Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

Informations sur la décision

Résumé :

SV – À compter de mai 2013, le ministre a approuvé la pension partielle de la Sécurité de la vieillesse (SV) et le Supplément de revenu garanti (SRG) du requérant. Peu de temps après, une enquête menée par le ministre a révélé que le requérant avait omis de déclarer des absences du Canada depuis août 2007. Le ministre a mis fin aux prestations du requérant et lui a ordonné de les rembourser pour la période de mai 2013 à avril 2016. Le requérant a interjeté appel à la division générale (DG), qui a décidé que le ministre n’avait pas le pouvoir de revoir sa décision initiale. Elle a permis au requérant de garder les prestations de la SV et du SRG qu’il avait reçues, même s’il n’avait pas, de fait, vécu au Canada pendant la plupart de cette période.

La division d’appel (DA) s’est dite d’accord avec la DG en ce qui concerne l’absence de compétence du ministre pour modifier ses conclusions précédentes concernant la résidence du requérant. La DA a aussi tiré une conclusion semblable dans d’autres décisions récentes, et la cohérence des décisions du Tribunal est importante. La DA a jugé que le ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer la pension du requérant, et ce, à partir de mai 2013, lorsqu’elle a commencé, jusqu’à décembre 2015, soit la dernière fois que le ministre a confirmé son admissibilité. La DA a conclu qu’il n’y avait aucune raison de modifier la décision de la DG permettant au requérant de garder les prestations reçues. Toutefois, la DA a aussi conclu que la DG aurait dû se prononcer sur la résidence durant une période ultérieure. Elle a donc renvoyé l’affaire à la DG afin qu’elle termine l’évaluation.

Contenu de la décision



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Décision et motifs

Décision

[1] J’accueille l’appel en partie. L’affaire sera renvoyée à la division générale pour la tenue d’une audience sur la résidence du requérant après le 18 août 2016.

Aperçu

[2] Le requérant est né en novembre 1946. Il a quitté Cuba pour se rendre au Canada en juillet 1992. Il est devenu résident permanent du Canada en septembre 1993 et citoyen canadien en mai 1997.

[3] Le 21 octobre 2013, le requérant a présenté une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV). Dans sa demande, il a précisé qu’il avait résidé au Canada de juillet 1992 à août 2007 et d’avril 2013 à mars 2014Note de bas de page 1. Il a plus tard ajouté qu’il vivait au Mexique avec son fils depuis mars 2014 parce qu’il attendait que sa demande de pension de la SV soit accueillieNote de bas de page 2.

[4] En octobre 2014, le ministre a accueilli la demande du requérant, lui accordant ainsi une pension de la SV correspondant à 15/40 d’une pleine pension, ainsi qu’un Supplément de revenu garanti (SRG), tous deux payables à compter de mai 2013Note de bas de page 3. Le ministre a conclu que le requérant avait rétabli sa résidence au Canada en avril 2013 et que son absence était seulement temporaire. Au même moment, le ministre a immédiatement suspendu la pension de la SV et les prestations du SRG du requérant en attendant son retour au CanadaNote de bas de page 4.

[5] Le requérant est revenu au Canada en novembre 2014, et le ministre a commencé à lui verser des prestations. Plus tard, le ministre a appris que le requérant avait quitté le Canada une fois de plus de mai 2015 à novembre 2015. Malgré cette absence, le ministre a continué de verser des prestations au requérantNote de bas de page 5. Toutefois, peu après, le ministre a lancé une enquête sur la question de la résidence du requérantNote de bas de page 6. L’enquête a révélé d’autres absences non déclarées, et le ministre a déterminé que le requérant n’avait pas résidé au Canada depuis août 2007. Le ministre a mis fin au versement des prestations du requérant et a exigé qu’il rembourse les prestations de la SV et du SRG qu’il avait reçues entre mai 2013 et avril 2016, soit un montant s’élevant à 42 908 $Note de bas de page 7.

[6] Le requérant a interjeté appel de la décision du ministre devant le Tribunal de la sécurité sociale. Dans une décision datée du 31 août 2019, la division générale a accueilli l’appel en partie. Elle a conclu que le ministre n’avait pas le pouvoir de revenir sur ses décisions antérieures selon lesquelles le requérant était un résident entre avril 2013 et décembre 2015. La division générale a donc permis au requérant de conserver les prestations de la SV et du SRG en question, même s’il n’avait pas réellement vécu au Canada pendant une grande partie de cette période. Toutefois, la division générale a également tiré une conclusion selon laquelle le requérant n’avait pas résidé au Canada de décembre 2015 à août 2016.

Motifs d’appel du Ministre

[7] Le 29 novembre 2019, le ministre a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal, prétendant que la division générale avait commis les erreurs suivantes en rendant sa décision :

  • elle a mal interprété et mal appliqué la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV), le Règlement sur la sécurité de la vieillesse (Règlement sur la SV) et la décision BR c CanadaNote de bas de page 8, rendue par la division d’appel;
  • elle n’a pas exercé sa compétence en ne tirant aucune conclusion de fait sur la résidence du requérant entre avril 2013 et décembre 2015;
  • elle a fondé sa décision sur la conclusion erronée selon laquelle le requérant a rétabli sa résidence au Canada après avril 2013.

