Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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[TRADUCTION]

Citation : HW c Ministre de l’Emploi et du Développement social et CJ, 2021 TSS 858

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante (requérante) : H. W.
Représentante ou représentant : S. L.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Partie mise en cause : C. J.

Décision portée en appel : Décision de révision du ministre de l’Emploi et du Développement social datée du 25 février 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Pierre Vanderhout
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 14 décembre 2021
Personne participant à l’audience : Représentante de l’appelante
Date de la décision : Le 17 décembre 2021
Numéro de dossier : GP-21-1267

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] La requérante, H. W., a accumulé une période de résidence additionnelle au Canada du 25 juin 2006 au 6 juillet 2007. Elle est ainsi admissible aux 10/40e d’une pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) dès juillet 2016, au lieu d’août 2017. La présente décision explique pourquoi son appel est accueilli.

Aperçu

[3] La requérante a près 87 ans. Elle a vécu l’essentiel de sa vie à Taïwan, mais vit aujourd’hui avec son époux de 87 ans et la famille de son fils à Richmond Hill, en Ontario. En 2004, sa fille J. avait présenté une demande pour parrainer la requérante et son époux à titre d’immigrants de la catégorie du regroupement familial. Le temps d’attente pour cette catégorie d’immigrants s'est toutefois révélé long : trois ans plus tard, la demande était approuvée. La requérante était d’abord venue au Canada le 25 juin 2006 en utilisant un visa de visiteur. Elle est restée au Canada puis y est entrée de nouveau le 7 juillet 2007 en tant que résidente permanente.

[4] La requérante a demandé une pension de la SV en février 2016. Le ministre lui a accordé les 10/40e de la pension à compter d’août 2017. Le ministre avait conclu qu’elle résidait au Canada depuis le 7 juillet 2007, et qu’elle était devenue admissible à la pension de la SV en juillet 2017, après avoir résidé au Canada durant les 10 années requises. La requérante a fait appel de cette décision. Selon elle, sa résidence comprenait aussi la période allant du 25 juin 2006 au 6 juillet 2007. Si on lui donne raison, elle serait admissible aux 10/40e d’une pension de la SV dès juillet 2016.

[5] La requérante affirme qu’elle avait eu l’intention de vivre au Canada de façon permanente dès son arrivée, en juin 2006. Les nombreuses démarches qu'elle et son époux avaient entreprises pointent fortement vers une résidence remontant à juin 2006. Elle avait ouvert un compte bancaire, fait faire un testament et acheté une maison à Oshawa, en Ontario. Après son arrivée en juin 2006, elle n’avait jamais quitté le pays avant l’obtention de sa résidence permanente, en juillet 2007. 

[6] Le ministre, lui, dit que la requérante a seulement eu l’intention de vivre au Canada de façon permanente à partir du 7 juillet 2007. Il se fie aux réponses que la requérante a données dans un questionnaire rempli en avril 2017Note de bas de page 1. Le ministre a affirmé que le reste de la preuve de la requérante ne démontre pas qu'elle résidait au Canada avant le 7 juillet 2007.

Ce que la requérante doit prouver

[7] Pour gagner son appel, la requérante doit prouver qu’elle résidait au Canada avant le 7 juillet 2007. Elle pourrait ainsi devancer la date de son admissibilité à une pension de la SV.

Questions que je dois examiner en premier

Appel jugé conjointement à un autre appel

[8] L'appel de la requérante a été jugé en même temps que celui de son épouxNote de bas de page 2. Les faits et les questions en jeu dans les deux appels sont pratiquement identiques. De plus, certains documents ont seulement été soumis pour l’un ou l'autre des deux dossiers, alors qu’ils s’appliquent potentiellement aux deux appels. Il était donc plus efficace de juger les deux appels ensemble. Cela étant dit, j’ai rendu une décision distincte pour chaque appel.

[9] Une audience peut avoir lieu sans la personne requérante si celle-ci a reçu l’avis d’audienceNote de bas de page 3. J’ai décidé que la requérante avait effectivement reçu l’avis d’audience, puisque sa représentante, Shumei Lin, en a discuté avec le Tribunal de la sécurité sociale avant la date de l’audience. Le Tribunal a envoyé l’avis à la représentante par courriel le 19 novembre 2021. Il a été considéré comme reçu en date du 22 novembre 2021Note de bas de page 4.

