Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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[TRADUCTION]

Citation : HB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 962

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, Section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : H. B.
Représentante ou représentant : Patrick Ferland
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Samaneh Frounchi

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision du ministre de l’Emploi et
du Développement social datée du 17 septembre 2019
(communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Jean Lazure
Mode d’audience :
Date de la décision : Le 21 août 2021
Numéro de dossier : GP-20-30

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] J’estime que le ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer sa décision datée du 15 mai 2002. J’estime également que la requérante a cessé d’être une résidente du Canada en juillet 2011.

[3] La présente décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[4] La requérante est une femme âgée de 84 ans en date de la présente décision.

[5] Le 1er mai 2002, le ministre a reçu sa « Demande de pension de la Sécurité de la vieillesse, d’allocation ou d’allocation au survivantNote de bas de page 1 ». Le 15 mai 2002, le ministre a approuvé une allocation, en vigueur rétroactivement au mois de juin 2001, ainsi qu’une pension de la Sécurité de la vieillesse équivalant à 12/40 e, en vigueur en juillet 2002Note de bas de page 2. La requérante a atteint l’âge de 65 ans en juin 2002 et l’allocation a été convertie en pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) et en Supplément de revenu garanti (SRG).

[6] Le 17 mai 2016, après une enquête entreprise en septembre 2013, le ministre a envoyé une lettre à la requérante lui disant qu’elle n’avait [traduction] « jamais été admissible à l’allocation, à la pension de la Sécurité de la vieillesse et au Supplément de revenu garantiNote de bas de page 3 ». Le ministre a demandé à la requérante de rembourser un trop payé de 135 247,13 $ pour la période allant de juin 2001 à août 2013.

[7] La requérante a effectué un suivi au moyen d’une lettre de sa part, datée du 9 août 2016Note de bas de page 4, et d’une lettre de son avocat datée du 9 septembre 2016Note de bas de page 5, toutes deux demandant plus de temps. Le ministre a considéré ces lettres comme étant une demande de révision et a communiqué une lettre de décision concernant la révision le 9 février 2017Note de bas de page 6, qui maintenait la décision initiale du 17 mai 2016.

[8] Le 18 mai 2017, pour protéger ses droits, la requérante a déposé à la fois une demande de révisionNote de bas de page 7 et porté en appel la lettre de décision concernant la révision du ministre datée du 9 février 2017Note de bas de page 8. Comme l’affaire était à l’examen devant notre Tribunal, le ministre n’aborderait pas la question de la révisionNote de bas de page 9.

[9] Le 9 décembre 2018, mon collègue du Tribunal, Pierre Vandenhout, a accueilli l’appel de la requéranteNote de bas de page 10 et a conclu que la lettre de décision concernant la révision datée du 9 février 2017 n’était pas une décision valide découlant d’une révision. Il a conclu que les lettres datées du 9 août et du 9 septembre 2016 n’étaient pas des demandes de révision valides.

[10] Le 23 janvier 2019, la requérante a réitéré sa demande de révision de la décision initiale datée du 17 mai 2016Note de bas de page 11. Le 17 septembre 2019, le ministre a communiqué une lettre de décision concernant la révisionNote de bas de page 12, maintenant une fois de plus la décision initiale.

[11] Le 13 décembre 2019, la requérante a porté cette dernière décision en appel devant notre TribunalNote de bas de page 13.

Questions en litige

[12] Il y a deux questions à trancher dans le cadre du présent appel :

[13] Premièrement, le ministre avait-il le pouvoir de réévaluer sa décision datée du 15 mai 2002?

[14] Deuxièmement, la requérante a-t-elle déjà cessé d’être une résidente du Canada et, dans l’affirmative, quand?

Motifs de ma décision

[15] J’estime que le ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer sa décision datée du 15 mai 2002. J’estime également que la requérante a cessé d’être une résidente du Canada en juillet 2011. Voici les motifs de ma décision.

Le ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer sa décision datée du 15 mai 2002

[16] Je vais d’abord revoir sommairement les arguments des parties.

–     Arguments de la requérante

[17] La requérante soutient : [traduction] « Comme le démontrent amplement des décisions récentes de ce Tribunal, le ministre n’avait pas le pouvoir de modifier la décision d’approbation communiquée en juin 2002 afin de demander le remboursement des prestations versées à l’appelante jusqu’à cette dateNote de bas de page 14 ».

[18] La requérante affirme que je devrais respecter les décisions découlant de la décision rendue dans l’affaire B. R. par la division d’appel de notre TribunalNote de bas de page 15, qui a d’abord jugé que le ministre n’a pas le pouvoir de réévaluer une décision initiale sur l’admissibilité.

–     Arguments du ministre

[19] Le ministre soutient que l’article 23 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse lui donne le pouvoir d’enquêter et d’évaluer l’admissibilité des requérantes et des requérants aux prestations à tout moment.

[20] Le ministre affirme que je ne suis pas lié par les décisions antérieures de ce Tribunal. Parallèlement, le ministre veut que je respecte une décision intitulée R. SNote de bas de page 16.

