Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

Informations sur la décision

Résumé :

Sécurité de la vieillesse – allocation au survivant – révision de la décision précédente – division d’appel – erreur de droit – mauvaise interprétation ou non-respect de la loi – réparation

Le requérant a demandé l’allocation au survivant. Dans le cadre de sa demande, il a déclaré que JD était sa conjointe de fait au moment où elle est décédée. Le ministre a fait une enquête sur la nature de la relation et, en décembre 2012, il a rejeté la demande du requérant. Le ministre n’a pas admis que le requérant et JD vivaient en union de fait. Il a plutôt considéré que les deux habitaient simplement au même endroit.

Le requérant a demandé au ministre de réviser sa décision, ce qu’il a fait. En mars 2013, le ministre a accueilli la demande d’allocation. Dans sa décision, il s’est fortement appuyé sur le fait que Retraite Québec avait décidé de reconnaître l’union de fait entre le requérant et JD. Toutefois, en 2016, le ministre a appris que Retraite Québec avait modifié sa décision sur l’union de fait. Il a donc lancé une nouvelle enquête sur la relation qu’entretenaient le requérant et JD. En octobre 2018, le ministre a annulé sa décision de mars 2013. Il a conclu à nouveau que le requérant et JD ne vivaient pas dans une union de fait. Par conséquent, le requérant n’avait jamais été admissible à l’allocation. Le ministre a donc exigé qu’il rembourse toutes les prestations qu’il avait reçues de juin 2012 à mai 2017. Le requérant a fait appel de la décision du ministre à la division générale (DG). Celle-ci a conclu que les pouvoirs limités du ministre ne lui permettaient pas de réévaluer le dossier du requérant ni de demander le remboursement des prestations déjà versées. Le ministre a fait appel de la décision de la DG à la division d’appel (DA). Il a soutenu que la DG avait commis une erreur de droit en limitant l’étendue de ses pouvoirs.

Dans l’affaire Burke, 2022 CAF 44, la Cour d’appel fédérale (CAF) a reconnu que le ministre avait de vastes pouvoirs lui permettant de modifier ses décisions antérieures. Elle souligne également les vastes pouvoirs du ministre pour ce qui est de faire une enquête et une révision « avant ou après l’approbation d’une demande ». La DA a conclu que la décision rendue par la CAF dans l’affaire Burke s’appliquait à la présente affaire. Par conséquent, elle a conclu que la DG avait commis une erreur de droit en se fondant sur une interprétation trop étroite de l’étendue des pouvoirs du ministre. La DA a accueilli l’appel du ministre et a rendu la décision que la DG aurait dû rendre. Elle a conclu que le ministre avait le pouvoir de réviser sa décision de mars 2013 et de réévaluer si le requérant et JD vivaient en union de fait au moment où elle est décédée. Elle a conclu que le requérant n’avait pas démontré l’existence d’une union de fait au moment du décès. Par conséquent, il n’avait pas droit à l’allocation qu’il a reçue de juin 2012 à mai 2017.

Contenu de la décision

Citation : Ministre de l’Emploi et du Développement social c CB, 2022 TSS 390

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Parties appelante : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Attila Hadjirezaie
Partie intimée : C. B.
Représentante ou représentant : Gilbert Nadon

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 22 août 2021 (GP-19-1729)

Membre du Tribunal : Jude Samson
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 30 mars 2022
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelant
Représentant de l’intimé
Date de la décision : Le 13 mai 2022
Numéro de dossier : AD-21-395

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Le requérant n’était pas admissible aux prestations qu’il a reçues de juin 2012 à mai 2017.

Aperçu

[2] C. B. est le requérant dans la présente affaire. Il a demandé l’Allocation au survivant (allocation)Note de bas de page 1. Dans sa demande, le requérant a déclaré qu’il était le conjoint de fait de J. D. au moment du décès de cette dernière.