[8] Dans une décision datée du 10 janvier 2020, j’ai accordé la permission d’en appeler parce que j’ai estimé que le ministre avait soulevé une cause défendable. Le 9 mars 2020, j’ai tenu une audience par téléconférence pour discuter du bien-fondé des questions soulevées par le ministre.

[9] Après l’audience, j’ai cerné une autre question qui, selon moi, pourrait peut-être avoir une incidence sur l’issue de l’appel. Cette question concernait le fait que la division générale n’avait possiblement pas exercé sa compétence sur la question de la résidence du requérant après le 18 août 2016. J’ai invité les parties à présenter des observations écrites à ce sujet, y compris leurs recommandations sur la réparation appropriée si j’arrivais à la conclusion que la division générale avait commis une erreur.

Questions en litige

[10] Il existe quatre moyens d’appel devant la division d’appel. Toute partie requérante doit montrer que la division générale : i) n’a pas respecté l’équité procédurale; ii) a commis une erreur de compétence; iii) a commis une erreur de droit; ou iv) a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 9.

[11] Dans le cadre du présent appel, je devais trancher les questions suivantes :

  1. Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que la Loi sur la SV et son règlement limitaient le pouvoir du ministre de revenir sur ses décisions concernant la résidence?
  2. Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle refusé d’exercer sa compétence en ne tirant aucune conclusion sur la résidence du requérant entre avril 2013 et décembre 2015?
  3. Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur la conclusion erronée selon laquelle le requérant avait rétabli sa résidence au Canada après avril 2013?
  4. Question en litige no 4 : La division générale a-t-elle refusé d’exercer sa compétence en ne tirant aucune conclusion sur la résidence du requérant après le 18 août 2016?

Analyse

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que la Loi sur la SV et son règlement limitaient le pouvoir du ministre de revenir sur ses décisions concernant la résidence?

[12] À mon avis, la division générale a conclu à juste titre que le ministre n’avait pas la compétence de modifier ses conclusions antérieures sur la résidence du requérant.

(i) Décision de la division générale

[13] Dans sa décision, la division générale a laissé croire que le ministre avait approuvé et confirmé à plusieurs reprises les prestations de la SV du requérant sans avoir suffisamment enquêté sur ses liens au Canada. Essentiellement, la division générale estimait que le ministre ne devrait pas être autorisé à revenir sur une décision d’approuver des prestations lorsqu’il n’y avait aucune preuve que le requérant avait commis une fraude pour obtenir ces prestations.

[14] La division générale a examiné l’admissibilité du requérant aux prestations de la SV au cours de quatre périodes différentes.

[15] Premièrement, la division générale a conclu que le requérant avait probablement passé le plus clair de son temps à l’étranger entre avril 2013 et avril 2014. Toutefois, la division générale a également conclu que le requérant n’avait pas sciemment fait de fausses déclarations concernant sa demande de la SV puisque le formulaire exige seulement que la partie demanderesse déclare les absences du Canada de plus de six mois. Comme la lettre du ministre d’octobre 2014 reconnaissait la résidence du requérant au CanadaNote de bas de page 10, la division générale a conclu que le ministre ne pouvait pas revenir sur sa décision de verser des prestations de la SV au requérant au cours de cette période.

[16] Deuxièmement, la division générale a conclu que, même si le requérant avait quitté le Canada en mars 2014, il pouvait néanmoins conserver les prestations de la SV qu’il avait reçues d’avril 2014 à octobre 2014, car la loi permet à toute partie requérante de continuer de recevoir des prestations six mois après son départ.

[17] Troisièmement, la division générale a conclu que le requérant n’avait pas à rembourser les prestations de la SV qu’il avait reçues de novembre 2014 à décembre 2015, car le ministre avait de nouveau reconnu sa résidence au Canada ainsi que son admissibilité aux prestations de la SV dans sa lettre de janvier 2016Note de bas de page 11. La division générale a noté que cette confirmation était survenue après que le requérant avait rempli un questionnaire sur la résidence, dans lequel, une fois de plus, il n’avait fait aucune fausse déclaration. Selon le dossier, bien que le ministre ait reconfirmé la résidence du requérant, il a lancé une enquête approfondie sur les liens du requérant au Canada presque tout de suite après.

[18] Quatrièmement, la division générale a examiné le statut du requérant de décembre 2015 à août 2016. La division générale a estimé qu’étant donné que le ministre n’avait offert au requérant aucune assurance quant à sa résidence pendant cette période, sa résidence devait faire l’objet d’une évaluation. La division générale a évalué un certain nombre de facteurs pertinentsNote de bas de page 12, dont le mode de vie du requérant, ses absences du Canada, les allées et venues de sa famille, et ses biens personnels avant de déterminer que, tout compte fait, le requérant n’était pas un résident canadien au cours des neuf premiers mois de 2016.

