Contenu de la décision

Citation : JN c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 860

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-715

ENTRE :

J. N.

Appelant
(Demandeur)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Intimé
(Ministre)


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Jude Samson
DATE DE LA DÉCISION : Le 8 octobre 2020

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] J’accueille cet appel et je renvoie l’affaire à la division générale pour réexamen, conformément aux directives ci-dessous.

Aperçu

[2] Le demandeur, J. N., a présenté une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) en août 2015. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a approuvé sa demande à partir de juin 2016. Toutefois, il a suspendu le versement de la pension, avant même que le demandeur reçoive son tout premier paiement.

[3] La décision du ministre est fondée sur l’article 5(3) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV). Cet article prévoit qu’une personne emprisonnée en vertu d’une loi fédérale n’a pas droit à une pension de la SV pendant sa période d’incarcération.

[4] Le demandeur tente de contester la décision du ministre depuis qu’elle a été rendue en 2016. Malheureusement, il s’agit d’une contestation rendue difficile par plusieurs visites à la division générale, à la division d’appel, et même à la Cour fédérale.

[5] Le 15 janvier 2019, la division générale a rendu une décision selon laquelle elle a rejeté l’avis de question constitutionnelle du demandeur. Spécifiquement, la division générale a jugé que le demandeur n’avait pas rempli toutes les conditions énoncées à l’article 20(1)(a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le TSS). Toutefois, la division générale n’a pas précisé les conditions non remplies.

[6] À la suite de cette décision, la division générale a appliqué l’article 5(3) de la Loi sur la SV et a rejeté l’appel du demandeur. Ce faisant, la division générale n’a pas considéré les arguments du demandeur sur la question de savoir si l’article 5(3) de la Loi sur la SV enfreint ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

[7] Le ministre reconnait que la division générale a commis une erreur justifiant l’intervention de la division d’appel. Il propose que l’affaire soit renvoyée à la division générale.

[8] Je conviens que l’affaire soit renvoyée à la division générale pour réexamen. Cependant, j’ajoute quelques directives pour favoriser l’équité de cette procédure. Voici les raisons de ma décision.

Mode d’instruction

[9] J’ai tranché cet appel sur la foi des documents déjà versés au dossier pour les raisons suivantes :

  1. les faits pertinents sont clairs;
  2. les questions juridiques soulevées dans cet appel ne sont pas complexes;
  3. le ministre reconnait que je dois accueillir l’appelNote de bas de page 1;
  4. je dois veiller à ce que les appels devant le Tribunal se déroulent de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettentNote de bas de page 2.

Question en litige

[10] Il n’y a que certains types d’erreurs que je peux prendre en considération. On les appelle les « erreurs pertinentes »Note de bas de page 3. D’une manière générale, je ne peux pas intervenir dans ce dossier sauf si la division générale a :

  1. agi de manière inéquitable;
  2. omis de trancher une question alors qu’elle devait le faire, ou s’est prononcée sur une question sans avoir la compétence de le faire;
  3. mal appliqué la loi;
  4. fondé sa décision sur une erreur importante concernant les faits du dossier.

[11] Dans le cadre de cette décision, j’ai examiné la question suivante : la division générale a‑t-elle commis une erreur pertinente en rejetant l’avis de question constitutionnelle du demandeur sans préciser les raisons de sa décision?

Analyse

[12] Oui, la division générale a commis une erreur pertinente en omettant de spécifier les conditions prévues à l’article 20(1)(a) du Règlement sur le TSS que le demandeur n’avait pas remplies.

[13] Le 28 septembre 2018, le Tribunal a noté que le demandeur avait fait référence à la Charte dans des documents qu’il avait déposés dans le cadre de son appel. Le Tribunal l’a donc informé que, s’il désirait soulever une contestation constitutionnelle, il devait déposer un avis de question constitutionnelle au titre de l’article 20(1)(a) du Règlement sur le TSS. Une copie de cette disposition a été annexée à la lettre du Tribunal.

