Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Contenu de la décision

Citation : Ministre de l’Emploi et du Développement social c SL, 2022 TSS 655

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Parties appelante : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Jessica Grant
Partie intimée :

S. L.

Représentante ou représentant :

T. S.


Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 17 novembre 2021 (GP-19-584)

Membre du Tribunal : Jude Samson
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 6 mai 2022
Personne présente à l’audience : Représentante de l’appelant
Date de la décision : Le 14 juillet 2022
Numéro de dossier : AD-22-104

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] S. L. est le requérant dans la présente affaire. En novembre 2006, le ministre de l’Emploi et du Développement social a accueilli ses demandes de pension de la Sécurité de la vieillesse et de Supplément de revenu garanti. Dans le cadre de ses décisions, le ministre a considéré que le requérant résidait au Canada du 17 mai 1982 au 24 octobre 2004, et depuis le 16 juin 2006Note de bas de page 1.

[3] En 2016, le ministre a entamé une enquête au sujet de la résidence au Canada du requérant. À la suite de son enquête, en 2018, le ministre a constaté que le requérant n’avait pas résidé au Canada depuis le 1er novembre 2008Note de bas de page 2.

[4] Par conséquent, le ministre a jugé que le requérant n’avait pas droit aux prestations du Supplément de revenu garanti qu’il avait reçues de juin 2009 à juin 2017, soit une somme de plus de 95 000 $.

[5] Le requérant a fait appel de la décision du ministre auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a conclu que le ministre n’avait pas le droit de récupérer les prestations qu’il avait versées au requérant.

[6] Le ministre fait maintenant appel de la décision de la division générale à la division d’appel du Tribunal. Il soutient que la division générale a commis des erreurs de droit.

[7] Le ministre a raison. Dans cette situation, j’accueille l’appel et je rends la décision que la division générale aurait dû rendre.

[8] Le requérant n’a pas résidé au Canada du 10 novembre 2010 au 15 juin 2017. Il a repris sa résidence au Canada à partir du 16 juin 2017.

Question préliminaire

L’audience a eu lieu en l’absence du requérant

[9] Je suis convaincu que le requérant était au courant de l’audience, même s’il n’y était pas présent. J’ai donc procédé à l’audience en son absence.

[10] Le requérant a fourni ses coordonnées au Tribunal dans l’avis d’appel qu’il a déposé devant la division généraleNote de bas de page 3. Dans ce même document, il a nommé son neveu à titre de représentant et a fourni ses coordonnées, y compris une adresse courrielNote de bas de page 4.

[11] Le requérant était tenu d’informer le Tribunal sans délai de tout changement de ses coordonnéesNote de bas de page 5. Cette responsabilité lui a été rappelée dans presque toutes les lettres du Tribunal.

[12] Dès le départ, le Tribunal a eu beaucoup de mal à contacter le requérant. De nombreux envois ont été retournés.

[13] Toutefois, le Tribunal a pu transmettre des documents à son représentant, tant par courrier que par courriel, et a pu laisser des messages sur sa boîte vocale. Celui-ci a confirmé, dans l’avis d’appel, qu’il était responsable de transmettre au requérant tout renseignement concernant son appelNote de bas de page 6.

[14] J’estime alors que le requérant était au courant de l’audience.

Questions en litige

[15] Voici les questions que je dois trancher :

  1. a) La division générale a-t-elle commis des erreurs de droit en constatant que la division générale n’avait pas le pouvoir de réévaluer sa décision de novembre 2006?
  2. b) Dans l’affirmative, comment dois-je corriger l’erreur de la division générale?

Analyse

[16] Je peux intervenir dans la présente affaire seulement si la division générale a commis au moins l’une des erreurs prévues par la loiNote de bas de page 7. D’après le libellé de la loi, toute erreur de droit pourrait déclencher le recours à mon pouvoir d’intervention.