(ii) Recours de la division générale à la décision BR c Canada

[19] Pour conclure que le ministre avait excédé sa compétence en infirmant ses décisions antérieures de janvier 2016 concernant la résidence du requérant, la division générale s’est fiée à BR c Canada, une décision rendue récemment par la division d’appel. Dans cette cause, le requérant a présenté une demande de pension de la SV 10 ans après être arrivé au Canada, et dans sa demande, il a déclaré qu’il était retourné en Inde à plusieurs reprises et que son plus long séjour avait été de 16 mois. En évaluant sa demande, le ministre a interrogé le requérant au sujet de son absence de 16 mois, puis il a accueilli sa demande comme si l’absence n’avait pas interrompu sa résidence au Canada. Huit ans plus tard, le ministre a choisi d’examiner l’admissibilité du requérant à la pension de la SV. À la suite de son enquête, le ministre a modifié la décision initiale sur l’admissibilité et a conclu que l’absence de 16 mois du requérant avait en effet interrompu sa résidence au Canada.

[20] Bien que la division générale n’ait pas estimé qu’elle était liée par la décision BR, elle était d’accord avec l’interprétation de la division d’appel concernant le droit applicable. Elle a également conclu que la situation factuelle dans BR n’était pas très différente de la situation du requérant en l’espèce. Je suis d’accord. Tout comme dans BR, le requérant :

  • s’est vu approuver une pension partielle de la SV après que le ministre a conclu qu’il était résident canadien au moment de la présentation de sa demande;
  • a déclaré avec honnêteté toutes ses absences du Canada de plus de six mois dans sa demande de prestations de la SV;
  • a quitté le Canada pendant des périodes prolongées après le début du versement des prestations de la SV et n’a jamais tenté de dissimuler ces absences;
  • n’a pas fait l’objet d’une enquête approfondie avant que le ministre ne détermine que ses voyages ultérieurs à l’étranger mettent en lumière sa résidence au Canada;
  • a vu ses prestations de la SV prendre fin et [traduction] « être réclamées » lorsque le ministre est revenu sur sa position antérieure et a déterminé que le requérant n’avait jamais établi sa résidence au Canada.

[21] Par conséquent, je ne vois aucune raison d’établir une distinction avec BR selon ses faits. Toutefois, je dois encore déterminer s’il est préférable d’adopter l’interprétation de la loi de BR.

(iii) Je suis d’accord avec la décision BR

[22] Tout comme la division générale, je ne suis pas lié par la décision BR. Aucun membre de la division d’appel n’est lié par une décision rendue par la division d’appel. Cependant, nous nous efforçons tous de rendre des décisions uniformes, même s’il n’est pas toujours possible de le faire. Cela dit, je suis bien d’accord avec la décision BR selon laquelle le pouvoir du ministre de modifier ses décisions initiales sur l’admissibilité est limité.

[23] Comme mentionné par la division générale, la Loi sur la SV a un but altruiste, et comme toute autre loi, elle doit « [s’interpréter] de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objetNote de bas de page 13 ». Le ministre soutient que tout comme dans BR, la Loi sur la SV et son règlement lui confère les vastes pouvoirs d’examiner et de réévaluer l’admissibilité d’une personne bénéficiaire aux prestations de la SV. Essentiellement, le ministre soutient que toute personne bénéficiaire peut faire l’objet d’une réévaluation à tout moment et pour toute raison, et qu’il incombe à cette dernière de prouver son admissibilité aux prestations.

[24] En vertu de l’article 37 de la Loi sur la SV, toute personne qui a reçu des prestations auxquelles elle n’avait pas droit doit immédiatement les rembourser. Tout montant impayé constitue une dette recouvrable en justice.

[25] En vertu de l’article 23 du Règlement sur la SV, le ministre peut, à tout moment, examiner l’admissibilité d’une personne aux prestations de la SV. Ce faisant, le ministre peut, à tout moment, exiger d’une partie demanderesse ou d’une personne bénéficiaire de la SV qu’elle fournisse des renseignements ou des éléments de preuve supplémentaires concernant son admissibilité aux prestations.

[26] Après avoir entrepris un examen minutieux d’interprétation de la loi, la division d’appel a conclu que le ministre avait un pouvoir limité quant au fait de revoir l’admissibilité d’une personne aux prestations de la SV lorsqu’une demande avait été accueillie. La division d’appel a noté que la Loi sur la SV faisait une distinction entre la cessation des prestations et la suspension des prestations. La cessation n’est envisagée que sur demande écrite ou en cas de décès d’une personne bénéficiaireNote de bas de page 14, tandis que la suspension survient dans plusieurs autres circonstances, comme lorsqu’une personne bénéficiaire est incarcéréeNote de bas de page 15 ou quitte le Canada pour une période prolongée, en ayant vécu ici pendant moins de 20 ansNote de bas de page 16. Au sens de la Loi sur la SV, la cessation est permanente, alors que la suspension est temporaire et qu’il est possible de rétablir les prestations une fois que le statut de l’ancienne personne bénéficiaire est [traduction] « normalisé ».

[27] La division d’appel n’a pas pu trouver de langage législatif clair qui permettait au ministre d’infirmer des décisions qu’il avait rendues des années, voire des décennies plus tôt, plus précisément lorsque cela obligeait les personnes bénéficiaires à rembourser des sommes importantes auxquelles elles estimaient raisonnablement avoir droit. La division d’appel a également noté que d’autres lois conférant des prestations, comme le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l’assurance-emploi, contiennent des dispositions qui confèrent précisément au ministre les vastes pouvoirs de réviser ses décisions, alors que ce n’est pas le cas pour la Loi sur la SV.

