Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

Informations sur la décision

Résumé :

Sécurité de la vieillesse – pension – la fréquentation d’une école n’interrompt pas la résidence au Canada – la Loi sur la Sécurité de la vieillesse n’oblige pas un prestataire d’être revenu au Canada après ses études

Le prestataire a demandé une pension de la Sécurité de la vieillesse (SV). Le montant de cette pension est établi en fonction du nombre d’années, sur 40, où la personne a résidé au Canada après ses 18 ans. Plus la personne compte d’années de résidence, plus la pension reçue est importante. Le ministre a décidé d’accorder au prestataire une pension partielle basée sur environ 19 ans de résidence. Le ministre a jugé que le prestataire avait résidé au Canada jusqu’à ce qu’il parte faire des études postdoctorales aux États-Unis en 1990. Le prestataire a obtenu son doctorat au début des années 2000 et a alors commencé à travailler aux États-Unis. Il n’est jamais revenu vivre au Canada. Le prestataire a contesté la décision du ministre. Selon lui, il avait droit à une plus grosse pension. Le ministre la lui a refusée. Le prestataire a donc fait appel à la division générale (DG).

La DG a accueilli son appel. Elle a rajouté 16 mois à sa période de résidence, lui accordant les 20/40e d’une pleine pension. Le prestataire a cependant porté cette décision en appel devant la division d’appel (DA).

La DA a accueilli en partie son appel. Le prestataire a soutenu que la DG lui avait posé des questions déplacées sur sa foi durant l’audience. La DA a examiné ces questions et les a jugées respectueuses et appropriées. Il était nécessaire que la DG lui pose ces questions pour se prononcer sur le critère juridique servant à connaître ses liens avec le Canada. Toutefois, la DA a conclu que la DG avait commis une erreur en ne tenant pas compte de la « disposition sur l’université » du Règlement sur la sécurité de la vieillesse, soit l’article 21(4)(b). Cette disposition protège le droit d’une personne qui réside au Canada à une pension de la SV pendant une absence due à des études. Même si la personne est à l’étranger, sa résidence au Canada n’est pas interrompue. Elle peut donc continuer d’accumuler des années de résidence pendant ses études aux fins d’une pension de la SV. Le ministre a soutenu que les années en sol américain ne pouvaient être créditées au prestataire puisqu’il n’avait pas résidé au Canada avant et après ses études universitaires. Dans cette affaire, le prestataire a vécu au Canada avant ces études, mais pas après. La DA a décidé que la DG avait eu tort de dire que le prestataire aurait dû revenir au Canada immédiatement après ses études universitaires. Elle a rejeté l’argument du ministre et la décision de la DG à cet égard parce qu’ils étaient contraires à la loi. En effet, la loi n’exige pas qu’une personne habitant aux États-Unis revienne au pays « immédiatement » après ses études, ni même six mois après ses études. La DG a mal interprété la disposition sur l’université.

La DA a ensuite rendu la décision que la DG aurait dû rendre. Après avoir examiné la preuve dont disposait la DG et la disposition sur l’université, la DA a conclu que le prestataire avait résidé au Canada avant et pendant les années durant lesquelles il avait étudié à l’université aux États-Unis. Cependant, pour une certaine période suivant ses études doctorales à temps plein, la DA a jugé qu’il n’était pas résident canadien, vu l’absence de preuve confirmant qu’il était toujours aux études. La DA a donc accueilli son appel et jugé qu’il avait accumulé un total d’environ 11 ans de résidence. Le ministre doit maintenant recalculer la pension de la SV à laquelle le prestataire a droit en fonction de cette nouvelle décision.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : IB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 428

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : I. B.
Représentant : Louis Century
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentant : Jordan Fine

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 23 mars 2021
(numéro de dossier du Tribunal : GP-20-28)

Membre du Tribunal : Jude Samson
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 28 juillet 2021
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’appelant
Représentant de l’intimé
Date de la décision : Le 5 août 2021
Numéro de dossier : AD-21-166

Décision

[1] I. B. est le requérant dans la présente affaire. J’accueille son appel en partie.

