Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

Informations sur la décision

Résumé :

SV – pouvoir du ministre de modifier ses décisions initiales
Le ministre a accordé la demande du requérant et lui a payé une pension partielle de la SV et du Supplément de revenu garanti (SRG) en septembre 2006. En juin 2011, le ministre a suspendu les deux prestations et, en mars 2018, a informé le requérant d’une dette à rembourser. Après révision, le ministre a confirmé sa décision ainsi que le trop-payé. Le requérant a fait appel à la division générale (DG).

Dans la foulée de décisions rendues par le Tribunal, la DG a conclu que le ministre n’avait pas le pouvoir de revoir et de modifier sa décision initiale portant sur l’admissibilité à la SV et au SRG. Le Règlement sur SV autorise le ministre à demander aux requérants de fournir des renseignements sur leur admissibilité et à enquêter sur le droit de recevoir de telles prestations. Mais le fait que le Parlement ait donné au ministre de vastes pouvoirs d’enquête ne lui donne pas aussi le pouvoir de modifier une décision initiale sur l’admissibilité. Il faut un libellé législatif clair pour un tel pouvoir.

Les pouvoirs d’enquête ne sont pas des pouvoirs de réévaluation. Le fait que le ministre ait le droit de réévaluer chaque année l’admissibilité aux prestations du SRG ne veut pas dire que l’admissibilité pour les années précédentes demeure sujette à un nouvel examen. Lorsque le ministre décide de l’admissibilité pour une année donnée, la décision est finale. Le ministre peut réviser les renseignements sur l’admissibilité du requérant pour la prochaine période, mais les décisions visant les périodes antérieures sont définitives, à moins qu’elles ne soient modifiées conformément à la loi. Et la loi ne donne pas clairement au ministre ce pouvoir de modifier ses décisions initiales. Après examen de tous les arguments du ministre, l’appel du requérant a été accueilli.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : CB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 57

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-921

ENTRE :

C. B.

Appelant (requérant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Anne S. Clark
Date de la décision : Le 5 janvier 2021

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel du requérant. En effet, le ministre n’a pas le pouvoir de modifier les décisions initiales au titre de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV) et du Règlement sur la sécurité de la vieillesse (Règlement sur la SV). Selon les décisions faisant l’objet du présent appel, les 14/40e d’une pleine pension ont été accordés à compter de septembre 2006 et des prestations au titre du Supplément de revenu garanti (SRG) ont été approuvées pour septembre 2006 et chaque année par la suite jusqu’en mai 2011. Le ministre n’avait pas le pouvoir de revoir et de modifier ces décisions.

Aperçu

[2] Le ministre a accueilli la demande du requérant et lui a accordé une pension partielle de la sécurité de la vieillesse à un taux de 14/40e à compter de septembre 2006. Le ministre a également approuvé les paiements du SRG à compter de septembre 2006 et pour chaque année par la suite. En juin 2011, le ministre a suspendu les deux paiements. Le 12 mars 2018, le ministre a avisé le requérant des modifications et de la dette ou du trop-perçu de plus de 48 000 $ qui en résultait. Le ministre a exigé que le requérant rembourse le montant établi du trop-perçu, sans quoi le ministre retiendrait 100 % de tous les paiements de pension en vertu de la Loi sur la SV et du Régime de pensions du Canada (RPC) jusqu’à ce que le requérant ait remboursé sa detteFootnote 1.

[3] Le requérant a demandé au ministre de réviser la décision du 12 mars 2018. Le ministre a confirmé la décision et le trop-perçu lors de la révision. Le requérant a appelé de la décision découlant de la révision auprès du Tribunal de la sécurité sociale.

Questions préliminaires

[4] En septembre 2020, le ministre m’a demandé de retarder l’appel. Cela permettrait au ministre de conclure un autre appel auprès de la division générale portant sur des questions semblables. J’ai refusé d’accorder un tel délai. Le ministre m’a ensuite demandé de mettre en place un processus de règlement des différends et d’aider les parties à discuter d’un éventuel règlement. Je n’ai pas accueilli cette demande. Je vais expliquer pourquoi j’ai rejeté les demandes du ministre.