[28] La division d’appel a trouvé un appui à son interprétation de la disposition qui autorise le Cabinet à prendre des règlements d’application de la Loi sur la SV : « Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements […] et […] prévoir la suspension du service d’une prestation pendant toute enquête sur l’admissibilité du prestataire, ainsi que la réintégration ou la reprise du versement […] [mis en évidence]Note de bas de page 17 ». La division d’appel n’a trouvé aucune indication que le Parlement avait l’intention de conférer au Cabinet le pouvoir de créer un règlement qui autoriserait le ministre à modifier toute décision antérieure sur l’admissibilité, ce qui pourrait entraîner la cessation rétroactive des prestations de la SV et des obligations de remboursement potentiellement importantes.

[29] Je suis d’accord avec l’analyse de la division d’appel. L’article 23 du Règlement sur la SV confère au ministre les vastes pouvoirs d’exiger d’une partie requérante qu’elle prouve son admissibilité à une pension de la SV avant que sa demande ne soit accueillie. Toutefois, dès lors que le ministre accueille la demande, il ne peut pas revenir sur sa décision initiale sur l’admissibilité à moins qu’il puisse démontrer que la partie requérante a sciemment fait une fausse déclaration concernant son statutNote de bas de page 18. Au contraire, l’article 23 du Règlement sur la SV autorise seulement le ministre, en l’absence de fraude, à enquêter sur l’admissibilité continue d’une personne bénéficiaire aux prestations, y compris le montant de ces prestations.

(iv) Les objections du ministre contre BR ne sont pas convaincantes

[30] Le ministre a soutenu que BR ignorait certains éléments de la Loi sur la SV qui appuient les vastes pouvoirs d’examiner et de corriger des demandes de pension accueillies à tortNote de bas de page 19. Toutefois, je n’ai rien vu ni entendu qui aurait pu me faire changer d’avis quant au fait que le ministre ne peut pas revenir dans le temps pour transformer rétroactivement l’agrément d’une demande en rejet. Le ministre a fait référence à l’article 5(1) de la Loi sur la SV qui interdit tout versement d’une pension à une personne « [à moins que] la personne […] y [ait] droit aux termes du paragraphe 3(1) ou (2) ». Cette disposition stipule simplement que toute personne non admissible ne devrait pas recevoir une pension de la SV. Toutefois, que se passe-t-il si, par surveillance ministérielle ou négligence, cette personne en reçoit tout de même une? Dans un cas pareil, une déclaration générale de principes est peu utile.

[31] Le ministre a également cité l’article 34(f) de la Loi sur la SV, qui prévoit que le gouverneur en conseil peut prendre des règlements pour prescrire des « renseignements et éléments de preuve » auxquels une partie demanderesse doit permettre l’accès. Une fois de plus, je ne vois rien qui s’oppose à BR et qui reconnaît le vaste pouvoir du ministre d’exiger des renseignements au moment de la présentation de la demande ou après celle-ci. Toutefois, la question en l’espèce est ce que le ministre peut faire avec des renseignements fournis après la présentation de la demande s’il est indiqué qu’une pension a été versée par erreur. On peut en dire autant pour les articles 44.2(2) et 44.2(6) de la Loi sur la SV, lesquels précisent davantage les pouvoirs du ministre d’enquêter sur l’admissibilité d’une personne aux prestations.

[32] À l’appui de son interprétation élargie des termes « à tout moment », le ministre a fait référence à l’arrêt Comeau’s Sea Foods Ltd c CanadaNote de bas de page 20 de la Cour suprême du Canada, dans lequel le ministère fédéral des Pêches a révoqué son autorisation précédemment divulguée de délivrer des permis de pêche hauturière du homard à la partie appelante, ce qui avait alors engagé des dépenses pour équiper ses bateaux. Le ministre a soutenu que Comeau’s Sea Foods avait reconnu son besoin d’un vaste pouvoir continu pour modifier ou infirmer une décision en réponse à de nouvelles circonstances. Je ne suis pas convaincu. Mis à part le contexte réglementaire tout à fait différent de Comeau’s Sea Foods, je note de grandes différences entre cette affaire et celle en l’espèce. Tout d’abord, le libellé législatif auquel le ministre s’est fié pour révoquer son autorisation de délivrer des permis de pêche du homard provenait de la Loi sur les pêches et non de son règlement. Ensuite, selon la Loi sur les pêches, le ministre peut « à discrétionNote de bas de page 21 » délivrer des permis. Il s’agit là d’un libellé bien plus ferme que toute disposition comparable de la Loi sur la SV.

[33] Par-dessus tout, il y avait une différence entre le fait d’autoriser la délivrance d’un permis et le fait de délivrer un permis. Dans Comeau, la loi pertinente précisait les circonstances dans lesquelles le ministre pouvait révoquer un permis qu’il avait déjà délivré, mais n’indiquait rien à propos du fait de révoquer l’autorisation. Une autorisation, comme l’a souligné la Cour suprême, est un pouvoir discrétionnaire que le ministre est libre de révoquer à tout moment. Toutefois, un permis, une fois délivré, confère à la personne titulaire un droit légal ancré dans la loi. À mon avis, une pension de la SV ressemble davantage à un permis qu’à une autorisation, parce qu’une fois la pension approuvée, la personne bénéficiaire a droit à des prestations sanctionnées par le législateur qui ne peuvent être facilement révoquées. En ce sens, le requérant en l’espèce a d’importants droits, contrairement à la partie appelante dans Comeau, qui n’avait guère plus qu’une promesse ministérielle.