[2] Le ministre de l’Emploi et du Développement social et la division générale du Tribunal ont déjà reconnu que le requérant a résidé au Canada pendant 20 ans, 6 mois et 12 joursNote de bas de page 1 . Je conclus qu’il a également résidé au Canada du 1er mai 1992 au 30 septembre 2003.

Aperçu

[3] Le requérant a demandé une pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) en 2018. Le ministre a approuvé sa demande et accepté de lui verser une pension partielle.

[4] Le montant de la pension de la SV versée au requérant dépend du nombre d’années où il a résidé au Canada après avoir eu 18 ansNote de bas de page 2 .

[5] Le ministre a décidé que le requérant avait résidé au Canada pendant 19 ans, 2 mois et 12 jours. Le ministre a donc accepté de lui verser une pension partielle au taux de 19/40e d’une pleine pension de la SV.

[6] Selon le ministre, le requérant n’a pas résidé au Canada après le 31 août 1990. C’est à cette date que le requérant a déménagé aux États-Unis pour étudier au doctorat. Après l’obtention de son diplôme en 2000, il a suivi deux programmes postdoctoraux aux États-Unis. En 2008, il a trouvé un emploi plus stable aux États-Unis, et en 2015, il a obtenu sa « carte verte » américaine.

[7] Le requérant affirme que ses talents professionnels, combinés à la discrimination au sein du milieu musical canadien, l’ont poussé à aller aux États-Unis pour étudier et faire carrière. Il explique avoir subi [traduction] « une force gravitationnelle imparable qui l’éloignait du Canada » en raison de facteurs indépendants de sa volontéNote de bas de page 3 .

[8] Néanmoins, le requérant est toujours fier d’être Canadien. Il dit représenter le Canada à l’étranger lorsqu’il fait valoir ses nombreux talents de musicien et de musicologue.

[9] Le requérant a appelé de la décision du ministre à la division générale du Tribunal. Il lui a demandé de lui accorder une pension de la SV plus élevée. Le requérant a fondé bon nombre de ses arguments sur sa contribution à la culture canadienne et sur les injustices qu’il a subies en raison de sa foi, de sa langue et de sa culture.

[10] La division générale a tranché en faveur du requérant, lui accordant 16 mois supplémentaires de résidence au Canada. Ainsi, la pension partielle de la SV du requérant est passée au taux de 20/40e d’une pleine pension.

[11] Le requérant porte maintenant la décision de la division générale en appel à la division d’appel du Tribunal. Il soutient que le membre de la division générale avait un parti pris contre lui et fait valoir qu’il devrait recevoir une pleine pension de la SV.

[12] J’accueille l’appel du requérant en partie. La division générale a instruit l’appel du requérant de façon équitable. Elle a toutefois commis des erreurs de droit et de compétence. Par conséquent, je rends la décision que la division générale aurait dû rendre.

[13] En plus des périodes de résidence que le ministre et la division générale ont déjà reconnues, je conclus que le requérant a également résidé au Canada du 1er mai 1992 au 30 septembre 2003.

Questions en litige

[14] Ma décision traite plus précisément des questions suivantesNote de bas de page 4  :

  1. a) Puis-je examiner les nouveaux éléments de preuve présentés par le requérant?
  2. b) Le requérant a-t-il eu droit à une audience inéquitable parce que les questions du membre de la division générale laissaient paraître sa partialité?
  3. c) La division générale a-t-elle commis des erreurs de droit et de compétence en omettant de se demander si « la fréquentation d’une école ou d’une université » comprend les programmes postdoctoraux suivis par le requérant?
  4. d) Si la division générale a fait des erreurs, comment dois-je les corriger?

Analyse

[15] Je peux modifier l’issue de la présente affaire seulement si la division générale a commis une erreur pertinente. Je dois donc me demander si la division généraleNote de bas de page 5  :

  • a agi injustement;
  • a omis de décider d’une question qu’elle aurait dû trancher ou a décidé d’une question qu’elle n’aurait pas dû trancher;
  • a mal interprété ou mal appliqué la loi;
  • a fondé sa décision sur une erreur importante concernant les faits de l’affaire.

