Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli en partie.

Aperçu

[2] En octobre 2014, E. M. (requérant) a présenté une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) et une demande de Supplément de revenu garanti (supplément). Tout dépendant de l’endroit où il résidaitNote de bas de page 1 la veille de son 65e anniversaire (en juillet 2014), le requérant aurait pu avoir besoin d’accumuler soit 10 ou 20 ans de résidence au Canada pour être admissible à ces prestations.

[3] Le requérant affirme avoir droit aux deux prestations parce qu’il a rétabli sa résidence canadienne en décembre 2009 et réside au Canada de façon continue depuis cette date.

[4] Toutefois, le ministre de l’Emploi et du Développement social juge que le requérant n’a jamais repris sa résidence au Canada après son départ du pays en décembre 1984. Par conséquent, le requérant ne compte même pas 12 ans de résidence canadienne, alors qu’il en a besoin d’au moins 20.

[5] Le requérant a contesté la décision du ministre, mais la division générale a rejeté son appel. Le requérant fait maintenant appel de la décision de la division générale auprès de la division d’appel.

[6] J’estime que la division générale n’a pas examiné toute la période pertinente. Elle a donc refusé d’exercer sa compétence et a rendu une décision entachée d’une erreur de droit. Par conséquent, je suis en mesure de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[7] Je déclare que le requérant a rétabli sa résidence au Canada à partir du 5 avril 2013, et qu’il y résidait la veille de son 65e anniversaire. Il était donc admissible à une pension partielle de la SV et au supplément. Voici les motifs de ma décision.

Question préliminaire

[8] Devant la division générale, l’audience du requérant a procédé en même temps que celle de son épouse. Toutefois, les deux se sont séparés après cette date.

[9] J’avais quelques préoccupations concernant le fait que l’ex-épouse du requérant n’était pas une partie à l’appel devant moi. En avril 2014, par exemple, le requérant a présenté une demande d’allocationNote de bas de page 2, une autre prestation offerte en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV). Toutefois, l’admissibilité du requérant à cette prestation dépendait des années de résidence canadienne accumulées par son ex-épouse (entre autres).

[10] Lors de l’audience, les parties ont convenu qu’il n’était pas nécessaire d’ajouter l’ex‑épouse du requérant à l’instance à titre de partie mise en cause. De plus, le requérant a précisé qu’il ne conteste pas son inadmissibilité à l’allocation. Par conséquent, cette décision ne touchera ni l’admissibilité du requérant à l’allocation ni à la résidence au Canada de son ex‑épouse.

Questions en litige

[11] Voici les questions que j’examine dans cette décision :

  1. La division générale a évalué la résidence du requérant jusqu’en avril 2014. Ce faisant, la division générale a-t-elle refusé d’exercer sa compétence ou a-t-elle rendu une décision entachée d’une erreur de droit?
  2. Quelle est la meilleure réparation possible pour la situation du requérant?
  3. Le requérant est-il admissible à la pension de la SV et au supplément?

Analyse

[12] La division d’appel peut intervenir dans une cause seulement si la division générale a commis au moins l’une des erreurs prévues par la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS)Note de bas de page 3. De plus, la division d’appel peut seulement accorder une réparation énoncée dans la Loi sur le MEDSNote de bas de page 4.

[13] En l’espèce, je me suis concentré sur les erreurs de droit et le refus par la division générale d’exercer sa compétence. Selon le libellé de la Loi sur le MEDS, toute erreur de ce type pourrait justifier mon intervention dans la présente affaireNote de bas de page 5.

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle refusé d’exercer sa compétence ou a‑t‑elle rendu une décision entachée d’une erreur de droit?

[14] Oui, en ignorant la résidence du requérant après le mois d’avril 2014, la division générale a refusé d’exercer sa compétence au sujet d’une période pertinente. De plus, elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.

[15] Pour avoir droit à une pension partielle de la SV, le requérant avait besoin d’accumuler au moins 20 ans de résidence au Canada. Toutefois, s’il résidait au Canada le jour avant l’approbation de sa demande, cette exigence passait de 20 ans à 10 ansNote de bas de page 6.

[16] Au sujet de la date d’approbation du ministre, celle-ci peut varier selon les faits de l’espèceNote de bas de page 7. Ici, l’approbation du ministre pourrait prendre effet au plus tôt le jour où le requérant a atteint l’âge de 65 ans (en juillet 2014)Note de bas de page 8.

[17] Il était donc essentiel pour la division générale d’examiner si le requérant résidait au Canada pendant la période d’avril à juillet 2014. En effet, il ressort de la décision de la division générale que la situation du requérant changeait au début de l’année 2014Note de bas de page 9. Cela renforce l’importance de la période qui est passée sous silence par la division générale.

