Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Citation : SL c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 990

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : S. L.
Représentante ou représentant : T. S.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision datée du 15 janvier 2019 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Jean Lazure
Mode d’audience : Sur la foi du dossier
Date de la décision : Le 17 novembre 2021
Numéro de dossier : GP-19-584

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] Le Ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer sa décision du 30 novembre 2006. Je suis aussi d’avis qu’il n’y a aucune période pendant laquelle l’appelant n’était pas admissible aux prestations du Supplément de revenu garanti (SRG).

[3] Cette décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[4] L’appelant est un homme âgé de 81 ans en date de la présente décision.

[5] Le 3 octobre 2006, le Ministre a reçu la demande de l’appelant pour une pension de la Sécurité de la vieillesseNote de bas de page 1. Le 30 novembre 2006, le Ministre a approuvé sa demandeNote de bas de page 2 et a établi que l’appelant avait droit à une pension partielle de 22/40e à compter de novembre 2005 et qu’il avait aussi droit au Supplément de revenu garanti (SRG) à compter de juin 2006.

[6] Le 16 novembre 2015, le Ministre a communiqué avec l’appelant afin de lui faire remplir un questionnaire et afin que l’appelant fournisse des informations sur ses voyages à l’extérieur du CanadaNote de bas de page 3.

[7] Le 21 mars 2016, le ministre a demandé une enquête dans le dossier de l’appelant. De mars 2016 à janvier 2018, l’enquête a suivi son cours. Le versement des prestations du SRG a été suspendu à compter de juillet 2017Note de bas de page 4. Le 21 mars 2018, le Ministre a fait parvenir une lettre à l’appelant dans laquelle on lui réclame un trop-perçu en prestations du SRG de 95 532,10$Note de bas de page 5.

[8] Le 28 mai 2018, l’appelant a présenté une demande de réexamen de cette décisionNote de bas de page 6. Le 15 janvier 2019, le Ministre a émis une Lettre considérant le réexamen de la décisionNote de bas de page 7, qui maintenait la décision initiale.

[9] Le 30 mars 2019, l’appelant a fait appel de cette dernière décision devant notre TribunalNote de bas de page 8.

[10] Une conférence préparatoire devait avoir lieu le 20 janvier 2021 dans ce dossier. Vu l’absence de l’appelant, j’ai demandé que le dossier soit fixé pour audition par téléconférence. Cette audition devait avoir lieu le 21 mai 2021. L’appelant ne s’est pas présenté et l’audition n’a pas eu lieu.

[11] Le 31 mai 2021, j’ai écrit aux partiesNote de bas de page 9 pour leur dire que j’allais rendre ma décision sur la foi du dossier.

Questions en litige

[12] Il y a deux questions en litige dans cet appel :

[13] Premièrement, est-ce que le Ministre possédait le pouvoir de réévaluer sa décision du 30 novembre 2006?

[14] Deuxièmement, est-ce que l’appelant a cessé d’être admissible aux prestations du SRG et, si oui, à quelle date?

Motifs de ma décision

[15] Je statue que le Ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer sa décision du 30 novembre 2006. Je suis aussi d’avis qu’il n’y a aucune période pendant laquelle l’appelant n’était pas admissible aux prestations du SRG. Voici pourquoi.

Le Ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer sa décision du 30 novembre 2006

Arguments du Ministre

[16] Le Ministre plaide que le Tribunal ne doit pas, de sa propre initiative, soulever la question du pouvoir du Ministre d’enquêter sur l’admissibilité de l’appelant aux prestations prévues à la Loi sur la sécurité de la vieillesse et de la réévaluer.

[17] Le Ministre prétend que l’article 23 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse lui confère le pouvoir d’enquêter sur l’admissibilité d’une personne et d’évaluer celle-ci en tout temps.