Je ne peux pas tenir compte des nouveaux éléments de preuve du requérant

[16] Les nouveaux éléments de preuve sont les éléments qui n’avaient pas été portés à la connaissance de la division générale lorsqu’elle a rendu sa décision.

[17] Normalement, je ne peux pas examiner les nouveaux éléments de preuve en raison des limites imposées au rôle de la division d’appelNote de bas de page 6 . La loi précise que je dois avant tout vérifier si la division générale a commis l’une ou l’autre des erreurs pertinentes mentionnées plus haut. Je ne peux pas jeter un regard neuf sur l’affaire et tirer mes propres conclusions en me fondant sur des preuves nouvelles et actualisées.

[18] Il y a des exceptions à la règle générale interdisant l’examen des nouveaux éléments de preuveNote de bas de page 7 . Par exemple, je peux prendre en considération les nouveaux éléments de preuve qui fournissent seulement des renseignements généraux ou qui décrivent la façon dont la division générale a peut-être agi injustement.

[19] Dans le cadre de son appel, le requérant a déposé un bon nombre de nouveaux éléments de preuve, principalement au sujet de ses recherches et de ses talents en musiqueNote de bas de page 8 . Aucun de ces éléments ne constitue une exception à la règle générale interdisant l’examen des nouveaux éléments de preuve. Par conséquent, je ne les ai pas pris en considération.

L’appel du requérant a été instruit de façon équitable

[20] La division générale devait décider pendant quelles périodes le requérant avait résidé au Canada. En d’autres termes, durant quelles périodes le requérant avait-il une demeure établie au Canada et y vivait-il ordinairementNote de bas de page 9 ?

[21] Dans le cadre de cette évaluation, la division générale a comparé la force des liens du requérant au Canada à celle de ses liens aux États-Unis en appliquant les facteurs décrits dans une décision appelée DingNote de bas de page 10 .

[22] L’enregistrement audio de l’audience de la division générale montre clairement que le membre sondait le requérant au sujet des facteurs de la décision Ding. Toutefois, le requérant affirme que le membre a dépassé les bornes en posant cette question vers la fin de l’audienceNote de bas de page 11  :

[traduction]
Et enfin, j’ai vu une lettre de recommandation de votre rabbin à Brookline. Il a écrit que vous étiez membre depuis 1990. Avez-vous appartenu à d’autres organisations religieuses, communautaires, culturelles, sociales ou politiques depuis 1990?

[23] Le requérant a répondu à la question sans hésiter. Le membre de la division générale a ensuite demandé si le requérant voulait compléter sa réponse en ajoutant d’autres organisations.

[24] Le requérant décrit maintenant les questions du membre de la division générale dans les termes suivants :

  • [traduction] « [S]ur des sujets très personnels et confidentiels qui remettaient en question la ferveur de ma pratique religieuse et de mes activités politiquesNote de bas de page 12 . »
  • Une [traduction] « intrusion flagrante dans ma vie spirituelle et une énorme incursion dans mes orientations politiquesNote de bas de page 13  ».
  • [traduction] « [H]autement inappropriées et peut-être même illégalesNote de bas de page 14 . »
  • [traduction] « Une inconduite aussi flagrante donne à tout le moins l’impression d’une discrimination raciale ou religieuse manifeste, sinon réelle, qui est le fondement même de l’appel que j’ai déposéNote de bas de page 15 . »

[25] Le requérant affirme qu’il était [traduction] « abasourdi par les questions », mais qu’il y a répondu [traduction] « sous la pression de la situationNote de bas de page 16  ».

[26] Le requérant allègue que les questions du membre de la division générale faisaient preuve de partialité, ou du moins d’une perception de partialité, et qu’il n’a pas eu droit à un traitement équitableNote de bas de page 17 . Autrement dit, le requérant craint que le membre ne l’ait traité injustement parce qu’il est de confession juiveNote de bas de page 18 .

[27] Je ne suis pas d’accord avec les arguments du requérant sur ce point.

[28] Je ne peux pas conclure que les questions du membre de la division générale amèneraient une personne bien renseignée, qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, à conclure qu’il n’a pas rendu une décision juste dans cette affaireNote de bas de page 19 .

