Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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[TRADUCTION]

Citation : DK c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 1217

Numéro de dossier du Tribunal: GP-20-1002

ENTRE :

D. K.

Demandeur

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Pierre Vanderhout
Date de la décision : Le 14 décembre 2020

Sur cette page

Introduction

[1] Le demandeur est né en avril 1954 et habite au Royaume-Uni. Il a vécu au Canada pendant 11 ans et 128 jours, entre mai 1974 et octobre 1985. Il vit depuis au Royaume-Uni. Comme il ne vit plus au Canada, le demandeur n’a pas les 20 ans de résidence canadienne nécessaires pour bénéficier d’une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse (SV) tout en étant à l’étrangerNote de bas de page 1. Le demandeur fait toutefois valoir que sa résidence au Royaume-Uni devrait pouvoir compter aux fins de son admissibilité à une pension de la SV.

[2] Le 12 juillet 2019, la division générale du Tribunal a conclu que le demandeur n’était pas admissible à une pension partielle de la SV.Note de bas de page 2 Dans cette première décision, ou décision initiale, la division générale a examiné la question de savoir si le traité sur la sécurité sociale avec le Royaume-Uni (traité canado-britannique) permettait de conférer au demandeur au moins 20 ans de résidence canadienne. La décision initiale expliquait plus précisément pourquoi le demandeur ne pouvait pas se prévaloir de l’article 8 du traité canado-britannique pour faire compter sa résidence britannique à titre de résidence canadienne. La division générale arrivait à cette conclusion après avoir constaté que le demandeur n’était pas une « personne assurée » au sens de l’article premier du traité.

[3] La décision initiale a été rendue « sur la foi du dossier ». Cette expression signifie que le membre du Tribunal a tranché l’appel en examinant les éléments de preuve et les documents écrits versés au dossier d’appel du demandeur. C’est ce dernier qui avait demandé de procéder ainsiNote de bas de page 3.

[4] Après cette première décision, le demandeur a épuisé tous ses recours possibles auprès de la division d’appel du Tribunal. Il a notamment présenté à la division d’appel une demande d’annulation ou de modification portant sur sa décision qui lui refusait la permission d’en appeler. Le 8 juillet 2020, il a ensuite demandé l’annulation ou la modification de la décision initiale, en vertu de l’article 66 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS). Il a alors déposé des éléments de preuve qu’il souhaite faire considérer comme des « faits nouveaux ».

[5]  L’argument que soulève maintenant le demandeur peut essentiellement être résumé comme suit : Le Royaume-Uni a majoré sa pension de retraite publique du fait qu’il avait résidé au Canada pendant un certain temps. Selon lui, si le traité canado-britannique est « réciproque » et non « bilatéral », le ministre doit également utiliser sa résidence au Royaume-Uni pour prolonger sa résidence au Canada aux fins de la pension de la SV.

Questions en litige

[6] Je dois décider si la preuve du demandeur démontre la présence d’un fait nouveau et essentiel qui n’aurait pu être connu avant l’audience initiale malgré l’exercice d’une diligence raisonnable. Si tel est le cas, je dois aussi en déterminer l’incidence sur la décision initiale.

Documents présentés à titre de faits nouveaux

[7] Le demandeur a soumis les documents suivants à l’appui de sa demande :

  1. Une lettre de l’autorité compétente en matière de pensions du Royaume-Uni, datée du 1er octobre 2019. Cette lettre fait état d’une augmentation de sa pension de retraite publique du Royaume-Uni en raison de ses années de résidence et d’emploi au CanadaNote de bas de page 4.          
  2. Un échange de courriels entre le demandeur et Affaires mondiales Canada au sujet du traité canado-britannique. Le demandeur a envoyé son courriel le 28 novembre 2019, et la réponse d'Affaires mondiales a été envoyée le 16 décembre 2019Note de bas de page 5.

Analyse

[8] La présentation d’une demande d’annulation on de modification d’une décision sur le fondement de faits nouveaux est un recours exceptionnel, lequel déroge au principe du caractère définitif qui caractérise les décisions judiciaires et quasi judiciaires. Cette possibilité d’annuler ou de modifier une décision existe pour assurer l’équité procéduraleNote de bas de page 6.

Quel est le critère pour annuler ou modifier une décision?

[9] Seules certaines circonstances me permettent d’annuler ou de modifier la décision initiale. Le critère établi par la Loi sur le MEDS revêt deux aspectsNote de bas de page 7.