[18] Le Ministre plaide que je ne suis pas lié par d’autres décisions du Tribunal. En même temps, le Ministre désire que je suive certaines décisions de la Division générale, dont les décisions R.S.Note de bas de page 10 et R.D.Note de bas de page 11

Je peux soulever une question qui n’a pas été soulevée par les parties

[19] Dans ma lettre du 31 mai 2021 citée ci-haut, j’ai aussi demandé « aux parties de fournir au Tribunal des soumissions écrites sur la question à savoir si le Ministre possède la juridiction de modifier sa décision initiale d’accorder ses prestations à l’appelant? »Note de bas de page 12 J’ai demandé ce qui précède aux parties à la lumière de la décision B.R. de notre division d’appelNote de bas de page 13.

[20] Je croyais que mon omission de soulever la question du pouvoir du Ministre de réévaluer une décision initiale risquait d’entraîner une injustice. Il s’agit également d’une question fondamentale quant à la compétence du Ministre. Je croyais que je devais le faire. Voilà pourquoi je l’ai fait.

[21] Le Ministre a fait parvenir des soumissions écrites au Tribunal en date du 30 juin 2021Note de bas de page 14. L’appelant n’a fait parvenir aucune soumission.

[22] Enfin, je fais miens les motifs de ma collègue Anne Clark dans sa décision du 24 novembre 2020Note de bas de page 15 quant à la possibilité pour le Tribunal de soulever une question qui n’a pas été soulevée par les parties :

« [17] J’ai soulevé la question et invité les parties à présenter leurs observations parce que le pouvoir du ministre de revoir et de modifier des décisions antérieures a été abordé dans plusieurs décisions récentes. La décision BR a été la première et, parmi les décisions subséquentes, certaines n’adhèrent pas totalement à son analyse. J’estimais que les questions en litige dans la décision BR sont semblables à celles du présent appel et que la décision pourrait s’appliquer dans la présente affaire. La division générale du Tribunal n’est pas tenue de remettre en question la validité des pouvoirs du ministre dans tous les appels, surtout si aucune partie n’a soulevé une question à l’égard de ces pouvoirs. Même si je ne suis pas obligée de soulever cette question dans chaque appel, cela ne veut pas dire que je ne devrais pas le faire quand je m’interroge sur le sujet. La question des pouvoirs du ministre dans les appels introduits en vertu de la Loi sur la SV est importante, et la question de la compétence du ministre de revoir des décisions antérieures a déjà été soulevée dans des affaires relatives à la SV. Le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire de soulever de telles questionsNote de bas de page 16 « si son omission de le faire risquerait d’entraîner une injustice» Note de bas de page 17. 

[18] Dans le présent appel, il serait injuste de ne pas soulever cette question. Comme le principe de droit examiné dans la décision BR pourrait avoir une incidence sur l’issue du présent appel, je dois donner aux parties l’occasion d’en discuter en détail. Il se peut que les parties aient de la difficulté à accéder aux décisions, surtout les nouvelles décisions ou celles qui ne sont pas publiées par le Tribunal. Par souci d’équité, j’ai informé les deux parties que je suis au courant de la décision BR et que j’appliquerai peut-être les mêmes principes au présent appel. J’ai donné aux parties toutes les chances de présenter des observations écrites ou orales.

[19] Je reconnais qu’il n’appartient pas au Tribunal d’établir la preuve des parties, mais si une question fondamentale comme celle de la compétence se pose, les parties doivent avoir la possibilité de formuler des observations. Suivant les directives de la Cour fédérale, j’ai avisé les parties et je leur ai donné la possibilité de répondre. » Note de bas de page 18

Pourquoi je préfère les décisions B.R. et M.B. aux décisions R.S. et R.D.

[23] Notre division d’appel, dans la décision B.R., après une revue exhaustive de la législation habilitante – la Loi sur la sécurité de la vieillesse et le Règlement sur la sécurité de la vieillesse – ainsi que la jurisprudence applicable, a conclu que sauf en cas de fraude ou de faits nouveaux, le Ministre ne peut « annuler une pension de la SV et réclamer que les sommes déjà versées soient remboursées »Note de bas de page 19.

[24] Je trouve que l’analyse de notre division d’appel dans B.R. est convaincante, surtout quand à la terminologie utilisée dans la législation habilitante, dont le concept de cessation. Je trouve aussi que « le pouvoir que le ministre prétend détenir – soit celui de changer en tout temps et pour n’importe quel motif ses décisions antérieures – est un pouvoir extraordinaire. »Note de bas de page 20 Je crois que la décision B.R. est bien motivée et je suis enclin à suivre celle-ci.