–     Pourquoi je préfère les décisions B. R. et M. B. plutôt que la décision R. S.

[21] Notre division d’appel, dans l’affaire B. R., après un examen approfondi de la loi habilitante — la Loi sur la sécurité de la vieillesse et le Règlement sur la sécurité de la vieillesse — et de la jurisprudence pertinente, a conclu qu’à moins de fraude ou de faits nouveaux, le ministre ne peut pas revoir une décision initiale pour « annuler une pension de la SV et réclamer que les sommes déjà versées soient rembourséesNote de bas de page 17 ».

[22] Je trouve que l’analyse de la division d’appel est convaincante, plus particulièrement du libellé de la loi habilitante, notamment le concept de cessation. Je conviens que « le pouvoir que le ministre prétend détenir — soit celui de changer en tout temps et pour n’importe quel motif ses décisions antérieures — est un pouvoir extraordinaireNote de bas de page 18 ». Je trouve la décision B. R. bien réfléchie et je serais enclin à la respecter.

[23] Comme je l’ai déjà dit, le ministre préférerait que je respecte la décision de la division générale dans l’affaire R. S. Dans cette décision, notre division générale a jugé qu’il est « nécessaire » que le ministre ait le pouvoir de revoir des décisions initiales afin que ce pouvoir :

« … [serve] de contrepoids à l’objectif qui est d’honorer la nature altruiste de la loi conférant des prestations de la SV : [il permet] d’éviter les délais inutiles dans le traitement des demandes, tout en permettant de protéger les cordons de la bourse de la SV grâce au refus de prestations aux personnes inadmissiblesNote de bas de page 19 ».

[24] J’ai lu la décision de ma collègue défendant l’argument selon lequel les prestations de la SV devraient être versées seulement aux personnes qui respectent les conditions requises pour y être admissibles, et que le pouvoir de réévaluation du ministre est une protection nécessaire à cet égard.

[25] J’ai l’avantage d’avoir lu une décision plus récente de notre division d’appel dans l’affaire M. BNote de bas de page 20. Dans cette décision, notre division d’appel a interprété l’expression « avoir droit » et le terme « admissibilité » afin de circonscrire les pouvoirs du ministre quant à une décision initiale : « Les demandes frauduleuses annulent le droit. Des faits nouveaux influent sur de nouvelles décisions concernant l’admissibilité ».

[26] J’ai lu la décision de la division d’appel dans l’affaire M. B. affirmant qu’une décision du ministre concernant le droit à une prestation, à cause d’une fraude, pouvait être rétroactive, alors qu’une décision concernant l’admissibilité pouvait seulement avoir une incidence sur l’avenir. Cette conclusion se trouve également dans la décision B. R. : « Une fois qu’une demande est agréée, le ministre peut encore mener des examens afin de déterminer si le requérant demeure admissible aux prestations (ou si les prestations versées sont du bon montant)Note de bas de page 21 ».

[27] Quant à l’argument ci-dessus présenté dans l’affaire R. S., je crois que, dans l’affaire M. B., la division d’appel dispose de l’argument quant à la « nécessité » du pouvoir du ministre de réévaluer l’admissibilité initiale ou les décisions concernant le droit aux prestations pour empêcher les personnes n’ayant pas droit aux prestations de les recevoir :

« [131] Dans le cadre de régimes conçus pour aider à la sécurité de revenu la plus élémentaire de personnes âgées, il peut arriver qu’une personne touche une prestation et que, par la suite, plus de renseignements deviennent disponibles et montrent qu’elle n’aurait pas dû la recevoir. Nous nous accommodons de ce résultat parce que, dans des régimes qui confèrent des avantages, le versement de prestations aux personnes qui en ont besoin nécessite un processus de demande qui avance avec la rapidité et l’efficacité qui conviennent à la tâche.

[132] La Loi sur la SV et son Règlement font partie d’un filet de sécurité sociale pour les personnes aînées. Je ne peux pas conclure qu’il existe un pouvoir de réévaluation de l’admissibilité initiale et de recouvrement d’énormes trop-payés lorsque les textes législatifs ne l’indiquent pas clairementNote de bas de page 22 ».

[28] L’analyse qu’a faite la division d’appel, dans la l’affaire M. B., du libellé ci-dessus (« avoir droit » par opposition à « admissibilité »), mais aussi de l’intention du législateur en ce qui concerne la Loi sur la SV, est approfondie et convaincante. Je serais enclin à la respecter également.

-    Pourquoi je choisis de suivre ces décisions de la division d’appel

[29] Le ministre soutient que je ne suis pas tenu de suivre des décisions antérieures, ce qui est exact, et comprend les décisions de notre division d’appel.

[30] Cependant, il y a d’importantes raisons pour lesquelles je peux choisir de respecter de telles décisions. L’uniformité au sein de notre Tribunal est une des raisons, mais je ne voudrais pas être conforme à des décisions avec lesquelles je suis fondamentalement en désaccord. Dans l’affaire R. S., ma collègue n’a pas suivi l’affaire B. R. en raison d’un tel désaccord fondamental.