[10] D’abord, le demandeur doit présenter un fait nouveau qui ne pouvait pas être connu malgré l’exercice d’une diligence raisonnable. Ce fait devait exister au moment de l’audience initialeNote de bas de page 8. Quant à elle, la diligence raisonnable décrit les démarches qu’une personne raisonnable aurait faites pour trouver des éléments de preuve appuyant sa position. Ainsi, on empêche une personne demandant l’annulation ou la modification d’une décision d’invoquer une preuve qu'elle aurait facilement pu obtenir et présenter à l’audience initiale. Le demandeur doit démontrer les démarches qu’il a faites avant l’audience initiale, le cas échéant, pour obtenir la preuve qui appuie le fait qu’il essaie maintenant de prouver. Il lui faut aussi expliquer ce qui l’empêchait de présenter une preuve de ce fait lors de l’audience initiale Note de bas de page 9.  

[11] Ensuite, le fait en question doit être essentiel. Un fait est essentiel s’il pouvait influencer la décision rendue à l’issue de la première audienceNote de bas de page 10.

[12] Le critère combine deux intérêts importants. Le premier est d’assurer l’équité dans la détermination de l’admissibilité d’une personne à des prestations. Le second est de protéger le caractère définitif et exécutoire des décisions déjà renduesNote de bas de page 11.

[13] Le demandeur avance les deux faits nouveaux suivants :

  1. Le 1er octobre 2019, l’autorité compétente en matière de pensions du Royaume-Uni a décidé de majorer sa pension de retraite publique, compte tenu de sa résidence au Canada entre 1974 et 1985Note de bas de page 12.
  2. Le 16 décembre 2019, le courriel d'Affaires mondiales expliquait que le ministère ne disposait pas de travaux préparatoiresNote de bas de page 13 qui montreraient les intentions du Canada vis-à-vis du traité canado-britannique sur la sécurité sociale. Il était aussi précisé que le ministère considérait le traité comme « réciproque » et non « bilatéral »Note de bas de page 14.

[14] Je vais commencer mon analyse par la possibilité de découvrir la preuve.

Première partie du critère relatif aux faits nouveaux : Était-il impossible, au moment de l’audience initiale, de connaître ces faits malgré l’exercice d’une diligence raisonnable?

[15] Oui. Les faits nouveaux remplissent la partie du critère qui concerne la possibilité de découvrir la preuve. Je juge que les fais ne pouvaient être connus au moment de l’audience initiale malgré l’exercice d’une diligence raisonnable.

[16] Dans une lettre datée du 1er octobre 2019, l’autorité compétente en matière de pensions du Royaume-Uni  majorait la pension de retraite publique du demandeur en raison de ses années de résidence et d’emploi au CanadaNote de bas de page 15. Cette décision était basée sur des renseignements que le demandeur avait présentés à l’organisation le 13 septembre 2019, après la requête de celle-ci, le 10 septembre 2019Note de bas de page 16.

[17] L’information fournie le 13 septembre 2019 était simplement la réalité de la résidence canadienne du demandeur. Cette information existait depuis des années, avant la tenue de l’audience initiale. Si l’autorité britannique compétente en matière de pensions avait eu connaissance de cette information, elle aurait pu ajuster la pension publique du demandeur en conséquence. Toutefois, il ne lui était pas permis de demander cette pension avant le 7 juillet 2019. Il a présenté sa demande le 12 juillet 2019Note de bas de page 17. Ainsi, en dépit de son admissibilité à une pension de retraite britannique majorée (ou du fondement qui la justifie) précédant la tenue de l’audience, je juge qu’elle ne pouvait être connue avant le moment de l’audience, malgré l’exercice d’une diligence raisonnable.

[18] Pour ce qui est du second fait, le demandeur était seulement entré en contact avec Affaires mondiales le 28 novembre 2019Note de bas de page 18. Il a dit qu’il avait communiqué avec Affaires mondiales pour faire confirmer de façon indépendante sa croyance selon laquelle le traité canado-britannique sur la sécurité sociale était « réciproque ». Il jugeait que ce ministère était le mieux placé pour interpréter le traitéNote de bas de page 19. Il a aussi demandé d’obtenir tous les débats parlementaires canadiens et les travaux préparatoires ayant mené au traité canado-britannique.

[19] Le demandeur a obtenu une réponse d’Affaires mondiales le 16 décembre 2019.Note de bas de page 20 Le ministère révélait qu’il ne disposait pas de travaux préparatoires se rapportant au traitéNote de bas de page 21. Le ministère a également précisé qu’il s’agissait d’un « accord réciproque ». Selon le demandeur, un « accord réciproque » impose les mêmes obligations aux deux parties. Il le distingue ainsi d’un « accord bilatéral », qui ne fait que lier deux partiesNote de bas de page 22.

[20] J’estime probable que les informations contenues dans le courriel envoyé le 16 décembre 2019 par Affaires mondiales existaient avant l’audience initiale. J’admets aussi qu’elles ne pouvaient alors être connues malgré l’exercice d’une diligence raisonnable. Il ne serait pas raisonnable de s'attendre à ce que le demandeur se renseigne sur le traité canado-britannique avant d’apprendre que sa résidence au Canada avait eu pour effet de majorer sa pension publique britannique.

