Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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[TRADUCTION]

Citation : RM c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 194

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-1953

ENTRE :

R. M.

Appelant (requérant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Antoinette Cardillo
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 28 janvier 2021
Date de la décision : Le 24 février 2021

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Décision

[1] L’appelant ne peut pas bénéficier de la pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) pour les motifs énoncés dans la présente décision.

Aperçu

[2] Le ministre a reçu une première demande de pension de la SV de la part de l’appelant le 11 avril 2011 et une deuxième demande le 28 août 2013Note de bas page 1. L’appelant a précisé qu’il vivait aux États-Unis, en France et au Maroc. Le ministre a examiné l’admissibilité de l’appelant aux termes de l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique en matière de sécurité sociale. Le ministre a établi que l’appelant avait résidé au Canada pendant 8 ans et 23 jours (du 8 août 1988 au 31 août 1996) et que le recours à des périodes de cotisation aux États-Unis ne lui permettait pas de remplir l’exigence minimale de résidence pour la pension de la SV. Le ministre n’a pas pu utiliser d’autres accords pour la totalisation, car il a été impossible d’établir les périodes donnant droit à un crédit au Maroc et en France. Comme l’appelant n’avait pas accumulé 20 ans de résidence au Canada, le ministre a rejeté la demande de l’appelant. Celui-ci a demandé la révision de la décision du ministre. Il prétend être résident du Canada depuis son arrivée au pays. Après avoir fait une révision, le ministre a maintenu sa décision initiale et rejeté la demande. L’appelant a porté la décision de révision en appel au Tribunal de la sécurité sociale.

Question en litige

[3] Je dois décider si l’appelant peut bénéficier de la pension de la SV selon ses années de résidence au Canada depuis septembre 1996.

Analyse

i. Critères d’admissibilité à une pension partielle de la SV

[4] Pour être admissible à une pension partielle de la SVNote de bas page 2, on doit avoir au moins 65 ans, avoir le statut légal de résident au Canada la veille de l’agrément de la demande et avoir résidé au Canada après l’âge de 18 ans pour une période totale d’au moins 10 ans, mais de moins de 40 ans avant la date d’agrément de la demande. Si la période totale est inférieure à 20 ans, il faut résider au Canada la veille de la date d’agrément de la demande.

[5] Si une personne a résidé au Canada après l’âge de 18 ans pendant moins longtemps que ce qui est requis, il est toujours possible de lui accorder une pension partielle de la SV si elle remplit les exigences d’un accord de sécurité sociale entre le Canada et un autre pays où elle a résidé ou travailléNote de bas page 3. En additionnant les périodes de couverture de la sécurité sociale au Canada et dans l’autre pays, il est possible de remplir l’exigence minimale d’admissibilité d’un ou des deux pays.

[6] Je veux que ce soit clair : les périodes de cotisation dans un autre pays peuvent seulement servir à remplir les exigences d’admissibilité prévues par la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Le calcul et le versement de la pension de la SV reposent uniquement sur le nombre d’années de résidence au Canada. Par conséquent, les années de cotisation d’une personne dans un autre pays pourraient lui donner droit à la pension de la SV, mais elles n’augmenteraient pas le montant de la pension ni le nombre d’années de résidence au Canada.

[7] De plus, le Règlement sur la sécurité de la vieillesseNote de bas page 4 distingue les concepts de résidence au Canada et de présence au Canada. Une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada. Une personne est présente au Canada lorsqu’elle se trouve physiquement dans une région du Canada.

[8] Un certain nombre de facteurs sont pertinents pour décider si une personne a établi sa demeure et vit ordinairement au CanadaNote de bas page 5. Parmi ceux-ci, on trouve entre autres :

