Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

Informations sur la décision

Résumé :

SV – compétence – question théorique
Le requérant s’est vu refuser une pension de la SV à de multiples reprises, mais le ministre a finalement conclu qu’il avait vécu au Canada plus longtemps que ce qui avait d’abord été calculé. On lui a donc offert le choix entre une pension partielle ou une pleine pension débutant six ans plus tard. En réponse, le requérant a demandé que cette décision soit révisée parce que ces options ne lui convenaient pas; il voulait une pleine pension débutant en juillet 2018. La décision de révision du ministre n’avait toujours pas été rendue lorsque le requérant a fait appel à la division générale (DG). Cette décision de révision a seulement été rendue après que le processus du Tribunal ait été entamé.

Le requérant a donc fait appel à la DG et s’est plaint que le ministre avait refusé de traiter sa demande de révision, alors qu’elle n’avait simplement pas encore été traitée. Cependant, la DG avait déjà fermé son dossier d’appel, constatant l’absence d’une décision de révision à examiner. La DG a refusé d’exercer sa compétence sur cette affaire. Malgré cela, le requérant a persisté et fait appel de cette « non-décision » de la DG à la division d’appel (DA).

Après que la permission ait été accordée par la DA et que les observations des parties aient été reçues, le ministre a enfin rendu sa décision de révision défavorable au requérant. Celui-ci a ensuite demandé à la DA de simplement l’annuler. La DA a refusé; bien qu’elle ne croit pas que la DG ait dû refuser d’instruire cette affaire, il s’agit maintenant d’une question théorique, ou vide de sens, puisque la décision de révision a enfin été rendue. La DA a ensuite affirmé que si une décision n’avait aucune incidence pratique sur les droits des parties, elle pouvait refuser de se prononcer. La DA est limitée à trancher des affaires qui relèvent de sa compétence matérielle, et elle ne peut seulement que réviser les décisions de la DG. Le requérant devrait maintenant faire appel à la DG de la décision de révision finalement disponible. La DA n’a pas accordé au requérant le résultat souhaité puisqu’elle n’a pas le pouvoir d’instruire un appel direct d’une décision de révision; un appel doit d’abord aller à la DG. L’appel est rejeté.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : PM c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 92

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-815

ENTRE :

P. M.

Appelant

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Intimé


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Shirley Netten
DATE DE LA DÉCISION : Le 10 mars 2021

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] P. M. (requérant) a refait une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) en septembre 2018. En août 2019, Service Canada a jugé que le requérant avait vécu au Canada pendant 4 ans et 219 jours après l’âge de 18 ans, et qu’il ne satisfaisait pas à l’exigence de résidence pour recevoir une pension de la SV. Service Canada a affirmé que la demande serait acheminée aux Opérations internationales aux fins d’un examen plus poussé.

[3] En septembre 2019, Service Canada a jugé que le requérant avait vécu au Canada pendant 7 ans, 6 mois et 3 jours après l’âge de 18 ans. Service Canada a aussi décidé que le requérant pouvait recevoir une pension partielle de la SV de 91,12 $ par mois à compter d’octobre 2017, une pension partielle de la SV de 106,31 $ à compter de juillet 2018 ou une pleine pension de la SV à compter de février 2024 s’il vivait au Canada jusqu’à ce momentNote de bas de page 1. Service Canada a demandé au requérant de choisir l’une de ces trois options.

[4] Le requérant n’a choisi aucune des trois options, car il n’était pas d’accord avec la décision rendue concernant sa résidence et les choix qui lui avaient été offerts. Service Canada n’a pas mentionné de recours pour cette situation. Néanmoins, le requérant a fait une demande de révision en novembre 2019. Il a soutenu qu’il était admissible à une pleine pension de la SV à compter de juillet 2018. Service Canada n’a pas traité sa demande de révision et a dit au requérant en février 2020 que sa demande était prématurée étant donné qu’une décision définitive n’avait pas été rendue.

