Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : RP c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 1443

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : R. P.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentant : Jordan Fine

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision du ministre de l’Emploi et du Développement social datée du 22 avril 2020 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Shannon Russell
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 27 septembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’intimée
Date de la décision : Le 22 décembre 2022
Numéro de dossier : GP-20-884

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelant, R. P., remplit les exigences de résidence du Supplément de revenu garanti depuis juillet 2015.

Aperçu

[3] L’appelant est un homme de 72 ans qui a demandé une pension de la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti en décembre 2015Note de bas de page 1.

[4] Dans sa demande de pension de la Sécurité de la vieillesse, l’appelant a déclaré qu’il avait vécu au Canada sans interruption depuis sa naissanceNote de bas de page 2. Dans les sections de la demande concernant ses adresses domiciliaire et postale, l’appelant a indiqué un numéro de boîte postale à Windsor, en OntarioNote de bas de page 3.

[5] Bien que l’appelant n’ait fourni qu’une boîte postale comme adresse postale, le ministre a approuvé ses demandes de pension de la Sécurité de la vieillesse et de Supplément de revenu garantiNote de bas de page 4. L’appelant a commencé à recevoir des prestations à compter de juillet 2015, soit le mois suivant son 65e anniversaire.

[6] En janvier 2016, le ministre a ouvert une enquête en raison de préoccupations concernant notamment la résidence de l’appelant au Canada. Il semblait par exemple que l’appelant dirigeait une entreprise de transport à partir de Détroit, au MichiganNote de bas de page 5.

[7] Tout au long de l’enquête, l’appelant a choisi de ne pas coopérer. Il a pourtant été averti à plusieurs reprises par le ministre que le fait de ne pas fournir les renseignements demandés pouvait entraîner la suspension de ses prestations.

[8] Le ministre a finalement suspendu les prestations de la Sécurité de la vieillesse et de Supplément de revenu garanti de l’appelant, mais seulement en janvier 2018.

[9] En mai 2018, l’appelant a écrit au ministre pour lui demander de réviser sa décision de lui [traduction] « refuser » ses prestations de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garantiNote de bas de page 6. Il a dit qu’il n’avait pas été prévenu qu’on ne lui verserait pas ses prestations le 30 janvier 2018. Il a ajouté qu’il avait appelé au numéro sans frais du Régime de pensions du Canada et de la Sécurité de la Vieillesse et que la personne à qui il avait parlé avait refusé de lui dire pourquoi on avait cessé de lui verser ses prestationsNote de bas de page 7.

[10] Après quelques échanges, le ministre a écrit à l’appelant en septembre 2018 pour lui dire qu’il n’y avait pas de décision à réviser parce qu’il n’avait pas encore rendu de décision officielleNote de bas de page 8. Quelques semaines plus tard, en octobre 2018, le ministre a envoyé une lettre de décision officielle à l’appelant. Dans cette lettre, le ministre a expliqué qu’il avait suspendu les prestations de l’appelant conformément à l’article 9(5) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse parce que l’appelant n’avait pas fourni de documents prouvant qu’il demeurait admissible aux prestationsNote de bas de page 9.

[11] Le 4 décembre 2019, l’appelant a écrit au ministre pour demander une conférence de règlement afin de résoudre plusieurs problèmes qu’il avait avec Service Canada, notamment avec ses dossiers de numéro d’assurance sociale, ses prestations d’assurance-emploi ainsi que ses prestations de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti.

[12] Après d’autres échanges, le ministre a rendu une décision de révision en avril 2020. Il a dit à l’appelant qu’il remplissait les conditions requises pour recevoir une pleine pension de la Sécurité de la vieillesse à compter de juillet 2015, mais pas le Supplément de revenu garanti. Le ministre a expliqué que l’appelant n’était pas admissible au Supplément parce qu’il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve qu’il avait résidé de façon continue au Canada depuis juillet 2015. Le ministre a également expliqué qu’il devait à l’appelant 16 847,10 $ en prestations de la Sécurité de la vieillesse pour la période allant de janvier 2018 à avril 2020, mais que l’appelant lui devait 17 564,88 $ en prestations de Supplément de revenu garanti pour la période allant de juillet 2015 à décembre 2017. En fin de compte, l’appelant ne devait que 717,78 $Note de bas de page 10.