  • les liens prenant la forme de biens mobiliers (c’est‑à‑dire une maison, une entreprise, des meubles, une automobile, un compte de banque et des cartes de crédit);
  • les liens sociaux au Canada (c’est‑à‑dire le fait d’être membre d’une organisation ou d’une association ou l’adhésion à des associations professionnelles);
  • d’autres liens au Canada (c’est‑à‑dire une assurance maladie, une assurance hospitalisation, un permis de conduire, une location, un bail, une hypothèque, des relevés d’impôt foncier, son nom sur une liste électorale, des polices d’assurance-vie, des contrats, des archives publiques, un dossier d’immigration, un dossier de passeport, un dossier des services sociaux provinciaux, des relevés de régimes de retraite publics et privés, des dossiers de l’impôt fédéral et provincial sur le revenu);
  • les liens dans un autre pays;
  • la régularité et la durée des séjours au Canada ainsi que la fréquence et la durée des absences du Canada;
  • le mode de vie de la personne (c’est‑à‑dire si sa vie est bien enracinée et établie au Canada).

ii. La position du ministre

[9] Le ministre a soutenu que l’appelant, qui ne résidait pas en permanence au Canada, a demandé une pension de la SV aux termes de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. L’appelant a déclaré qu’il vivait aux États-Unis. Par conséquent, son admissibilité à la pension de la SV a été examinée aux termes de l’Accord.

[10] L’appelant n’a pas fourni assez d’éléments de preuve montrant qu’il a rétabli ses liens de résidence avec le Canada après son départ en août 1996. Il a été établi que certaines périodes pendant lesquelles l’appelant a déclaré résider au Canada étaient des périodes de présence et non de résidence au sens du Règlement.

iii. Accords internationaux

[11] Le ministre a vérifié si l’Accord aiderait l’appelant à remplir l’exigence minimale de résidenceNote de bas page 6. L’appelant a résidé au Canada pendant 8 ans et 23 jours. L’ajout de 33 trimestres de couverture aux États-Unis, soit l’équivalent de 8 ans et 3 mois, à la résidence canadienne de l’appelant a permis d’obtenir un total de 16 ans, 3 mois et 23 jours. Chaque trimestre est considéré comme l’équivalent de 3 mois de résidence. Le ministre a rejeté la demande de pension de la SV parce que l’appelant ne remplissait pas l’exigence de résidence de 20 ans.

[12] Comme l’appelant a précisé dans sa demande qu’il a également vécu en France et au Maroc, le ministre l’a informé que sa demande de pension de la SV faisait l’objet d’un examen en vertu des accords avec ces pays. L’appelant a été prié de fournir un certificat de résidence de la France indiquant qu’il avait résidé dans ce pays pendant au moins 4 ansNote de bas page 7. On lui a aussi demandé de fournir son numéro d’enregistrement marocain.

[13] Dans une lettre datée du 14 juin 2019Note de bas page 8, l’appelant a informé le ministre qu’il n’était pas en mesure d’obtenir le certificat de résidence de la France comme requis.

[14] Le ministre a informé l’appelant que les autorités marocaines n’avaient pas confirmé ses périodes de contribution.

[15] Par conséquent, il a été impossible d’établir les périodes donnant droit à un crédit au Maroc et en France.

iv. Preuve documentaire

[16] L’appelant a demandé une pension de la SV le 11 avril 2011, puis il a fait une autre demande le 28 août 2013. Il a eu 65 ans en octobre 2010. Dans sa demande datée d’août 2013, il a déclaré qu’il vivait aux États-Unis, au Maroc et en France.

[17] La preuve documentaire montre ce qui suit :

  • L’appelant a travaillé aux États-Unis de 1996 à 1999Note de bas page 9.
  • Il a une carte d’assurance maladie du Québec depuis 1989. Un rapport de la Régie de l’assurance maladie montre que du 1er janvier 1996 au 13 février 2014, le nombre de visites chez le médecin et à l’hôpital varie d’une année à l’autre, sauf en 2010, où aucune visite n’a été consignéeNote de bas page 10.
  • Il a un permis de conduire du QuébecNote de bas page 11 valide de juillet 2013 à octobre 2017.
  • Il a un passeport canadienNote de bas page 12 délivré à Montréal et valide de 2013 à 2018.
  • Il a un compte bancaire canadien. De multiples opérations bancaires y figurent de janvier 2003 à décembre 2004. Il y a d’autres opérations de janvier à mai 2005 et en octobre 2005. Il y a quelques opérations de 2006 à 2009. Il n’y a aucune opération de 2010 à mars 2011, puis il y a quelques opérations jusqu’en août 2012.
  • Il a produit des déclarations de revenus au Canada en 1988, de 1990 à 2001 et en 2003. Il n’y a pas de renseignements sur les cotisations dans les déclarations de revenus de 2004 à 2012.
  • Il a signé un bail du 1er juin 2014 au 31 mai 2015 pour louer un appartement à MontréalNote de bas page 13.

