Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Contenu de la décision

Citation : TA c Ministre de l’Emploi et du Développement social et LA, 2021 TSS 981

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : T. A.
Représentante ou représentant : Etienne Rolland
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Attila Hadjirezaie
Partie mise en cause : L. A.

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision datée du 8 février 2019 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Jean Lazure
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 30 avril 2021
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’appelant
Représentante de la partie intimée
Date de la décision : Le 25 octobre 2021
Numéro de dossier : GP-19-755

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] Le Ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer sa décision du 27 novembre 2007. Je suis d’avis aussi que l’appelant a cessé d’être résidant du Canada le 10 novembre 2014.

[3] Cette décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[4] L’appelant était un homme âgé de 78 ans en date de l’audition.

[5] Le 27 février 2007, le Ministre a reçu la demande de l’appelant pour une pension de la Sécurité de la vieillesseNote de bas page 1. Le 27 novembre 2007, le Ministre a approuvé sa demandeNote de bas page 2 et a établi que l’appelant avait droit à une pension partielle de 20/40e à compter de janvier 2008 et qu’il avait aussi droit au Supplément de revenu garanti (SRG).

[6] Le 10 août 2015, le Ministre a communiqué avec l’appelant afin de lui faire remplir un questionnaire et de lui fournir des informations sur ses voyages à l’extérieur du CanadaNote de bas page 3. Le versement des prestations du SRG a été suspendu le 12 août 2015Note de bas page 4 et le versement des prestations de la SV a été suspendu en septembre 2015Note de bas page 5.

[7] De septembre 2015 à février 2018, l’enquête a suivi son cours. Le 14 février 2018, le Ministre a fait parvenir une lettre à l’appelant dans laquelle on lui réclame un trop-perçu en prestations de la SV et du SRG de 78 526,40$Note de bas page 6. Le 25 avril 2018, l’appelant a présenté une demande de réexamen de cette décisionNote de bas page 7. Le 8 février 2019, le Ministre a émis une Lettre considérant le réexamen de la décisionNote de bas page 8, qui maintenait la décision initiale.

[8] Le 1er mai 2019, l’appelant a fait appel de cette dernière décision devant notre TribunalNote de bas page 9.

Questions en litige

[9] Il y a deux questions en litige dans cet appel :

[10] Premièrement, est-ce que le Ministre possédait le pouvoir de réévaluer sa décision du 27 novembre 2007?

[11] Deuxièmement, est-ce que l’appelant a cessé d’être résidant du Canada et, si oui, à quelle date?

Motifs de ma décision

[12] Je statue que le Ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer sa décision du 27 novembre 2007. Je suis d’avis aussi que l’appelant a cessé d’être un résidant du Canada le 10 novembre 2014. Voici pourquoi.

Le Ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer sa décision du 27 novembre 2007

[13] Je vais tout d’abord résumer les arguments des parties.

Arguments de l’appelant

[14] L’appelant prétend que le Ministre n’avait pas le pouvoir de revoir sa décision du 27 novembre 2007. Il considère donc que je devrais suivre les décisions du Tribunal qui ont fait suite à la décision B.R. de la Division d’appel de notre TribunalNote de bas page 10, notamment la décision S.F. et C.FNote de bas page 11. La décision B.R. fut la première du Tribunal à déterminer que le Ministre n’a pas le pouvoir de réévaluer une décision initiale sur l’admissibilité.

Arguments du Ministre

[15] Le Ministre prétend que l’article 23 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse lui confère le pouvoir d’enquêter sur l’admissibilité d’une personne et d’évaluer celle-ci en tout temps.

[16] Le Ministre plaide que je ne suis pas lié par d’autres décisions du Tribunal. En même temps, le Ministre désire que je suive des décisions de la Division générale, soit les décisions R.S.Note de bas page 12 et R.D.Note de bas page 13

Pourquoi je préfère les décisions B.R. et M.B. aux décisions R.S. et R.D.

[17] Notre division d’appel, dans la décision B.R., après une revue exhaustive de la législation habilitante – la Loi sur la sécurité de la vieillesse et le Règlement sur la sécurité de la vieillesse – ainsi que la jurisprudence applicable, a conclu que sauf en cas de fraude ou de faits nouveaux, le Ministre ne peut « annuler une pension de la SV et réclamer que les sommes déjà versées soient remboursées »Note de bas page 14.

