Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

Informations sur la décision

Résumé :

SR - Mise en suspens en attendant la décision de la Cour d’appel fédérale dans une affaire semblable - Pouvoir du ministre de modifier une décision initiale

La requérante a demandé une pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) et un supplément de revenu garanti (SRG) pour les personnes âgées à faible revenu en 2011. Le ministre a approuvé les prestations de la requérante en se fondant sur le fait qu’elle avait résidé au Canada pendant 10 ans, depuis 2001. Plus tard, il a mené une enquête et en 2016, il a rendu une nouvelle décision selon laquelle la requérante ne résidait pas au Canada depuis 2006. La requérante a donc été informée qu’elle devait rembourser plus de 60 000 $ de prestations qu’elle n’aurait pas dû recevoir. La requérante a alors fait appel à la division générale (DG). L’appel portait sur la question de savoir si le ministre avait le pouvoir juridique de changer d’avis après avoir déjà rendu une décision sur l’admissibilité d’une personne à des prestations au titre de la SV.

Avant l’audience devant la DG, le ministre a demandé à celle-ci de mettre l’appel en attente (ou « en suspens ») jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale (CAF) tranche une affaire semblable portant sur le pouvoir juridique du ministre. La DG a refusé. La DG a examiné le Règlement du Tribunal, selon lequel elle doit entendre et trancher une affaire sans tarder. Elle doit agir de la manière la plus informelle et rapide que l’équité et la justice naturelle le permettent. Le désir de la requérante d’obtenir une décision l’a emporté sur le désir du ministre d’obtenir une décision de la CAF sur la question. De plus, dans l’affaire dont la CAF était saisie, il était possible que la CAF ne tranche même pas directement la question du pouvoir juridique du ministre, et ce, d’ici plus d’un an. Cela aurait pu faire en sorte que cette cause soit mise en suspens inutilement par le Tribunal.

Le DG a également décidé que le ministre avait effectivement le pouvoir de modifier ses décisions antérieures. La DG a interprété la Loi sur la sécurité de la vieillesse et le Règlement sur la sécurité de la vieillesse. L’intention du législateur était de verser des prestations de la SV en fonction de la résidence au Canada. La SV interdisait au ministre de verser des prestations à une personne qui n’était pas admissible (p. ex., parce qu’elle ne résidait pas au Canada) même s’il avait déjà approuvé la demande. La loi permettait au ministre de récupérer les prestations versées aux personnes qui n’y étaient pas admissibles. Cette interprétation répondait le mieux aux objectifs de la loi, soit celui de verser des prestations aux personnes âgées qui ont résidé au Canada assez longtemps pour y être admissibles. Dans la présente affaire, la DG a examiné la preuve de la requérante et a décidé qu’elle avait résidé au Canada pendant une partie de la période visée. Elle a donc accueilli l’appel en partie.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : KB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 268

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-1631

ENTRE :

K. B.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Virginia Saunders
Requérante représentée par : Parbinder Bhangu
Ministre représenté par : Samaneh Frounchi
Date de l’audience par
vidéoconférence :
Le 16 février 2021
Date de la décision : Le 2 juin 2021

Sur cette page

Décision

[1] La requérante, K. B., est admissible à une pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) et du Supplément de revenu garanti (SRG) à partir de février 2013. Pour recevoir le SRG, la requérante doit répondre aux exigences relatives au revenu.

[2] Puisque la requérante a été parfois absente du Canada pendant plus de six mois, sa pension et son SRG ne pouvaient pas lui être payés pour les périodes suivantes :

  • de mai 2017 à mars 2018;
  • après juin 2020.

[3] La présente décision explique pourquoi j’accueille l’appel de la requérante en partie.

Aperçu

[4] La requérante est née en Inde en octobre 1942. Elle a passé la majorité de sa vie au Pakistan, avant d’émigrer vers les Émirats arabes unis (EAU) en 1997. Elle a déménagé au Canada en juillet 2001 avec son mari et ses deux filles. Ils ont été parrainés par une autre de leurs filles qui vivait déjà au Canada.

[5] Après avoir déménagé au Canada, la requérante et son mari ont souvent voyagé pour aller voir leurs autres enfants, qui vivaient aux EAU, aux États-Unis et au Pakistan. En 2005, l’une de leurs filles a déménagé à Singapour. La requérante et son mari ont commencé à y voyager. À l’exception d’un voyage entre novembre 2007 et juin 2008, ils ne se sont jamais absentés du Canada pendant plus de six mois.

La demande de pension de la SV et de SRG de la requérante

[6] La requérante a présenté une demande de pension de la SV et de SRG en novembre 2011Note de bas de page 1.

[7] En décembre 2011, le ministre a accordé à la requérante une pension partielle de 10/40e payable à compter d’août 2011Note de bas de page 2.

[8] Cet agrément était fondé sur le fait que la requérante avait résidé au Canada pendant 10 ans, soit le minimum exigé par la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV)Note de bas de page 3.

[9] Le ministre a également approuvé le SRG de la requérante avec une date de début d’août 2011. Le ministre doit approuver le SRG chaque année. Il a approuvé le SRG de la requérante les quatre années suivantes.

[10] Le ministre traite généralement les demandes de SRG rapidement, de sorte que les personnes n’ont pas à attendre longtemps avant de toucher leurs prestations. Le ministre accorde le bénéfice du doute dans le cas des demandes simples. Il consacre ses ressources aux dossiers qui contiennent des renseignements contradictoires ou qui comportent des historiques de résidence complexes.

[11] Cette pratique est fondée sur l’idée que le ministre peut enquêter sur un dossier de façon plus exhaustive après l’approbation de la demande. Si le ministre décide qu’une personne ne répondait pas en fait aux exigences d’admissibilité au SRG, il peut changer sa décision au sujet de l’admissibilité de celle-ci et recouvrer les sommes qu’il n’aurait pas dû verserNote de bas de page 4. C’est ce qui s’est produit dans le cas de la requérante.

La décision qui fait l’objet de l’appel

[12] En 2015, le ministre a commencé à enquêter pour savoir si la requérante répondait aux exigences relatives à la résidence pour la pension de la SV. Pendant l’enquête, le ministre a suspendu le versement de la pension de la requérante. Puisque le SRG ne peut être payé qu’à une personne qui touche également une pension de la SV, le ministre a aussi suspendu le versement du SRG à la requéranteNote de bas de page 5.