[13] L’appelant a fait appel de la décision de révision rendue par le ministre en avril 2020 auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[14] L’appelant a présenté de nombreux arguments à l’appui de son appel. Son principal argument, cependant, est qu’il a résidé toute sa vie au Canada, plus précisément dans la région du comté d’Essex.

[15] Le ministre affirme avoir suspendu le Supplément de revenu garanti de l’appelant en janvier 2018 parce qu’il a refusé pendant près de deux ans de remplir un questionnaire et de fournir des renseignements sur son lieu de résidence. Le ministre ajoute qu’il peut suspendre l’admissibilité continue d’une partie appelante aux prestations pour avoir omis de fournir des renseignements. Sur la question de la résidence de l’appelant, le ministre dit qu’il y a des raisons d’être sceptique quant à son affirmation selon laquelle il a toujours vécu au Canada. Cependant, il existe des décisions récentes d’autres organismes décisionnels qui pourraient permettre de démontrer que l’appelant a résidé au Canada, en particulier depuis le 1er septembre 2017.

Cet appel accuse beaucoup de retard

[16] Avant d’aborder la question en litige dans cet appel, je dois expliquer que celui-ci accuse beaucoup de retard.

[17] En 2019, la Cour fédérale s’est exprimée comme suit au sujet d’une procédure impliquant l’appelantNote de bas de page 11 :

Les cinq années qui ont précédé la requête qui nous occupe ont été constamment, et bien souvent inutilement, compliquées par une correspondance et des contestations procédurales incessantes de la part du demandeur. Dans la plupart des cas, il semble y avoir des solutions simples, ainsi que de multiples occasions de fournir les renseignements et les documents élémentaires exigés par le gouvernement pour prouver l’admissibilité aux prestations de sécurité sociale […]

[18] Des termes semblables s’appliquent à l’historique de l’instance dont je suis saisie.

[19] Je ne vois pas l’intérêt de détailler toutes les contestations procédurales que l’appelant a présentées depuis le dépôt de son appel. Je me contenterai de dire qu’il a présenté des requêtes les unes après les autres. Il a fait appel de mes décisions interlocutoires auprès de la division d’appel du Tribunal. Il a aussi porté en appel des décisions que je n’ai pas rendues.

[20] Par exemple, le 25 mai 2020, l’appelant a déposé une longue requête concernant diverses questions de procédure, y compris sa demande visant à ce que certaines personnes soient mises en cause dans la présente instance. Le 22 juin 2020, l’appelant a écrit au Tribunal pour lui dire que s’il ne recevait pas de réponse à sa requête avant 14 h le 23 juin 2020, il considérerait que sa demande a été jugée et rejetée sans raisonNote de bas de page 12. Il n’a pas reçu de réponse dans le délai qu’il avait fixé et a donc déposé un appel à la division d’appel le 29 juin 2020.

Ce que je dois décider

[21] La question de savoir si l’appelant était admissible au Supplément de revenu garanti en juillet 2015 et s’il y est admissible de façon continue depuis est au cœur de cet appel.

[22] Le Supplément de revenu garanti est une prestation mensuelle établie en fonction du revenu qui est versée aux personnes qui reçoivent la pension de la Sécurité de la vieillesse, qui n’ont que peu ou pas d’autres revenus et qui résident au Canada.

[23] La raison pour laquelle le ministre a modifié sa décision concernant l’admissibilité de l’appelant au Supplément de revenu garanti est qu’il n’avait pas assez d’éléments de preuve pour établir qu’il résidait au Canada.

[24] Avant d’aborder la question de la résidence de l’appelant, il y a deux autres questions que je dois examiner.