[3] Le ministre de l’Emploi et du Développement social s’est penché sur la nature de leur relationNote de bas de page 2. En décembre 2012, le ministre a rejeté la demande du requérantNote de bas de page 3. Il n’a pas accepté le fait que le requérant et J. D. avaient été conjoints de fait. Il a plutôt conclu que les deux avaient simplement la même adresse.

[4] Le requérant a demandé au ministre de réviser sa décision, ce qu’il a fait. En mars 2013, le ministre a accueilli la demande d’allocation du requérantNote de bas de page 4. Pour arriver à sa décision, le ministre s’est fortement appuyé sur la décision de Retraite Québec de reconnaître l’union de fait du requérant avec J. D.

[5] Toutefois, en 2016, le ministre a appris que Retraite Québec avait modifié sa décision concernant l’union de fait du requérant avec J. D. Il a donc entrepris une nouvelle enquête sur la relation du requérant avec la défunte.

[6] En octobre 2018, le ministre a annulé sa décision de mars 2013. Là encore, il a conclu que le requérant et J. D. n’avaient pas été conjoints de fait. Par conséquent, le requérant n’a jamais été admissible à l’allocation. Le ministre a donc exigé que le requérant rembourse toutes les prestations qu’il avait reçues de juin 2012 à mai 2017, soit une somme totale de près de 20 500 $.

[7] Le requérant a fait appel avec succès de la décision du ministre devant la division générale du Tribunal. En bref, la division générale a conclu que les pouvoirs limités du ministre ne lui permettaient pas de réévaluer le dossier du requérant ou d’exiger le remboursement des prestations déjà versées.

[8] Le ministre en appelle maintenant de la décision de la division générale devant la division d’appel du Tribunal. Son principal argument est que la division générale a commis une erreur de droit en limitant la portée des pouvoirs du ministre.

[9] Je suis d’accord. Par conséquent, j’accueille l’appel du ministre et je rends la décision que la division générale aurait dû rendre : le requérant n’était pas admissible aux prestations de survivant qu’il a reçues de juin 2012 à mai 2017.

Questions en litige

[10] Les questions soulevées dans le présent appel sont les suivantes :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant de manière trop restrictive la portée des pouvoirs du ministre?
  2. b) Dans l’affirmative, comment dois-je corriger l’erreur de la division générale?

Analyse

[11] Je peux seulement intervenir dans la présente affaire si la division générale a commis au moins une erreur pertinenteNote de bas de page 5. Dans cette affaire, je vais me concentrer sur la question de savoir si la division générale a commis une erreur de droit.

La division générale a commis une erreur de droit en interprétant de manière trop restrictive la portée des pouvoirs du ministre

[12] Dans le cadre de sa décision, la division générale a examiné si le ministre avait, en octobre 2018, le pouvoir de modifier une décision qu’il avait rendue en mars 2013. Plus précisément, le ministre a annulé sa décision sur la question de savoir si le requérant et J. D. avaient été des conjoints de fait au moment du décès de cette dernière.

[13] La division générale a décidé que le ministre n’était pas en mesure de réviser ses décisions antérieures de cette façon. Pour parvenir à sa conclusion, la division générale s’est fondée sur un certain nombre de décisions dans lesquelles le Tribunal a conclu qu’il existait des limites importantes au pouvoir du ministre de modifier des décisions antérieures.

[14] Plus particulièrement, la division générale s’est fondée sur la décision BR c Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas de page 6et la décision MB c Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas de page 7. Cependant, après que la division générale a rendu sa décision dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que la décision MB était déraisonnable (voir la décision Canada (Procureur général) v BurkeNote de bas de page 8).

[15] Dans la décision Burke, la Cour a reconnu que la loi ne donne pas expressément au ministre le pouvoir de modifier des décisions antérieuresNote de bas de page 9. Toutefois, elle a conclu que les pouvoirs du ministre peuvent être déduits d’autres dispositions connexesNote de bas de page 10.