[13] En mars 2016, le ministre a décidé que la requérante n’avait pas résidé au Canada pendant 10 ans au moment de l’agrément de sa demande, et qu’elle n’était donc pas admissible à ni l’une ni l’autre des prestations. Le ministre a demandé à la requérante de rembourser les sommes qu’il lui avait verséesNote de bas de page 6.

[14] La requérante a fait appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

Les observations de la requérante

[15] La requérante affirme que le ministre n’a pas la compétence de modifier ses décisions initiales, selon lesquelles elle avait accumulé suffisamment d’années de résidence pour être admissible à la pension de la SV et au SRGNote de bas de page 7.

[16] La requérante soutient que de toute manière, elle réside au Canada de façon continue depuis juillet 2001. Elle affirme que ses voyages à l’étranger n’ont pas interrompu ses années de résidences au pays. Elle affirme qu’elle ne faisait que visiter ses enfantsNote de bas de page 8.

Les observations du ministre

[17] Le ministre soutient qu’il a le pouvoir de modifier ses décisions sur l’admissibilité de la requéranteNote de bas de page 9.

[18] Le ministre affirme que la requérante n’avait pas accumulé 10 années de résidence au Canada lorsqu’il a agréé sa demande de pension de la SV en 2011. Il est d’accord avec le fait que la requérante a commencé à résider au Canada en juillet 2001. Cependant, il affirme qu’elle ne résidait pas au Canada du 28 novembre 2006 au 14 juin 2008 puisque pendant cette période, elle passait le plus clair de son temps dans d’autres pays où elle avait des liens importantsNote de bas de page 10.

[19] Le ministre affirme aussi que la requérante ne résidait pas au Canada du 8 septembre 2012 au 26 avril 2018, pour la même raisonNote de bas de page 11.

[20] Initialement, le ministre affirmait que cela signifiait que la requérante devait présenter une nouvelle demande de prestations de la SV parce qu’elle n’avait pas accumulé 10 années de résidence au Canada en mars 2016, date de la décision du ministre qui fait l’objet du présent appelNote de bas de page 12.

[21] Le ministre affirme désormais que la demande initiale de la requérante est toujours ouverte, et qu’elle n’aurait pas à présenter une nouvelle demande. Il soutient que si la requérante avait continué de résider au Canada après avril 2018, elle aurait accumulé les 10 années de résidence exigées en octobre ou novembre 2018Note de bas de page 13.

Ce que je dois trancher

[22] D’abord, je dois établir si le ministre a le pouvoir de modifier ses décisions de décembre 2011 d’agréer les demandes de pension de la SV et de SRG de la requérante.

[23] Si le ministre a le pouvoir de modifier ses décisions de décembre 2011, je dois établir si et quand la requérante a répondu aux exigences de résidence pour pouvoir toucher une pension de la SV et à partir de là, établir son admissibilité à la pension de la SV et au SRG.

[24] Si le ministre ne peut pas modifier ses décisions de décembre 2011, je dois établir si la requérante était admissible aux prestations de la SV après cette date.

Questions que je devais d’abord prendre en considération

J’ai décidé de ne pas retarder la présente décision

[25] La journée avant l’audience, le ministre m’a demandé d’aller de l’avant avec l’audience, mais de mettre ma décision en suspens (d’attendre avant de la rendre) jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale tranche une affaire semblable. L’audience a eu lieu et j’ai dit aux parties que je prendrais plus tard ma décision concernant la demande du ministre. J’ai décidé de ne pas mettre ma décision en suspens. Voici pourquoi.

[26] L’une des questions que je dois trancher dans le présent appel est celle de savoir si le ministre a le pouvoir de modifier ses décisions de décembre 2011, soit que la requérante avait accumulé 10 années de résidence au Canada et qu’elle était admissible aux prestations de la SV en août 2011.

[27] En 2018, la division d’appel du Tribunal a rendu la décision BR c Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas de page 14. Dans la décision BR, une fois que le ministre avait établi qu’une personne avait résidé au Canada assez longtemps pour être admissible à une pension de la SV, il ne pouvait plus changer d’idée au sujet des années de résidence de celle-ci, au moins jusqu’à la date de la décision.

[28] Les membres du Tribunal ne sont pas tenus de suivre les décisions de la division d’appel. Le Tribunal a rendu des décisions qui suivaient les principes de la décision BR et d’autres qui ne les suivaient pas.

[29] Récemment, la division d’appel a rendu la décision Ministre de l’Emploi et du Développement social c MBNote de bas de page 15. La décision MB suivait la décision BR : le ministre n’avait pas le pouvoir de revenir sur sa décision initiale d’admissibilité quant aux années de résidence. Elle allait encore plus loin que la décision BR et concluait que la partie requérante pouvait conserver les sommes versées jusqu’à la date de la réévaluation.

[30] Le 13 février 2021, le ministre a demandé un contrôle judiciaire de la décision MB à la Cour d’appel fédérale. Les membres du Tribunal doivent suivre les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale. Ainsi, le Tribunal sera tenu de trancher les affaires semblables à la décision MB en suivant les décisions de la Cour d’appel fédérale. C’est pourquoi le ministre m’a demandé de retarder ma décision dans le présent appel.

[31] Le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le TSS) énonce que le Tribunal doit agir promptement lorsque 365 jours se sont écoulés depuis le dépôt d’un appel. Si une audience est nécessaire, elle doit être organisée. Lorsque l’audience est terminée, une décision doit être rendue. Cela doit être fait « sans délaiNote de bas de page 16 ».

[32] Le Règlement sur le TSS indique aussi que je peux modifier une disposition s’il existe des circonstances spécialesNote de bas de page 17. La possibilité d’une décision judiciaire contraignante est une circonstance spéciale. Je dois mener les instances « de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettentNote de bas de page 18 ». Dans le cas présent, je pense que l’équité et la justice naturelle sont mieux respectées si je rends une décision plutôt que d’attendre de savoir ce que la Cour d’appel fédérale fera.