[25] D’abord, je dois décider si l’une ou l’autre de ses contestations procédurales à l’égard des décisions du ministre a une incidence sur ma compétence pour instruire et trancher le présent appel.

[26] Deuxièmement, je dois décider si le ministre avait le pouvoir de modifier sa décision initiale d’accorder le Supplément de revenu garanti à l’appelant à compter de juillet 2015.

Ce dont il n’est pas question dans cet appel

La pension de la Sécurité de la vieillesse de l’appelant

[27] Cet appel ne porte pas sur l’admissibilité de l’appelant à la pension de la Sécurité de la vieillesse. En effet, le ministre a expliqué dans sa décision de révision qu’il avait rétabli la pension de l’appelant. Je tire ma compétence de ce qui est décidé dans la décision de révision du ministreNote de bas de page 13.

[28] Bien que je ne tranche aucune question au sujet de la pension de la Sécurité de la vieillesse de l’appelant, je vais répondre à l’une de ses préoccupations. L’appelant croit que le ministre a diminué sa pension. Il dit que sa demande a d’abord été approuvée selon la règle des 40 ans, mais qu’il a par la suite été jugé admissible à la pension sur la base de la règle des 10 ansNote de bas de page 14.

[29] Le ministre n’a pas diminué la pension de la Sécurité de la vieillesse de l’appelant. Il a utilisé la règle des 10 ans de résidence pour rendre l’appelant admissible à une pleine pensionNote de bas de page 15 en se fondant sur ses années de résidence au Canada de 1968 à 1992 et de 2005 à 2015Note de bas de page 16.

Appels antérieurs de l’appelant au Tribunal et questions relatives à son numéro d’assurance sociale et à ses prestations d’assurance-emploi

[30] Cet appel ne concerne pas non plus sur les tentatives que l’appelant a faites avant mai 2020 pour faire appel au Tribunal ni les questions relatives à son numéro d’assurance social ou à ses prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 17.

Charte canadienne des droits et libertés

[31] Cet appel ne porte pas sur les arguments que l’appelant pourrait avoir au sujet de la Charte canadienne des droits et libertés.

[32] La correspondance de l’appelant démontre qu’il a, à divers moments, pensé à soulever un argument fondé sur la Charte. Je lui ai écrit au début de 2021 pour lui demander de clarifier ses intentionsNote de bas de page 18.

[33] L’appelant a répondu en disant qu’il n’invoquerait pas d’argument fondé sur la CharteNote de bas de page 19. En avril 2021, je lui ai envoyé une lettre pour lui confirmer que l’appel suivrait le processus d’appel régulierNote de bas de page 20.

Questions préliminaires

J’accepte les documents déposés en retard et les observations présentées après l’audience

Les mémoires de l’appelant

[34] Dans les jours précédant l’audience, l’appelant a déposé de nouveaux documents. Ces documents comprennent un mémoireNote de bas de page 21, un affidavit et un recueil de documents accompagnant son mémoireNote de bas de page 22, ainsi qu’un mémoire supplémentaireNote de bas de page 23.

[35] Nous avons discuté de ces documents déposés en retard au début de l’audience. En fin de compte, j’ai décidé de les admettre au dossier. Je l’ai fait en grande partie parce que l’appelant se représente lui-même et qu’il semblait vraiment ignorer la date limite pour déposer des documents dans le cadre de cet appel. Il était également évident pour moi qu’il avait consacré beaucoup de temps à préparer les documents et à formuler ses arguments, et j’ai pensé que les documents pourraient m’aider à mieux comprendre certains de ses arguments. Enfin, l’avocat du ministre a reconnu qu’il pouvait répondre aux documents déposés en retard en présentant des observations après l’audience.

[36] L’avocat du ministre a déposé ses observations en réponse aux documents le 13 octobre 2022Note de bas de page 24. J’ai transmis les observations du ministre à l’appelant et je lui ai donné la possibilité d’y répondre. Je l’ai fait parce qu’il l’avait demandé à l’audience. L’appelant a déposé sa réponse le 10 novembre 2022Note de bas de page 25.

