui, cela [traduction] « retarderait davantage le règlement final du différend ».

[12] Entre-temps, dans une lettre du 23 septembre 2019, Mme Doucette a reconnu que la division générale n’avait pas évalué adéquatement les allégations de résidence de l’appelant en vertu de la Loi sur la PV. Elle demande que l’affaire soit renvoyée à la division générale afin de tenir une nouvelle audition.

[13] Le 21 octobre 2019, comme prévu, j’ai convoqué l’audience. Mme Doucette s’est jointe à la téléconférence, mais l’appelant ne l’a pas fait. Après avoir confirmé que l’appelant avait été dûment avisé de l’audience, j’ai décidé de procéder en son absence. Ce faisant, je suis appuyé sur l’article 12 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le TSS). À ce moment-là, rien au dossier n’indiquait que l’appelant ne pouvait participer à l’audience ni qu’il n’y participerait pas, et rien n’indiquait qu’il avait demandé l’ajournement.

[14] Lors de l’audience, j’ai demandé à Mme Doucette si sa lettre du 23 septembre 2019 représentait toujours la position du ministre. Elle a répondu que oui et j’ai exprimé mon accord avec les deux parties pour dire que la division générale avait omis de respecter un principe de justice naturelle lorsqu’elle a examiné la demande de prestations de la SV de l’appelant plus tôt dans l’année. Mme Doucette et moi avons ensuite discuté de la question de savoir si le dossier contenait suffisamment d’éléments de preuve pour me permettre de substituer ma décision à celle de la division générale et de trancher la demande de prestations de la SV de l’appelant sur le fond.

[15] Dans une lettre reçue le 30 octobre 2019, l’appelant, encore une fois aidé par un avocat guyanais, s’est opposé à la proposition du ministre voulant que la division d’appel renvoie cette affaire à la division générale. Il souhaitait que son appel soit entendu immédiatement et il a ajouté :

  1. [Traduction] L’objet de la présente est donc de demander une mise à jour sur cette question afin que je sois peut-être mieux placé pour décider de ce qui doit être fait ensuite pour que cette affaire se conclue de manière satisfaisante. Comme vous ne m’avez pas répondu avant la téléconférence prévue, il n’a pas été possible d’amorcer la téléconférence.

Cette lettre m’indique que l’appelant était au courant de l’audience du 21 octobre, mais qu’il a sciemment décidé de ne pas y participer. Bien qu’il ait déjà demandé une audience par questions et réponses écrites, il devrait savoir qu’en vertu de l’article 21 du Règlement sur le TSS, la forme d’une audience est une question laissée à la discrétion de la division d’appel.

[16] Dans ce cas-ci, j’ai décidé de procéder par téléconférence parce que je pensais que les questions méritaient un échange de points de vue de vive voix. Même lorsque le ministre a reconnu que la division générale avait commis une erreur en rendant sa décision, je ne voyais pas la nécessité de revoir mon choix quant à la forme d’audience parce qu’il restait à trancher la question de la réparation la plus appropriée. Dans les circonstances, j’ai pensé qu’il était approprié et raisonnable de procéder en l’absence de l’appelant. L’appelant n’était peut-être pas d’accord avec ma décision d’entendre son appel par téléconférence, mais ce n’était pas, à mon avis, une raison valable de ne pas se présenter à l’audience ou de la boycotter, surtout sans préavis. Je ne sais pas si l’appelant voulait que sa lettre la plus récente soit une demande d’ajournement; le cas échéant, je ne suis pas enclin à l’accorder.

Questions en litige

[17] Selon l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), il n’y a que trois moyens d’appel à la division d’appel : La division générale (i) n’a pas observé un principe de justice naturelle (ii) a erré en droit ou (iii) a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[18] Il y avait deux questions en litige dans le présent appel :

  1. Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle examiné le fond de la demande de l’appelant?
  2. Question en litige n2 : La division générale a-t-elle appliqué le Règlement sur la SV aux éléments de preuve?

Analyse

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle examiné le fond de la demande de l’appelant?