[10] La représentante de la requérante savait que celle-ci n’allait pas participer à l’audience, mais voulait quand même que l’audience ait lieu. La requérante est atteinte de démence et n’aurait pas été en mesure de participer véritablement à une audience. Un courriel transmis au Tribunal avant l’audience le confirmaitNote de bas de page 5. La démence étant ce qu’elle est, il était improbable que l’état de la requérante s’améliore. L’audience a donc été tenue sans elle, à la date prévue.

[11] Madame Lin a participé et témoigné à l’audience. Même s’il n’est typiquement pas permis aux représentants de témoigner, j’ai autorisé madame Lin à le faire étant donné qu’elle agissait seulement au nom de la requérante : elle est sa belle-fille et n’est pas juriste. Elle vit avec la requérante depuis environ 20 ans, et a notamment vécu avec elle plusieurs années à Taïwan. Elle a aussi préparé de nombreux documents signés par la requérante ou son époux.

Motifs de ma décision

[12] Je dois décider si la requérante résidait au Canada avant le 7 juillet 2007. Ici, il est important de faire la distinction entre la « résidence » et la simple « présence » au pays. Une personne réside au Canada si elle « établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada ». Cette notion diffère du simple fait de se trouver physiquement au CanadaNote de bas de page 6. Une personne peut être présente au Canada sans y résider.

[13] Même si la « présence » n’est pas déterminante de l’appel de la requérante, elle demeure un facteur important. J’accepte que la requérante a été présente au Canada du 25 juin 2006 au 6 juillet 2007. À part pour y entrer de nouveau à titre de résidence permanente le 7 juillet 2007, elle a dit ne jamais avoir quitté le pays avant mai 2012. Elle avait alors passé moins de trois mois à Taïwan. Ses propos sont confirmés par son passeportNote de bas de page 7. 

[14] Même si la présence est importante pour établir la résidence, il ne s’agit pas du seul facteur à considérer. La résidence est une question de fait qui nécessite d’examiner la situation tout entière de la requérante. D’après la Cour fédérale du Canada, il me faut tenir compte des facteurs suivants (les « facteurs de Ding »)Note de bas de page 8 :  

  1. a) liens prenant la forme de biens mobiliers;
  2. b) liens sociaux au Canada;
  3. c) autres liens au Canada (assurance-maladie, permis de conduire, bail de location, dossiers fiscaux, etc.);
  4. d) liens dans un autre pays;
  5. e) régularité et durée du séjour au Canada, ainsi que fréquence et durée des absences du Canada;
  6. f) mode de vie de l’intéressée, ou la question de savoir si l’intéressée vivant au Canada y est suffisamment enracinée et établie.

[15] Je vais maintenant appliquer les facteurs de Ding aux faits de ce dossier.

Application des facteurs de Ding

[16] Avant le 7 juillet 2007, la requérante avait déjà établi d’importants liens au Canada ayant la forme de biens mobiliers. Avec son époux, elle avait ouvert un compte bancaire le 14 août 2006Note de bas de page 9. Le 15 septembre 2006, ils avaient aussi fait l’achat d’une maison sur l’avenue Highgate, à OshawaNote de bas de page 10. Les deux époux avaient également fait faire leurs testaments le 13 septembre 2006. Même si aucune copie de ces testaments n’a été déposée en preuve, on peut présumer qu’ils précisaient ce qu'il adviendrait de leurs biens mobiliers en cas de décèsNote de bas de page 11.

[17] La requérante et son époux avaient tous les deux des liens sociaux au Canada. Leur fils et une de leurs filles vivaient au Canada avec leurs familles. La requérante et son époux habitaient avec la famille de leur fils depuis leur arrivée au Canada. Même si la plupart de leurs interactions sociales se déroulaient avec des membres de leur famille, ils avaient aussi des amis parlant le mandarin qui habitaient près d’eux, à Oshawa. Ils socialisaient aussi avec des amis canadiens de leur fille.