Opportunité de commenter la décision Burke

[37] Au cours de l’audience, l’appelant a déclaré qu’il n’avait pas reçu le courriel que le Tribunal lui avait envoyé le 30 mars 2022. Ce courriel contenait en pièce jointe la décision Burke de la Cour d’appel fédéraleNote de bas de page 26.

[38] J’ai dit à l’appelant que je demanderais au greffe du Tribunal de lui renvoyer le courriel du 30 mars 2022 après l’audience. J’ai également indiqué que je lui donnerais du temps après l’audience pour commenter l’applicabilité de la décision Burke à la présente affaire.

[39] L’appelant a déposé ses commentaires sur la décision Burke le 17 octobre 2022Note de bas de page 27. Entre-temps, il a écrit au Tribunal pour dire qu’il avait trouvé le courriel que le Tribunal lui avait envoyé le 30 mars 2022Note de bas de page 28.

[40] J’ai transmis à l’avocat du ministre les observations de l’appelant sur la décision Burke. Cependant, je ne lui ai pas donné la possibilité d’y répondre. En effet, il m’a dit à l’audience qu’il n’aurait pas besoin de déposer des observations en réponse.

L’appelant n’a pas témoigné

[41] Au début de l’audience, l’appelant a dit qu’il n’avait pas encore décidé s’il participerait à l’audience uniquement en tant que représentant ou s’il témoignerait et répondrait aux questions de l’avocat du ministre ainsi qu’à mes questions.

[42] J’ai donné à l’appelant un délai raisonnable pour décider s’il allait témoigner. Je l’ai aussi averti que s’il refusait d’exprimer clairement ses intentions, j’en déduirais qu’il ne témoignerait pas. En fin de compte, l’appelant a refusé de me dire s’il témoignerait. Nous avons donc procédé à l’audience en nous fondant uniquement sur les arguments oraux.

L’appelant s’est opposé à la durée de l’audience

[43] Au début de l’audience, j’ai dit aux parties que deux heures avaient été réservées pour l’audience et j’ai insisté que le fait qu’il était important que nous gérions notre temps efficacement. J’ai également dit que je ne voulais pas consacrer du temps à des questions qui n’étaient pas pertinentes dans le cadre de l’appel. J’ai dit cela parce que tout au long de l’appel, l’appelant s’est attardé à plusieurs reprises sur des questions non pertinentes, telles que des questions relatives à son numéro d’assurance sociale et les appels antérieurs qu’il avait déposés au Tribunal.

[44] L’appelant s’est opposé à la durée de l’audience. Il a soulevé des objections pendant l’audience et il les a de nouveau soulevées dans des lettres rédigées après l’audience.

[45] J’ai pris note de ses objections, mais j’ai refusé de prévoir plus de temps pour l’audience. Voici pourquoi.

[46] Premièrement, j’ai prévu une conférence préparatoire à l’audience le 23 juin 2022, et l’un des objectifs de cette conférence était de discuter de l’audienceNote de bas de page 29. L’appelant a choisi de ne pas y assister. S’il avait été présent, il aurait pu soulever des arguments sur le temps dont il avait besoin pour plaider sa cause.

[47] L’appelant affirme que le Tribunal ne lui a pas envoyé l’avis de conférence préparatoire à l’audience. Ce n’est pas le cas. Le Tribunal lui a envoyé l’avis par courriel le 14 juin 2022. De plus, l’appelant a cité la date de la conférence préparatoire à l’audience dans une lettre qu’il a écrite le même jour (c’est-à-dire le 14 juin 2022), donc il en était clairement informéNote de bas de page 30.