[5] Puisqu’il n’avait aucun autre recours, le requérant a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale en avril 2020. Entre autres préoccupations, le requérant s’est plaint du fait que Service Canada avait refusé de traiter sa demande de révision. Il a invoqué l’urgence de trouver une solution à l’inaction de Service Canada. Le requérant a fait mention de l’article 27.1 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV), qui énumère les droits relatifs aux révisions. Il a soutenu qu’il avait légalement droit à une révision; que l’annulation de sa demande était un abus de procédure et que cela l’empêchait de contester les décisions de Service Canada; et que Service Canada tentait de le contraindre, lui et possiblement d’autres personnes âgées vulnérables, à accepter des options moins avantageusesNote de bas de page 2.

[6] Le requérant a aussi soutenu que Service Canada ne lui avait pas fourni d’explications suffisantes pour ses décisions et qu’ils avaient agi de façon injuste et oppressive lors de leur enquête sur sa résidence. Il a demandé à la division générale de dire à Service Canada de lui accorder une pleine pension de la SV à compter du 1er juillet 2018 ou [traduction] « de lui démontrer qu’ils ne devaient pas le faire ».

[7] Dans une lettre datée du 28 avril 2020, le Secrétariat du Tribunal a dit que l’avis d’appel n’était pas valide parce qu’il n’y avait pas de décision découlant d’une révision. Le Secrétariat a fermé le dossier d’appel et la division générale n’a pas rendu de décision au sujet de l’appel du requérant. Effectivement, la division générale s’est déclarée incompétente à juger l’affaire.

[8] Le requérant a ensuite fait appel à la division d’appel du Tribunal afin de contester ce qu’il a qualifié de rejet de son appel à la division générale. Le requérant a expliqué qu’il avait [traduction] « cherché à obtenir réparation pour le refus de Service Canada de traiter sa demande de révision ».

[9] À une conférence de règlement en août 2020, la représentante du ministre de l’Emploi et du Développement social a accepté de traiter la demande de révision du requérant. Toutefois, afin d’éviter d’autres retards, j’ai rendu une décision interlocutoire en novembre 2020. J’ai donné au requérant la permission de faire appel du refus de la division générale d’instruire son appel, car il était possible de soutenir que la division générale avait commis une erreur de compétence. J’ai demandé aux parties de me soumettre des observations écrites et je les ai maintenant reçues.

[10] Le 11 décembre 2020, durant la période de soumission d’observations, Service Canada a rendu sa décision découlant d’une révision concernant la résidence du requérant et son admissibilité à la pension de la SV. Du point de vue du requérant, cela n’était pas une décision favorable. Service Canada a jugé que le requérant avait résidé au Canada de mai 1975 à décembre 1979, et de nouveau à partir d’avril 2019; après avoir pris en considération ses cotisations aux États-Unis, le requérant a été jugé admissible à une pension partielle de la SV de 60,15 $ par mois (4/40e d’une pleine pension) à compter de mai 2019. Le requérant m’a depuis demandé d’annuler cette décision découlant d’une révision.

[11] Je rejette cet appel, car les questions soulevées par le requérant sont des questions théoriques, ou elles dépassent mes pouvoirs ou ma compétence.

Questions en litige

[12] La présente décision aborde les questions suivantes :

  1. La question de savoir si le ministre avait l’obligation de rendre une décision découlant d’une révision est-elle une question théorique?
  2. Puis-je accorder les autres réparations demandées par le requérant?
  3. Ai-je la compétence d’aborder la décision découlant d’une révision de décembre 2020?

La question de savoir si une décision découlant d’une révision était requise est une question théorique

[13] Les cours et les tribunaux peuvent refuser de trancher une affaire qui soulève une question hypothétique : il s’agit de la doctrine du caractère théorique. Comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué, une affaire est sans intérêt ou le devient lorsque la décision n’aura aucune conséquence pratique sur les droits des partiesNote de bas de page 3.

[14] J’ai cerné précédemment une erreur de compétence que la division générale a peut-être commise, car la décision de Service Canada de ne pas rendre une décision découlant d’une révision pourrait elle-même avoir fait l’objet d’un appel. Depuis, Service Canada a rendu une décision découlant d’une révision.