[5] Un bref résumé des étapes du présent appel permettra d’expliquer mes décisions préliminaires.

[6] Le requérant est non représenté et vit en Grèce. Il a demandé que l’appel soit traité sous forme de questions et de réponses. Le ministre a accepté que l’appel se fasse par écritFootnote 2.

[7] J’ai confirmé le mode d’instruction et envoyé mes questions aux parties. J’ai envoyé une copie d’une décision récente de la division d’appel que j’appellerai la décision BRFootnote 3. La décision BR porte sur la question de savoir si la loi autorise le ministre à revoir et à modifier les décisions initiales concernant l’admissibilité d’une personne requérante à des prestations. J’ai avisé les parties que je pensais que la décision BR pouvait s’appliquer à l’appel, et je leur ai demandé de présenter des observations à ce sujet.

Pourquoi je n’ai pas retardé l’appel

[8] J’ai rejeté la demande du ministre de retarder l’appel pour attendre l’issue d’un autre appel de la division générale. En effet, il n’était ni raisonnable ni dans l’intérêt de la justice de retarder l’appel.

[9] Une ou un membre du Tribunal n’a pas à suivre les autres décisions de la division générale ou à trancher les appels de la même manière que les autres membres du Tribunal. Il existe de nombreuses décisions de la division générale et de la division d’appel sur la question du pouvoir du ministre de revoir et de modifier les décisions prises au titre de la Loi sur la SV et du Règlement sur la SV. Il existe également plusieurs autres appels en cours qui portent sur cette même question. Le ministre n’a pas expliqué pourquoi il était important d’obtenir une décision dans le cadre d’un appel en particulier avant de conclure le présent appel. Il n’était pas raisonnable de retarder l’appel, car une décision future de la division générale, même si elle porte sur la même question, n’est pas contraignante pour ma décision.

[10] Le ministre a déposé des observations écrites le 1er octobre 2019, le 7 octobre 2020 et le 9 décembre 2020. Le ministre a déposé des éléments de preuve et des arguments sur la question de son pouvoir de revoir et de modifier des décisions antérieures.

[11] Le requérant n’a pas été en mesure de respecter la première date limite de soumission en raison des restrictions imposées par la COVID-19. Le 26 octobre 2020, il a répondu aux questions et a expliqué sa position concernant les faits de l’appelFootnote 4. Il a dit qu’il n’était pas en mesure de faire des observations au sujet de la loi. Il n’a pas abordé la question du pouvoir du ministre de modifier les décisions initiales relatives à son admissibilité.

Pourquoi je n’ai pas accepté de mettre en place un processus de règlement des différends ou de tenir une conférence de règlement

[12] Le 22 novembre 2020, le requérant a envoyé une lettre au Tribunal. Elle était adressée à la représentante du ministre. Il semblerait que le ministre ait écrit au requérant au sujet d’une nouvelle décision ou d’une décision différente concernant ses prestations du RPC et possiblement sa pension de la SV. Puisque le ministre est l’une des parties à l’appel, le Tribunal a envoyé une copie de la lettre au ministre. Il s’agit là de la pratique courante.

[13] Le 11 décembre 2020, le ministre m’a demandé de mettre en place un processus formel de règlement des différends et d’aider les parties à discuter de la lettre du requérant datée du 22 novembre 2020.

[14] La loi m’autorise à demander aux parties de participer à un processus de règlement des différendsFootnote 5. Je peux également organiser une conférence de règlement avec les partiesFootnote 6. Cependant, je ne suis pas tenue de mettre en place un processus de règlement des différends ou de tenir une conférence de règlement même si une partie le demande. L’objectif de ces deux processus est d’encourager ou d’aider les parties à régler un appel ou une partie de l’appel. Ce sont des étapes précieuses du processus d’appel qui peuvent être très efficaces. Elles peuvent promouvoir les intérêts de la justice. Je ne rejette pas la demande du ministre à la légère. Toutefois, compte tenu des questions en litige et des parties dans cet appel, un autre délai pour encourager une discussion de règlement ne servirait pas les intérêts de la justice.