[29] Lorsqu’il examine les facteurs de la décision Ding, le Tribunal aborde parfois des sujets personnels ou confidentiels. Par exemple, l’un des facteurs porte sur les liens sociaux de la personne : a-t-elle pris part aux activités d’organisations religieuses, culturelles, politiques, sociales ou professionnelles?

[30] Par conséquent, les questions posées par le membre de la division générale se rapportaient aux questions qu’il devait trancher. En fait, le requérant avait mis l’accent sur ses affiliations religieuses et culturelles tout au long de l’affaire. Il avait également fourni une lettre d’appui écrite par son rabbinNote de bas de page 20 .

[31] De plus, le membre de la division générale a posé ses questions de façon appropriée et respectueuse. Il n’a pas cherché à obtenir des détails précis sur la foi ou les orientations politiques du requérant. À la fin de l’audience, le membre de la division générale a demandé au requérant s’il avait quelque chose à ajouter. Le requérant a répondu ceci : [traduction] « Je pense que vous avez posé de très bonnes questions, et je vous remercie de m’avoir permis de m’exprimer comme je l’ai faitNote de bas de page 21 […]. »

[32] Quelle que soit la religion du requérant, son appartenance à une communauté religieuse américaine depuis 1990 est pertinente pour l’un des facteurs de la décision Ding. Notamment, le requérant n’a pas mentionné qu’il faisait partie d’une communauté semblable au Canada. En termes simples, il s’agit d’un élément indiquant que les liens du requérant aux États-Unis sont plus forts que ses liens au Canada.

La division générale a commis des erreurs de droit et de compétence en ne tenant pas compte des programmes postdoctoraux suivis par le requérant

[33] En plus des facteurs de la décision Ding, il se peut que le requérant puisse s’appuyer sur ce qu’on appelle la disposition relative à l’université pour l’aider à établir une période de résidence au Canada après août 1990Note de bas de page 22 .

[34] La disposition relative à l’université vise à protéger les personnes qui résident au Canada contre la perte de leur résidence au Canada durant leurs études à l’étranger. Voici ce que dit la disposition :

21 (4) Lorsqu’une personne qui réside au Canada s’absente du Canada et que son absence
a) […]
b) a pour motif la fréquentation d’une école ou d’une université, […]
c) […]
cette absence est réputée n’avoir pas interrompu la résidence ou la présence de cette personne au Canada.
21 (4) Any interval of absence from Canada of a person resident in Canada that is
(a) […]
(b) for the purpose of attending a school or university, […]
(c) […]
shall be deemed not to have interrupted that person’s residence or presence in Canada.

[35] Dans la présente affaire, le requérant a étudié à l’Université de Boston pour obtenir un doctorat en musique. Il a commencé le programme d’études en septembre 1990 et a obtenu son diplôme en janvier 2000. Il a ensuite suivi deux programmes postdoctoraux :

  • De 2000 à 2003, il a suivi un programme de formation pratique facultative à l’Université de Boston.
  • De 2002 à 2008, il a effectué des travaux postdoctoraux à Harvard.

[36] Lors de son évaluation de la résidence au Canada, la division générale n’a jamais examiné si la disposition relative à l’université pouvait s’appliquer aux programmes postdoctoraux suivis par le requérant. C’était une erreur de droit. Si l’on considère l’erreur sous un autre angle, il s’agissait d’une erreur de compétence : la division générale n’a pas décidé d’une question qu’elle devait trancher.

[37] Le ministre a fait valoir que la division générale n’avait pas à voir si les programmes postdoctoraux suivis par le requérant pouvaient bénéficier de la disposition relative à l’université. Le ministre a invoqué les raisons suivantes :

  • Le requérant n’a pas expressément demandé à la division générale de trancher cette question.
  • Un doctorat est le plus haut grade universitaire. Plutôt que d’étudier, le requérant a dit avoir travaillé à temps plein à la rédaction d’un livre et à sa publication.
  • Les programmes postdoctoraux suivis par le requérant ressemblaient davantage à un stage rémunéré ou à une occasion de perfectionnement professionnel.

[38] Je ne suis pas d’accord.