[15] À ce point-ci, rien ne dépend du fait que je juge que la division générale a refusé d’exercer sa compétence. Même si je jugeais qu’une telle erreur a été commise, la réparation se limiterait à confirmer ou à annuler la décision de Service Canada selon laquelle une décision découlant d’une révision n’était pas requise. Je pourrais convenir avec le requérant que les lettres de Service Canada d’août et de septembre 2019 lui ont donné le droit de demander et d’obtenir une révision. Dans ce cas, je pourrais annuler la décision de Service Canada selon laquelle une décision découlant d’une révision était prématurée, et décider qu’une décision découlant d’une révision était requiseNote de bas de page 4. Toutefois, cela ne ferait aucune différence.

[16] Je suis d’accord avec la représentante du ministre pour dire qu’une décision de la division d’appel concernant la nécessité d’une décision découlant d’une révision n’aurait aucune conséquence pratique sur les parties. Le requérant semble comprendre cela. Alors que sa requête initiale était centrée sur son droit d’obtenir une décision découlant d’une révision et sur sa contestation du refus de traiter sa demande de révision, il se concentre maintenant sur le processus de décision de Service Canada.

[17] Puisque Service Canada a maintenant rendu une décision découlant d’une révision, j’estime que la question de savoir si une telle décision était prématurée (comme l’a affirmé Service Canada) ou requise (comme le requérant l’a soutenu) est sans intérêt.

Je n’ai aucune raison d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour aborder une question théorique

[18] Les cours et les tribunaux peuvent choisir d’instruire une question théorique dans des circonstances exceptionnelles, en gardant à l’esprit l’importance d’un débat contradictoire, le besoin de conserver les ressources et le rôle décisionnel traditionnelNote de bas de page 5. Les tribunaux administratifs, en particulier, peuvent devoir vérifier si leur décision aurait une incidence plus large, et si la question théorique serait mieux résolue au moyen d’un forum politiqueNote de bas de page 6.

[19] Je n’ai aucune raison d’exercer mon pouvoir discrétionnaire dans cette affaire. Une décision de la division d’appel sur cette question ne serait pas contraignante pour le ministre dans d’autres cas, et elle ne forcerait pas non plus Service Canada à changer ses pratiques. Je partage la préoccupation du requérant selon laquelle les personnes âgées vulnérables pourraient ne pas connaître leurs droits de recours après avoir reçu la lettre de Service Canada les informant de leurs options relatives à la SV, et qu’elles pourraient se sentir obligées d’accepter l’un des choix offerts. Je félicite le requérant d’avoir mis cette question en lumière. Je suis convaincue que le ministre, par principe, trouvera la meilleure façon de s’assurer que les parties demanderesses puissent contester les décisions relatives à la SV, comme l’exige la Loi sur la SVNote de bas de page 7. Autrement, la question pourrait être soumise de nouveau au Tribunal dans le cadre d’un autre appel.

La division d’appel n’a pas le pouvoir d’accorder les autres réparations demandées

[20] En soutenant que l’appel n’est pas théorique, le requérant souligne les litiges en cours concernant les procédures de Service Canada. Il demande ce qui suit :

  1. que l’affaire soit renvoyée à la division générale pour qu’elle :
    1. aborde le droit du requérant à une audience à l’étape de la révision;
    2. exige que le ministre explique pourquoi le requérant ne devrait pas recevoir une pleine pension de la SV;
    3. déclare que toute partie requérante a le droit à ce que ses demandes de pension de la SV soient traitées de façon équitable, compétente et rapide, au titre de la Déclaration canadienne des droits et de la Charte canadienne des droits et libertés;
    4. remédie à tout manquement à la procédure de la part de Service Canada et émette un bref de mandamusNote de bas de page 8;
    5. désigne les personnes âgées qui demandent une pension de la SV comme étant une catégorie de personnes bénéficiant de la protection de la Charte, afin de contester l’applicabilité de l’article 27.1 de la Loi sur la SV;
  2. autrement, que la division d’appel lui accorde ces mêmes réparations ou une pleine pension de la SV;
  3. que des dommages et intérêts lui soient accordés pour les méfaits et les abus commis par le ministre dans le traitement de sa demande de pension de la SVNote de bas de page 9.

[21] Plus récemment, le requérant a cherché à obtenir une ordonnance afin que l’affaire soit renvoyée au ministre, avec des directives procédurales détailléesNote de bas de page 10.

[22] Comme il est expliqué ci-dessous, ces réparations ne peuvent pas être offertes dans le cadre de cet appel.

