Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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[TRADUCTION]

Citation: JE c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 1257

Numéro de dossier du Tribunal: GP-20-601

ENTRE :

J. E.

Appelant (requérant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Anne S. Clark
Date de l’audience par téléconférence : Le 29 septembre 2020
Date de la décision : Le 9 novembre 2020

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Décision

[1] J’accueille l’appel du requérant. Le ministre n’a pas le pouvoir de réexaminer ses décisions initiales pour approuver les demandes de Supplément de revenu garanti (SRG) du requérant pour la période d’avril 2011 à août 2015.

Aperçu

[2] Le requérant a fait une première demande de SRG le 10 décembre 2010. À l’époque il était séparé de son ex-épouse. Il a commencé à avoir une relation exclusive avec BD et la considérait comme sa partenaire de vie. Le requérant et BD ne vivaient pas ensemble à temps plein. Des circonstances ont perturbé leur mode de vie à différents moments et ils ont dû vivre séparément. Le divorce du requérant d’avec son ex-épouse s’est poursuivi jusqu’en 2013. En 2012, il a perdu sa maison et a dû trouver un autre endroit où habiter. En 2015, BD est devenue très malade et elle a dû déménager dans un établissement de soins de longue durée. Au fil des années, le requérant et BD ont seulement pu vivre ensemble à certains moments.

[3] En 2018, après le décès de BD, le ministre a réexaminé ses décisions précédentes concernant l’admissibilité du requérant au SRG. Le ministre a modifié sa décision initiale et a décidé que le requérant n’était pas admissible à un SRG parce qu’il n’était pas séparé ou célibataire. Le ministre a calculé un trop-payé d’environ 6 400 $.

[4] Le requérant a demandé au ministre de réviser sa décision de réexaminer et de modifier sa décision précédente concernant son admissibilité à un SRG. Après révision, le ministre a décidé que le requérant :

  1. a) était séparé de son ex-épouse lorsqu’il a demandé un SRG pour la première fois en décembre 2010;
  2. b) était séparé de BD pour des raisons indépendantes de leur volonté après août 2015;
  3. c) vivait en union libre avec BD d’avril 2011 à août 2015.

[5] Le ministre a confirmé la décision de réévaluer l’admissibilité du requérant à un SRG pour la période d’avril 2011 à août 2015, et il a calculé un trop-payé d’environ 4 000 $. Le requérant a fait appel de la décision découlant de la révision du ministre au Tribunal de la sécurité sociale.

Question en litige

[6] Le ministre avait-il le pouvoir de réexaminer l’admissibilité du requérant au SRG pour la période d’avril 2011 à août 2015?

Analyse

Le ministre ne peut pas récupérer les versements de SRG du requérant pour la période d’avril 2011 à août 2015

[7] L’admissibilité du requérant au SRG pour la période d’avril 2011 à août 2015 dépendait de s’il recevait une pension de la Sécurité de la vieillesse (pension de la SV). Le requérant devait également satisfaire au critère relatif au revenu et être résident du CanadaNote de bas de page 1. Les faits selon lesquels il satisfaisait aux exigences en matière de résidence et il recevait une pension de la SV ne sont pas en cause.

[8] De 2010 à 2018 environ, le requérant entretenait une relation exclusive avec BD. Il a vécu des changements dans sa vie personnelle entre 2011 et 2015, il y a eu des moments où lui et BD ne vivaient pas ensemble. Il ne se souvient pas de dates précises et ne peut penser à aucun élément de preuve qu’il pourrait trouver qui prouverait à quels moments il ne vivait pas avec BD.

[9] J’ai demandé au requérant pourquoi il avait dit qu’il était célibataire ou séparé entre 2011 et 2015. Il a expliqué de façon très claire et crédible pourquoi il ne savait pas comment décrire son état matrimonial. Il a expliqué qu’il n’avait pas l’intention de faire une fausse déclaration ou d’induire qui que ce soit en erreur lorsqu’il a rempli les formulaires de demande de prestations du SRG. Sa seule expérience avec les organismes fédéraux était lorsqu’il produisait ses déclarations de revenus. Dans sa déclaration de revenus, il a déclaré être célibataire et il a fait la même chose pour les prestations de la SV. Il ne voulait pas induire quiconque en erreur, mais il a reconnu qu’il avait mal compris les règles. Je n’ai aucun doute que le requérant était tenu de s’informer des règles qui s’appliquaient à ses demandes. Cependant, je le crois lorsqu’il dit qu’il pensait donner des renseignements honnêtes et exacts. En fait, il est possible que lorsqu’il a présenté sa demande, BD et lui ne vivaient pas ensemble pour des raisons indépendantes de leur volonté, mais qu’il est incapable de trouver de preuves à cet effet.