[48] Si je comprends bien l’argument de l’appelant, il allègue qu’il n’a pas reçu l’avis de conférence préparatoire à l’audience parce qu’il estime que c’est le ministre qui le lui a envoyé et non le Tribunal. L’argument de l’appelant semble découler de ses préoccupations concernant l’adresse électronique que le Tribunal utilise pour lui envoyer des courrielsNote de bas de page 31. Je ne vais pas y consacrer beaucoup de temps. La réponse courte est simplement que le Tribunal utilise la même plateforme de TI que le ministre. Cela ne veut pas dire que les courriels envoyés par le Tribunal sont en fait envoyés par le ministre.

[49] Deuxièmement, l’appelant n’a pas bien géré son temps pendant l’audience. Malgré ma mise en garde au début de l’audience et mes rappels répétés tout au long de celle-ci sur la gestion du temps, l’appelant a choisi de perdre beaucoup de temps sur des questions qui étaient simples ou non pertinentes. Il a par exemple perdu beaucoup de temps sur la question de savoir s’il allait témoigner. Il a également passé du temps à essayer de ramener sur le tapis des questions concernant un appel qu’il a tenté de soumettre au Tribunal en 2018.

[50] Troisièmement, même si l’audience ne devait durer que deux heures, elle a en fait duré trois heures. L’appelant a donc bénéficié d’un peu plus de temps pour présenter ses arguments.

Le ministre avait-il le pouvoir de modifier sa décision initiale d’admissibilité?

[51] Oui, le ministre avait le pouvoir de modifier sa décision initiale sur l’admissibilité de l’appelant au Supplément de revenu garanti. Avant d’expliquer pourquoi, je vais expliquer comment cette question a été soulevée.

[52] Avant que la Cour d’appel fédérale ne rende sa décision dans l’affaire BurkeNote de bas de page 32, j’ai demandé aux parties de déposer des observations sur la question de savoir si le ministre avait le pouvoir de modifier sa décision initiale d’accorder des prestations à l’appelantNote de bas de page 33. J’ai joint à ma demande plusieurs décisions de la division d’appel du Tribunal sur la question du pouvoir du ministre au titre de l’article 23 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse. L’avocat du ministre a qualifié ces décisions de « décisions rendues au titre de l’article 23 », et c’est donc ainsi que je les désignerai également.

[53] Chaque partie a déposé des observations en réponse à ma demandeNote de bas de page 34.

[54] L’appelant a fait valoir que le ministre ne pouvait pas modifier sa décision d’approuver ses prestations de la Sécurité de la vieillesseNote de bas de page 35. Il a laissé entendre que les décisions rendues au titre de l’article 23 ne devraient pas s’appliquer à lui parce qu’elles concernaient toutes des personnes nées à l’étranger et qui avaient un passeport. Il a également souligné les éléments de preuve qu’il a présentés et qui selon lui appuient une conclusion de résidence au Canada.

[55] L’avocat du ministre a présenté des observations détaillées dans lesquelles il soutient qu’il a le pouvoir de réévaluer l’admissibilité d’une partie prestataire au Supplément de revenu garanti. Il est inutile que je résume les observations du ministre parce qu’après leur dépôt, la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision dans l’affaire Burke.

[56] L’appelant affirme que son cas est différent de l’affaire Burke parce que la question dans cette affaireétait de savoir si la résidence au Canada de Mme Burke lui donnait droit aux prestations de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément du revenu garanti, alors que les questions dans son cas sont 1) de savoir si le ministre peut exiger qu’il fournisse son adresse en application de l’article 25(2) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse et 2) de savoir si le ministre ne lui a pas permis de retravailler son avis d’appel de juin 2018Note de bas de page 36.

[57] J’ai déjà expliqué que cet appel ne concerne pas un appel précédent que l’appelant a tenté de soumettre au Tribunal en 2018. Quant à l’argument de l’appelant au sujet de l’article 25(2) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse, il ne s’agit que d’un argument. Il ne définit pas la question en litige et ne me permet de distinguer les faits de la présente affaire de ceux en cause dans l’affaire Burke.