La division d’appel peut seulement accorder les réparations énoncées dans la Loi sur le MEDS

[23] La division d’appel examine les décisions de la division générale en prenant en considération les moyens d’appel énoncés dans la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS)Note de bas de page 11. S’il existe des moyens d’appel, la division d’appel peut seulement rendre certains types de décisions :

59(1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division généraleNote de bas de page 12.

[24] Lorsque la division d’appel remplace une décision de la division générale, ou lorsqu’elle fournit à celle-ci des directives par rapport à la révision, elle ne peut pas aller au-delà des pouvoirs de la division générale. Ceux-ci sont les suivants :

54(1) La division générale peut rejeter l’appel ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision visée par l’appel ou rendre la décision que le ministre ou la Commission aurait dû rendreNote de bas de page 13.

[25] Afin d’appuyer sa demande de réparation, le requérant souligne le pouvoir du Tribunal de trancher les questions de droit ou de faitNote de bas de page 14. Ce pouvoir permet à la division d’appel d’interpréter la loi et de tirer des conclusions de fait au besoin en vue d’arriver à une conclusion relativement à un appel. Je suis d’accord avec la représentante du ministre pour dire que ce pouvoir ne s’étend pas aux réparations que peut offrir la division d’appel.

Le Tribunal ne peut pas dicter au ministre les procédures qu’il doit suivre

[26] Le requérant s’appuie sur des décisions de la Cour suprême du Canada pour soutenir qu’une ordonnance visant le ministre serait appropriée dans le présent cas. Ces décisions abordent la capacité des tribunaux à émettre un bref de mandamus dans le cadre d’un contrôle judiciaire; elles ne donnent pas aux tribunaux le pouvoir de le faireNote de bas de page 15.

[27] De plus, le fait qu’un tribunal administratif puisse contrôler ses propres processus ne lui donne pas le pouvoir de contrôler les processus d’un autre organe. Le requérant a donné en exemple un cas où la division générale avait rendu certaines ordonnances concernant ses procédures d’appel, et il a demandé pourquoi elle n’aurait pas pu rendre des ordonnances semblables visant le ministre dans le présent casNote de bas de page 16. La différence essentielle est que la division générale (et la division d’appel) peuvent rendre de telles ordonnances concernant leurs propres procédures; elles ne peuvent pas rendre des ordonnances pour dicter au ministre les procédures qu’il doit suivre.

[28] Je reconnais le principe selon lequel les parties doivent épuiser tous les recours administratifs qui leur sont ouverts avant de se tourner vers les tribunauxNote de bas de page 17. Je reconnais aussi le principe selon lequel il doit toujours y avoir un forum où les droits peuvent être revendiquésNote de bas de page 18. Contrairement à l’argument du requérant, ces principes ne signifient pas que tous les recours, ou des recours supplémentaires, sont maintenant offerts sur le plan administratif. Je ne vois aucune raison de conclure, comme l’affirme le requérant, que les tribunaux fédéraux ont délégué au Tribunal [traduction] « leur compétence et mais [sic] aussi leur pouvoir d’offrir des recours en cas d’abus au sein de l’organe qu’il supervise Note de bas de page 19 ».

[29] Au titre de la Loi sur le MEDS, la division d’appel et la division générale n’ont pas le pouvoir de renvoyer l’affaire au ministre ou de dicter à celui-ci les procédures qu’il doit suivre. Plutôt que de dicter l’approche devant être adoptée par le ministre, la division générale (et la division d’appel à son tour) remplace simplement les décisions du ministre par ses propres décisions.

[30] Supposons pour le moment que la division générale ait commis une erreur susceptible de révision en refusant d’instruire l’appel du requérant. Même dans ce cas, je ne pourrais pas dire au ministre d’accorder une audience au requérant à l’étape de la révision, lui ordonner de démontrer pourquoi le requérant ne devrait pas se voir accorder une pleine pension de la SV, décider comment le ministre devrait traiter les demandes de pension de la SV et enquêter sur celles-ci, ou sanctionner tout manquement à la procédure de la part de Service Canada.

[31] Je ne pourrais pas non plus dire à la division générale de faire ces choses. La division d’appel peut renvoyer une affaire à la division générale avec des directives, mais elle ne peut pas dire à la division générale de faire quelque chose qu’elle n’a pas le droit de faire.