[18] Un rapport de l’Agence des services frontaliers du Canada portant sur la période de juillet 2001 à février 2014Note de bas page 14 montre que l’appelant est entré au Canada :

  • en juillet, en novembre et en décembre 2001;
  • en juin et en juillet 2002;
  • en mai, en juin, en août, en septembre, en octobre et en décembre 2003;
  • en août 2004;
  • en septembre 2005
  • en avril, en mai, en juin et en septembre 2006;
  • en février, en avril, en août et en décembre 2007;
  • en mai et en octobre 2008;
  • en septembre et en novembre 2009;
  • aucune inscription en 2010;
  • deux fois en avril 2011;
  • en mars et en septembre 2012;
  • en avril et en juin 2013;
  • en février 2014.

[19] Dans une lettre datée du 3 décembre 2020Note de bas page 15, l’appelant a expliqué que depuis 2016, en raison de la détérioration de l’état de santé de sa conjointe, la mère de ses trois enfants, il est obligé de rester près d’elle à Montréal et d’éviter complètement les voyages occasionnels, sauf les voyages très urgents et de courte durée qui ne dépassent pas quelques jours.

v. Témoignage

[20] L’appelant a déclaré être arrivé au Canada le 8 août 1988. Il était chargé de cours et enseignant à l’université. Pour des raisons financières, il a également occupé de nombreux petits boulots (chauffeur de taxi, employé dans des restaurants). Vers 1996, il a eu de la difficulté à trouver du travail au Canada. Il a donc cherché du travail aux États-Unis. Il a été chargé de cours à l’Université de Boston de 1996 à 1999. Il a expliqué qu’il faisait des allers-retours en voiture. Il passait au moins trois jours par semaine à Montréal, y compris tous les jours fériés et les vacances parce que ses trois jeunes enfants vivaient à Montréal. Pendant qu’il travaillait à Boston, il louait un appartement. Il a expliqué qu’il est citoyen américain (il a obtenu sa citoyenneté avant de venir au Canada). Par conséquent, il avait un permis de conduire américain et un passeport américain. Il possède également un passeport canadien depuis son arrivée au Canada ou peu de temps après. Il a déclaré qu’il est toujours demeuré un résident canadien. Il avait une couverture médicale partielle lorsqu’il enseignait à l’université. Il a expliqué avoir reçu un diagnostic de leucémie chronique en 1997. Il avait donc besoin d’un suivi médical continu. Il a ajouté qu’il avait eu des problèmes personnels pendant la même période et qu’il avait divorcé de son épouse.

[21] L’appelant ne se souvenait pas d’avoir eu un compte bancaire ou des cartes de crédit aux États-Unis. Il n’était donc pas certain de l’endroit où il produisait sa déclaration de revenus. Selon ses dires, il est revenu à Montréal à l’été 1999. À son retour, il vivait dans le sous-sol de la maison en rangée où vivaient son ex-épouse et ses enfants. Malgré le divorce, son ex-épouse et lui étaient encore en bons termes. Le bail de la maison était à son nom à lui jusqu’à ce que la famille déménage en 2014. Le couple est revenu ensemble en 2014.

[22] À partir de 1999, il a travaillé à Montréal, mais aussi à l’étranger. Il a expliqué qu’il quittait le Canada pour le travail environ six mois par année, sauf en 2003 ou en 2004. Il a soutenu qu’il n’avait pas quitté le Canada pendant cette période. À l’étranger, ses frais d’hébergement étaient payés ou il restait avec des membres de sa famille selon le pays où il travaillait. Au Canada, ses seuls liens familiaux étaient ses enfants. Son ex-épouse et lui sont redevenus partenaires conjugaux en 2014 et il a dû cesser de voyager en 2016 pour prendre soin d’elle en raison de ses problèmes de santé.

vi. Conclusions

[23] Comme je l’ai mentionné plus haut, la résidence est fondée sur les liens de résidence au Canada. Des liens forts et importants sont des choses qui montrent l’intention d’une personne d’établir un foyer et de vivre ordinairement au Canada.