[15] Je ne suis pas convaincue que le requérant aurait pu participer pleinement aux discussions concernant toute offre faite par le ministre. Cela s’explique en partie par le fait qu’il est non représenté et qu’il a clairement indiqué dans ses observations qu’il ne pouvait pas discuter du droit applicable à son appel ni en jugerFootnote 7.

[16] De plus, le requérant a déclaré qu’il préférait participer par écrit. C’est son choix. Il faudrait des semaines, voire plus, pour entrer en communication avec lui afin de l’encourager à participer à une conférence sur un éventuel règlement. Je ne connais pas tous les facteurs qui ont contribué au choix du requérant quant au mode d’audience. Je ne peux pas savoir s’il est même capable de participer à une téléconférence ou à une vidéoconférence. Cela pourrait entraîner un délai important et, comme je l’ai dit précédemment, je ne considère pas qu’il soit dans l’intérêt de la justice de retarder davantage l’appel.

[17] Finalement, j’ai envoyé des questions écrites le 13 août 2020 avec comme date limite le 7 octobre 2020Footnote 8. Le requérant et le ministre ont déposé des observations et des éléments de preuve au cours des mois suivants. J’ai examiné les réponses et j’étais prête à rendre ma décision lorsque j’ai reçu la demande du ministre de retarder l’appel et de mettre en place un processus de règlement des différends. En tant que membre du Tribunal assignée à l’appel, je dois rendre ma décision immédiatement après l’instruction de l’appel. J’avais déjà pesé les faits et examiné les arguments des parties lorsque j’ai reçu la demande du ministre concernant la tenue d’une conférence de règlement. Si le ministre avait fait la demande plus tôt dans le processus d’appel, avant que j’aie examiné et pris en compte toutes les observations et tous les éléments de preuve, j’aurais peut-être procédé différemment. Toutefois, dans un souci d’équité et de justice naturelle, j’ai décidé de procéder sans plus tarder.

Question en litige

[18] Le ministre avait-il le pouvoir de réévaluer l’admissibilité du requérant à une pension partielle de la SV (à un taux de 14/40e) et à des prestations du SRG pour la période allant de septembre 2006 à mai 2011?

[19] Si le ministre a le pouvoir de réévaluer l’admissibilité du requérant, je dois également décider si la décision découlant de la révision du ministre, dans laquelle il confirme la décision du 12 mars 2018, est correcte. Les observations du ministre comprenaient des renseignements importants sur la situation personnelle du requérant et sur les faits qui ont mené à la décision du ministre de revoir et de modifier les décisions antérieures. Compte tenu de ma décision sur la première question, il n’est pas nécessaire que j’examine les motifs pour lesquels le ministre a modifié ses décisions.

Je peux examiner des questions non soulevées par les parties

[20] Aucune des parties n’a soulevé la question du pouvoir du ministre de revoir et de modifier une décision antérieure. Comme je l’ai indiqué ci-dessus, j’ai soulevé la question lorsque j’ai envoyé l’avis d’audienceFootnote 9. Le ministre a présenté des observations détaillées sur la question, et le requérant a déclaré qu’il n’était pas en mesure de juger la loi. Le ministre a fait valoir que soulever la question de son pouvoir était contraire aux principes de justice naturelle et que je risquais de porter préjudice aux parties.

[21] J’ai soulevé la question et sollicité des observations parce que plusieurs décisions récentes portent sur le pouvoir du ministre de revoir et de modifier des décisions antérieures. La décision BR a été la première à porter sur ce sujet, et toutes les décisions ultérieures ne sont pas totalement en accord avec l’analyse faite dans la décision BR. J’ai estimé que les questions soulevées dans la décision BR étaient semblables à celles du présent appel et que la décision pouvait s’appliquer.

[22] La division générale n’est pas tenue de remettre en cause la validité des pouvoirs du ministre dans tous les appels, particulièrement lorsqu’aucune partie n’a soulevé de problème concernant ces pouvoirs. Même si je ne suis pas obligée de soulever cette question dans chaque appel, cela ne signifie pas pour autant que je ne dois pas la soulever lorsque je la mets en cause. La question relative aux pouvoirs du ministre lors des appels déposés en vertu de la Loi sur la SV est importante. La question de la compétence du ministre de revisiter des décisions antérieures a déjà été analysée dans le cadre d’appels au titre de la Loi sur la SV et du Règlement sur la SV. Le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire de soulever ces questionsFootnote 10 « si son omission de le faire risquerait d’entraîner une injusticeFootnote 11 ».