[19] J’ai examiné le dossier et tenu compte des observations de l’appelant en appel. J’ai conclu que la division générale n’a pas entièrement répondu à l’argument de l’appelant selon lequel le ministre avait mal calculé sa période de résidence au Canada. Je fonde cette conclusion sur les facteurs suivants :

  • Le ministre a calculé que la période de résidence de l’appelant au Canada était de 15 ans et 315 jours, mais je ne vois pas d’où provient ce chiffre, d’après les renseignements figurant au dossier. Le seul élément de preuve concernant les premières années de l’appelant au Canada provient de l’appelant lui-même, en particulier les dates qu’il a indiquées dans sa demande de prestations de la SV. Toutefois, l’intervalle entre le 4 mars 1976 et le 21 septembre 1992 n’est pas de 15 ans et 315 jours, mais de 16 ans et 201 jours. Il n’est pas clair si la division générale a remarqué cette différence apparente, mais elle ne l’a certainement pas soulevée à l’audience ni n’en a tenu compte dans sa décision.
  • L’appelant a également affirmé qu’il vivait continuellement au Canada depuis le 4 mars 2004, même si je reconnais qu’il y avait beaucoup d’éléments de preuve au dossier (par exemple, son absence d’adresse postale canadienne permanente) qui puissent, remettre en question dans cette demande. Néanmoins, la division générale n’a pas abordé cette période plus récente dans sa décision, si ce n’est d’affirmer catégoriquement, sans analyse des éléments de preuve, que l’appelant n’avait [traduction] « aucun attachement profondément enraciné » envers ce pays.
  • Une autre indication selon laquelle la division générale n’a peut-être pas accordé toute son attention aux observations de l’appelant peut se constater dans la durée de l’audience et dans la décision qui en a découlé. La téléconférence qui a eu lieu le 17 avril 2019 a duré 12 minutes, dont deux minutes ont été consacrées aux observations préliminaires du membre qui présidait. Les motifs écrits de la division générale, publiés une semaine plus tard, étaient de deux pages.
  • Enfin, je ne peux m’empêcher de me demander si le ministre a soumis son dossier complet à l’attention de la division générale. Je remarque que le dossier ne contient aucune feuille de calcul qui aurait pu expliquer comment les fonctionnaires du ministre en sont arrivés au calcul de la durée de sa résidence. Je remarque également que le dossier comprend une lettre de 2014 de l’ancienne conseillère juridique de l’appelant, qui s’informe au sujet d’une demande antérieure de prestations de la SV que son client aurait présentée en 2008Note de bas de page 6. Le dossier ne contient rien d’autre au sujet d’une telle demande, mais je dirais que les lacunes décrites ci-dessus auraient dû inciter la division générale à demander au ministre s’il avait produit tous les documents pertinents.

[20] Ces lacunes donnent à penser que la division générale n’a pas pleinement consulté les documents dont elle disposait. En ce sens, la division générale n’a pas observé un élément important des règles de justice naturelle — le droit du demandeur d’être entendu.

Question en litige n2 : La division générale a-t-elle appliqué le Règlement sur la SV aux éléments de preuve?

[21] Cette question, comme la précédente, vise à déterminer si la division générale a vraiment tenu compte des observations de l’appelant. À la division générale, l’appelant a fait valoir que les sept années qu’il a passées au service d’une société canadienne au Guyana devraient être calculées dans les années de résidence au Canada. L’appelant allègue que la division générale a, pour l’essentiel, fait fi de cet argument.

[22]  Je conviens que la division générale n’a pas tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait à la lumière du droit applicable. L’article 21(4) du Règlement sur la SV énonce que, lorsqu’une personne qui réside au Canada s’absente du Canada et que son absence (i) est temporaire et ne dépasse pas un an; (ii) a pour motif la fréquentation d’une école ou d’une université; ou (iii) compte parmi les absences mentionnées au paragraphe (5), cette absence sera réputée ne pas avoir interrompu la résidence ou la présence de cette personne au Canada..

[23] En vertu de l’article 21(5) du Règlement sur la SV, les absences du Canada sont réputées n’avoir pas interrompu la résidence de cette personne au Canada pendant qu’elle se livrait à des activités déterminées. L’une de ces activités, décrite aux sous-alinéas 21(5)a)(vi) à (viii), est l’emploi pour une entreprise canadienne hors du Canada, si la personne a conservé au Canada une demeure permanente à laquelle elle avait l’intention de revenir et si elle est effectivement revenue au Canada dans un délai de six mois après la fin de son emploi à l’étranger.