[16] Finalement, la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit au paragraphe 106 de sa décision :

[traduction]
En termes simples, le pouvoir d’enquête prévu à l’article 23 du Règlement permet au ministre de réévaluer l’admissibilité d’une personne aux prestations lorsque, par exemple, de nouveaux renseignements font surface ou lorsque des erreurs, de fausses déclarations ou même des fraudes ont été commises afin de s’assurer que seules les personnes qui ont droit aux prestations en bénéficient effectivement. L’article 37 de la Loi permet au ministre de recouvrer les prestations indûment versées à une partie requérante.

[17] Bien que je reconnaisse le but et l’importance des critères d’admissibilité, j’ai des réserves concernant la décision Burke. Essentiellement, selon cette décision, les décisions du ministre ne sont jamais définitives. Elle permet également au ministre de se concentrer moins sur la qualité de ses décisions, puisqu’il a le sentiment que les erreurs peuvent être corrigées plus tard. Je ne connais pas d’autres décideurs gouvernementaux qui peuvent changer leurs décisions passées, peu importe le temps écoulé depuis que la décision précédente a été rendue.

[18] En d’autres termes, le requérant soutient qu’il n’y a rien d’offensant ou d’inhabituel au fait que des personnes conservent des prestations gouvernementales qui leur ont été versées lorsqu’on détermine plus tard qu’elles n’y avaient pas droit. Par exemple, le requérant a pu conserver une partie des prestations que Retraite Québec lui a versées en trop parce que la loi limite la période pendant laquelle la province peut revenir sur sa décision et récupérer les prestations qui ont été versées par erreurNote de bas de page 11.

[19] Indépendamment de ces préoccupations, je dois suivre la décision Burke si les faits de cette affaire sont suffisamment semblables à ceux de la présente affaire.

[20] Dans l’affaire Burke, la Cour d’appel fédérale a reconnu les vastes pouvoirs du ministre pour modifier des décisions antérieures. Le requérant fait toutefois valoir qu’il existe une différence importante entre l’affaire Burke et la présente affaire. Plus précisément, il fait remarquer que le ministre rend une décision initiale et, sur demande, une décision découlant d’une révision. Le ministre a accueilli la demande de Mme Burke initialement. Dans la présente affaire, toutefois, le ministre a accueilli la demande du requérant à l’étape de la révision.

[21] Le requérant soutient qu’en tant que principe de droit administratif, le processus de révision doit avoir une certaine importance. Dans la présente affaire, le ministre a mené une enquête et a conclu que le requérant et J. D. étaient conjoints de fait. Selon le requérant, le ministre devrait donc seulement être en mesure d’appliquer sa nouvelle décision en allant de l’avant.

[22] Le fait d’accepter l’argument du requérant lui permettrait de conserver la plupart ou la totalité des prestations qu’il a reçues.

[23] Dans l’affaire Burke, la Cour d’appel fédérale a conclu que les pouvoirs du ministre de modifier une décision antérieure découlent de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et du Règlement sur la sécurité de la vieillesse. Il a souligné le fait qu’ensemble, ces instruments sont conçus pour faire en sorte que les personnes ne puissent pas conserver des prestations à moins d’y avoir droitNote de bas de page 12.

[24] La décision Burke souligne également les vastes pouvoirs du ministre en matière d’enquête et de réévaluation [traduction] « à tout moment avant qu’une demande soit accueillie ou aprèsNote de bas de page 13 ». La Cour n’a pas fait de distinction entre les demandes que le ministre accueille initialement ou à la suite d’une révision. J’ai donc du mal à voir pourquoi je ferais cette distinction.

[25] Il convient peut-être de rappeler que la question pertinente ici a toujours été la même : le requérant et J. D. étaient-ils conjoints de fait au moment du décès de cette dernière? De toute évidence, le ministre ne décidait pas si la nature de leur relation avait changé entre mars 2013 et octobre 2018.

[26] J’ai conclu que la décision Burke s’applique dans la présente affaire. Par conséquent, la division générale a commis une erreur de droit en interprétant de manière trop restrictive la portée des pouvoirs du ministre.