[31] J’estime que les décisions rendues par notre division d’appel dans les affaires B. R. et M. B. sont des plus compatibles avec le but ou l’objectif de la Loi sur la SV. Je conviens, avec notre division d’appel dans la décision M. B., que « … l’objectif et le but de la Loi sur la SV est de fournir un soutien du revenu modeste pour les aînés en reconnaissance de leur apport au Canada. Cet objectif et ce but ne requièrent pas une évaluation de l’admissibilité qui est à l’abri de l’erreurNote de bas de page 23 ».

[32] Je crois que dans l’interprétation des pouvoirs du ministre, les décisions de notre division d’appel dans les affaires B. R. et M. B. donnent essentiellement le bénéfice du doute à la partie requérante parce que la loi habilitante n’est pas assez précise. Je crois que c’est compatible avec l’objectif altruiste ou l’objet de la Loi sur la SV. C’est pourquoi je choisis de les suivre.

La requérante a cessé de résider au Canada en juillet 2011

[33] Étant donné que j’ai conclu que le ministre ne pouvait pas revoir sa décision du 15 mai 2002, je ne devrais pas avoir à apprécier la preuve au sujet de la résidence de la requérante au Canada. Cependant, puisqu’il est clair que la requérante a cessé d’être une résidente du Canada, je crois qu’il est important pour moi de tirer une conclusion sur cette question. Je vais revoir sommairement les arguments des parties à ce sujet.

–     Arguments de la requérante

[34] La requérante soutient qu’elle a résidé au Canada [traduction] « de façon continue de décembre 1989 jusqu’à ce qu’elle quitte le pays en 2011. À ce moment-là, elle avait cumulé plus de 22 ans de résidence continue au Canada et avait donc toujours droit aux prestations qu’elle a reçues au titre de la Loi sur la SVNote de bas de page 24 ».

–     Arguments du ministre

[35] Le ministre affirme que la preuve indique l’absence de liens avec le Canada après 2001.

–     Je suis convaincu que la requérante était une résidente du Canada jusqu’en 2011

[36] Les arguments et la preuve de la requérante me convainquent. Je trouve ses déclarations sous serment datées du 18 mai 2017Note de bas de page 25, du 22 août 2017Note de bas de page 26 et du 13 août 2019Note de bas de page 27 convaincantes. J’estime que ses explications quant à ses fréquents déplacements — pour prendre part à des conférences universitaires et pour rendre visite à ses enfants — crédibles. Je suis également convaincu par les souvenirs qu’elle a des nombreux soins de santé qu’elle et son époux ont reçus au Canada.

[37] Je trouve également que le résumé des faits présenté par le représentant de la requérante dans ses observationsNote de bas de page 28 est des plus exhaustifs et, à ce titre, convaincant.

[38] Je compare ce qui précède aux éléments de preuve présentés par le ministre, surtout les éléments suivants :

  • conclusions à partir d’incohérences ou d’absences d’inscriptions dans l’annuaire téléphonique Lovell;
  • conclusions à partir d’éléments de preuve incomplets des déplacements de la requérante;
  • conclusions à partir de relevés partiels de carte de crédit Visa;
  • conclusions à partir de la non-coopération supposée de la requérante, ce qui est compréhensible étant donné qu’elle avait, en fait, déménagé en Palestine.

[39] Je suis d’accord avec l’avocat de la requérante pour dire que [traduction] « le ministre demande essentiellement au Tribunal de rejeter les éléments de preuve donnés sous serment par l’appelante et non contredits en se fondant sur des suppositions et des déductionsNote de bas de page 29 ».

[40] J’estime que la grande majorité des éléments de preuve confirme que la requérante était une résidente du Canada entre le mois de décembre 1989 et le mois de juin 2011.

–     On reconnaît que la requérante a cessé de résider au Canada en juillet 2011

[41] Quant au moment où la requérante a cessé de résider au Canada, celle-ci admet, à la fois dans sa déclaration sous serment datée du 18 mai 2017Note de bas de page 30, ainsi que dans ses observationsNote de bas de page 31, qu’elle a cessé de résider au Canada en juillet 2011. C’est à ce moment-là qu’elle a quitté le Canada avec son époux pour assister à une conférence en Allemagne, avant de s’installer en Palestine après le décès de celui-ci en août 2012. La requérante est rentrée au Canada seulement en juin 2013 pour nettoyer son appartement.

[42] Compte tenu de cet aveu clair et sans ambiguïté, qui se trouve à la fois dans les éléments de preuve de la requérante et dans ses observations, je suis d’avis qu’elle a cessé de résider au Canada en juillet 2011.

Conclusion

[43] Je conclus que le ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer sa décision sur l’admissibilité datée du 15 mai 2002. Je conclus également que la requérante a cessé d’être une résidente du Canada en juillet 2011.

[44] Autrement dit, l’appel est accueilli.

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