[39] Fait important, le requérant a bel et bien demandé à la division générale de trancher cette question, et elle a commis une erreur en ignorant la demandeNote de bas de page 23 . Les parties suivantes du dossier de la division générale appuient ma conclusion :

  • Dans l’une des observations que le requérant avait déjà présentées à la division générale, il a fait valoir que sa résidence au Canada devrait se poursuivre au moins jusqu’en 2008, lorsque ses études postdoctorales ont pris finNote de bas de page 24 .
  • Les observations écrites que le ministre a déposées à la division générale énonçaient la disposition relative à l’université et décrivaient comment le ministre l’avait appliquée aux études du requérant dans les années 1970Note de bas de page 25 .
  • Par la suite, le requérant a affirmé qu’il avait étudié aux États-Unis de 1990 à 2013. Il a fourni des documents à l’appui et demandé à la division générale d’inclure ces années dans le calcul du montant de sa pension de la SVNote de bas de page 26 .
  • En réponse, le ministre a semblé reconnaître que le requérant avait étudié aux États-Unis de 1990 à 2013. Toutefois, il a soutenu que le requérant ne pouvait pas se prévaloir de la disposition relative à l’université puisqu’il n’est pas retourné vivre de façon permanente au Canada après la fin de ses étudesNote de bas de page 27 .
  • Encore une fois, le requérant a écrit ce qui suit en guise de réponse : [traduction] « Je vous prie de considérer mes années passées à l’extérieur du Canada de 1990 à 2013 de la même façon que mes années d’études au premier cycle, c’est-à-dire des années de résidence temporaire à des fins d’études exclusivementNote de bas de page 28 . »
  • En effet, le ministre a semblé reconnaître que certaines des années que le requérant a passées aux États-Unis pourraient être visées par la disposition relative à l’universitéNote de bas de page 29 .

[40] Les documents fournis par le requérant pour appuyer sa position sur cette question comprenaient des visas américains temporaires montrant qu’il était étudiant ainsi que ses relevés de notes de l’Université de Boston indiquant qu’il a suivi des cours à l’automne en 2000, en 2001 et en 2002Note de bas de page 30 .

[41] Autrement dit, les faits et les arguments présentés à la division générale l’obligeaient à décider si, après avoir terminé son doctorat, le requérant est resté à l’extérieur du Canada pour fréquenter l’université.

[42] La division générale a commis des erreurs de droit et de compétence en déterminant la résidence du requérant au Canada sans tenir compte de cette question.

[43] Peut-être la division générale a-t-elle pensé qu’elle pouvait éviter cette question parce qu’elle avait conclu que la disposition relative à l’université s’applique seulement aux personnes qui rétablissent une période de résidence canadienne immédiatement après avoir fréquenté l’école ou l’université.

[44] Toutefois, cette conclusion est fondée sur une autre erreur de droit.

[45] Le requérant a fourni un visa d’étudiant associé à la formation pratique facultative qu’il a suivie à l’Université de Boston. Le visa a pris fin le 18 juin 2003. De plus, la division générale a conclu que le requérant a rétabli une période de résidence canadienne le 1er octobre 2003Note de bas de page 31 .

[46] Cela soulève une question importante, mais qui est restée sans réponse, sur ce que la division générale voulait dire lorsqu’elle a affirmé que le requérant devait retourner au Canada immédiatement après ses études. Apparemment, le délai de trois mois et demi qui s’est écoulé avant que le requérant revienne au pays n’était pas assez court pour la division générale. Le requérant devait-il revenir au Canada dans un délai d’un jour, d’une semaine ou d’un mois après avoir terminé ses études?

[47] Tout au long du présent appel, le ministre a soutenu qu’une personne peut se prévaloir de la disposition relative à l’université seulement si elle réside au Canada avant et après avoir fréquenté une école ou une université à l’étranger. Toutefois, le ministre n’a jamais soutenu qu’elle devait revenir au Canada immédiatement après ses études.

[48] Au contraire, le ministre a concédé à l’audience devant moi que le requérant pourrait bénéficier de la disposition relative à l’université s’il avait fréquenté une université aux États-Unis jusqu’en juin 2013 et qu’il avait rétabli une période de résidence canadienne quelques mois plus tard, en octobre.