La division générale a commis des erreurs de droit en constatant que le ministre ne pouvait pas réévaluer sa décision de novembre 2006

[17] Devant la division générale, le ministre a formulé la question en appel comme étant celle de savoir si le requérant avait droit aux versements du Supplément de revenu garanti qu’il avait reçus après juin 2011. La réponse à cette question dépend du fait qu’il ait ou non résidé au Canada à partir de novembre 2010.

[18] La division générale a plutôt conclu que le ministre ne pouvait pas revenir sur sa décision de novembre 2006, moment où il a d’abord accueilli les demandes de prestations du requérant. De plus, elle a constaté que la décision rendue ensuite par le ministre sur l’admissibilité du requérant au Supplément de revenu garanti ne pouvait avoir qu’un effet prospectif (orienté vers l’avenir). Par conséquent, le ministre n’avait pas le droit de récupérer les prestations qu’il avait versées au requérantNote de bas de page 8.

[19] Dans sa décision, la division générale a commis deux erreurs de droit.

[20] D’abord, la décision initiale de 2006 n’a pas été réévaluée dans les décisions subséquentes du ministre. Elle ne faisait donc pas l’objet de l’appel devant la division générale. En effet, la décision initiale du ministre a été prise à la fin de 2006, alors que le ministre n’a contesté la résidence au Canada du requérant qu’à partir de novembre 2008.

[21] De plus, la division générale a commis une erreur de droit en interprétant de manière trop restrictive la portée des pouvoirs du ministre.

[22] La division générale a conclu que le ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer ses décisions antérieures. Pour parvenir à sa conclusion, la division générale s’est fondée sur des décisions dans lesquelles le Tribunal avait conclu qu’il existait des limites importantes au pouvoir du ministre de modifier des décisions antérieuresNote de bas de page 9.

[23] Cependant, après que la division générale a rendu sa décision dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que le ministre dispose d’un pouvoir large en matière d’enquête et de réévaluationNote de bas de page 10. La Cour d’appel fédérale s’est exprimée ainsi au paragraphe 106 de sa décision :

[traduction]

En termes simples, le pouvoir d’enquête prévu à l’article 23 du Règlement permet au ministre de réévaluer l’admissibilité d’une personne aux prestations lorsque, par exemple, de nouveaux renseignements font surface ou lorsque des erreurs, de fausses déclarations ou même des fraudes ont été commises afin de s’assurer que seules les personnes qui ont droit aux prestations en bénéficient effectivement. L’article 37 de la Loi permet au ministre de recouvrir les prestations indûment versées à une partie requérante.

[24] Je suis obligé de suivre les décisions de la Cour d’appel fédérale. J’estime alors que la division générale a commis une erreur de droit en interprétant de manière trop restrictive la portée des pouvoirs du ministre.

Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre

[25] À l’audience, le ministre a soutenu que je devais rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 11. Je suis d’accord. Cela signifie que je peux décider quand le requérant a résidé au Canada.

[26] Bien que le requérant n’ait pas assisté à l’une ou l’autre des audiences devant le Tribunal, il en avait connaissance et a choisi de ne pas y participer.

La période en litige : du 10 novembre 2010 au 15 juin 2017

[27] D’abord, le ministre a conclu que le requérant avait cessé de résider au Canada en novembre 2008. Cependant, il a révisé sa décision encore une fois. Devant la division générale, le ministre a soutenu que le requérant a cessé de résider au Canada le 10 novembre 2010.

[28] La division générale a constaté que le requérant avait rétabli sa résidence au Canada à partir du 16 juin 2017Note de bas de page 12. Le ministre n’a pas contesté cette conclusion devant la division d’appelNote de bas de page 13.

[29] La période en litige est donc celle du 10 novembre 2010 au 15 juin 2017.

Le critère juridique relatif à la résidence au Canada

[30] Pour résider au Canada, le requérant devait établir sa demeure et vivre ordinairement dans une région du CanadaNote de bas de page 14. En évaluant son statut, j’ai examiné les facteurs ci-dessous afin de décider avec quel pays ses liens étaient les plus fortsNote de bas de page 15 :

  • ses biens personnels au Canada;
  • ses relations sociales au Canada;
  • ses autres liens au Canada;
  • ses liens dans un autre pays;
  • le nombre et la durée de ses séjours au Canada;
  • le nombre et la durée de ses absences du Canada;
  • son mode de vie et son enracinement au Canada.