[18] La division générale n’a pas évalué la résidence du requérant pendant toute la période pertinenteNote de bas de page 10. J’estime alors que la division générale a refusé d’exercer sa compétence et a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.

Question en litige no 2 : Quelle est la meilleure réparation possible pour la situation du requérant?

[19] Parmi les réparations possibles, j’estime que je dois rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[20] La représentante du requérant soutient que l’audience devant la division générale s’est déroulée de façon inéquitable. Plus particulièrement, le témoignage de l’ex-épouse du requérant a occupé la majeure partie de l’audience, et le membre de la division générale n’a pas posé suffisamment de questions au requérant.

[21] Je ne retiens pas les arguments du requérant à ce sujet. Le requérant était présent lors du témoignage de son ex-épouse. À son tour, il a confirmé que sa situation était semblable à celle de son ex-épouse.

[22] Comme le représentant du ministre le souligne, le requérant n’a pas été empêché de parler, ni de demander des questions, ni de présenter des argumentsNote de bas de page 11. Au contraire, le membre de la division générale a demandé à plusieurs reprises si le requérant avait d’autres choses à ajouter.

[23] Je constate alors que j’ai les renseignements et l’autorité nécessaires pour prendre une décision finale dans ce dossierNote de bas de page 12. J’ai examiné tous les documents au dossier et j’ai écouté l’enregistrement audio de l’audience du 26 novembre 2018. Il n’y a donc pas d’avantage à renvoyer le dossier à la division générale pour un nouvel examen.

Question en litige no 3 : Le requérant est-il admissible à la pension de la SV et au supplément?

[24] Oui, je considère que le requérant a rétabli sa résidence canadienne à partir du 5 avril 2013. De plus, il l’a maintenue jusqu’à la date de son 65e anniversaire en juillet 2014. À partir de cette date, le requérant était donc admissible à la pension de la SV et au supplémentNote de bas de page 13.

[25] Les parties conviennent que le requérant a accumulé 11 ans et 329 jours de résidence au Canada dans les années 1972 à 1984. Il est donc admissible à une pension de la SV et au supplément s’il résidait au Canada le jour avant la date d’accueil de sa demandeNote de bas de page 14.

[26] Dans le cas du requérant, il a présenté sa demande de pension de la SV quelques mois après son 65e anniversaire. L’approbation du ministre peut donc être antidatée au jour où le requérant a atteint l’âge de 65 ansNote de bas de page 15.

[27] Le requérant a-t-il donc établi qu’il résidait au Canada la veille de son 65e anniversaire?

[28] Pour déterminer le statut du requérant, j’ai étudié les liens et les éléments suivantsNote de bas de page 16 :

  1. ses biens personnels au Canada;
  2. ses relations sociales au Canada;
  3. ses autres liens au Canada;
  4. ses liens dans un autre pays;
  5. le nombre et la durée de ses séjours au Canada;
  6. le nombre et la durée de ses absences du Canada;
  7. son mode de vie et son enracinement au Canada.

[29] L’importance accordée à chaque élément peut varier d’un cas à l’autreNote de bas de page 17. De plus, il faut étudier l’ensemble de la situation d’une personne pour déterminer sa résidenceNote de bas de page 18.

[30] En 2009, le requérant vivait en Haïti. Accompagné par son ex-épouse, il était arrivé au Canada en décembre 2009 pour célébrer l’anniversaire de sa fille. Il prévoyait d’y rester environ trois semaines. Cependant, un tremblement de terre dévastateur a frappé Haïti le 10 janvier 2010. Selon leurs affirmations, le couple a donc décidé de quitter définitivement Haïti et de se rétablir au Canada de façon permanente.

[31] À la suite de cette décision, je reconnais que le requérant a établi de nombreux liens avec le Canada. De ce côté de la médaille, le requérant :

  1. a ouvert un compte bancaire en 2010 et possède une carte de crédit canadienneNote de bas de page 19;
  2. reçoit une pension de la Régie des rentes du Québec depuis 2010Note de bas de page 20;
  3. possède un permis de conduire québécoisNote de bas de page 21;
  4. s’est réinscrit au régime d’assurance maladie du QuébecNote de bas de page 22;
  5. a recommencé, en 2010, la production de ses déclarations de revenus annuellesNote de bas de page 23.

[32] De plus, la fille du requérant habite au Québec.

[33] Je dois soupeser ces facteurs par rapport aux liens du requérant avec Haïti.

[34] De l’autre côté de la médaille, le requérant et son ex-épouse sont propriétaires d’un terrain en Haïti. Cependant, j’accorde peu d’importance à ce facteur puisque le requérant essaye de se débarrasser de ce terrain depuis plusieurs années.