(v) Les cours n’ont pas fourni d’orientation sur la portée des pouvoirs du ministre

[34] Le ministre a souligné deux cas dans lesquels la Cour fédérale semble avoir approuvé la réévaluation rétrospective du ministre concernant l’admissibilité aux prestations de la SV d’une personne bénéficiaire. Dans les deux cas, les renseignements tirés d’une enquête ont incité le ministre à mettre fin à la pension de la personne bénéficiaire et à exiger le remboursement des prestations qui avaient déjà été versées.

[35] Tout d’abord, il y a la décision De Carolis c CanadaNote de bas de page 22. Dans cette affaire, la Cour a confirmé la conclusion selon laquelle un pensionné devait rembourser des prestations après que le ministre avait conclu qu’il n’avait jamais établi sa résidence au Canada, contrairement à sa décision initiale sur l’admissibilité. Il est vrai que la Cour a implicitement accepté l’interprétation extensive du ministre concernant les pouvoirs que lui confère l’article 23 du Règlement sur la SV, mais il est également vrai que la Cour ne s’est jamais penchée sur la question. En effet, les motifs de la Cour témoignent assez clairement du fait que le requérant dans De Carolis n’a jamais abordé la question.

[36] Ensuite, il y a la décision De Bustamante c CanadaNote de bas de page 23 qui porte sur une requérante qui a contesté la conclusion du ministre selon laquelle elle n’avait résidé au Canada que pendant 10 ans, de 1994 à 2004, plutôt que pendant 18 ans, de 1986 à 2004, comme elle l’avait affirmé. Au bout du compte, la Cour a confirmé une décision rendue par un tribunal selon laquelle la requérante, compte tenu de ses longues périodes passées à l’étranger entre 1986 et 1994, n’avait pas établi sa résidence au Canada au cours de ces huit années. J’estime que ce cas n’est pas très pertinent en l’espèce étant donné qu’il ne porte pas sur l’annulation d’une approbation antérieure, mais sur le simple rejet d’une demande de la SV dans un premier temps. Dans De Bustamante, le ministre n’a jamais dérogé de sa position initiale selon laquelle la requérante avait seulement accumulé 10 ans de résidence. Contrairement au cas en l’espèce, le ministre n’a pas accordé de pension au requérant, puis changé d’avis des années plus tard pour finalement demander un remboursement.

(vi) Le ministre n’avait pas le pouvoir d’ordonner au requérant de rembourser ses prestations

[37] Pour en venir au cas qui nous occupe, la division générale a conclu que le requérant n’avait jamais sciemment fait de fausses déclarations concernant son statut, que ce soit dans sa demande de la SV ou dans tout questionnaire ultérieur que le ministre lui a demandé de remplir. Comme il a été mentionné, le requérant a révélé au ministre qu’il avait présenté sa demande initiale de la SV alors qu’il était à l’étranger et qu’il prévoyait de rentrer au pays en attendant la décision. Il a également déclaré toutes ses absences du Canada de plus de six mois. Il est vrai que le requérant a par la suite été reconnu comme ayant passé le plus clair de son temps à Cuba ou au Mexique, ne revenant au Canada que pour de brèves périodes, probablement pour s’acquitter de ce qu’il croyait être ses obligations de résidence. Toutefois, il est également vrai que le ministre n’a jamais posé de questions simples au requérant qui, s’il y avait bien répondu, auraient révélé combien de temps il avait réellement passé dans ce pays. Ce n’est qu’après janvier 2016, lorsque le ministre a lancé son enquête, que la résidence canadienne du requérant a été remise en question.

[38] En se fondant sur BR, la division générale a conclu que le ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer la pension de la SV du requérant de mai 2013, moment où les versements ont commencé, à décembre 2015, lorsque le ministre a confirmé pour la dernière fois son admissibilité. Étant donné que i) j’ai constaté que les faits dans BR ne diffèrent pas beaucoup de ceux en l’espèce; ii) j’ai adopté l’interprétation de la loi dans BR; et iii) je n’ai rien vu qui indique que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, il n’y a aucune raison d’intervenir dans la décision de la division générale pour permettre au requérant de conserver les prestations qu’il a déjà reçues.

[39] Compte tenu du libellé de la Loi sur la SV ainsi que le contexte, j’estime qu’il est difficile d’imaginer que le Parlement avait l’intention de conférer au ministre le pouvoir illimité de revoir et d’annuler ses décisions comme il le prétend. Même le pouvoir de l’Agence du revenu du Canada de réévaluer l’impôt sur le revenu est normalement limité aux trois dernières années. La loi favorise le caractère définitif, et les Canadiennes et Canadiens s’attendent légitimement à pouvoir continuer de se fier aux décisions du gouvernement qui sont si importantes pour leur bien-être.