[33] La représentante du ministre n’a pas argumenté vigoureusement en faveur de la mise en suspens de ma décision. Elle a affirmé qu’elle n’avait pas réellement pris position, mais qu’elle voulait soulever la question. Elle ne savait pas combien de temps il faudrait à la Cour d’appel fédérale pour instruire et trancher l’affaire MB. En date du 26 mars 2021, une audience n’avait pas encore été prévueNote de bas de page 19. Il peut s’écouler plus d’un an entre une décision de la division d’appel et une décision de contrôle judiciaire de la cour.

[34] Le représentant de la requérante, un avocat, refusait que je mette ma décision en suspens. Il s’inquiétait du fait que sa cliente allait devoir attendre encore plus longtemps. Il a indiqué que, peu importe ma décision, la partie perdante pouvait demander la permission d’en appeler et ensuite attendre la décision de la Cour d’appel fédérale.

[35] Je pense que le souhait de la requérante d’aller de l’avant avec son appel a préséance sur le souhait du ministre d’obtenir une opinion de la Cour d’appel fédérale. Plusieurs décisions de la division d’appel sont cohérentes avec la décision BR. Le ministre n’a pas demandé de contrôle judiciaire pour aucune d’entre elles, sauf dans le cas de l’affaire MB. Il a continué à soutenir qu’il avait le pouvoir de modifier ses décisions initiales concernant l’admissibilité. Je ne vois pas pourquoi il y aurait désormais un besoin urgent de retarder ces appels lorsqu’ils sont devant le Tribunal.

[36] Sans égard aux souhaits de la requérante, je suis persuadée par la possibilité bien réelle que la Cour d’appel fédérale ne rende pas de décision contraignante ni même de directives sur cette question. Les parties pourraient négocier un règlement. La Cour pourrait renvoyer la décision à la division d’appel avec des directives à suivre. Elle pourrait rendre une courte décision qui ne tranche que certaines questions. Si l’une de ces choses se produit, le délai s’avérerait inutile.

[37] Ainsi, je ne vais pas mettre ma décision en suspens.

Motifs de ma décision

[38] J’ai décidé que le ministre pouvait modifier sa décision initiale de décembre 2011 selon laquelle il approuvait le versement de la pension de la SV à la requérante, ainsi que sa décision d’approuver la demande de SRG de la requérante.

[39] Puisque j’ai décidé que le ministre pouvait modifier sa décision de décembre 2011, j’ai examiné si la requérante avait répondu à l’exigence d’avoir accumulé 10 années de résidence au Canada pour pouvoir toucher une pension de la SV. J’ai décidé que la requérante a répondu à cette exigence en janvier 2013. Cela signifie qu’elle était admissible à la pension de la SV et au SRG à compter de février 2013 et non d’août 2011. Elle n’aurait pas dû toucher de prestations d’août 2011 à janvier 2013.

[40] Puisque la requérante a été parfois absente du Canada pendant plus de six mois, sa pension et son SRG ne pouvaient pas lui être payés pour les périodes suivantes :

  • de mai 2017 à mars 2018;
  • après juin 2020.

[41] Les motifs de ma décision sont expliqués ci-dessous.

Le ministre peut modifier sa décision initiale d’agrément de la pension de la requérante

[42] Les articles 5(1), 34 et 37 de la Loi sur la SV accordent au ministre le pouvoir d’enquêter sur l’admissibilité de la requérante, de modifier sa décision initiale sur son admissibilité à la pension de la SV et d’exiger qu’elle rembourse les sommes reçues auxquelles elle n’avait pas droit.

[43] Jusqu’à ce que la décision BR soit rendue, le Tribunal reconnaissait que le ministre avait ce pouvoir. À ce que je sache, cette question n’a jamais été débattue à la Cour fédérale ni à la Cour d’appel fédérale.

[44] Depuis la décision BR, plusieurs décisions de la division générale et de la division d’appel ont suivi les principes qui y sont établis. Ces décisions concluaient que la Loi sur la SV ne donnait pas au ministre le pouvoir qu’il prétendait détenir. Le Tribunal devrait tenter d’être cohérent et de trancher de façon semblable les affaires qui se ressemblent. Cela dit, je n’ai pas à suivre les décisions du Tribunal par seul souci de cohérence si je ne suis pas d’accord avec elles, pourvu que je puisse expliquer pourquoiNote de bas de page 20.

[45] Je ne suivrai pas la décision BR ni les décisions qui vont dans le même sensNote de bas de page 21. À mon avis, elles n’accordent pas suffisamment d’importance à la résidence canadienne comme facteur central à l’objet de la Loi sur la SV. De plus, en établissant que la Loi sur la SV ne soutient pas les dispositions du Règlement sur la sécurité de la vieillesse (Règlement sur la SV) sur lesquels se fonde le ministre, elles négligent le libellé des articles 5(1) et 34 de la Loi sur la SV.

[46] Pour décider si le ministre avait le pouvoir de modifier sa décision initiale d’agrément, j’ai examiné le libellé de la Loi sur la SV dans son contexte global et dans son sens grammatical et ordinaire. Je me suis demandé si mon interprétation du libellé correspondait avec l’objet et la logique de la loi et avec l’intention du législateurNote de bas de page 22.

L’objet et la logique de la Loi sur la SV, c’est d’offrir des prestations selon la résidence au Canada

[47] L’objet et la logique de la Loi sur la SV, c’est d’offrir des prestations selon la résidence au Canada.

[48] Elizabeth Charron est agente de législation principale pour la division de la politique et de la législation de la SV à Emploi et Développement social Canada. Son rapport décrit l’objet et la logique de la Loi sur la SVNote de bas de page 23. Ce rapport est appuyé par des articles, des rapports de comités parlementaires et des débats de la Chambre des communes. Je reconnais que Mme Charron est une experte sur l’histoire et l’objet des lois sur la SV et sur les pratiques et politiques utilisées pour mener à bien le programme de la SV.

[49] La Loi sur la SV est de nature altruiste et elle remplit un objectif social largeNote de bas de page 24. Mme Charron affirme que l’objectif de la Loi sur la SV est d’offrir aux personnes de 65 ans et plus un revenu pour aider à réduire le niveau de pauvreté dans ce groupe d’âge. Le fondement du programme est toutefois la résidence au CanadaNote de bas de page 25.