[18] D’autres liens unissaient aussi la requérante au Canada. Alors qu’elle et son époux habitaient avec leur fils et leur belle-fille, ils avaient loué leur maison d’Oshawa à compter du 28 septembre 2006Note de bas de page 12. Ils s’étaient aussi procuré une assurance pour cette propriété en septembre 2006Note de bas de page 13. La requérante a produit une déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2007Note de bas de page 14.

[19] La requérante a des liens à Taïwan, comme elle y a résidé pendant les 71 premières années de sa vie et que ses trois autres filles y vivent toujours. Sa maison à Taïwan a cependant été vendue en 2006. L’argent généré par cette vente a été utilisé pour l’achat de la maison d’Oshawa.

[20] La requérante est restée au Canada pendant l’intégralité de la période en cause, soit du 25 juin 2006 au 6 juillet 2007. Elle a seulement quitté le Canada le 7 juillet 2007 pour immédiatement y entrer de nouveau à titre de résidente permanente.

[21] Même si elle n’avait qu’un visa de visiteur, le mode de vie de la requérante, au Canada, était fixe et bien ancré. Elle est venue au Canada avec un aller simpleNote de bas de page 15. Elle habitait avec la famille de son fils et n’avait pas tardé à acheter une maison dans la même ville. Elle n’était plus propriétaire d’une maison à Taïwan. Elle attendait de connaître l’issue de sa demande de 2004 pour obtenir sa résidence permanente au Canada. Elle avait été parrainée par sa fille J., qui répondait officiellement à toutes les conditions de parrainage en date du 6 septembre 2006Note de bas de page 16.    

[22] Compte tenu de tout ce qui précède, je suis convaincu que les facteurs de Ding corroborent fortement une résidence au Canada du 25 juin 2006 au 6 juillet 2007. La requérante désirait manifestement créer une nouvelle vie au Canada et avait entrepris de nombreuses démarches dans cette optique.

[23] Avant de finaliser ma décision, je vais toutefois examiner de plus près le questionnaire d’avril 2017.

Questionnaire d’avril 2017

[24] Le ministre a accordé énormément de poids au questionnaire d’avril 2017. Ce questionnaire avait en fait été rempli par S. L. Après l’avoir rempli, S. L. l’avait passé en revue en mandarin avec la requérante. La requérante l’avait ensuite signé.

[25] Le ministre accorde une importance particulière aux deux questions et réponses suivantesNote de bas de page 17 :

[traduction]

Q : « Quand avez-vous décidé de vivre au Canada de façon permanente? »

R : « Le 7 juillet 2007. »

Q : « Quand vous êtes arrivée au Canada le 25 juin 2006, aviez-vous l’intention d’y vivre de façon permanente? »

R : « Non. »

[26] Si on les accepte sans égard pour le reste de la preuve, ces réponses ont assurément une incidence sur les facteurs de Ding de la requérante. Elles contredisent son intention manifeste de vivre au Canada dès son arrivée au pays, le 25 juin 2006. Son mode s’en serait trouvé bien moins fixe et ancré. Par contre, pour les raisons qui suivent, j’accorde peu de poids à ces réponses.

[27] D’abord, la requérante a presque immédiatement rétracté ses réponses. En juin 2017, elle a dit que la véritable réponse était qu’elle avait décidé de vivre au Canada de façon permanente le 25 juin 2006. Elle a dit qu’elle avait donné sa réponse initiale en croyant qu’une personne ayant un visa de visiteur ne devrait pas révéler son intention de vivre au Canada de façon permanenteNote de bas de page 18. Par la suite, elle a continué de dire que les réponses au questionnaire d’avril 2017 n’étaient pas justesNote de bas de page 19.

[28] Ensuite, S. L. a donné une explication convaincante à cette erreur. Elle avait rempli le questionnaire d’avril 2017 au nom de la requérante. Même si la requérante l’avait signé, sa connaissance de l’anglais est très limitée et elle se fie aux autres pour sa paperasse. Vu son expérience de travail au Canada, S. L. s’y connaît bien en immigration. Elle savait qu’une personne ayant un visa de visiteur doit respecter les conditions d’entrée au pays et quitter le Canada au terme de la période permise. Elle avait donc pensé qu’il serait illégal d’avoir l’intention de vivre au Canada de façon permanente tout en ayant un visa de visiteur. S. L. a aussi présumé que la notion de permanence dans la question signifiait que la requérante devait avoir la résidence canadienneNote de bas de page 20.