La division d’appel ne peut pas ordonner le remboursement de frais et le paiement de dommages et intérêts

[32] La Loi sur le MEDS ne prévoit pas explicitement de pouvoir d’ordonner le remboursement de frais ou d’accorder des dommages et intérêts à une partie prestataire.

[33] Ni le pouvoir de trancher des questions de droit et de fait Note de bas de page 20, ni le pouvoir inhérent de contrôle ses propres procéduresNote de bas de page 21 ne permet à la division d’appel d’ordonner le remboursement de frais ou le paiement de dommages et intérêts. Ordonner le remboursement de frais ou le paiement de dommages et intérêts est une mesure de réparation importante; il ne s’agit pas d’une conclusion de fait ou de droit ni d’une décision procédurale. Les décisions des tribunaux ont confirmé qu’un tribunal ne peut pas ordonner le remboursement de frais ou le paiement de dommages et intérêts sans en avoir l’autorisation expliciteNote de bas de page 22.

La Déclaration canadienne des droits et la Charte n’élargissent pas l’éventail de réparations disponibles

[34] Le requérant invoque la Déclaration canadienne des droits et la Charte pour appuyer ses demandes de réparation. Il affirme que l’article 2(e) de la Déclaration canadienne des droits et l’article 7 de la Charte lui confèrent certains droits procéduraux durant le processus de prise de décision du ministre. Il conteste également l’applicabilité de l’article 27.1 de la Loi sur la SV. Selon lui, cela me permettrait [traduction] « d’accorder un plein éventail [de] réparations au titre de l’article 24(1) de la Loi constitutionnelle ».

[35] Ni la Déclaration canadienne des droits ni la Charte n’élargissent les réparations que le Tribunal peut accorder.

[36] La Déclaration canadienne des droits affirme que la législation fédérale doit être interprétée de façon à ne pas porter atteinte à certains droits fondamentaux Note de bas de page 23. Peu importe la façon dont j’interprète l’article 27.1 de la Loi sur la SV, je n’ai quand même pas le pouvoir de dire au ministre quoi faire en ce qui concerne ses procédures internes.

[37] Pour ce qui est de la Charte, je suis d’accord avec le requérant pour dire qu’un tribunal administratif ayant la capacité de trancher des questions de droit peut « appliquer la Charte pour décider de la pertinence d’une disposition particulière d’une loi qu’elle administreNote de bas de page 24 ». Un tribunal administratif ne peut pas faire une déclaration générale d’invalidité constitutionnelle, mais il peut conclure qu’une disposition législative pertinente est inapplicable dans le cadre d’un appel précisNote de bas de page 25. Dans de tels cas, un tribunal rend sa décision comme si la disposition invalide n’était pas en vigueurNote de bas de page 26.

[38] Dans la présente affaire, le requérant a clarifié qu’il ne conteste pas la validité de l’article 27.1 de la Loi sur la SV, [traduction] « mais plutôt la façon dont il a été appliquéNote de bas de page 27 ». Il demande qu’un bref de mandamus soit émis parce qu’il estime que Service Canada n’a pas respecté les droits qui lui sont conférés par la Charte lors de sa prise de décision.

[39] Une cour ou un tribunal ne peut pas trancher une question relative à la Charte s’il n’a pas le pouvoir d’offrir la réparation demandéeNote de bas de page 28. De plus, même si on demande à un tribunal administratif d’évaluer si l’on a porté atteinte à des droits conférés par la Charte, ses pouvoirs se limitent à ceux qui sont énoncés dans sa loi habilitanteNote de bas de page 29. Autrement dit, la Charte n’élargit pas le pouvoir de réparation d’un tribunal administratif.

[40] Je ne peux pas trancher la question relative à la Charte soulevée par le requérant parce que je ne peux pas lui accorder le type de réparation qu’il a demandé. Même si je décidais que l’approche du ministre en matière d’enquête ou de prise de décision enfreint la Charte, je ne pourrais pas lui ordonner d’agir différemment, car la Loi sur le MEDS ne me permet pas de renvoyer une affaire au ministre ou de lui dicter les procédures qu’il doit suivreNote de bas de page 30.