[23] Dans le présent appel, il serait injuste de ne pas soulever cette question. Étant donné que le principe de droit discuté dans la décision BR pourrait avoir une incidence sur l’issue de l’appel, je dois donner aux parties la possibilité de se prononcer sur ce point. Il se peut que les parties n’aient pas facilement accès aux décisions du Tribunal, plus particulièrement aux nouvelles décisions ou aux décisions non publiées. Par souci d’équité, j’ai avisé les deux parties du fait que j’ai pris connaissance de la décision BR et que je pourrais appliquer des principes semblables dans le présent appel. J’ai donné aux parties la possibilité de présenter des observations écrites ou orales.

[24] Je reconnais que le Tribunal ne doit pas produire la preuve d’une partie. Toutefois, si une question fondamentale se pose, telle que celle de la compétence, les parties doivent en être avisées et avoir la possibilité de se prononcer sur cette question. J’ai suivi les directives de la Cour fédérale : j’ai donné aux parties un avis et la possibilité de répondreFootnote 12.

Analyse

[20] Le ministre a évalué l’admissibilité du requérant à une pension de la SV et au SRG et lui a versé des prestations à compter de septembre 2006. Pour les motifs qui suivent, je conclus que le ministre ne peut pas modifier les décisions et recouvrer les prestations versées pour cette période.

I. La position du ministre

a) Le ministre soutient qu’il a le pouvoir légal de réévaluer des décisions antérieures

[21] Le ministre a reconnu que les membres du Tribunal n’ont pas à suivre les autres décisions du Tribunal, mais qu’il leur faut essayer de les suivre à moins qu’elles ne soient erronéesFootnote 13. Le ministre soutient qu’il y a une décision de la division générale que je devrais suivre. Je l’appellerai la décision RSFootnote 14. Le ministre soutient également que je ne devrais pas suivre la décision BR parce qu’elle est erronée. Dans la décision RS, la division générale a conclu que le requérant n’avait pas droit aux prestations lorsque le ministre a pris la première décision. Par conséquent, la réévaluation ultérieure était nécessaire pour atteindre l’objectif de la législation, car seules les personnes requérantes admissibles peuvent recevoir des prestations.

[22] En bref, il a été conclu dans la décision RS que le ministre pouvait, après avoir approuvé une demande de prestations, réévaluer l’admissibilité plus tard. Les paiements versés à une personne bénéficiaire non admissible pouvaient être arrêtés, et un trop-perçu pouvait être établi. Il n’était pas nécessaire de prouver que le requérant avait commis une fraude ou fait des déclarations trompeuses. Dans la décision RS, la membre a déclaré que ces pouvoirs existaient même si des faits nouveaux pouvaient être découverts au moment où la décision initiale sur l’admissibilité a été rendue.

[23] Contrairement à la décision BR, la décision RS indique que les pouvoirs conférés par le Règlement sur la SV sont « nécessaires », car ils permettent de trouver un équilibre entre la nécessité d’éviter des retards injustifiés dans le traitement des demandes et la nécessité de protéger les fonds publics et de refuser les paiements aux personnes demanderesses non admissibles. La décision RS laisse entendre qu’un examen exhaustif de chaque demande (si elle ne peut être réévaluée ultérieurement) serait inadmissible, car cela entraînerait des retards importants pour les personnes pensionnéesFootnote 15.

[24] Je ne suis pas d’accord avec la décision RS selon laquelle le fait d’être plus méticuleux au stade de l’évaluation initiale serait considéré comme « inadmissible ». Il semblerait que la majorité des demandes relatives à la SV proviennent de personnes pensionnées dont l’historique de résidence n’est pas remis en question de manière réaliste. Pour les quelques demandes dans lesquelles l’historique de résidence est complexe (comme celle dont je suis saisie dans le cadre du présent appel), je pense qu’il serait considéré comme « raisonnable » (plutôt que « inadmissible ») que le ministre prenne un certain temps afin de mener une enquête plus approfondie. Comme cela a été constaté dans la décision BR, et je suis d’accord, il semble plus inadmissible de verser une pension mensuelle pendant des années avant de suspendre soudainement le versement et de finalement conclure qu’une personne âgée doit rembourser des centaines de milliers de dollars. Cela serait particulièrement inadmissible dans le cas des personnes âgées à faible revenu.