(vii) Le ministre n’a pas besoin d’un pouvoir illimité pour administrer le programme de la SV

[40] Le ministre a présenté la déclaration sous serment de l’une de ses hautes fonctionnaires qui fournissait des renseignements sur la façon dont le programme de la SV est administréNote de bas de page 24.

[41] Comme il a été mentionné précédemment, le mandat de la division d’appel se limite à examiner si la division générale a commis une erreur en fonction de critères précis. Normalement, la division d’appel n’examine pas de nouveaux éléments de preuve. Toutefois, il existe une exception à cette règle si les nouveaux éléments de preuve ne fournissent que des renseignements générauxNote de bas de page 25. Cela [traduction] « s’applique aux déclarations d’orientation non argumentatives » qui peuvent aider à comprendre les antécédents et la nature d’une affaireNote de bas de page 26.

[42] À vrai dire, bien que cette déclaration sous serment aurait pu, ou aurait peut-être dû être présentée à la division générale, j’ai décidé de l’accepter exceptionnellement, malgré la règle générale qui interdit tout nouvel élément de preuve, et dans l’intérêt de fournir le plus grand contexte possible à la pratique des récupérations ministérielles. Le requérant ne s’y est pas opposé.

[43] La déclaration sous serment a été rédigée de façon neutre et non controversée et n’a fait valoir aucun argument concernant les détails en l’espèce. Elle a expliqué que le programme de la SV est administré de manière à offrir des prestations aux parties demanderesses admissibles le plus rapidement possible. À cette fin, le ministre se fonde sur le principe que l’information dans les demandes est exacte et vérifiable. Si les renseignements fournis ne présentent aucune lacune ni contradiction, le ministre les accepte sans réserve et accorde les prestations selon la déclaration signée de la partie demanderesse. Le ministre insiste sur le fait que l’article 23 du Règlement sur la SV doit lui conférer de vastes pouvoirs pour qu’il puisse administrer le programme de façon responsable.

[44] Je doute que le compromis entre l’efficacité et l’intégrité soit aussi différent que ce que laisse entendre le ministre. Personne ne nierait l’importance d’accorder une pension en temps opportun, mais cet objectif ne va pas à l’encontre des mesures fondamentales servant à confirmer la résidence antérieure et actuelle d’une partie demanderesse. Cela éviterait des situations comme celle-ci, dans laquelle une partie demanderesse peu avertie, qui n’a pas l’intention de mentir, a reçu des prestations de la SV pendant des années malgré le fait qu’elle n’avait jamais rétabli sa résidence au Canada. Une vérification inadéquate nuit non seulement au requérant, qui se retrouve soudainement avec une lourde dette envers la Couronne des années après avoir raisonnablement cru que son admissibilité aux prestations de la SV avait été établie, mais elle nuit également aux contribuables canadiens, qui ont peut-être payé une pension injustifiée à une personne qui ne la remboursera probablement jamais.

[45] Je n’insinue pas que le ministre devrait être obligé de mener une enquête approfondie, des entrevues et un examen des principaux documents chaque fois qu’une personne présente une demande de pension de la SV. Cette mesure serait effectivement exagérée. Toutefois, le ministre pourrait en faire davantage pour établir les liens de la partie requérante au Canada lorsqu’il traite la demande. Comme mentionné, le formulaire actuel de demande de pension de la SV exige seulement que les parties requérantes énumèrent leurs absences du Canada de plus de six mois. Il ne demande aucun détail concernant leurs allées et venues. Cela entraîne donc parfois une vision déformée du temps que les parties requérantes passent au pays. C’est ainsi que le requérant a pu remplir le formulaire de demande avec honnêteté, sans divulguer qu’il avait passé peu de temps au Canada au cours des dernières années et qu’il n’avait gardé pratiquement aucun compte ni bien ici. Le problème a pris de l’ampleur parce que le ministre n’a pas, dès le début, accordé une attention particulière à l’affirmation franche du requérant selon laquelle il présentait sa demande alors qu’il était à l’étranger et ne rentrerait que lorsque ou si celle-ci était accueillie.

[46] Le requérant, qui est autrement innocent en l’espèce, ne devrait pas être puni parce que le ministre n’a pas posé certaines questions pertinentes au début du processus de demande ni parce que le ministre n’a pas remarqué ce qui ne peut être décrit que comme des signaux d’alarme évidents dans la documentation relative à la demande.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle refusé d’exercer sa compétence en ne tirant aucune conclusion sur la résidence du requérant entre avril 2013 et décembre 2015?

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur la conclusion erronée selon laquelle le requérant avait rétabli sa résidence au Canada après avril 2013?

[47] J’aborderai rapidement ces questions. La division générale a conclu que le ministre n’avait pas le pouvoir de revenir sur ses conclusions antérieures concernant la résidence du requérant entre avril 2013 et décembre 2015. Ce faisant, la division générale n’a pas jugé nécessaire de déterminer si le requérant avait bel et bien établi sa résidence au cours de cette période. J’estime qu’il n’y a aucune erreur à cette logique. L’objection du ministre à la décision de la division générale provient somme toute de la décision BR. La division générale a refusé de tirer une conclusion sur la résidence du requérant au Canada entre avril 2013 et décembre 2015, pas parce qu’il a refusé d’exercer sa compétence, mais parce qu’il n’était pas nécessaire de le faire. Lorsque la division générale a résumé les déplacements du requérant au paragraphe 43 de sa décision, elle n’a pas délibérément ignoré la tendance de ses absences répétées et prolongées du Canada. Elle les a jugées non pertinentes aux fins de son analyse, sauf pour la période postérieure à décembre 2015.