[49] Les modalités entourant la disposition relative à l’université font référence à une absence temporaire de moins d’un an et à l’obligation de revenir au Canada dans un délai de six moisNote de bas de page 32 . La disposition relative à l’université n’impose aucun délai semblable, mais la division générale l’a interprétée de façon encore plus restrictive, c’est‑à-dire que pour se prévaloir de la disposition relative à l’université, les personnes qui ont terminé leurs études doivent revenir au Canada immédiatement.

[50] La division générale n’a pas expliqué pourquoi elle interprétait la disposition relative à l’université de façon à inclure une telle exigence temporelle. Elle n’a pas non plus expliqué ce qu’elle entendait par [traduction] « immédiatement ». La division générale a commis une autre erreur de droit en interprétant la disposition relative à l’université de cette façon.

Je corrigerai les erreurs de la division générale en rendant la décision qu’elle aurait dû rendre

[51] Pourvu que l’appel du requérant ait été traité de façon équitable, les parties ont convenu que je devais rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 33 .

[52] Je suis d’accord. Le requérant a eu toutes les occasions de présenter ses arguments durant l’instance de la division générale.

[53] Ainsi, je peux déterminer la période durant laquelle le requérant a résidé au Canada aux fins du calcul du montant de sa pension de la SV.

Le requérant a résidé au Canada du 1er mai 1992 au 30 septembre 2003

[54] La division générale devait trancher la question suivante : le requérant a-t-il résidé au Canada après le 31 août 1990?

[55] Les parties conviennent que le requérant était absent du Canada pour fréquenter une université aux États-Unis de septembre 1990 à janvier 2000. Pendant cette période, le requérant a obtenu son doctorat de l’Université de Boston.

[56] De plus, je conclus que le requérant était absent du Canada pour fréquenter une université aux États-Unis de janvier 2000 à juin 2003. Durant cette période, le requérant a suivi un programme de formation pratique facultative à l’Université de Boston.

[57] Voici pourquoi j’ai tiré cette conclusion :

  • La disposition relative à l’université est formulée en termes généraux — « a pour motif la fréquentation d’une école ou d’une université » — et je dois l’interpréter généreusementNote de bas de page 34 .
  • Les relevés de notes produits par l’Université de Boston montrent que le requérant a continué de suivre des cours pendant cette périodeNote de bas de page 35 .
  • Le requérant se trouvait aux États-Unis avec des visas de séjour temporaire (J-1) parrainés par l’Université de Boston, où il venait de terminer son doctorat. Même si le programme suivi par le requérant était offert aux étudiantes et étudiants de l’étranger, aux membres du corps professoral, aux universitaires qui font de la recherche ainsi qu’aux universitaires dont le séjour est de courte durée, les États-Unis l’ont admis comme étudiant, avec une adresse permanente au CanadaNote de bas de page 36 .

[58] Je ne peux pas accepter les arguments du ministre voulant que les années que le requérant a passées à l’Université de Boston avant d’obtenir son doctorat étaient très différentes des années qu’il y a passées durant son programme de formation pratique facultative.

[59] Tout le temps que le requérant a passé à l’Université de Boston visait à entreprendre une nouvelle carrière de chercheur et d’universitaire. De plus, la disposition relative à l’université ne se limite pas aux personnes qui fréquentent l’université pour obtenir un diplôme.

[60] La division générale a également conclu que le requérant a résidé au Canada du 1er octobre 2003 au 31 mai 2004Note de bas de page 37 . Pendant cette période, le requérant a soutenu sa mère pendant qu’elle luttait contre le cancer, et il a intensifié ses tentatives de trouver du travail au Canada. Le ministre admet maintenant que le requérant résidait au Canada durant cette période.

[61] À l’audience de la division d’appel, le ministre a également convenu que, si je concluais que les faits ci-dessus étaient vrais, le requérant pourrait alors invoquer la disposition relative à l’université.