[25] Je ne pense pas non plus que la description de la décision BR dans la décision RS soit tout à fait exacte. Contrairement à ce qui apparaît dans l’analyse de la décision RSFootnote 16, la décision BR n’indique pas que l’admissibilité ne peut jamais être réévaluée une fois qu’une demande a été accueillie. Dans la décision BR, on reconnaît qu’une réévaluation peut avoir lieu afin de décider si une personne requérante demeure admissible aux prestationsFootnote 17. La décision BR laisse également entendre que le ministre pourrait essentiellement réévaluer l’admissibilité initiale et exiger le remboursement en cas de fraude, en imposant une pénalité administrative ou en poursuivant la personne bénéficiaire pour une infraction punissable par procédure sommaireFootnote 18. La décision BR n’exclut pas non plus la possibilité que le ministre puisse suspendre les versements et recouvrer toute somme ayant été versée à tort, comme la personne n’a pas respecté ses obligations légalesFootnote 19. Ces inexactitudes dans la décision RS sont importantes, car elles compromettent la prétendue urgence de maintenir une pratique établie de longue date à laquelle le ministre a recours et que je juge non permise par la loi.

[26] La décision RS indique ensuite que le fait d’ordonner le remboursement des prestations ne pose finalement pas de problème, car le ministre a le pouvoir discrétionnaire de faire remise d’une partie ou de la totalité du montant du trop-perçu. Ce pouvoir peut être exercé dans un certain nombre de situations énumérées, mais les seules qui sont pertinentes dans le contexte actuel sont les suivantes : 1) le remboursement causera un préjudice injustifié au débiteur et 2) la créance résulte d’un avis erroné ou d’une erreur administrative survenus dans le cadre de l’application de la présente loiFootnote 20.

[27] Je ne suis pas d’accord avec cet argument. Il laisse entendre que les personnes pensionnées ne devraient pas être angoissées par un trop-perçu, car le ministre pourrait finalement décider de laisser tomber le remboursement. C’est, au mieux, un faible réconfort pour la personne bénéficiaire. Par exemple, le requérant rembourse actuellement plus de 48 000 $. Je ne peux pas accepter que l’existence éventuelle d’une mesure discrétionnaire (pour réduire le trop-perçu) vienne compenser l’absence de pouvoir visant à imposer l’exigence relative aux trop-perçus dès le départ.

b) L’avis d’une experte décrit l’objectif de la Loi sur la SV et du Règlement sur la SV : l’experte appuie le pouvoir du ministre de revoir des décisions antérieures et elle estime que la possibilité de revoir des décisions antérieures est nécessaire pour permettre au ministre de traiter rapidement les demandes de prestations

[28] Le ministre a déposé un rapport intitulé [traduction] « Expertise sur l’article 23 du Règlement sur la sécurité de la vieillesseFootnote 21 » préparé par Elizabeth Charron, agente principale de la législation, Politique et législation sur la sécurité de la vieillesse, Emploi et Développement social Canada. Le ministre a demandé que madame Charron soit qualifiée d’experte sur l’histoire et l’évolution de la Loi sur la SV et du Règlement sur la SV. Elle est une employée ayant de l’ancienneté au sein du ministère, et elle interprète et analyse les dispositions législativesFootnote 22. J’estime que l’expérience de madame Charron la qualifie pour donner un témoignage d’experte sur l’histoire et l’évolution de la Loi sur la SV et du Règlement sur la SV. Cependant, j’estime que son expérience et sa formation ne font pas d’elle une experte en droit, y compris en matière d’interprétation législative. Par conséquent, lorsque madame Charron tirera des conclusions sur la façon d’interpréter la loi et sur la question de savoir si le ministre a un certain pouvoir en vertu de la loi, je considérerai ses commentaires de la même façon que les observations ou les arguments du ministre et non comme une opinion d’experte en matière d’interprétation juridiqueFootnote 23.