[58] La décision Burke fixe le droit quant à une question de compétence qui n’avait pas été résolue auparavant. Elle confirme le vaste pouvoir du ministre de modifier ses décisions antérieures et d’exiger le remboursement des sommes qui n’auraient pas dû être accordéesNote de bas de page 37. Je suis liée par cette décision. Cela signifie que je suis tenue de suivre et d’appliquer l’interprétation de la loi rendue par la Cour.

[59] Je vais toutefois commenter l’un des arguments du ministre, à savoir que je n’aurais pas dû soulever la question de son pouvoir. L’avocat du ministre a fait valoir que l’appelant n’avait pas invoqué cet argument et qu’une ou un membre du Tribunal ne devrait soulever des questions de sa propre initiative que dans des circonstances exceptionnelles; or de telles circonstances ne sont pas présentes dans la présente affaireNote de bas de page 38.

[60] Je ne suis pas d’accord avec l’avocat du ministre pour dire que l’appelant n’a pas soulevé cet argument. L’appelant a écrit une lettre dès janvier 2017 dans laquelle il affirmait que le ministre n’avait pas le pouvoir de décider [traduction] « à sa guise » à nouveau de son admissibilité à la Sécurité de la vieillesseNote de bas de page 39.

[61] Je sais que l’appelant a récemment changé d’avis à ce sujet et qu’il a expliqué qu’il se concentrait sur la contestation de la décision de révisionNote de bas de page 40. Toutefois, même si l’appelant n’avait jamais remis en question le pouvoir du ministre, il aurait quand même été approprié que je soulève cette nouvelle question.

[62] Un décideur a le pouvoir de soulever une nouvelle question si son omission de le faire risquerait d’entraîner une injusticeNote de bas de page 41. Une question est nouvelle lorsqu’elle constitue un nouveau fondement sur lequel on pourrait s’appuyer – autre que les moyens d’appel formulés par les parties – pour conclure que la décision frappée d’appel est erronéeNote de bas de page 42.

[63] À mon avis, ne pas soulever la question potentielle du pouvoir du ministre de modifier sa décision relative au Supplément de revenu garanti aurait risqué d’entraîner une injustice.

[64] La question du pouvoir du ministre est importante. La question savoir si le ministre avait le pouvoir de modifier sa décision sur l’admissibilité au Supplément de revenu garanti est une question fondamentale de droit. Elle était tout simplement trop importante pour que je l’ignoreNote de bas de page 43.

Est-ce que l’une ou l’autre des contestations de l’appelant concernant les décisions du ministre a une incidence sur ma compétence pour instruire et trancher cet appel?

[65] Non. Aucun des arguments de l’appelant n’a d’incidence sur ma compétence pour évaluer et décider de son admissibilité au Supplément de revenu garanti. Je vais examiner chacun de ses arguments séparément.

Argument no 1 – Ce que dit l’appelant

[66] L’appelant affirme que ses prestations ont été interrompues en janvier 2018 sans préavis écrit ni raison. Il ajoute que le ministre ne pouvait pas suspendre, annuler, cesser ou supprimer ses prestations sans d’abord rendre une décision officielle à ce sujetNote de bas de page 44.

Argument no 1 – Ma conclusion

[67] Le ministre avait prévenu l’appelant bien avant janvier 2018 que ses prestations pouvaient être suspendues s’il ne fournissait pas les renseignements qui lui étaient demandésNote de bas de page 45. Je sais que l’appelant était au courant de ces conséquences parce qu’il les a reconnues dans ses lettres de janvier 2017 et de février 2017Note de bas de page 46. Par conséquent, si l’appelant tente d’affirmer qu’il a été pris par surprise par la suspension des prestations, son affirmation est sans fondement.

[68] L’article 9(5) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse permet au ministre de suspendre le service de la pension si le pensionné ne respecte pas l’une des dispositions de la Loi. L’article 26(1) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse impose au ministre de suspendre le versement d’une prestation lorsqu’il lui semble que la partie prestataire n’y est pas admissible. Cette disposition permet également au ministre de suspendre le versement d’une prestation lorsqu’il apparaît qu’une enquête plus approfondie sur l’admissibilité est nécessaire. Je ne vois rien dans ces dispositions, ni dans aucune autre disposition, qui oblige le ministre à aviser la partie prestataire par écrit avant ou même au moment où la suspension prend effet.