[24] À l’audience, la division générale n’a posé aucune question à l’appelant au sujet de son emploi à X, une entreprise qui, selon son en-tête de lettre, était située en Colombie-BritanniqueNote de bas de page 7. Dans sa décision, la division générale n’a pas examiné la nature et les circonstances du travail de l’appelant au Guyana pour ce qui semblait être une entreprise canadienne ni n’a appliqué les faits entourant cet emploi à des dispositions particulières du Règlement sur la SV. Plutôt, elle a déclaré, sans autre analyse, que [traduction] « la situation de l’appelant n’est pas visée par les dispenses prévues à l’article 21 ».

[25] La question de savoir si la division générale est finalement parvenue au bon résultat n’a rien à voir avec le fait qu’elle n’a pas examiné les documents de façon équitable ou consciencieuse. En l’espèce, je dois conclure que la division générale n’a pas tenu compte des faits et du droit pertinents pour en arriver à sa décision.

Réparation

[26] La Loi sur le MEDS énonce les pouvoirs de la division d’appel pour corriger les erreurs commises par la division générale. En vertu de l’article 59(1), je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives que je juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

[27] Au titre de l’article 3 du Règlement sur le TSS, la division d’appel doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que l’équité et la justice naturelle permettent, mais, en l’espèce, j’estime n’avoir d’autre choix que de renvoyer l’affaire à la division générale pour la tenue d’une nouvelle audience.

[28] L’appelant m’encourage à accélérer le processus en remplaçant la décision de division générale par la mienne. Toutefois, je ne crois pas que le dossier soit suffisamment complet pour me permettre de trancher l’affaire au fond. Comme il a été mentionné, le dossier indique que le ministre n’a pas produit tous les documents en sa possession au sujet des demandes actuelles et antérieures de l’appelant. Ensuite, il y a le fait que la division générale n’a pas posé de questions au sujet de lacunes évidentes dans la preuve, comme la façon dont le ministre a calculé la résidence de l’appelant au Canada, la question de savoir si X était admissible comme entreprise canadienne et où l’appelant a résidé après 2004. Les réponses à ces questions seraient essentielles pour prendre une décision éclairée au sujet de l’admissibilité de l’appelant aux prestations de la SV, mais je n’ai pas le pouvoir de demander, d’accepter ou d’entendre de tels renseignements. En tant que membre de la division d’appel, mon rôle se limite à déterminer si la division générale a commis une erreur et, le cas échéant, à appliquer l’une des trois réparations définies avec précision. Je n’ai pas le pouvoir de tenir une audience de novoNote de bas de page 8 ni, plus précisément, d’examiner de nouveaux éléments de preuve. Étant donné que le mandat de la division générale est de soupeser la preuve et de tirer des conclusions de fait, elle est en meilleure position que moi pour entendre de nouveau le témoignage de l’appelant et explorer les pistes d’enquête qui pourraient en découler.

Conclusion

[29] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la division générale a commis une erreur de droit et n’a pas observé un principe de justice naturelle. Comme le dossier n’est pas suffisamment complet pour me permettre de statuer sur le fond de la présente affaire, je renvoie l’affaire à la division générale afin que soit tenue une nouvelle audience.

[30] Pour éviter toute apparence de partialité, je demande à la division générale d’affecter cette affaire à un autre membre que celui qui l’a entendue en première instance. Je demande que la présente décision soit mise à la disposition de la personne à qui ce dossier est confié.

[31] Lorsque l’affaire sera de nouveau entendue, la division générale devra examiner les questions suivantes :

  1. Comment le ministre en est-il arrivé au calcul de 15 ans et 315 jours pour la période de résidence de l’appelant au Canada?
  2. Le ministre a-t-il reçu et traité une demande antérieure de prestations de la SV que l’appelant aurait pu présenter en 2007 ou 2008?
  3. L’emploi de l’appelant au Guyana était-il visé par l’une des dispenses énumérées à l’article 21(5) du Règlement sur la SV?
  4. L’appelant a-t-il établi sa résidence au Canada en ce qui concerne la SV après son retour au Canada en 2004?

[32] L’appel est accueilli.

Date de l’audience :

Le 21 octobre 2019

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

Sandra Doucette, représentante de l’intimé

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