Question en litige no 4 : La division générale a-t-elle refusé d’exercer sa compétence en ne tirant aucune conclusion sur la résidence du requérant après le 18 août 2016?

[48] Je n’ai relevé aucune erreur dans la façon dont la division générale a examiné l’admissibilité du requérant aux prestations de la SV jusqu’au 18 août 2016. Toutefois, je ne crois pas que la division générale ait terminé son travail.

[49] Au paragraphe 12 de sa décision, la division générale a dit qu’elle devait déterminer si le requérant avait résidé au Canada au cours de [traduction] « toute période » non couverte par les conclusions antérieures du ministre sur la résidence. Elle a ensuite déclaré que cela limiterait son évaluation de la résidence du requérant au Canada à [traduction] « la période du 18 décembre 2015 (soit la date à laquelle le requérant a quitté le Canada pour la première fois après que l’intimé eut déterminé qu’il avait rétabli sa résidence le 10 décembre 2015) au 18 août 2016 inclusivement (soit la veille de l’entrée la plus récente du requérant au Canada, comme le montre le rapport de l’ASFC)Note de bas de page 27 ».

[50] Après la partie orale de l’audience, j’ai demandé l’avis des parties sur la question de savoir si la division générale avait compétence sur la résidence du requérant après le 18 août 2016, et dans l’affirmative, si elle avait raison de ne pas exercer cette compétence.

[51] Dans des observations soumises après l’audience, le ministre a accepté d’emblée que la division générale n’ait pas exercé sa compétence en n’examinant pas la résidence du requérant entre août 2016 et août 2019. Le requérant avait un avis différent sur le sujet. D’abord, il a soutenu qu’étant donné que les tribunaux administratifs n’ont pas de compétence inhérente, le pouvoir de la division générale en l’espèce découlait des trois sources suivantes :

  • l’article 28(1) de la Loi sur la SV, qui fait de la décision découlant de la révision du ministre la seule chose faisant l’objet d’un appel devant le Tribunal de la sécurité sociale;
  • la lettre de décision découlant de la révision du ministre datée du 9 mars 2018 qui, selon le requérant, se limitait à savoir s’il était admissible aux prestations de la SV de mai 2013 à avril 2016;
  • l’article 54(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, qui permet à la division générale de rejeter un appel, de « confirmer, infirmer ou modifier » la décision du ministre, ou de rendre la décision que le ministre aurait dû rendre.

Ensuite, le requérant a dit qu’étant donné que la lettre de révision du ministre n’abordait que son admissibilité aux prestations de la SV jusqu’en avril 2016, la division générale n’avait pas compétence pour rendre une décision sur sa résidence canadienne après cette date. Pour appuyer sa position, le requérant a fait référence à un cas dans lequel la division d’appel a accepté le refus de la division générale d’examiner une demande d’incapacité parce que le ministre ne l’avait pas fait dans sa lettre de révisionNote de bas de page 28.

[52] Bien que je comprenne la réflexion derrière cela, j’estime somme toute que l’argument du requérant n’est pas convaincant. La division générale ne doit pas excéder ou refuser d’exercer sa compétenceNote de bas de page 29. Cela signifie que lorsque la division générale examine un appel, elle doit trancher toutes les questions en litige dont elle est saisie tout en veillant à ne pas outrepasser ses pouvoirs qui lui sont conférés par la loi.

[53] Le requérant affirme à juste titre que le pouvoir de la division générale en l’espèce découle de la lettre de décision issue de la révision du ministre. Toutefois, le ministre a fondé sa décision de refuser des prestations au requérant sur une évaluation de sa résidence, non seulement à la date de la demande, mais pendant la période allant jusqu’à l’envoi de la lettre de décision découlant de la révision en mars 2018. Dans le même ordre d’idées, la compétence de la division générale concernant la résidence du requérant n’était pas soumise à une date butoir, et la division générale l’a prolongée jusqu’à l’audience d’août 2019.

[54] Pour recevoir une pension partielle de la SV, toute partie demanderesse doit avoir résidé au Canada depuis au moins 10 ans si elle réside au Canada le jour précédant l’agrément de la demandeNote de bas de page 30. Pour recevoir une pension à l’étranger, toute partie demanderesse doit montrer qu’elle a résidé au Canada pendant au moins 20 ans après l’âge de 18 ansNote de bas de page 31. Lorsque le requérant a présenté une demande de pension de la SV en octobre 2013, il a mis en cause son admissibilité, par tous les moyens possibles au cours de toute période. En mars 2018, le ministre lui a refusé une pension partielle de la SV après révision parce qu’il a conclu que le requérant avait résidé au Canada pendant seulement 15 ans et 30 jours. Ce faisant, le ministre a également tiré une conclusion implicite selon laquelle le requérant n’avait pas rétabli sa résidence canadienne en octobre 2013 ou à tout moment jusqu’à la date de la lettre de révision.