[31] L’importance accordée à chaque élément peut varier d’un cas à l’autreNote de bas de page 16. De plus, il faut étudier l’ensemble de la situation d’une personne pour évaluer sa résidenceNote de bas de page 17.

Le requérant n’a pas démontré qu’il résidait au Canada du 10 novembre 2010 au 15 juin 2017

[32] En évaluant la résidence du requérant, j’ai tenu compte de l’ensemble de sa situation, y compris son état financierNote de bas de page 18. À ce sujet, je note que le requérant a de faibles revenusNote de bas de page 19.

[33] Par conséquent, je ne m’attendais pas à ce que le requérant possède une maison ou une voiture. Au contraire, le requérant a déclaré qu’il n’a pas de biens personnels importants et n’a pas de logement à lui, que ce soit au Canada ou dans son pays d’origineNote de bas de page 20.

[34] Quoi qu’il en soit, je reconnais que le requérant a pu maintenir certains liens avec le Canada pendant la période en litige, notamment ce qui suit :

[35] Cependant, ces facteurs doivent être mis en balance avec le fait que le requérant ne parle pas l’anglais et seulement un peu le françaisNote de bas de page 24. Cela laisse croire que le requérant n’est pas bien enraciné au Canada.

[36] De plus, le ministre soutient que je dois accorder beaucoup d’importance au nombre et à la durée des absences du Canada du requérant pendant cette période.

[37] À ce sujet, le ministre a préparé un tableau regroupant beaucoup d’éléments et démontrant comment le requérant était absent du CanadaNote de bas de page 25 :

  • du 10 novembre 2010 au 4 mai 2012;
  • du 30 mai 2012 au 23 juin 2013;
  • du 19 janvier 2014 au 16 juillet 2014;
  • du 30 janvier 2015 au 17 juin 2015;
  • du 6 octobre 2015 au 16 juin 2017.

[38] De façon approximative, le requérant était donc au pays pendant 18 mois, comparativement aux 61 mois où il était absent du pays.

[39] Ce tableau s’harmonise bien avec mon évaluation des éléments au dossier d’appel. De plus, je suis d’accord pour dire que ce facteur est digne de beaucoup d’importance compte tenu de toutes les circonstances de cette affaire.

[40] Les absences longues et fréquentes du requérant m’empêchent donc de conclure qu’il résidait au Canada pendant la période en litige.

Conclusion

[41] Dans l’ensemble, j’ai conclu que la division générale a commis des erreurs de droit en constatant que le ministre ne pouvait pas réévaluer sa décision de novembre 2006. Ces erreurs justifient mon intervention dans la présente affaire et me permettent de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[42] Je constate que le requérant n’a pas résidé au Canada du 10 novembre 2010 au 15 juin 2017. Le requérant a rétabli sa résidence au Canada à partir du 16 juin 2017.

[43] Ma conclusion influe sur l’admissibilité du requérant aux prestations de la Sécurité de la vieillesse comme suit :

  • L’admissibilité du requérant à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse n’est pas en question. Puisque le requérant a accumulé plus de 20 ans de résidence au Canada, cette pension est exportableNote de bas de page 26. Cela signifie qu’il a droit à cette pension quelle que soit sa résidence et quelle que soit la durée de ses absences du Canada.
  • Le requérant n’est pas admissible au Supplément de revenu garanti de juin 2011 à mai 2017Note de bas de page 27.
  • Le requérant est admissible au Supplément de revenu garanti à partir de juin 2017. Son admissibilité à cette prestation peut prendre fin s’il cesse de résider au Canada ou s’il s’absente du pays pendant plus de six moisNote de bas de page 28.

[44] Dans cette situation, j’accueille l’appel du ministre.

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