[35] De façon plus importante, je note que le requérant s’est rendu en Haïti pour de longues périodes dans les années 2010 à 2013. Notamment, le requérant était rentré dans son pays d’origine duNote de bas de page 24 :

  1. 21 février 2010 au 21 décembre 2010;
  2. 16 janvier 2011 au 21 avril 2011;
  3. 10 mai 2011 au 12 décembre 2011;
  4. 15 janvier 2012 au 5 avril 2012;
  5. 29 avril 2012 au 14 décembre 2012;
  6. 26 janvier 2013 au 28 mars 2013.

[36] Compte tenu du nombre et de la durée des absences du Canada, j’accorde beaucoup d’importance à ce facteur.

[37] Le requérant affirme qu’Haïti était en plein chaos pendant cette période. Rien ne fonctionnait et il a fallu beaucoup de temps pour faire quoi que ce soit. Toutefois, le requérant a choisi de vivre cette situation éprouvante plutôt que de mieux s’installer au Canada.

[38] Pour ce qui est de la période avant le 28 mars 2013, je suis donc convaincu que le requérant n’a pas prouvé le rétablissement de sa résidence au Canada.

[39] Cependant, j’estime que la situation du requérant a changé à partir de son entrée au Canada le 5 avril 2013, date à laquelle il a rétabli sa résidence au CanadaNote de bas de page 25.

[40] Dans les paragraphes ci-dessus, j’ai souligné à quel point les absences du Canada du requérant étaient un facteur important dans cette affaire. Toutefois, le requérant affirme qu’il n’est jamais retourné en Haïti après mars 2013.

[41] Je reconnais que le requérant a été absent du Canada pendant une longue période après le 5 avril 2013, mais cette absence doit être examinée dans son contexte.

[42] Quelques jours après son entrée au Canada le 5 avril 2013, le requérant a appris que sa belle-sœur était décédée en Haïti. Accompagné de son ex-épouse, il est donc parti vers New York pour aller chercher sa belle-mère. Ensuite, ils allaient voyager tous ensemble vers Haïti pour les funérailles. Ils envisageaient un voyage de deux à trois semaines.

[43] Toutefois, le couple ne s’est jamais rendu chez sa belle-mère. Au lieu de cela, ils ont été impliqués dans un grave accident de la route. Le requérant s’est remis assez rapidement de cet accident. Mais son ex-épouse a eu besoin d’une période de convalescence beaucoup plus longue. Le requérant est resté avec son ex-épouse pendant toute cette période, jusqu’à ce qu’elle soit en assez bonne forme pour revenir au Canada le 27 décembre 2013.

[44] Bien que cette absence ait été longue, elle a été causée par un événement entièrement imprévu et sa durée était hors du contrôle du requérant. En outre, le requérant n’avait pas le statut pour rester aux États-Unis.

[45] Je suis donc convaincu que le requérant a rétabli sa résidence au Canada à partir du 5 avril 2013 et qu’il l’a maintenue jusqu’à son anniversaire en juillet 2014.

[46] Cette constatation suffit pour établir l’admissibilité du requérant à la pension de la SV et au supplément. Toutefois, pour conserver son droit à ses prestations, le requérant doit maintenir sa résidence canadienne et ne doit pas s’absenter du Canada pendant de longues périodesNote de bas de page 26. Si le ministre le juge nécessaire, il est donc en mesure d’évaluer si le requérant a maintenu son admissibilité aux prestations pour la période après juillet 2014.

Conclusion

[47] Dans l’ensemble, j’ai conclu que la division générale avait rendu une décision entachée d’une erreur de droit et qu’elle avait refusé d’exercer sa compétence. Étant donné que ces erreurs ont été commises, j’ai l’autorité de réévaluer l’affaire et de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[48] Je suis convaincu que le requérant a rétabli sa résidence au Canada à partir du 5 avril 2013. De plus, il l’a maintenue jusqu’à son 65e anniversaire en juillet 2014. Le ministre conserve la possibilité d’évaluer la résidence canadienne du requérant après cette date.

[49] À partir de juillet 2014, le requérant était donc admissible à la pension de la SV et au supplément. Il appartient maintenant au ministre de calculer les sommes précises auxquelles le requérant a droit, et ce, en fonction des périodes de résidence canadienne retenues par le Tribunal et de tout autre critère pertinent.

[50] Étant donné que je n’ai pas retenu toute la période de résidence au Canada revendiquée par le requérant, j’accueille l’appel en partie.

 

Date de l’audience :

Le 17 janvier 2020

Mode d’audience :

Téléconférence

Comparutions :

E. M., appelant

Me Diane Beaulieu, représentante de l’appelant

Me Marcus Dirnberger, représentant de l’intimé

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