[55] Lorsque le requérant a déposé son appel devant la division générale en juin 2018, il a remis en question toutes les conclusions du ministre : [traduction] « Je suis revenu au Canada en 2013. Je réside donc au Canada depuis 20 ansNote de bas de page 32. » Lorsque la division générale a examiné l’appel du requérant en août 2019, le requérant affirmait vivre au Canada depuis plus de six ans après avoir rétabli sa résidence canadienne. La division générale a décidé de ne pas tirer d’autres conclusions concernant la résidence du requérant après août 2016, car [traduction] « le dossier de preuve portait sur la période antérieure à cette dateNote de bas de page 33 ».

[56] À mon avis, le dossier de preuve n’aurait pas dû dicter la façon dont la division générale a exercé sa compétence. Il est vrai qu’aucune des parties ne s’est concentrée sur la période d’août 2016 à août 2019, mais ces trois années n’étaient pas sans importance par rapport à l’issue potentielle de l’appel du requérant. Le requérant a toujours soutenu qu’il avait rétabli sa résidence au Canada plusieurs années auparavant. La division générale était d’accord et a conclu qu’il était résident canadien d’avril 2013 à décembre 2015, bien qu’il ne l’était pas de décembre 2015 à août 2016. Il importait de savoir si la division générale avait tiré une conclusion sur la résidence du requérant après août 2016. Si la division générale avait continué en examinant son statut après cette date, le requérant aurait alors pu accumuler jusqu’à trois années supplémentaires de résidence au Canada, ce qui aurait pu lui faire dépasser la période de 20 ans requise pour recevoir une pension de la SV à l’étranger.

[57] La division générale a déclaré à juste titre qu’il y avait peu d’éléments de preuve concernant la résidence du requérant après août 2016, mais que cela n’avait pas empêché la division générale de trancher l’affaire. Après tout, les cours et tribunaux tranchent régulièrement des questions avec peu ou pas d’éléments de preuve par nécessité. Quoi qu’il en soit, s’il manquait des éléments de preuve concernant la résidence du requérant après août 2016, la division générale aurait pu en demander au requérant avant et pendant l’audience. Je ne vois rien qui indique qu’elle l’ait fait.

[58] En ce qui concerne le cas de la division d’appel cité par le requérant, j’estime qu’il s’applique peu en l’espèce. Le cas en question portait sur un appelant qui prétendait ne pas avoir présenté de demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada plus tôt en raison d’une incapacité. Il n’avait jamais abordé la question d’incapacité au cours du processus de demande, et comme la lettre de révision du ministre n’en faisait pas mention, la division générale n’a exercé aucune compétence à cet égard. La division d’appel a confirmé cette décision, mais contrairement au cas qui nous occupe, la décision portait sur une toute nouvelle question qui n’avait jamais été tranchée par le ministre et qui n’avait été soulevée que lorsque l’affaire avait été portée devant la division générale. En revanche, la question en l’espèce a toujours porté sur la résidence continue du requérant, et contrairement au cas antérieur, il ne s’agit pas d’une question qui a été soulevée pour la première fois devant la division générale.

[59] J’estime donc que la division générale n’a pas exercé sa compétence en refusant d’évaluer la résidence du requérant au Canada dans les trois années environ qui ont précédé sa décision.

Réparation

[60] La division d’appel peut offrir une réparation pour les erreurs que la division générale a commises. J’ai le pouvoir de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives, ou de confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division généraleNote de bas de page 34.

[61] J’ai décidé de confirmer toutes les conclusions de la division générale jusqu’au 18 août 2016. Toutefois, comme j’ai conclu que la division générale n’avait pas exercé sa compétence en n’examinant pas la résidence du requérant après cette date, je renvoie l’affaire à la division générale pour la tenue d’une nouvelle audience sur cette question et seulement cette question.

[62] J’ai envisagé de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, mais je ne crois pas que le dossier soit assez complet pour me permettre de trancher le reste de la question sur le fond. Le refus de la division générale d’examiner le statut du requérant après le 18 août 2016 a éliminé toute possibilité de demander des éléments de preuve pertinents ou d’entendre des témoignages utiles qui, s’ils étaient pris en considération, auraient pu mener à une issue différente. Contrairement à la division d’appel, le mandat principal de la division générale est d’examiner la preuve et de tirer des conclusions de fait. Elle est donc mieux placée que moi pour évaluer la résidence du requérant des quatre dernières années.

Conclusion

[63] Pour les motifs énoncés précédemment, je conclus que la division générale n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que le ministre n’était pas autorisé à revenir sur sa décision antérieure selon laquelle le requérant avait rétabli sa résidence canadienne en 2013. Toutefois, je conclus aussi que la division générale a refusé d’exercer sa compétence en refusant d’examiner si le requérant était un résident canadien après le 18 août 2016.

[64] L’affaire sera renvoyée à la division générale pour la tenue d’une audience afin i) de tirer des conclusions sur la résidence du requérant après le 18 août 2016 et ii) de déterminer les répercussions éventuelles de ces conclusions sur l’admissibilité du requérant aux prestations de la SV.

 

Date de l’audience :

Le 9 mars 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence et questions et réponses soumises après l’audience

Comparutions :

Tiffany Glover, représentante de l’appelant

J. A., intimé

Ronald Cronkhite, représentant de l’intimé

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