Je n’ai pas la compétence pour aborder la décision découlant d’une révision de décembre 2020

[41] La compétence d’un tribunal, ou son mandat législatif, est son pouvoir de rendre une décision par rapport à un sujet abordé dans une cause donnéeNote de bas de page 31. Différents tribunaux, et différentes divisions au sein de ceux-ci, entendent différents types de causes, ou des causes semblables à différentes étapesNote de bas de page 32. Une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit « déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une questionNote de bas de page 33 ».

La division d’appel peut seulement instruire les appels liés à des décisions de la division générale

[42] Certains types de décisions au titre de la Loi sur la SV, du Régime de pensions du Canada (RPC) et de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) peuvent faire l’objet d’une révisionNote de bas de page 34. Service Canada rend les décisions découlant d’une révision au nom du ministre et de la Commission de l’assurance-emploi du Canada.

[43] La Loi sur la SV, le RPC et la Loi sur l’AE disent tous qu’une personne insatisfaite d’une décision découlant d’une révision peut faire appel au TribunalNote de bas de page 35. Même si les dispositions ne font pas référence à la division générale, il est évident selon la structure du Tribunal et le libellé de la Loi sur le MEDS que les décisions découlant d’une révision sont portées en appel à la division générale.

[44] Le Tribunal est composé de deux paliers; la division générale (qui comprend la section de la sécurité du revenu et la section de l’assurance-emploi) et la division d’appel. Selon la Loi sur le MEDS, l’appel d’une décision « est interjeté devant la division généraleNote de bas de page 36 ». La division générale a le pouvoir de confirmer, d’infirmer, de modifier ou de remplacer une décision du ministre ou de la CommissionNote de bas de page 37. Les procédures établies par le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale confirment aussi que la division générale instruit les appels des décisions découlant d’une révisionNote de bas de page 38.

[45] Pour sa part, la division d’appel tranche les appels des décisions de la division générale :

55. Toute décision de la division générale peut être portée en appel devant la division d’appel par toute personne qui fait l’objet de la décision et toute autre personne visée par règlementNote de bas de page 39.

[46] Conformément à ce mandat, les moyens d’appel à la division d’appel se limitent à certains types d’erreurs commises par la division généraleNote de bas de page 40. La division d’appel n’entend pas de nouveau des causes déjà instruites; elle peut seulement intervenir si l’une des erreurs énoncées a été commise. La division d’appel a le pouvoir de confirmer, d’infirmer, de modifier ou de remplacer la décision de la division générale et de renvoyer l’affaire à celle-ciNote de bas de page 41.

[47] Le requérant soutient que la Loi sur le MEDS ne restreint pas le pouvoir de la division d’appel d’instruire des appels de la division généraleNote de bas de page 42. Je ne suis pas d’accord. Les tribunaux administratifs sont « créés par la loiNote de bas de page 43 ». Ils doivent « s’en tenir à [leur] domaine de compétence [et ne peuvent] s’immiscer dans un autre pour lequel le législateur ne l[eur] a pas attribué compétence » et « il[s] ne peu[ven]t outrepasser les pouvoirs que l[eur] confère [leur] loi habilitanteNote de bas de page 44 ». Cela signifie que la division d’appel peut seulement trancher les types d’appels que la loi l’autorise à trancher. L’article 55 de la Loi sur le MEDS énonce la compétence de la division d’appel. Il n’y a aucune disposition qui élargit la compétence matérielle de la division d’appel.

L’article 64 n’élargit pas la compétence matérielle de la division d’appel

[48] Au titre de l’article 64 de la Loi sur le MEDS, les deux divisions du Tribunal peuvent « trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur une demande présentée sous le régime de la [Loi sur le MEDS] », avec certaines limites dans les cas liés au RPC et à la Loi sur l’AENote de bas de page 45. Le requérant décrit ce pouvoir comme établissant la compétence du TribunalNote de bas de page 46. Cela est incorrect.

[49] J’ai examiné les décisions du Tribunal citées par le requérantNote de bas de page 47. Ces décisions ne disent pas que l’article 64 établit la compétence du Tribunal. Bien que les membres du Tribunal utilisent à l’occasion le terme « compétence » librement (pour signifier seulement « autorité » ou « pouvoir »), cela ne change pas le mandat de la division d’appel. Je suis d’accord que le pouvoir de trancher des questions de droit et de fait est un pouvoir vaste, mais il s’agit d’un pouvoir qui doit être exercé en respectant la portée de la compétence matérielle de chaque division.