[50] Les exigences d’admissibilité à une pension de la SV montrent à quel point la résidence est importante. Le montant de la pension est établi en fonction du nombre d’années qu’une personne a résidé au Canada. Pour être admissible à une pension, une personne doit avoir résidé au Canada pendant au moins 10 ans après l’âge de 18 ans. La possibilité de verser une pension à une personne à l’extérieur du Canada dépend de la durée de résidence de celle-ci au CanadaNote de bas de page 26.

[51] La Cour fédérale du Canada a reconnu l’importance de la résidence dans la Loi sur la SV. Elle a écrit : « [...] la Loi sur la SV accorde des prestations, d’abord et avant tout, aux résidents du Canada; [...] le régime législatif semble être axé sur l’octroi de prestations aux personnes qui vivent leur retraite au CanadaNote de bas de page 27 ».

[52] La Cour a également reconnu que c’était là l’intention du législateur. En décrivant les modifications à la Loi sur la SV qui ont établi les exigences actuelles en matière de résidence, elle a écrit : « Le droit à une pension serait désormais lié principalement au nombre d’années de résidence au Canada après l’âge de 18 ansNote de bas de page 28. »

Les articles 5(1) et 37 de la Loi sur la SV octroient au ministre le pouvoir de modifier sa décision

[53] Je conclus que les articles 5(1) et 37 de la Loi sur la SV octroient au ministre le pouvoir de réévaluer l’admissibilité de la requérante, de décider qu’elle n’aurait pas dû avoir droit à une pension de la SV en décembre 2011 et de demander qu’elle la rembourse.

[54] L’article 5(1) de la Loi sur la SV énonce qu’en aucun cas une pension ne peut être versée à une personne sauf :

  • si elle est admissible au titre des articles 3(1) et 3(2) (exigences relatives à l’âge et à la résidence);
  • si elle a présenté une demande de pension;
  • si sa demande a été agrééeNote de bas de page 29.

[55] Selon mon interprétation de l’article 5(1), ces trois exigences sont distinctes. Il n’y a aucune autre raison de mentionner les exigences relatives à l’âge et à la résidence de nouveau. Elles sont déjà établies aux articles 3(1) et 3(2). Leur inclusion ici signifie qu’il n’est pas permis de verser une pension à une personne qui ne répond pas aux exigences, même si cette personne a présenté une demande de pension et que le ministre a agréé sa demande.

[56] Le fait que le ministre ait agréé une demande ne signifie pas qu’une personne est admissible au titre des articles 3(1) et 3(2). Tout ce que cela signifie, c’est que le ministre était d’avis, à ce moment-là, que la personne était admissible. Cela dit, si le ministre était dans l’erreur, en ce sens que la personne n’était en fait pas admissible, l’article 5(1) énonce tout de même qu’une pension ne peut lui être versée.

[57] Cela ne s’applique pas seulement aux paiements futurs. Cela s’applique aussi aux paiements qui ont déjà été faits. Cela s’explique par le fait que l’article 37 de la Loi sur la SV énonce qu’une personne doit rembourser les prestations qu’elle a reçues si elle n’y avait pas droit, ou si elle en a reçu plus que ce à quoi elle avait droit. Ces sommes créent une dette que le ministre peut recouvrer en cour ou en la déduisant des autres prestationsNote de bas de page 30.

[58] L’article 37 reconnaît qu’il existera des situations dans lesquelles une personne recevra des paiements auxquels elle n’a pas droit. Il ne limite pas l’obligation de rembourser les sommes à certaines circonstances. Il n’exempte pas les paiements qui ont été versés après l’agrément d’une demande de pension. Il va donc de soi que le ministre a le pouvoir de réviser sa décision de verser des prestations, afin de vérifier qu’une personne était en effet admissible au départ.

[59] Une personne n’est pas admissible à une pension si la loi énonce qu’elle ne peut pas lui être payée. Ainsi, lorsqu’une personne touche une pension de la SV même si elle n’y était pas admissible parce qu’elle ne répondait pas aux exigences relatives à la résidence, elle doit la rembourser, même si sa demande a été agréée.

L’article 34 de la Loi sur la SV habilite les articles 23 et 26 du Règlement sur la SV

[60] L’article 34 de la Loi sur la SV habilite les articles 23 et 26 du Règlement sur la SV. Le Règlement sur la SV octroie au ministre le pouvoir d’enquêter sur l’admissibilité d’une partie requérante et de suspendre le versement d’une prestation à tout moment. Ces pouvoirs soutiennent l’existence du pouvoir de modifier une décision initiale.

[61] L’article 34(f) de la Loi sur la SV permet de prendre des règlements qui établissent les renseignements et les preuves que les parties requérantes doivent fournir. Une partie requérante est une personne pour laquelle le paiement d’une prestation a été agrééNote de bas de page 31. Ainsi, l’article 34(j) habilite l’article 23 du Règlement sur la SV, qui énonce que le ministre peut « en tout temps » faire enquête sur l’admissibilité d’une personne à des prestations. Le ministre peut « avant ou après l’agrément d’une demande » exiger que la partie demanderesse ou la partie requérante permette l’accès à des renseignements concernant son admissibilité à une prestation.

[62] L’article 34(j) de la Loi sur la SV permet de prendre des règlements qui prévoient la suspension du paiement d’une prestation pendant une enquête sur l’admissibilité d’une partie requérante, ainsi que la réintégration ou la reprise du versement. Ainsi, l’article 34(j) habilite l’article 26 du Règlement sur la SV, qui affirme que le ministre peut suspendre le paiement d’une prestation pendant qu’il enquête sur l’admissibilité de la personne. L’article indique que le ministre peut suspendre le paiement d’une prestation lorsqu’il semble que la partie requérante n’y est pas admissible. La suspension se poursuit jusqu’à ce que le ministre soit convaincu que la personne est admissible à la prestation.

[63] L’article 34(j) n’indique pas précisément que le ministre peut décider de ne pas réintégrer ou reprendre le versement. Je ne pense pas que ce soit important. Une suspension peut être permanenteNote de bas de page 32. Si, lors d’une enquête, le ministre devient convaincu qu’une personne n’est pas admissible aux prestations, il s’ensuit que le versement ne reprendra jamais. Sinon, le ministre serait toujours tenu de réintégrer ou de reprendre le versement, même s’il établit que la personne n’était pas admissible. Cela serait contraire à l’article 5(1) de la Loi sur la SV.