La loi ne donne pas explicitement au ministre le pouvoir de modifier une décision antérieure

[10] La Loi et le Règlement sur la SV s’appliquent au SRG ainsi qu’à la pension de la SV. Je constate qu’aucun des deux documents n’habilite le ministre à annuler une décision initiale sur l’admissibilité du requérant au SRG.

[11] Une décision récente de la division d’appel, BR c Ministre de l’Emploi et du Développement social (la décision BRNote de bas de page 2) concernait un requérant qui avait initialement reçu l’approbation pour la SV. Le ministre avait ensuite changé d’avis et déclaré que le requérant n’avait pas eu le droit de recevoir pendant deux ans des prestations auxquelles il avait été jugé admissible dans la décision initiale. Le ministre a exigé le remboursement des prestations versées pendant deux ans. Je ne suis pas tenue de suivre la décision BR, mais je la trouve convaincante.

[12] Lors de l’examen de l’appel dans la décision BR, le membre de la division d’appel a effectué un examen minutieux de la loiNote de bas de page 3. Il a conclu que la Loi sur la SV ne donnait pas au ministre le pouvoir de réexaminer l’admissibilité initiale d’une personne une fois qu’une demande de SV était approuvée :

  1. a) En tant que loi d’aide sociale, le régime de la SV doit être interprété de façon libéraleNote de bas de page 4.
  2. b) « La loi favorise le caractère définitif des décisions rendues, et les pensionnés s’attendent légitimement à pouvoir se fier à la décision d’admissibilité du ministre. » Si le ministre avait le pouvoir de revoir la décision initiale sur l’admissibilité, il serait raisonnable de s’attendre à ce que la loi accorde ce pouvoir en termes clairs. Un langage législatif d’une telle clarté, que l’on trouve dans d’autres lois octroyant des prestations, est absent des dispositions de la Loi et du Règlement sur la SVNote de bas de page 5.
  3. c) Par exemple, la Loi sur la SV ne donne pas au ministre le pouvoir d’annuler ou de modifier une décision initiale sur l’admissibilité en fonction de « faits nouveaux » (faits qui n’auraient pas pu être connus au moment où le ministre a pris sa décision initialeNote de bas de page 6).
  4. d) De plus, la Loi sur la SV ne donne pas au gouverneur en conseil le pouvoir d’établir des règlements qui permettraient au ministre de modifier des décisions antérieures en matière d’admissibilitéNote de bas de page 7.
  5. e) En cas de fraude, le ministre peut avoir recours à une déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou à l’évaluation d’une pénalité financièreNote de bas de page 8.
  6. f) La Loi permet que l’admissibilité d’une pensionnée ou d’un pensionné aux prestations de la SV ou du SRG, ou le montant de ses prestations, change au fil du tempsNote de bas de page 9.

Le pouvoir d’enquêter ne donne pas le pouvoir de réévaluer

[13] L’article 23(1) du Règlement sur la SV prévoit que le ministre peut, avant ou après l’approbation d’une demande, exiger que la personne qui demande des prestations permette l’accès à des renseignements additionnels sur son admissibilité. L’article 23(2) du Règlement sur la SV prévoit que le ministre peut faire enquête en tout temps sur l’admissibilité d’une personne à une prestation.

[14] Le fait que le Parlement ait donné au ministre de vastes pouvoirs d’enquête ne lui donne pas aussi le pouvoir de modifier une décision initiale sur l’admissibilité. Il faut un libellé législatif clair pour que le ministre ait ce pouvoir. Les pouvoirs d’enquête ne sont pas des pouvoirs de réévaluation. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles le ministre peut avoir besoin de pouvoirs d’enquête aussi vastes. Ces raisons comprennent les suivantes :

  • vérifier si une personne continue d’avoir droit à une prestationNote de bas de page 10;
  • vérifier s’il faut suspendre le paiement d’une prestationNote de bas de page 11;
  • vérifier si une ou un bénéficiaire a reçu un paiement, ou un paiement excédentaire, auquel elle ou il n’avait pas droitNote de bas de page 12;
  • vérifier s’il faut imposer une pénalité à une personne qui a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse dans sa demandeNote de bas de page 13.