L’obligation de tenir compte de l’équité procédurale n’élargit pas la compétence de la division d’appel

[50] Le requérant souligne que les questions d’équité procédurale sont abordées adéquatement par les tribunaux administratifsNote de bas de page 48. Je suis d’accord. La division d’appel peut certainement tenir compte des préoccupations concernant l’équité procédurale et le droit à une audience équitableNote de bas de page 49. Toutefois, la division d’appel peut seulement examiner ces questions pour les appels relevant de sa compétence. Par exemple, la division d’appel peut décider si la division générale a omis d’offrir une audience équitable (au moment d’examiner les erreurs potentielles et la réparation appropriée); la division d’appel n’a pas pour mandat de décider si un autre décideur, y compris le ministre ou Service Canada, a omis d’offrir une audience équitable.

Une approche globale à l’égard de la compétence n’est pas utile dans le présent cas

[51] Le Tribunal devrait adopter une approche globale à l’égard de sa compétence afin de traiter les appels de façon juste et efficace dans les limites la loiNote de bas de page 50. Toutefois, en me demandant d’aborder la décision découlant d’une révision de décembre 2020, le requérant me demande d’adopter une approche qui va au-delà de ces limites.

[52] La référence du requérant au « virage culturel » recommandé par la Cour suprême du Canada est injustifiée : dans ce cas, la Cour a appuyé l’utilisation de processus plus simples dans les litiges civils, proportionnels à la nature des litigesNote de bas de page 51. La référence du requérant aux « coûts liés au fait de continuer à souscrire à une approche erronée » est aussi injustifiée : dans cette affaire, la Cour a discuté d’une nouvelle approche concernant la norme de contrôle dans le droit administratifNote de bas de page 52. Aucune de ces décisions n’affirme ou ne laisse entendre que les tribunaux administratifs peuvent ignorer les limites de leur mandat législatif.

[53] Il n’existe simplement aucune façon d’interpréter la compétence de la division d’appel comme incluant les appels directs des décisions découlant d’une révision qui n’ont pas d’abord été portées en appel devant la division générale. Je suis d’accord avec la représentante du ministre pour dire que la compétence de la division d’appel est limitée aux appels des décisions de la division générale. Par conséquent, je ne peux pas aborder les préoccupations du requérant concernant la décision découlant d’une révision rendue par Service Canada en décembre 2020.

[54] Le recours du requérant est clair : puisqu’il n’est pas d’accord avec la décision découlant d’une révision de décembre 2020, il a 90 jours à partir de la date à laquelle il a reçu cette décision pour faire appel à la division généraleNote de bas de page 53. À la fin de ce processus d’appel, la division générale rendra une nouvelle décision au sujet de la résidence du requérant et de son admissibilité à une pension de la SV fondée sur la preuve et la loiNote de bas de page 54. Cette décision s’imposera au ministre, sous réserve d’un appel de la décision de la division générale à la division d’appel.

Conclusion

[55] Je rejette l’appel du requérant de la décision de la division générale de refuser d’instruire son appel. La question sous-jacente (la décision de Service Canada de ne pas rendre une décision découlant d’une révision) est théorique, et je n’ai pas le pouvoir d’accorder les autres réparations demandées. Un appel direct de la décision découlant d’une révision de décembre 2020 ne relève pas de ma compétence.

[56] Le requérant a maintenant reçu une décision découlant d’une révision de Service Canada concernant sa résidence et son admissibilité à une pension de la SV. S’il n’est pas d’accord avec le contenu de cette décision, il doit faire appel à la division générale. S’il cherche à obtenir une ordonnance visant le ministre au sujet de ses procédures d’enquête et de prise de décision, le seul recours qu’il pourrait avoir serait auprès de la Cour fédérale.

[57] Je rappelle au requérant que l’échéance pour faire appel de la décision découlant d’une révision de décembre 2020 devant la division générale approche à grands pas.

 

Comparutions :

P. M., requérant

Hilary Perry, représentante de l’intimé

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