[29] Une personne est rarement convaincante quand elle rétracte une réponse qui a joué contre elle. Par contre, ici, j’accepte que la requérante, par l’entremise de S. L., a simplement fait une erreur. La requérante et son époux faisaient bien attention de respecter les lois du Canada. Ils ont notamment remis de l’impôt et soumis des documents relativement à leur revenu de location avant même d’obtenir leur résidence permanente. À l’audience, S. L. a admis qu’elle pourrait avoir [traduction] « trop réfléchi » aux réponses à donner au questionnaire d’avril 2017.

[30] J’ai également tenu compte du contexte de l’erreur. La requérante et son époux avaient vendu leur maison taïwanaise vers le même moment où ils étaient arrivés au Canada avec leurs visas de visiteurs. Ils avaient acheté une maison au Canada dès leur arrivée, signé des testaments et ouvert des comptes bancaires. Leurs demandes de résidence permanente avaient été soumises deux ans plus tôt, et ils étaient entrés de nouveau au Canada immédiatement après l’obtention de leurs visas de résidents permanentsNote de bas de page 21. Mis à part pour les deux réponses au questionnaire d’avril 2017, la preuve révèle clairement leur intention de vivre au Canada de façon permanente dès le 25 juin 2006. Ultimement, je juge que le reste de la preuve pèse plus lourd que ces deux réponses.

[31] Ainsi, malgré le questionnaire d’avril 2017, j’accepte que la requérante résidait au Canada du 25 juin 2006 au 6 juillet 2007.  

Début et montant des versements

[32] La requérante a donc résidé au Canada du 25 juin 2006 au 6 juillet 2007. Cette période s’ajoute à sa période de résidence déjà approuvée, soit du 7 juillet 2007 à juillet 2017, au minimum.

[33] Quand la requérante a demandé une pension de la SV en février 2016, elle a dit souhaiter que la pension lui soit versée le plus tôt possible, dès qu’elle y était admissibleNote de bas de page 22. Pour être admissible à une pension partielle de la SV, au moins 10 ans de résidence au Canada doivent avoir été accumulésNote de bas de page 23. La requérante remplissait donc l’exigence relative à la résidence dès le 24 juin 2016. Le ministre ne conteste pas qu’elle remplit les autres exigences. Par exemple, la requérante avait fêté ses 65 ans et résidait légalement au Canada bien avant 2016.

[34] Une pension de la SV est payable à compter du mois suivant celui où sont remplies les conditions d’admissibilité à la pensionNote de bas de page 24. La pension de la requérante doit donc être versée à partir de juillet 2016.

[35] Le montant mensuel de la pension correspond à 1/40e d’une pleine pension de la SV, et ce pour chaque année complète où la personne a résidé au Canada après ses 18 ansNote de bas de page 25. La requérante avait accumulé 10 années de résidence en date du 24 juin 2016. Par conséquent, elle avait droit aux 10/40e d’une pleine pension de la SV dès juillet 2016. Cependant, le ministre a seulement commencé à lui verser les 10/40e d’une pleine pension en août 2017. Ainsi, pour les mois allant de juillet 2016 à juillet 2017, la requérante a droit à des versements additionnels de SV.

[36] Je ne me prononce aucunement sur l’admissibilité potentielle de la requérante au Supplément de revenu garanti (SRG) pour la période allant de juillet 2016 à juillet 2017. En effet, le ministre n’en a pas traité dans sa décision de révisionNote de bas de page 26. Toutefois, comme la requérante avait demandé le SRG dans sa demande de pension de la SV de février 2016Note de bas de page 27, il serait important que le ministre règle cette question.

Conclusion

[37] Je conclus que la requérante était admissible aux 10/40e d’une pension de la SV à compter de juillet 2016. Son admissibilité précède donc de 13 mois celle précédemment établie par le ministre.

[38] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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