[29] Madame Charron a écrit que le ministre utilise une approche [traduction] « fondée sur les risques » lors du traitement des demandes de prestations. Elle a déclaré que cette approche est fondée sur le principe selon lequel le ministre pourra revenir plus tard sur une décision pour revoir et confirmer l’admissibilité d’une personne. Elle fait également référence à une règle selon laquelle aucune pension n’est payable à moins qu’une personne demanderesse n’y soit admissible. Je suppose que son explication est la suivante : le ministre peut choisir de traiter les demandes sans déterminer d’abord l’admissibilité, car il estime que l’admissibilité peut être réévaluée à tout moment. Cette explication tente de justifier les processus du ministre, mais elle ne décrit pas clairement l’autorité législative de créer et de suivre le processus de révision et de modification des décisions en matière d’admissibilité dans tous les casFootnote 24. En outre, cette explication est incompatible avec l’observation selon laquelle le ministre ne peut pas verser de prestations à des personnes qui n’y sont pas admissibles.

[30] Madame Charron discute de la disposition selon laquelle aucune pension n’est payable à une personne qui n’y est pas admissibleFootnote 25. Pour déterminer l’admissibilité, le ministre exige souvent des renseignements supplémentaires, et il a le pouvoir de demander de tels renseignements et de vérifier si les prestataires sont admissibles. Elle laisse entendre qu’il doit y avoir un équilibre entre le versement des prestations en temps opportun et la vérification de l’admissibilité. Elle affirme que le pouvoir du ministre de mener des enquêtes et de suspendre les prestations est nécessaire pour veiller à ce que seules les personnes qui y ont droit reçoivent des prestations. Elle déclare ensuite que la dette est [traduction] « simplement une conséquence de la décision » et que le ministre a le pouvoir de recouvrer la detteFootnote 26.

[31] Madame Charron ne fait pas référence à des éléments de preuve ou à des dispositions législatives qui me convaincraient que la loi ou le règlement donnent au ministre le pouvoir de revoir et de modifier les décisions dans lesquelles il avait préalablement accordé des prestations au requérant. Selon elle, la législation ne permet pas au ministre de verser des prestations aux personnes non admissibles. Cette déclaration est en contradiction avec sa déclaration selon laquelle le ministre doit pouvoir verser des prestations aux personnes qui en font la demande (apparemment sans confirmer leur admissibilité) et il doit pouvoir revenir plus tard sur les décisions pour les modifier s’il a versé des prestations à des personnes non admissibles.

[32] Madame Charron déclare que la loi ne permet pas à une personne qui présente une demande de recevoir des prestations à moins qu’elle ne soit admissible. Elle fait ensuite valoir que l’objectif de la loi autorise également le ministre à prendre des décisions rapidement sans avoir à déterminer d’abord l’admissibilité d’une personne. Elle dit que le ministre doit être en mesure de verser les prestations et ensuite, même des années plus tard, d’examiner la demande pour déterminer l’admissibilité d’une personne et confirmer que la décision était effectivement légitime. Comme je l’explique ci-dessous, je ne crois pas que cette interprétation de la loi soit juste ou qu’elle s’applique à l’appel du requérant.

II. Pourquoi j’ai décidé que le ministre n’a pas le pouvoir de revoir et de modifier ses décisions antérieures

a) La loi ne donne pas clairement au ministre le pouvoir de modifier une décision antérieure

[33] La Loi sur la SV et le Règlement sur la SV s’appliquent au SRG ainsi qu’à la pension de la SV. Dans ces deux documents, je ne trouve rien qui habiliterait le ministre à revoir et à modifier une décision initiale concernant l’admissibilité du requérant au SRG.

[34] La décision BR portait sur un requérant dont la demande de prestations de la SV avait été accueillie. Le ministre est ensuite revenu sur sa position et a déclaré que le requérant n’avait pas droit aux deux années de prestations auxquelles il avait été jugé admissible dans la décision initiale sur l’admissibilité. Le ministre a exigé le remboursement des deux années de prestations.