[18] Je trouve que l’analyse de notre division d#’appel dans B.R. est convaincante, surtout quand à la terminologie utilisée dans la législation habilitante, dont le concept de cessation. Je trouve aussi que « le pouvoir que le ministre prétend détenir – soit celui de changer en tout temps et pour n’importe quel motif ses décisions antérieures – est un pouvoir extraordinaire. »Note de bas page 15 Je crois que la décision B.R. est bien motivée et je suis enclin à suivre celle-ci.

[19] Comme je l’ai mentionné ci-haut, le Ministre aimerait plutôt que je suive les décisions de la Division générale dans R.S. et R.D. Notre division générale dans R.S. a déterminé que les pouvoirs du Ministre de réviser des décisions initiales étaient nécessaires afin qu’ils:

« … servent de contrepoids à l’objectif qui est d’honorer la nature altruiste de la loi conférant des prestations de la SV : ils permettent d’éviter les délais inutiles dans le traitement des demandes, tout en permettant de protéger les cordons de la bourse de la SV grâce au refus de prestations aux personnes inadmissibles.”Note de bas page 16

[20] Je crois que la décision de ma collègue retient que seuls ceux qui ont droit aux prestations de la SV devraient les recevoir, et que le pouvoir du Ministre de réévaluation est une protection nécessaire en ce sens.

[21] Mon collègue de la Division générale dans R.D. reprend à son compte la citation ci-haut de la décision R.S. et indique aussi qu’il est en désaccord avec la décision B.R. de la Division d’appel: « I am not compelled to follow the reasoning in the AD decision and I find that the Minister’s power to reassess eligibility is broad and extends to cases where there is no suggestion of fraud or misrepresentation.”Note de bas page 17

[22] Par ailleurs, j’ai pu lire une décision plus récente de notre division d’appel, soit la décision M.B.Note de bas page 18 Dans celle-ci, la Division d’appel interprète les notions du droit aux prestations et d’admissibilité afin de déterminer les pouvoirs du Ministre quant à une décision initiale : « Les demandes frauduleuses annulent le droit. Des faits nouveaux influent sur de nouvelles décisions concernant l’admissibilité. »Note de bas page 19

[23] Je crois que la Division d’appel dans M.B. nous dit qu’une décision du Ministre quant au droit aux prestations, dans un cas de fraude, pourrait avoir un effet rétroactif, alors qu’une décision sur l’admissibilité pourrait seulement avoir un effet prospectif. Cette conclusion se retrouve aussi dans B.R.: « Une fois qu’une demande est agréée, le ministre peut encore mener des examens afin de déterminer si le requérant demeure admissible aux prestations (ou si les prestations versées sont du bon montant). »Note de bas page 20

[24] Quant à l’argument mis de l’avant dans R.S., soit la « nécessité » du pouvoir du Ministre de réévaluer des décisions initiales sur l’admissibilité ou sur le droit aux prestations afin d’empêcher que des personnes non admissibles en reçoivent, je crois que la Division d’appel l’écarte dans M.B.:

“[131] Dans le cadre de régimes conçus pour aider à la sécurité de revenu la plus élémentaire de personnes âgées, il peut arriver qu’une personne touche une prestation et que, par la suite, plus de renseignements deviennent disponibles et montrent qu’elle n’aurait pas dû la recevoir. Nous nous accommodons de ce résultat parce que, dans des régimes qui confèrent des avantages, le versement de prestations aux personnes qui en ont besoin nécessite un processus de demande qui avance avec la rapidité et l’efficacité qui conviennent à la tâche. 

[132] La Loi sur la SV et son Règlement font partie d’un filet de sécurité sociale pour les personnes aînées. Je ne peux pas conclure qu’il existe un pouvoir de réévaluation de l’admissibilité initiale et de recouvrement d’énormes trop-payés lorsque les textes législatifs ne l’indiquent pas clairement. »Note de bas page 21

[25] L’analyse de la Division d’appel dans M.B. de la terminologie ci-haut (« droit aux prestations » vs. « admissibilité »), mais aussi de l’intention du législateur, est exhaustive et convaincante. Je suis aussi enclin à la suivre.