[64] Le fait que la Loi sur la SV ne prévoit spécifiquement que deux situations où une pension cesse d’être payée n’est pas pertinent non plus. Il s’agit de lorsqu’une personne qui touche une pension meurtNote de bas de page 33 ou après une demande écrite d’une personne qui touche une pensionNote de bas de page 34. Cela étant dit, l’article 8(3) indique que la pension « est viagère », mais « sous réserve des autres dispositions de la présente loi ». Cela comprend les dispositions que j’ai abordées précédemment, qui interdisent le paiement d’une pension à une personne qui n’y est pas admissible.

Les articles 23 et 26 réalisent l’objectif et font respecter les dispositions de la Loi sur la SV

[65] En plus d’être spécifiquement habilités par les articles 34(f) et 34(j) de la Loi sur la SV, les articles 23 et 26 du Règlement sur la SV sont valides parce qu’ils réalisent l’objectif et font respecter les dispositions de la Loi sur la SV.

[66] L’article 34 de la Loi sur la SV énonce que le gouvernement « peut prendre des règlements d’application de la présente loi ». Il fournit une liste de règlements que le gouvernement peut prendre. La liste n’est toutefois pas exhaustive. À l’article 34, la liste est précédée par le mot « notamment ». Cela signifie qu’un règlement peut autoriser quelque chose qui ne figure pas dans la liste, pourvu que le règlement vise à réaliser les objectifs et à faire appliquer les dispositions de la Loi sur la SV.

[67] L’objectif de la Loi sur la SV est de fournir un supplément de revenu aux personnes âgées et qui ont des liens de résidence importants au Canada. Ses dispositions indiquent précisément que le ministre ne peut pas verser une pension à une personne qui ne répond pas aux exigences relatives à la résidenceNote de bas de page 35. Si cela se produit, la personne doit rembourser la pensionNote de bas de page 36.

[68] La Loi d’interprétation énonce que « tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objetNote de bas de page 37 ».

[69] Mon interprétation de la Loi sur la SV assure au mieux l’atteinte de son objectif, qui est de verser des prestations aux personnes âgées qui ont résidé au Canada suffisamment longtemps pour y être admissibles.

Le ministre peut modifier sa décision d’agrément du SRG de la requérante

[70] Le ministre peut modifier sa décision d’agrément de la SRG de la requérante. Il le peut parce que la Loi sur la SV énonce que le SRG ne peut pas être versé pour « tout mois pour lequel le pensionné ne peut recevoir de pensionNote de bas de page 38 ».

[71] Ainsi, pour toute période pour laquelle le ministre a décidé que la requérante ne pouvait pas toucher sa pension de la SV, elle n’était pas admissible au SRG non plus. L’article 37 de la Loi sur la SV énonce qu’elle est tenue de le rembourser.

La requérante répondait à l’exigence d’avoir accumulé 10 années de résidence au Canada en janvier 2013

[72] J’estime que la requérante résidait au Canada pendant les périodes suivantes :

  • du 4 juillet 2001 au 27 novembre 2006;
  • du 15 juin 2008 au 31 octobre 2016;
  • du 26 avril 2018 au 31 mars 2020.

[73] Cela signifie que la requérante répondait à l’exigence d’avoir accumulé 10 années de résidence au Canada en janvier 2013 et non en juillet 2011.

[74] J’ai tiré cette conclusion au sujet de la résidence de la requérante en tenant compte des éléments suivants.

Crédibilité

[75] La requérante a témoigné pendant l’audience. Elle est atteinte de démence. Plusieurs questions la rendaient perplexe, comme quand on lui a demandé combien d’enfants elle avait. Il était évident que ses éléments de preuve n’étaient pas fiables, et qu’il aurait été injuste de la tenir responsable des déclarations qu’elle a faites à l’audience.

[76] Ainsi, je ne me suis pas fiée au témoignage de la requérante. Je me suis plutôt fiée aux documents au dossier et au témoignage de la fille de la requérante, M. M.

[77] M. M. vit en Ontario. La requérante vit avec elle lorsqu’elle est au Canada. Lors de l’audience, M. M. a répondu aux questions de façon honnête et spontanée. Je pense qu’elle a fait de son mieux pour dire la vérité et j’accepte qu’elle m’ait transmis les renseignements dont elle avait une connaissance directe.

[78] Je n’ai pas accordé de poids à l’information écrite fournie par la requérante parce qu’au mieux, elle a été peu diligente à fournir des renseignements exacts. Il y a deux exemples de ceci.

[79] Premièrement, la requérante a signé une déclaration en janvier 2015. Dans cette déclaration, on lui demandait de dresser la liste de tous les endroits où elle avait vécu et qu’elle avait visités au cours des cinq dernières années. Elle n’avait inscrit que le CanadaNote de bas de page 39. Cependant, selon ses passeports, elle s’était rendue au Pakistan, aux EAU, à Singapour et aux États-Unis dans les cinq dernières années. Elle était à Dubaï à ce moment-là.

[80] Deuxièmement, la requérante a signé un questionnaire sur la résidence en avril 2015. Dans le questionnaire, on posait la question suivante : [traduction] « Depuis votre date initiale d’arrivée au Canada, avez-vous déjà quitté le pays pour une période de plus de six mois consécutifs? » La requérante a répondu « nonNote de bas de page 40 ». Cependant à ce moment-là, elle avait fait deux voyages à l’étranger qui avaient duré plus de six moisNote de bas de page 41.

[81] Bien que je prenne acte de la preuve de M. M., selon laquelle la requérante était dépressive et qu’elle avait des difficultés de santé mentale après le décès de son mari, aucune preuve n’indique qu’elle était atteinte de démence au moment de signer ces formulaires. Même si elle ne les avait pas remplis elle-même, elle aurait tout de même été responsable des informations qu’elle a attestées en posant sa signature. Il semble qu’elle ait été peu soucieuse de vérifier si l’information était exacte. Je ne me suis donc pas fondée sur les renseignements écrits que la requérante a donnés, sauf si d’autres documents pouvaient les appuyer.