[21] Même si les faits nouveaux présentés remplissent la partie du critère qui concerne la possibilité de découvrir la preuve, cette question n’est pas réglée pour autant. Le demandeur doit aussi remplir la partie du critère ayant trait au « caractère essentiel » des faits.

Seconde partie du critère relatif aux faits nouveaux : Les faits nouveaux sont-ils essentiels?

[22] Non. Les faits nouveaux ne sont pas essentiels. En effet, ils n’auraient pas influé sur l’issue de l’audience initiale.

[23] Pour décider si les faits nouveaux sont essentiels, je dois m’attarder au fondement de la première décision. L’article 8 du traité canado-britannique sur la sécurité sociale explique qu’une « personne assurée » en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC) peut faire considérer une période de résidence au Royaume-Uni comme une période de résidence au Canada aux fins du calcul du montant de sa pension de la SV. Dans l’instance initiale devant la division générale, le demandeur a fait valoir qu’il était une « personne assurée » au sens de l’article 8. Il laisse entendre, plus précisément, qu’il était une « personne assurée » depuis son retour en sol britannique en 1985, du fait qu’il avait précédemment cotisé au RPC et qu’il touchait une pension du RPC depuis 2014.

[24] Toutefois, l’interprétation que fait le demandeur du terme « personne assurée » n’est d’aucune pertinence. Effet, l’article premier du traité canado-britannique définit ce terme explicitement, et la décision initiale explique que le demandeur ne correspond pas à la définition prévueNote de bas de page 23. Au sens de l’article premier, une personne est assurée lorsqu’elle paye (ou doit payer) des cotisations au RPC. Le demandeur n’a jamais laissé entendre qu’il aurait cotisé au RPC après être rentré au Royaume-Uni en 1985.

[25] Il n’est pas raisonnable de croire que ces « faits nouveaux » auraient pu influer sur l’application du terme « personne assurée » dans la décision initiale. Même si la division générale avait connu les faits nouveaux, elle aurait appliqué à l’article 8 du traité canado-britannique la définition donnée à l’article premier. Il est justement spécifié, dans la décision initiale, que l’article premier et l’article 8 doivent être interprétés conjointementNote de bas de page 24.

[26] Le fait de savoir qu’il avait été impossible pour Affaires mondiales de trouver des travaux préparatoires portant sur le traité canado-britannique n’aurait raisonnablement aucune incidence sur l'application du terme « personne assurée » dans la décision initiale. De la même façon, cette première décision n’aurait pas été influencée par le fait qu’Affaires mondiales a qualifié le traité de « réciproque », ni par le fait que la résidence canadienne du demandeur a permis de majorer sa pension de retraite publique au Royaume-Uni. Ces faits ne démontrent pas que le demandeur aurait cotisé (ou aurait dû cotiser) au RPC pendant qu’il résidait au Royaume-Uni. Autrement dit, les faits nouveaux dont il est question ne sont en rien « essentiels », même s’ils avaient existé au moment de l’audience.

Commentaires sur les observations du demandeur

[27] Le demandeur s’en remet largement à la Convention de Vienne sur le droit des traitésNote de bas de page 25. Toutefois, je pourrais seulement tenir compte de cet écrit si j’avais décidé de réexaminer la décision initiale. Cependant, puisque les faits nouveaux ne sont pas des faits essentiels et que le demandeur n’a pas rempli le critère en deux temps, il m’est impossible de toucher à la décision initiale. Par conséquent, la Convention de Vienne sur le droit des traités ne peut être appliquée.

[28] Je vois aussi que le demandeur essaie de défendre son point de vue par rapport à des questions qui ont déjà été tranchées dans la décision initiale. Par contre, une demande d’annulation ou de modification n’est pas la bonne avenue à cette fin. Si le demandeur croit que le droit a été mal interprété, le recours adéquat est un appel à la division d’appel. Malheureusement pour lui, la division d’appel lui a déjà refusé la permission d’en appeler le 23 octobre 2019. Le demandeur a aussi demandé l’annulation ou la modification de cette décision de la division d’appel, qui lui refusait la permission d’en appeler. La division d’appel a cependant aussi rejeté cette requête, le 30 juin 2020.

Quelle est l’incidence sur les conclusions tirées dans la décision initiale?

[29] Je ne peux pas toucher à la décision initiale, puisque les informations présentées par le demandeur ne sont pas considérées comme des faits nouveaux et essentiels

Conclusion

[30] Les éléments de preuve soumis par le demandeur ne remplissent pas le critère des faits nouveaux, et ne peuvent donc pas être considérés comme tels. La demande d’annulation ou de modification est rejetée.

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