Pourquoi je choisis d’être lié par ces décisions de la Division d’appel

[26] Le Ministre plaide que je ne suis pas lié par d’autres décisions du Tribunal. Cela est vrai, et cela comprend les décisions de notre division d’appel.

[27] Cependant, il y a des raisons importantes qui pourraient me motiver à être lié par de telles décisions. La constance et la prévisibilité des décisions de notre tribunal est l’une de ces raisons, mais je ne voudrais pas suivre des décisions avec lesquelles je suis fondamentalement en désaccord. Mes collègues de la Division générale dans R.S. et R.D. n’ont pas suivi B.R. en raison d’un tel désaccord fondamental.

[28] Je trouve que les décisions de la Division d’appel dans B.R. et M.B. sont les plus conformes à l’intention du législateur et au but de la Loi sur la SV. Je suis d’accord avec ce que dit notre division d’appel dans M.B., soit que « … l’objectif et le but de la Loi sur la SV sont de fournir un soutien du revenu modeste pour les aînés en reconnaissance de leur contribution au Canada. Cet objectif et ce but ne requièrent pas une évaluation de l’admissibilité qui est à l’abri de l’erreur. »Note de bas page 22

[29] Je crois qu’en interprétant ainsi les pouvoirs du Ministre, les décisions de notre division d’appel dans B.R. et M.B. accordent le bénéfice du doute à l’appelant parce que la législation habilitante n’est pas suffisamment spécifique. Je crois que cela est conforme à la nature altruiste et au but de la Loi sur la SV. Voilà pourquoi je choisis de suivre ces décisions.

[30] Enfin, j’ai pu également prendre connaissance de deux récentes décisions de la Division d’appel dans A.L.Note de bas page 23 et dans S.F. et C.FNote de bas page 24. Ces décisions reconnaissent au Ministre un pouvoir discrétionnaire implicite de revoir les décisions initiales quant à la Loi sur la SV. Compte tenu de ce qui précède, je suis en désaccord avec ces décisions. Je crois plutôt qu’un tel pouvoir, aussi vaste, doit avoir été explicitement prévu par la législation habilitante.

L’appelant a cessé d’être résidant canadien en novembre 2014

[31] Considérant que j’ai déterminé que le Ministre ne pouvait réviser sa décision du 27 novembre 2007 et que les prestations de l’appelant ont été suspendues à compter d’août 2015, je n’ai pas à soupeser la preuve quant à la résidence canadienne de l’appelant avant cette date. Par contre, il évident que l’appelant a cessé d’être résidant du Canada et je statuerai là-dessus. Je vais résumer brièvement les arguments des parties quant à cet aspect.

Arguments de l’appelant

[32] L’appelant plaide qu’il a été résidant du Canada de façon continue de novembre 1987 jusqu’à son départ du pays en novembre 2014. Il avait pendant cette période accumulé plus de 26 ans de résidence continue au Canada, dont 20 ans au moment de sa demande de pension de la SV du 27 novembre 2007, et demeurait admissible aux prestations qu’il recevait en vertu de la Loi sur la SV

Arguments du Ministre

[33] Le Ministre plaide que la preuve révèle un manque de liens entre l’appelant et le Canada après le 1er août 2000.

Il y a admission que l’appelant a cessé d’être résidant du Canada en le 10 novembre 2014

[34] Quant à la date où l’appelant a cessé d’être résidant du Canada, l’appelant admet, dans une déclaration solennelle datée du 7 novembre 2014Note de bas page 25 que lui et son épouse ont cessé d’être résidants du Canada le 10 novembre 2014. Il a quitté le Canada à ce moment-là avec son épouse afin de s’établir en Haïti. La preuve révèle également qu’ils ont fait suivre tous leurs biens meubles de façon contemporaineNote de bas page 26.

[35] Compte tenu de cette admission évidente et incontestable, je statue que l’appelant a cessé d’être résidant du Canada le 10 novembre 2014.

Conclusion

[36] Je suis d’avis que le Ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer sa décision sur admissibilité du 27 novembre 2007. Je statue aussi que l’appelant a cessé d’être résidant du Canada le 10 novembre 2014.

[37] L’appel est donc accueilli.

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