[82] Ces formulaires ont été remplis alors que la requérante était à l’étranger. Je reconnais que M. M. n’a joué aucun rôle à cet égard, et que sa crédibilité n’est donc pas en jeu.

[83] Cela ne fait aucune différence dans le résultat, mais pour être juste, je tiens à dire que je ne suis pas d’accord avec l’observation du ministre selon laquelle la requérante a donné de faux renseignements en répondant à la question 14 de son formulaire de demande de pension de la SVNote de bas de page 42. Les instructions de la question 14 indiquent ceci : [traduction] « Veuillez inscrire tous les endroits où vous avez vécu depuis l’âge de 18 ans, au Canada ou à l’étranger. Ne tenez pas compte des périodes pendant lesquelles vous étiez hors du Canada pour moins de six mois consécutifs. » [mis en évidence par la soussignée] La requérante a répondu qu’elle vivait au Canada depuis juillet 2001. Elle n’a indiqué aucune absence du paysNote de bas de page 43.

[84] Les instructions portent à confusion. La Loi sur la SV et le Règlement sur la SV n’énoncent pas qu’une personne cesse de vivre au Canada si elle est à l’étranger pendant plus de six mois. Il est raisonnable qu’une personne qui est à l’étranger pendant plus de six mois estime qu’elle vive toujours au Canada. Puisque la requérante a toujours insisté pour dire que le Canada était le pays où elle vivait malgré ses séjours à l’étranger, je ne me serais pas attendue à ce qu’elle indique ses absences.

[85] Si le ministre s’attend à ce que les personnes qui remplissent une demande indiquent toutes les périodes pendant lesquelles elles se sont absentées du pays pendant plus de six mois, plutôt que les périodes de non-résidence, il devrait le communiquer clairement. Par exemple, il pourrait fournir des instructions beaucoup plus directes que celles qui se trouvent dans le questionnaire et la déclaration.

Critère de résidence

[86] Pour décider si la requérante résidait au Canada, je dois examiner si elle avait établi sa demeure et vivait ordinairement dans une région du CanadaNote de bas de page 44. Ainsi, je dois examiner des facteurs comme :

  • son mode de vie et ses liens avec le Canada (biens mobiliers, liens sociaux, assurance médicale, permis de conduire, bail de location, relevés d’impôts, etc.) comparés avec ses liens à un autre pays;
  • la régularité et la durée de ses séjours au Canada;
  • la fréquence et la durée de ses absences du CanadaNote de bas de page 45.

[87] Le ministre n’a pas à prouver que la requérante ne résidait pas au Canada. C’est la requérante qui doit prouver que selon la prépondérance des probabilités (autrement dit, qu’il était plus probable qu’improbable), elle résidait au Canada pendant les périodes qu’elle a indiquéesNote de bas de page 46.

La requérante résidait au Canada de juillet 2001 à novembre 2006

[88] Personne ne conteste la résidence de la requérante du 4 juillet 2001 au 27 novembre 2006Note de bas de page 47. J’estime que la requérante résidait au Canada pendant cette période.

La requérante ne résidait pas au Canada de novembre 2006 à juin 2008

[89] La requérante ne résidait pas au Canada du 28 novembre 2006 au 14 juin 2008.

[90] Après avoir déménagé au Canada en juillet 2001, sa famille et elle vivaient dans des maisons de location à Mississauga, en Ontario. La requérante ne travaillait pas. Elle a suivi des cours d’anglais pour débutants. Son mari travaillait pour une entreprise de sécurité. M. M. vivait avec eux. Elle et sa fratrie aidaient à soutenir leurs parents.

[91] Le mari de la requérante a pris sa retraite en 2005 ou 2006. Après cela, la requérante et lui ont commencé à voyager davantage. Le mari de la requérante prenait toutes les décisions quant à l’endroit où ils voyageaient et le moment auquel ils allaient en voyage.

[92] Ce tableau montre où la requérante se trouvait entre novembre 2006 et juin 2008. Personne ne conteste ces datesNote de bas de page 48 :

Du 28 novembre 2006 au 23 mars 2007 États-Unis et Singapour
Du 23 mars 2007 au 28 mai 2007 Canada
Du 28 mai 2007 au 19 octobre 2007 Pakistan et EAU
Du 19 octobre 2007 au 10 novembre 2007 Canada
Du 10 novembre 2007 au 15 juin 2008 Pakistan, EAU et Singapour

[93] Tous les voyages de la requérante avaient pour but de visiter ses enfants, principalement au Pakistan, à Dubaï et à Singapour. Son mari et elle habitaient chez leurs enfants. À la fin de 2006, ils ont cessé de louer leur maison à Mississauga. M. M. se rétablissait d’un accident et elle demeurait à la maison de sa sœur, également à Mississauga. Lorsque ses parents étaient au Canada pendant cette période, ils habitaient avec M. M.

[94] La requérante a conservé certains liens avec le Canada de novembre 2006 à juin 2008. Elle avait un compte bancaire et conservait certains de ses biens personnels au Canada pendant qu’elle était en voyage. Elle avait également des amis qu’elle avait connus dans ses cours d’anglais. Elle n’a pas abandonné son assurance médicale de l’Ontario et a conservé son médecin de famille.

[95] Je n’ai pas accordé beaucoup de poids à ces liens. Puisque la requérante s’attendait à rentrer au Canada, il était censé de maintenir ces liens.

[96] La requérante venait au Canada pour la même raison qu’elle se rendait au Pakistan, aux États-Unis, à Dubaï et à Singapour : pour visiter ses enfants. Je ne crois pas qu’elle avait un plus grand lien avec le Canada.

[97] Afin d’en arriver à la conclusion que la requérante ne résidait pas au Canada de novembre 2006 à juin 2008, j’ai accordé plus de poids à deux facteurs. Premièrement, la requérante et son mari ont cessé de louer leur maison à la fin de 2006 et ont quitté le pays pour de longs voyages afin de visiter leurs enfants. Deuxièmement, la requérante a été au Canada pendant seulement 89 jours sur 565 entre le 28 novembre 2006 et le 14 juin 2008. Dans ces circonstances, je ne peux pas conclure qu’elle avait établi sa demeure et vivait ordinairement au Canada.