[24] Le RèglementNote de bas page 16 précise que si une personne qui réside au Canada quitte le pays pour une période temporaire ne dépassant pas un an, cette absence est réputée ne pas avoir interrompu sa résidence ou sa présence au Canada. Cette disposition s’applique lorsque la résidence est établie avant l’absence en question.

[25] L’appelant a travaillé aux États-Unis de 1996 à 1999 parce qu’il n’arrivait pas à trouver du travail au Canada. Au cours de cette période, l’appelant a déclaré qu’il faisait la navette entre Boston et Montréal chaque semaine en voiture. De nombreuses personnes doivent déménager pour des raisons indépendantes de leur volonté, notamment familiales, financières ou culturelles. La Cour fédéraleNote de bas page 17 a souligné la distinction entre un changement de domicile, qui est dicté par la volonté d’une personne, et un changement de résidence, qui dépend davantage des faits. L’admissibilité aux prestations de la SV est fondée sur la résidence, et non sur le domicile. La définition de « résident » dans le Règlement précise qu’une personne doit ordinairement vivre et établir sa demeure au Canada.

[26] J’admets que l’appelant a établi certains liens de résidence au Canada. Par exemple, il avait une carte d’assurance maladie du Québec et a fait un certain nombre de visites régulières de 1997 à 2013. Il avait aussi un permis de conduire du Québec qui était valide de juillet 2013 à octobre 2017 et un passeport canadien valide de 2013 à 2018. Il a également signé un bail en 2014. Le problème, c’est que la plupart des éléments de preuve montrent l’existence de liens après 2013. De 1996, lorsqu’il est parti travailler aux États-Unis, à 2013, il y a un manque de preuves.

[27] L’appelant a produit des déclarations de revenus au Canada en 1988, de 1990 à 2001 et en 2003. Il n’y a aucun renseignement sur les cotisations de 2004 à 2012. Le compte bancaire de l’appelant témoigne d’une certaine activité de janvier 2003 à décembre 2004, puis seulement quelques opérations de janvier 2005 à décembre 2009 et aucune activité de 2010 jusqu’en mars 2011.

[28] L’appelant a déclaré qu’il vivait à la même adresse depuis son arrivée au Canada en 1988 jusqu’en 2014 et que, même après son divorce en 1997, il a continué d’utiliser le sous-sol de la maison en rangée qu’il louait à Montréal, où vivaient son ex-épouse et ses enfants. Toutefois, l’appelant n’a présenté aucun bail datant d’après 1996, sauf pour la période de juillet 2014 à 2015.

[29] De plus, le rapport de l’Agence des services frontaliers du Canada portant sur la période de juillet 2001 à février 2014 fait état de multiples entrées au Canada, mais l’appelant n’a pas fourni de timbres de passeport montrant ses entrées et sorties ni aucun autre élément de preuve montrant combien de temps il a passé au Canada. Lorsqu’on lui a demandé combien de temps il s’était absenté du Canada, il a donné une réponse vague et a déclaré avoir passé environ six mois par année à l’étranger pour des raisons professionnelles.

[30] Je reconnais que l’appelant avait probablement l’intention de s’installer au Canada. Toutefois, l’intention d’une personne de résider au Canada est seulement un facteur pertinent, et non un facteur déterminant, comme je l’ai déjà été mentionné. Il m’est impossible de conclure qu’une personne réside au Canada uniquement sur la base de ses intentions.

[31] Malheureusement, la preuve présentée n’appuie pas l’argument voulant que l’appelant avait établi sa demeure et vivait ordinairement au Canada après 1996. Je ne peux pas établir qu’il avait des liens solides au Canada après 1996. Par conséquent, l’appelant ne peut pas bénéficier de la pension de la SV puisqu’il ne remplit pas les exigences de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et du Règlement sur la sécurité de la vieillesse.

Conclusion

[32] L’appel est rejeté.

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