[25] Comme je l’ai mentionné ci-haut, le Ministre aimerait plutôt que je suive les décisions de la Division générale dans R.S. et R.D. Notre division générale dans R.S. a déterminé que les pouvoirs du Ministre de réviser des décisions initiales étaient nécessaires afin qu’ils:

« … servent de contrepoids à l’objectif qui est d’honorer la nature altruiste de la loi conférant des prestations de la SV : ils permettent d’éviter les délais inutiles dans le traitement des demandes, tout en permettant de protéger les cordons de la bourse de la SV grâce au refus de prestations aux personnes inadmissibles.”Note de bas de page 21

[26] Je crois que la décision de ma collègue retient que seuls ceux qui ont droit aux prestations de la SV devraient les recevoir, et que le pouvoir du Ministre de réévaluation est une protection nécessaire en ce sens.

[27] Mon collègue de la Division générale dans R.D. reprend à son compte la citation ci-haut de la décision R.S. et indique aussi qu’il est en désaccord avec la décision B.R. de la Division d’appel:  « I am not compelled to follow the reasoning in the AD decision and I find that the Minister’s power to reassess eligibility is broad and extends to cases where there is no suggestion of fraud or misrepresentation.”Note de bas de page 22

[28] Par ailleurs, j’ai pu lire une décision plus récente de notre division d’appel, soit la décision M.B.Note de bas de page 23 Dans celle-ci, la Division d’appel interprète les notions du droit aux prestations et d’admissibilité afin de déterminer les pouvoirs du Ministre quant à une décision initiale :  « Les demandes frauduleuses annulent le droit. Des faits nouveaux influent sur de nouvelles décisions concernant l’admissibilité. »Note de bas de page 24

[29] Je crois que la Division d’appel dans M.B. nous dit qu’une décision du Ministre quant au droit aux prestations, dans un cas de fraude, pourrait avoir un effet rétroactif, alors qu’une décision sur l’admissibilité pourrait seulement avoir un effet prospectif. Cette conclusion se retrouve aussi dans B.R.: « Une fois qu’une demande est agréée, le ministre peut encore mener des examens afin de déterminer si le requérant demeure admissible aux prestations (ou si les prestations versées sont du bon montant). »Note de bas de page 25

[30] Quant à l’argument mis de l’avant dans R.S., soit la « nécessité » du pouvoir du Ministre de réévaluer des décisions initiales sur l’admissibilité ou sur le droit aux prestations afin d’empêcher que des personnes non admissibles en reçoivent, je crois que la Division d’appel l’écarte dans M.B.:

“[131] Dans le cadre de régimes conçus pour aider à la sécurité de revenu la plus élémentaire de personnes âgées, il peut arriver qu’une personne touche une prestation et que, par la suite, plus de renseignements deviennent disponibles et montrent qu’elle n’aurait pas dû la recevoir. Nous nous accommodons de ce résultat parce que, dans des régimes qui confèrent des avantages, le versement de prestations aux personnes qui en ont besoin nécessite un processus de demande qui avance avec la rapidité et l’efficacité qui conviennent à la tâche. 

[132] La Loi sur la SV et son Règlement font partie d’un filet de sécurité sociale pour les personnes aînées. Je ne peux pas conclure qu’il existe un pouvoir de réévaluation de l’admissibilité initiale et de recouvrement d’énormes trop-payés lorsque les textes législatifs ne l’indiquent pas clairement. »Note de bas de page 26

[31] L’analyse de la Division d’appel dans M.B. de la terminologie ci-haut (« droit aux prestations » vs. « admissibilité »), mais aussi de l’intention du législateur, est exhaustive et convaincante. Je suis aussi enclin à la suivre.

Pourquoi je choisis d’être lié par ces décisions de la Division d’appel

[32] Le Ministre plaide que je ne suis pas lié par d’autres décisions du Tribunal. Cela est vrai, et cela comprend les décisions de notre division d’appel.