[98] Je reconnais que la requérante n’avait peut-être pas son mot à dire quant à la durée de ses séjours au Canada ou ailleurs. Cependant, il n’y a aucune preuve qu’elle souhaitait demeurer au Canada et qu’elle était forcée de sortir du pays contre son gré. Elle a simplement laissé son mari prendre les décisions et organiser les voyages.

[99] Je reconnais par ailleurs que la requérante et son mari étaient peut-être incertains quant aux « règles ». Ils pensaient que s’ils ne restaient pas à l’étranger pendant plus de six mois, leur résidence n’était pas touchée. Le fait d’être à l’étranger pendant plus de six mois a des conséquences sur le paiement de prestations de la SVNote de bas de page 49. La loi ne spécifie pas que rentrer au Canada tous les six mois pour de courtes périodes maintient la résidence.

L’article 21(4) du Règlement sur la SV ne s’applique pas à cette période

[100] L’article 21(4) du Règlement sur la SV ne s’applique pas à la requérante pendant la période de novembre 2006 à juin 2008. Il affirme qu’une absence temporaire du Canada de moins d’un an n’interrompt pas la résidence d’une personne au CanadaNote de bas de page 50. Pour que cette disposition puisse s’appliquer, la requérante doit résider au Canada. Or, elle ne résidait pas au Canada. En cessant de louer sa maison et en quittant le pays en novembre 2006, la requérante a mis fin à sa résidence au Canada. La disposition ne s’applique pas à sa situation.

La requérante résidait au Canada de juin 2008 au 31 octobre 2016

[101] Le ministre affirme que la requérante résidait au Canada de juin 2008 au 7 septembre 2012Note de bas de page 51. Je suis d’accord. Cela dit, contrairement au ministre, je ne pense pas que la requérante a cessé de résider au Canada en septembre 2012. J’estime que sa résidence s’est poursuivie jusqu’au 31 octobre 2016.

[102] La requérante et son mari sont rentrés au Canada en juin 2008. Ils ont loué une maison à Mississauga, sur XNote de bas de page 52. Ils y habitaient avec M. M. Rien d’autre n’avait changé, sauf qu’ils ont passé moins de temps à voyager à l’étranger au cours des quatre années suivantes. J’estime qu’en louant une maison et en passant plus de temps au Canada, la requérante est devenue résidente à nouveau.

[103] Le ministre affirme que la requérante a cessé de résider au Canada après le 7 septembre 2012, parce que les années suivantes, elle était hors du pays 70 % du temps et elle n’avait pas de liens solides avec le Canada. Elle recevait des soins médicaux à l’étranger. Elle n’avait pas sa propre demeure au Canada.

[104] Je ne suis pas d’accord avec le ministre. J’estime que la situation de la requérante a changé en 2012. Son mari est décédé au mois d’août de cette année-là. Les raisons de ses voyages ont changé. Puisque M. M. avait de la difficulté à prendre soin de la requérante seule, ses frères et sœurs de l’extérieur du Canada l’ont aidée en accueillant chez eux la requérante. Mais la maison de M. M. au Canada était là où la requérante revenait toujours. C’est là où elle vivait ordinairement et où elle avait établi sa résidence jusqu’au 31 octobre 2016.

[105] Ce tableau montre où la requérante se trouvait entre le 7 septembre 2012 et le 31 octobre 2016. Personne ne conteste ces datesNote de bas de page 53 :

Du 7 septembre 2012 au 14 juin 2013 Pakistan, EAU et Singapour
Du 14 juin au 1er août 2013 Canada
Du 1er au 13 août 2013 États-Unis
Du 13 août au 14 septembre 2013 Canada
Du 14 septembre au 1er octobre 2013 États-Unis
Du 1er octobre 2013 au 18 janvier 2014 Canada
Du 18 janvier au 30 juin 2014 Pakistan, EAU (Dubaï) et Singapour
Du 30 juin au 13 décembre 2014 Canada
Du 13 décembre 2014 au 20 juillet 2015 Dubaï
Du 20 juillet 2015 au 16 janvier 2016 Canada
Du 16 janvier au 16 mai 2016 Dubaï
Du 16 mai au 31 octobre 2016 Canada

[106] Peu après le décès de son mari, la requérante a commencé à être déprimée. M. M. et ses frères et sœurs ont décidé que la requérante pourrait se sentir mieux si elle sortait du pays quelque temps. La requérante a passé les neuf mois suivants à visiter ses enfants à Singapour, au Pakistan et à Dubaï. Lorsqu’elle est rentrée au Canada, cependant, son état s’est détérioré. M. M. l’a envoyée aux États-Unis pour deux courtes visites chez ses enfants. Les visites n’ont pas aidé. La requérante est rentrée au Canada en janvier 2014.

[107] M. M. a affirmé que peu après le décès du mari de la requérante, celle-ci a commencé à présenter des signes de déclin cognitif. M. M. a consulté un psychologue et un travailleur social, qui lui a conseillé de s’assurer que la requérante demeurait active et engagée. M. M. pensait qu’un changement de décor lui ferait du bien. Elle avait besoin d’une pause, puisque l’augmentation de l’anxiété de sa mère faisait en sorte qu’on pouvait difficilement la laisser seule. Ainsi, au cours des deux années et dix mois suivants, la requérante a passé environ la moitié de l’année au Canada et l’autre moitié à Dubaï.

[108] Bien que la requérante a passé beaucoup de temps hors du Canada après cela, elle ne voyageait pas avec son mari pour le plaisir. Elle voyageait pour tenter de traiter sa dépression et ralentir son déclin cognitif, et parce que M. M. avait besoin d’un répit.

[109] La requérante conservait un lien plus fort avec le Canada lorsqu’elle partait à l’étranger. M. M. continuait de vivre à X, et la requérante gardait sa chambre et ses biens personnels dans celle-ci. La requérante recevait des soins médicaux au CanadaNote de bas de page 54. C’est M. M. qui prenait les décisions quant à ses besoins. Les autres enfants de la requérante jouaient un rôle dans ces décisions, mais il semble que M. M. était la plus au courant de la situation de la requérante. Elle prenait régulièrement des décisions au sujet de ses soins, peu importe où était la requérante. M. M. a dit que lorsque la requérante rentrait au Canada, elle « rentrait à la maison ».