[14] Le demandeur a déposé son avis le 26 octobre 2018Note de bas de page 4.

[15] Au sujet des avis de question constitutionnelle, la division d’appel a déjà conclu que les obligations imposées par l’article 20(1) du Règlement sur le TSS ne sont pas lourdesNote de bas de page 5. Dans le cadre de cet appel, la division d’appel a également recommandé à la division générale d’exposer clairement les raisons pour lesquelles l’avis du demandeur pourrait être insuffisant et de lui donner la possibilité de corriger ces insuffisancesNote de bas de page 6.

[16] La division générale n’a pas suivi ces recommandations. Elle a plutôt rejeté l’avis du demandeur sans lui fournir d’explications et sans lui donner la possibilité d’apporter les corrections nécessaires.

[17] Dans cette situation, je suis d’accord avec les arguments du ministre : la division générale a commis une erreur pertinente, et ce, au titre de l’article 58(1)(a) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. J’accueille donc l’appel du demandeur.

[18] Je conviens également à la réparation proposée par le ministre : l’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamenNote de bas de page 7. Toutefois, j’ajoute certaines directives dans le contexte de cet appel très particulier.

[19] Malheureusement, cet appel perdure depuis si longtemps que les arguments du demandeur semblent être éparpillés parmi de nombreux documents. D’abord, le demandeur a fait valoir qu’il était soumis à :

  1. un traitement différent en raison de son âge et de son état matrimonial;
  2. une peine au-delà de celle prévue par la loi dont il a été jugé coupableNote de bas de page 8.

[20] De plus, le demandeur a invoqué les articles 1, 7, 12, 15, 24, 26, 31 et 52 de la Charte.

[21] Plus récemment, le demandeur a mis l’accent sur l’obligation prétendue du ministre de communiquer certains documents et d’établir la validité constitutionnelle d’une disposition qui a été jugée comme violant les droits garantis par la Charte.

[22] Depuis que le demandeur a interjeté appel il y a plusieurs années, le Tribunal a préparé une feuille d’information et un formulaire qui peuvent guider les parties appelantes qui soulèvent des questions de nature constitutionnelle. Le demandeur et le Tribunal bénéficieraient de l’utilisation de ces outils.

[23] Par conséquent, je renvoie cette affaire à la division générale avec certaines directives assez exceptionnelles dans un cas très particulier. Ces directives visent à favoriser l’équité procédurale et sont conçues pour aider la division générale lorsqu’elle reprendra son évaluation de l’avis de question constitutionnelle du demandeur.

  1. La division générale fournira au demandeur la feuille d’information sur la présentation d’un appel constitutionnel ainsi que le formulaire d’avis d’appel mettant en cause la Charte.
  2. La division générale accordera au demandeur un délai raisonnable pour soumettre ce formulaire ou une autre forme d’avis au titre de l’article 20(1)(a) du Règlement sur le TSS. S’il le désire, le demandeur peut également informer le Tribunal qu’il continue à s’appuyer sur un avis de question constitutionnelle antérieur.
  3. Si la division générale juge que le demandeur n’a toujours pas rempli les conditions énoncées à l’article 20(1)(a) du Règlement sur le TSS, la division générale exposera clairement ses préoccupations et donnera au demandeur la possibilité d’apporter les corrections nécessaires avant de rejeter à nouveau son avis de question constitutionnelleNote de bas de page 9.
  4. Je note que le même membre de la division générale a déjà rejeté l’appel du demandeur deux fois. Pour éviter toute crainte de partialité, l’appel sera donc assigné à un autre membre de la division générale.

Conclusion

[24] Bref, la division générale a commis une erreur pertinente en omettant de fournir des motifs suffisants pour justifier son rejet de l’avis de question constitutionnelle du demandeur. J’accueille donc l’appel et je le renvoie à la division générale pour réexamen par un membre différent. De plus, la division générale doit suivre les directives exceptionnelles énoncées précédemment.

Mode d’instruction :

Sur la foi du dossier

Représentant :

J. N., appelant

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