[35] En examinant l’affaire BR, le membre de la division d’appel a procédé à un examen minutieux de la loiFootnote 27. Il a conclu que la Loi sur la SV ne conférait pas au ministre le pouvoir de revoir l’admissibilité initiale d’une personne requérante une fois qu’une demande relative à la SV avait été accueillie. Comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas liée par les décisions de la DA, mais je peux adopter le raisonnement utilisé dans des appels semblables. J’estime que l’analyse et le raisonnement énoncés dans la décision BR s’appliquent également au présent appel et, plus particulièrement, les conclusions suivantes :

  1. En tant que loi d’aide sociale, le régime de la sécurité de la vieillesse doit être interprété de manière libéraleFootnote 28.
  2. « La loi favorise le caractère définitif des décisions rendues, et les pensionnés s’attendent légitimement à pouvoir se fier aux décisions du ministre quant à leur admissibilité. » Si le ministre avait le pouvoir de revoir une décision initiale en matière d’admissibilité, il était raisonnable de s’attendre à ce que la loi soit clairement formulée à cet effet. Un langage législatif d’une telle clarté, que l’on retrouve dans d’autres lois relatives à l’octroi de prestations, est absent des dispositions de la Loi sur la SV et du Règlement sur la SVFootnote 29.
  3. Par exemple, la Loi sur la SV ne donne pas au ministre le pouvoir d’annuler ou de modifier une décision initiale en matière d’admissibilité en se fondant sur des « faits nouveaux » (faits qui n’auraient pas pu être connus au moment où le ministre a pris sa décision initiale en matière d’admissibilitéFootnote 30).
  4. La Loi sur la SV ne donne pas au gouverneur en conseil le pouvoir de créer des règlements qui permettraient au ministre de modifier ses décisions antérieures en matière d’admissibilitéFootnote 31.
  5. En cas de fraude, la réparation du ministre consiste à avoir recours à une déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou à évaluer une sanction pécuniaireFootnote 32.
  6. La Loi sur la SV révèle la possibilité que l’admissibilité d’une personne pensionnée à des prestations de la SV ou du SRG, ou le montant, peuvent changer au fil du tempsFootnote 33.

b) Le pouvoir d’enquête ne donne pas le pouvoir de réévaluer

[25] Le Règlement sur la SV prévoit que le ministre peut, avant ou après l’agrément d’une demande, exiger que la personne demanderesse permette l’accès à des renseignements supplémentaires concernant son admissibilité. Le ministre peut également, en tout temps, faire enquête sur l’admissibilité d’une personne à une prestationFootnote 34.

[26] Le fait que le Parlement ait donné au ministre de vastes pouvoirs lui permettant d’enquêter ne lui donne pas pour autant le pouvoir de modifier une décision initiale en matière d’admissibilité. Un libellé législatif clair est requis pour que le ministre ait ce pouvoir. Les pouvoirs d’enquête ne sont pas des pouvoirs de réévaluation. Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles le ministre pourrait avoir besoin d’un pouvoir d’enquête si vaste. En voici quelques exemples :

  1. déterminer l’admissibilité des prestataires à continuer de recevoir des prestationsFootnote 35;
  2. vérifier si un versement devrait être suspenduFootnote 36;
  3. vérifier si les prestataires ont reçu un versement ou un excédent sans y avoir droitFootnote 37;
  4. vérifier si une pénalité doit être imposée à une personne qui a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse dans le cadre de sa demandeFootnote 38.

c) Une réévaluation effectuée sans en avoir le pouvoir entraîne une injustice importante

[27] La décision BR fait référence à « l’injustice profonde et [au] stress immense » que subissent les personnes pensionnées en raison des réévaluations ministérielles de leur admissibilité au titre de la Loi sur la SV et du Règlement sur la SV. Les demandes de remboursement ministérielles, qui surviennent parfois des années après la décision initiale, peuvent entraîner l’obligation pour les personnes pensionnées de rembourser des trop-perçus de 100 000 $ ou plusFootnote 39. Il n’est pas difficile de comprendre l’importante injustice ou le stress énorme que le requérant a subi lorsqu’il a appris la décision du ministre qui a créé une dette inattendue et extraordinaire d’environ 48 000 $.