[62] Par conséquent, en plus des périodes de résidence au Canada que la division générale a déjà reconnues, je conclus que le requérant a aussi résidé au Canada du 1er mai 1992 au 30 septembre 2003. Autrement dit, il résidait au Canada pendant qu’il étudiait au doctorat et suivait sa formation pratique facultative à l’Université de Boston.

Le requérant n’a pas résidé au Canada après le 31 mai 2004

[63] Le requérant a également effectué des travaux postdoctoraux à Harvard de 2002 à 2008. Il soutient qu’il faut traiter ce programme postdoctoral de la même façon que sa formation pratique facultative à l’Université de Boston.

[64] Je ne suis pas d’accord.

[65] Le requérant a prouvé qu’il avait des visas d’étudiant et qu’il a suivi des cours de 2000 à 2003, mais aucun document semblable ne porte sur la période du programme postdoctoral qu’il a suivi à Harvard. Par conséquent, il m’est impossible de savoir s’il fréquentait l’Université Harvard ou s’il y travaillait. Je ne peux pas vérifier s’il suivait des cours pendant cette période ni savoir quel était son statut d’immigration.

[66] Je reconnais qu’il y a des éléments de preuve montrant que le requérant s’est inscrit à des cours à l’Université de Boston après 2003Note de bas de page 38 . Par contre, il a abandonné tous ses cours de 2004 à 2008Note de bas de page 39 .

[67] Dans les circonstances, je ne suis pas convaincu qu’après le 31 mai 2004, le requérant était absent du Canada dans le but de fréquenter l’Université Harvard ou l’Université de Boston.

[68] Compte tenu de cette conclusion, je n’ai pas besoin de décider si la disposition relative à l’université s’applique seulement aux personnes qui rétablissent une période de résidence au Canada après leurs études.

Je ne peux pas augmenter le montant de la pension de la SV versée au requérant d’après ses affirmations morales et éthiques

[69] Le requérant soutient qu’il y a des raisons morales et éthiques pour lesquelles je dois lui accorder une pleine pension de la SVNote de bas de page 40 .

[70] Je suis sensible à la situation du requérant. Je reconnais les nombreux défis qu’il a dû relever tout au long de sa vie et de sa carrière. Je ne veux pas minimiser ou mettre en doute ses expériences.

[71] Toutefois, aussi froid et mathématique que cela puisse paraître, la loi calcule le montant de la pension de la SV en fonction d’une seule chose : les années de résidence au Canada. Peu importe à quel point j’aimerais pouvoir le faire, je ne peux pas faire une entorse à la loi et accorder au requérant une pension plus élevée en fonction de ce qu’il continue d’apporter au Canada, même s’il vit en permanence aux États-Unis. De même, je ne peux pas l’indemniser pour les injustices qu’il a subies au Canada en raison de sa culture, de sa foi ou de sa langue.

Quel est le montant de la pension de la SV du requérant?

[72] Le ministre recalculera le montant de la pension de la SV du requérant en fonction des périodes de résidence au Canada que voici :

  • du 4 juin 1969 au 31 août 1981;
  • du 16 septembre 1983 au 31 mai 2004.

[73] Comme le requérant a cotisé au régime de sécurité sociale des États-Unis, il y a des périodes où l’on considère que le requérant a résidé au Canada et aux États-Unis en même temps. Toutefois, la loi interdit les périodes de double protectionNote de bas de page 41 . Ainsi, lorsqu’il calcule le montant de la pension de la SV à verser au requérant, le ministre a le droit de réduire la durée de la résidence au Canada du nombre de mois pendant lesquels le requérant a cotisé au régime de sécurité sociale des États-UnisNote de bas de page 42 .

Conclusion

[74] J’accueille l’appel du requérant en partie. La division générale a commis des erreurs de droit et de compétence en déterminant la résidence du requérant au Canada sans décider si les programmes postdoctoraux suivis par le requérant étaient visés par la disposition relative à l’université.

[75] Dans les circonstances, j’ai décidé de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. En plus des périodes de résidence au Canada déjà reconnues, le requérant a également résidé au Canada du 1er mai 1992 au 30 septembre 2003. Le ministre recalculera le montant de la pension de la SV à verser au requérant en tenant compte de cette période supplémentaire de résidence au Canada.

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