Je vais corriger l’erreur de la division générale en rendant la décision qu’elle aurait dû rendre

[27] Compte tenu des circonstances de la présente affaire, j’ai décidé de rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 14. Aucune des parties ne s’est opposée à ce recours. Cela signifie que je peux décider de la nature de la relation entre le requérant et J. D. et de l’admissibilité du requérant à l’allocation.

[28] Le requérant a eu pleinement l’occasion de présenter des éléments de preuve devant la division générale. Le requérant a choisi de ne pas témoigner à l’audience devant la division générale. Les arguments que le requérant a présentés à la division générale et à la division d’appel ont plutôt porté davantage sur les pouvoirs limités du ministre en matière de réexamen des décisions antérieures.

[29] Pour les raisons exposées ci-dessus, le ministre avait le pouvoir de réexaminer sa décision de mars 2013 et de décider si le requérant et J. D. étaient conjoints de fait au moment du décès de cette dernière.

[30] La prochaine étape consiste à discuter de la nature de la relation entre le requérant et J. D. Comme la division générale a jugé que les pouvoirs du ministre étaient très limités, elle n’a pas examiné cette partie de l’appel en détailNote de bas de page 15.

Le requérant et J. D. n’étaient pas conjoints de fait au moment du décès de cette dernière

[31] Pour que le requérant soit admissible à l’allocation, lui et J. D. devaient être conjoints de fait au moment du décès de cette dernièreNote de bas de page 16. Autrement dit, lorsque J. D. est décédée, cela faisait-il au moins un an qu’elle et le requérant vivaient ensemble dans une relation de type matrimonialNote de bas de page 17?

[32] Pour décider si un couple entretient une relation de type matrimonial, le Tribunal doit tenir compte de différents facteurs, notammentNote de bas de page 18 :

  • une interdépendance financière;
  • un engagement envers la relation et son avenir;
  • des actifs partagés, y compris un foyer commun et des responsabilités partagées autour du foyer;
  • des vacances partagées;
  • des relations sexuelles;
  • un partage des responsabilités parentales (le cas échéant);
  • la façon dont les deux se présentent à la collectivité et sur les documents officiels, y compris sur les testaments, les polices d’assurance, les dossiers médicaux et les déclarations fiscales;
  • la reconnaissance de la relation par la famille et les amis.

[33] Le requérant reconnaît qu’il lui était difficile de prouver qu’il avait une relation conjugale avec J. D. Les deux n’avaient pas d’obligations financières ou juridiques communes. Ils n’ont pas non plus déclaré être en union de fait sur quelconque document officielNote de bas de page 19. Au contraire, les documents fournis par le requérant démontrent seulement que lui et J. D. avaient la même adresseNote de bas de page 20.

[34] L’avocate du requérant a noté que le présent Tribunal n’a pas à suivre les décisions du Tribunal administratif du Québec (TAQ). Toutefois, il a reconnu que le TAQ avait déjà décidé que le requérant et J. D. ne vivaient pas en union de faitNote de bas de page 21. En outre, il a essentiellement reconnu ce qui suit :

  • Bien que les périodes pertinentes soient quelque peu différentes, les deux tribunaux examinent des questions très semblables.
  • Le requérant a eu pleinement l’occasion de présenter sa cause au TAQ et celui-ci a examiné son témoignage ainsi que les facteurs pertinents.
  • Il serait étonnant que les deux tribunaux parviennent à des conclusions contraires.

[35] La décision du TAQ est convaincante. Dans l’ensemble, le requérant n’a pas démontré que lui et J. D. étaient conjoints de fait au moment du décès de cette dernière. Par conséquent, il n’a pas droit à l’allocation qu’il a reçue de juin 2012 à mai 2017.

Conclusion

[36] J’accueille l’appel du ministre.

[37] La division générale a commis une erreur de droit en interprétant de manière trop restrictive la portée des pouvoirs du ministre. Cela me permet de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre : le requérant et J. D. n’étaient pas conjoints de fait au moment du décès de cette dernière. Par conséquent, le requérant n’est pas admissible aux prestations de survivant qu’il a reçues.

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