d) La preuve ne démontre pas l’existence d’une fraude ou d’une fausse déclaration intentionnelle

[28] Le ministre n’a pas formulé d’allégations de fraude à l’encontre du requérant ni poursuivi des démarches en ce sens. En outre, j’estime que les renseignements figurant au dossier ne prouvent pas que le requérant a sciemment fait de fausses déclarations auprès du ministre. Compte tenu du temps qui s’est écoulé et des règles et formulaires potentiellement compliqués, il n’est ni raisonnable ni juste de s’attendre à ce qu’il conteste les décisions du ministre une douzaine d’années après que ses demandes ont été accueillies.

[29] La décision BR a mentionné des affaires où il peut y avoir une fraude présumée ou des affaires où une personne requérante donne sciemment de fausses informations ou induit sciemment le ministre en erreur. Le ministre peut avoir certains recours dans des situations comme celles-là, mais ils ne s’appliquent pas au présent appel. Le ministre n’a pas fourni de preuve démontrant que le requérant a sciemment fourni des renseignements faux ou trompeurs. Le ministre aurait pu faire valoir que le requérant avait sciemment donné des renseignements faux ou trompeurs. Le ministre est habilité à exercer un recours en vertu de la Loi sur la SVFootnote 40.

e) Le requérant était admissible au SRG lorsque le ministre a accueilli ses demandes

[31] Le ministre a le pouvoir de recouvrer un paiement lorsque le montant payé a été mal calculé ou lorsque les prestataires ont reçu des paiements après avoir cessé d’être admissibles aux prestationsFootnote 41.

[32] Rien ne prouve que le ministre ait mal calculé la pension ou le SRG. Le requérant était admissible aux prestations dès que le ministre a accueilli sa demande. Cela est vrai même si le ministre a estimé avec le recul qu’il s’était trompé en accueillant la demande initiale. Cela ne signifie pas pour autant que le ministre peut ultérieurement modifier la décision et recouvrer les paiements des années précédentes.

[33] Le fait que le ministre puisse réévaluer l’admissibilité aux prestations du SRG chaque année ne signifie pas que l’admissibilité du requérant pour les années précédentes puisse être revue et modifiée. Lorsque le ministre prend une décision concernant l’admissibilité d’une personne pour une année donnée, cette décision est définitive. Le ministre peut examiner les renseignements fournis par le requérant pour déterminer son admissibilité pour la période suivante ou ultérieure, mais ses décisions visant la ou les périodes précédentes sont définitives, sauf si elles font l’objet d’un appel ou sont modifiées d’une autre manière en vertu de la loi.

[34] Comme indiqué dans la décision BR, la loi privilégie le caractère définitif des décisions. Il n’est pas juste de permettre que le revenu mensuel d’une personne pensionnée soit aussi incertain. Les personnes pensionnées ne pourraient pas compter sur une pension mensuelle, même après que le ministre l’ait approuvée et versée. De manière inattendue, ces personnes peuvent se retrouver avec des dettes importantes et voir leurs pensions mensuelles réduites pendant des années tandis que le ministre récupère la « dette ».

[35] On pourrait s’attendre à ce que la législation confère clairement au ministre le pouvoir de revoir et de modifier les décisions en matière d’admissibilité. La loi ne donne pas clairement au ministre le pouvoir de modifier ses décisions initiales, même si le ministre peut mener une enquête sur l’admissibilité d’une personne à des prestations continues. Je ne soutiens pas que le ministre ne peut pas décider de l’admissibilité d’une personne qui reçoit des prestations du SRG ou prendre d’autres mesures lorsqu’une personne requérante fait sciemment des déclarations fausses ou trompeuses. Les circonstances sont différentes dans le présent appel. Le ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer et de modifier les décisions antérieures concernant l’admissibilité du requérant à une pension partielle de la SV (14/40e d’une pleine pension) à compter de septembre 2006, ou à un SRG de septembre 2006 à mai 2011.

Conclusion

[36] L’appel est accueilli.

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