[110] Les déplacements de la requérante de 2012 à 2016 montrent qu’elle n’a pas cessé de résider au Canada. À l’exception des neuf mois qui ont suivi le décès de son mari, la requérante était au Canada plus souvent et y demeurait plus longtemps que dans tout autre pays où vivaient ses enfants. Du 14 juin 2013 (lorsqu’elle est rentrée au Canada après avoir passé neuf mois à Singapour) au 31 octobre 2016 (lorsqu’elle a quitté le Canada pour une autre période prolongée), la requérante a été au Canada 709 jours. Elle a passé les 532 autres jours aux États-Unis, à Dubaï, à Singapour ou au Pakistan.

L’article 21(4) du Règlement sur la SV s’applique à cette période

[111] L’article 21(4) du Règlement sur la SV s’applique aux absences de la requérante pendant cette périodeNote de bas de page 55. Lorsque la requérante a quitté le Canada en septembre 2012, elle n’a pas rompu sa résidence. Ce voyage a été fait pour améliorer son humeur. Elle devait ensuite rentrer au Canada et elle l’a fait. Les voyages subséquents ont été faits pour la même raison, et pour donner un peu de répit à M. M. Il s’agissait d’absences temporaires de moins d’une année, et à ce titre, elles n’interrompaient pas la résidence de la requérante au Canada.

La requérante ne résidait pas au Canada du 31 octobre 2016 au 26 avril 2018

[112] La requérante a cessé de résider au Canada en octobre 2016. Elle s’est rendue à Dubaï pour être avec son fils. Elle a ensuite passé du temps avec ses enfants au Pakistan et à Singapour. Elle n’est pas rentrée au Canada pendant près d’un an et demi. Elle n’avait pas de lien suffisamment solide avec le Canada pour y maintenir sa résidence pendant une si longue absence.

La requérante résidait au Canada du 26 avril 2018 au 31 mars 2020

[113] La requérante a recommencé à résider au Canada lorsqu’elle est rentrée au pays en avril 2018. À ce moment-là, M. M. a déménagé dans un nouvel appartement à Mississauga, où elle demeure toujours. La requérante a une chambre dans cet appartement. Ses dossiers médicaux montrent qu’elle a reçu des soins médicaux au Canada fréquemment entre mai 2018 et le 30 septembre 2019Note de bas de page 56. Son passeport et ses entrées et sorties à la frontière montrent qu’elle est allée au Pakistan et à Dubaï du 30 novembre au 27 décembre 2018, puis qu’elle est rentrée au CanadaNote de bas de page 57. J’accepte la preuve de M. M. selon laquelle la requérante est restée au Canada jusqu’en décembre 2019.

[114] La requérante a cessé de résider au Canada le 31 mars 2020.

[115] En décembre 2019, la requérante s’est rendue à Singapour pour un mariage. Elle planifiait de rentrer au Canada en février ou mars 2020, mais elle n’a pas pu le faire en raison de la pandémie. Elle a ensuite décidé de rester à Singapour, où elle vit avec sa fille. Elle avait des problèmes au genou, et voyager était difficile pour elle.

[116] Puisque la requérante avait l’intention de rentrer au Canada dans les mois qui suivaient, sa résidence au Canada n’a pas pris fin lorsqu’elle a quitté le pays. Toutefois, elle a changé ses plans et a décidé de rester à Singapour en mars 2020. La situation était hors de son contrôle, à tout le moins pendant le court moment où les voyages étaient interdits. Cependant, la requérante aurait pu rentrer au Canada à un autre moment en 2020, mais elle ne l’a pas fait. Elle est à Singapour depuis plus d’un an. Elle a un arrangement pour son lieu de résidence semblable à celui qu’elle avait au Canada. En conséquence, j’estime qu’elle a cessé de résider au Canada le 31 mars 2020. À ce moment-là, elle avait décidé qu’elle ne rentrerait pas au Canada.

[117] La requérante n’était toujours pas rentrée au Canada à la date de l’audience (le 16 février 2021). J’estime qu’elle n’a pas repris sa résidence au Canada à cette dateNote de bas de page 58.

Début des paiements

[118] La première période de résidence de la requérante au Canada (du 24 juillet 2001 au 28 novembre 2006) a duré 5 ans et 147 jours. Lorsque la requérante a recommencé à résider au Canada le 15 juin 2008, elle avait besoin de 4 années et 218 jours de résidence pour répondre à l’exigence de la Loi sur la SV d’avoir accumulé au moins 10 années de résidence.

[119] La requérante répondait à l’exigence d’avoir accumulé 10 années de résidence au Canada en janvier 2013. C’est la date d’agrément de sa pension de la SV. Le paiement de sa pension de la SV commence en février 2013Note de bas de page 59. Si la requérante répondait aux exigences de revenu, son SRG était également payable à partir de ce moisNote de bas de page 60.

[120] Puisque la requérante n’avait pas résidé au Canada pendant 20 années lorsque sa demande pouvait être agréée, sa pension n’est pas transférable. Cela signifie que la pension ne peut pas lui être payée après une absence du Canada de plus de six mois consécutifs excluant le mois pendant lequel elle a quitté le pays. La requérante n’est pas admissible au SRG non plusNote de bas de page 61.

[121] Après être devenue pensionnéeNote de bas de page 62, la requérante a quitté le Canada pendant plus de six mois consécutifs, pendant les périodes suivantes :

  • Du 13 décembre 2014 au 20 juillet 2015. Cette absence n’a pas d’incidence sur ses paiements. Elle n’aurait pas été admissible aux paiements à partir de juillet 2015. Toutefois, elle est rentrée au Canada ce mois-là, et ses paiements se sont donc poursuivis.
  • Du 31 octobre 2016 au 25 avril 2018. Cela signifie que sa pension et son SRG ne pouvaient pas lui être payés de mai 2017 à mars 2018. Les paiements ont repris en avril 2018, lorsqu’elle a recommencé à résider au Canada.
  • De décembre 2019 au 16 février 2021 (date de l’audience du présent appel). Cela signifie que sa pension et son SRG ne pouvaient pas lui être payés après juin 2020.

Conclusion

[122] L’appel est accueilli en partie.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.