[33] Cependant, il y a des raisons importantes qui pourraient me motiver à être lié par de telles décisions. La constance et la prévisibilité des décisions de notre tribunal est l’une de ces raisons, mais je ne voudrais pas suivre des décisions avec lesquelles je suis fondamentalement en désaccord. Mes collègues de la Division générale dans R.S. et R.D. n’ont pas suivi B.R. en raison d’un tel désaccord fondamental.

[34] Je trouve que les décisions de la Division d’appel dans B.R. et M.B. sont les plus conformes à l’intention du législateur et au but de la Loi sur la SV. Je suis d’accord avec ce que dit notre division d’appel dans M.B., soit que « … l’objectif et le but de la Loi sur la SV sont de fournir un soutien du revenu modeste pour les aînés en reconnaissance de leur contribution au Canada. Cet objectif et ce but ne requièrent pas une évaluation de l’admissibilité qui est à l’abri de l’erreur. »Note de bas de page 27

[35] Je crois qu’en interprétant ainsi les pouvoirs du Ministre, les décisions de notre division d’appel dans B.R. et M.B. accordent le bénéfice du doute à l’appelant parce que la législation habilitante n’est pas suffisamment spécifique. Je crois que cela est conforme à la nature altruiste et au but de la Loi sur la SV. Voilà pourquoi je choisis de suivre ces décisions.

[36] Enfin, j’ai pu également prendre connaissance de deux récentes décisions de la Division d’appel dans A.L.Note de bas de page 28 et dans S.F. et C.FNote de bas de page 29. Ces décisions reconnaissent au Ministre un pouvoir discrétionnaire implicite de revoir les décisions initiales quant à la Loi sur la SV. Compte tenu de ce qui précède, je suis en désaccord avec ces décisions. Je crois plutôt qu’un tel pouvoir, aussi vaste, doit avoir été explicitement prévu par la législation habilitante.

L’appelant n’a jamais été non admissible aux prestations du SRG

[37] Quant à l’admissibilité de l’appelant aux prestations du SRG, je résumerai ici-bas les positions des parties.

Arguments de l’appelant

[38] L’appelant plaide qu’il est encore résidant du Canada à ce jour :  « Pour vous dire que je vis toujours au Québec. Le Canada est toujours ma résidente (sic) permanente ».Note de bas de page 30 

Arguments du Ministre

[39] Le Ministre modifie en partie la position qu’il a prise dans sa Lettre sur réexamen de la décision du 15 janvier 2019. Sa position est désormais que l’appelant a cessé de résider au Canada le 10 novembre 2010.

[40] Le Ministre indique que l’appelant n’est donc plus admissible aux prestations du SRG à compter de juin 2011 et qu’il y a un trop-payé de 74 186,56$ pour la période de juin 2011 à juin 2017.Note de bas de page 31

[41] Le Ministre admet le Ministre que l’appelant réside au Canada à compter du 16 juin 2017Note de bas de page 32.

L’appelant n’a jamais été non admissible aux prestations du SRG

[42] Le Ministre plaide donc que l’appelant n’est plus résidant canadien depuis novembre 2010. Cependant, j’ai déterminé que le Ministre ne pouvait réévaluer sa décision du 30 novembre 2006. Tel qu’indiqué ci-haut, je statue que la décision subséquente du Ministre sur l’admissibilité ne pouvait avoir qu’un effet prospectif.

[43] Le Ministre a suspendu les prestations du SRG de l’appelant en juillet 2017. Cette décision ne peut avoir d’effet rétroactif. Quant à l’effet prospectif, le Ministre a admis que l’appelant réside au Canada à compter du 16 juin 2017.

[44] En conséquence, il n’y a aucune période pendant laquelle l’appelant n’était pas admissible aux prestations du SRG.

Conclusion

[45] Je suis d’avis que le Ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer sa décision du 30 novembre 2006. Je statue aussi qu’il n’y a aucune période pendant laquelle l’appelant n’était pas admissible aux prestations du SRG.

[46] L’appel est donc accueilli.

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