Faire une réévaluation sans en avoir la compétence entraîne une grande injustice

[15] décision BR mentionne « l’injustice profonde et [le] stress immense » que subissent les pensionnées et pensionnés en raison des réévaluations ministérielles de l’admissibilité au titre de la Loi et du Règlement sur la SV. Les demandes de remboursement du ministre, qui surviennent parfois des années après la décision initiale, peuvent faire que les pensionnées et pensionnés doivent des trop-payés s’élevant à 100 000 $ ou plusNote de bas de page 14. À l’audience, le requérant a longuement parlé du fait qu’il était injuste de faire réévaluer son admissibilité et que le ministre déduise des paiements de sa pension pour rembourser le montant qu’il jugeait être un trop-payé. Dans son cas, le trop-payé n’est pas aussi extrême que dans l’affaire BR. Toutefois, il s’agissait d’un fardeau financier important et inattendu pour lui.

La preuve ne démontre pas qu’il y a eu une fraude ou une fausse déclaration intentionnelle

[16] Le ministre a soutenu qu’il était « clair » que le requérant avait fait des déclarations fausses et trompeuses. Le ministre n’a pas fait d’allégations de fraude contre le requérant ni entamé des démarches en ce sens. De plus, je juge que les renseignements au dossier ne suffisent pas à prouver que le requérant a sciemment donné une fausse image de sa relation avec BD dans ses communications avec le ministre.

[17] Le requérant a dit qu’il avait toujours eu l’intention de répondre véridiquement aux questions et qu’il croyait l’avoir fait en disant qu’il était séparé ou qu’il était célibataire. Étant donné le passage du temps et des situations personnelles difficiles, il n’est ni raisonnable ni juste de s’attendre à ce qu’il puisse trouver des éléments de preuve pour contester les décisions du ministre.

[18] La décision BR mentionne des affaires de fraude présumée ou des causes dans lesquelles une requérant ou un requérant donne sciemment de faux renseignements ou induit le ministre en erreur. Le ministre peut avoir des recours dans de telles situations, mais ils ne s’appliquent pas au présent appel. Le ministre a dit que le requérant avait fourni des renseignements faux ou trompeurs. Le ministre n’a présenté aucune preuve montrant que le requérant avait sciemment fourni des renseignements faux ou trompeurs. Le ministre aurait pu faire valoir que le requérant avait sciemment fourni des renseignements faux ou trompeurs. Il a le pouvoir de demander réparation en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesseNote de bas de page 15.

Le requérant avait droit auSRG lorsque le ministre a approuvé sa demande

[19] Le ministre a le pouvoir de recouvrer un trop-perçu, entre autres, quand le montant des prestations versées a été mal calculé ou quand les personnes ont reçu des paiements alors qu’elles n’avaient plus droit aux prestationsNote de bas de page 16.

[20] Rien n’indique que le ministre a mal calculé le montant du SRG. Le requérant avait droit aux prestations dès que sa demande a été approuvée. Cela est vrai même si le ministre a fini par croire, avec le recul, que l’approbation initiale était erronée. Cette nouvelle position ne veut pas dire que le ministre peut par la suite modifier la décision et recouvrer les paiements versés au cours des années précédentes.

[21] Le fait que l’admissibilité aux prestations du SRG soit réévaluée chaque année ne signifie pas que l’admissibilité du requérant pour les années précédentes demeure ouverte aux fins d’examen et de modification. Lorsque le ministre décide de l’admissibilité pour une année donnée, la décision est finale. Le ministre peut réexaminer les renseignements fournis par le requérant pour déterminer son admissibilité pour la période suivante ou une période ultérieure. Par contre, les décisions visant toute période précédente sont définitives à moins de faire l’objet d’un appel ou d’être autrement modifiées en vertu de la loi.

[22] Comme il a été noté dans la décision BR, la loi favorise le caractère définitif des décisions. Il serait injuste que le revenu mensuel d’une pensionnée ou d’un pensionné soit aussi incertain. Ces personnes ne pourraient alors pas compter sur leurs revenus même après avoir reçu l’approbation du ministre. Elles peuvent aussi se retrouver dans une situation d’endettement important et inattendu. De plus, leur pension mensuelle peut être réduite pendant des années le temps que leur « dette » soit remboursée.

[23] On s’attendrait à ce que la loi soit claire quant au pouvoir du ministre de revoir et de modifier les décisions relatives à l’admissibilité. La Loi et le Règlement ne donnent pas explicitement au ministre le pouvoir de modifier ses décisions initiales, même si le ministre peut faire enquête sur le droit à des prestations continues. Je ne dis pas que le ministre est dans l’impossibilité de décider de l’admissibilité continue aux prestations du SRG ou de prendre d’autres mesures lorsqu’une requérante ou un requérant fait sciemment des déclarations fausses ou trompeuses. Aucun de ces faits ne s’applique au présent appel, et le ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer et de modifier les décisions antérieures concernant l’admissibilité du requérant à un SRG pour la période d’avril 2011 à août 2015.

Conclusion

[24] L’appel est accueilli.

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