Argument no 2 – Ce que dit l’appelant

[69] L’appelant affirme que la décision de mettre fin à ses prestations à partir de janvier 2018 doit être une décision de révision parce que la décision initiale est la décision de décembre 2015 approuvant sa demandeNote de bas de page 47.

Argument no 2 – Ma conclusion

[70] La suspension des prestations de l’appelant n’était pas une décision de révision.

[71] Premièrement, pour que le ministre rende une décision de révision, une demande de révision doit d’abord être présentée conformément à l’article 27.1(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesseNote de bas de page 48. L’appelant n’a présenté sa première demande de révision qu’en février 2018 et, même à ce moment-là, il ne semble pas que le ministre ait reçu cette demande.

[72] Deuxièmement, le ministre a confirmé qu’il n’a pas rendu de décision de révision en janvier 2018 ou aux alentours de cette date. Le ministre a plutôt suspendu les prestations de l’appelant parce que celui-ci ne répondait pas à ses demandes de renseignements et de documentsNote de bas de page 49.

Argument no 3 – Ce que dit l’appelant

[73] L’appelant laisse entendre que la lettre du ministre du 21 décembre 2015 l’informant qu’on lui accordait des prestations ne peut pas être modifiée parce qu’elle représente, lorsqu’elle est lue avec sa demande de pension de la Sécurité de la vieillesse, un contrat contraignant. Il affirme également que la lettre ne donne que deux raisons pour lesquelles sa pension de la Sécurité de la vieillesse prendrait fin et qu’aucune de ces raisons ne s’appliquait à luiNote de bas de page 50. Il ajoute que conformément au principe du dessaisissement, la décision rendue le 21 décembre 2015 devrait, en l’absence d’un changement important, demeurer telle qu’elle a été décidée et ne pas être renversée, annulée ou modifiéeNote de bas de page 51.

Argument no 3 – Ma conclusion

[74] La lettre du 21 décembre 2015 informant l’appelant qu’on lui accordait des prestations porte sur l’admissibilité de ce dernier à la pension de la Sécurité de la vieillesse et non sur son Supplément de revenu garantiNote de bas de page 52. Le présent appel ne porte que sur les prestations du Supplément de revenu garanti de l’appelant. Je n’ai donc pas à examiner les arguments de l’appelant concernant notamment l’existence d’un contrat contraignant.

Argument no 4 – Ce que dit l’appelant

[75] L’appelant affirme que les décisions de mettre fin à sa pension et à ses prestations après janvier 2018 sont redondantes et devraient être annulées parce qu’il n’y avait pas de prestations à suspendreNote de bas de page 53.

Argument no 4 – Ma conclusion

[76] Ce que dit l’appelant ne me paraît pas logique. Si les décisions d’octobre 2018 et d’avril 2020 étaient annulées parce qu’il n’y avait pas de prestations à suspendre, alors l’appelant se retrouverait dans une situation où il ne recevrait pas de prestation et n’aurait aucun recours pour les obtenir. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas le pouvoir d’annuler les décisions du ministre.

Argument no 5 – Ce que dit l’appelant

[77] L’appelant affirme qu’il n’a jamais reçu de réponse à sa demande de révision du 21 mai 2018Note de bas de page 54 et qu’il est donc d’avis que le ministre n’a jamais révisé sa décision d’« annuler » ses prestationsNote de bas de page 55. L’appelant dit également qu’il veut faire appel de la décision du ministre de ne pas traiter sa demande de révision datée du 21 mai 2018Note de bas de page 56. Il ajoute que conformément aux articles 54(1) et 64(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, le Tribunal peut rendre la décision que le ministre aurait dû rendre.

Argument no 5 – Ma conclusion

[78] Contrairement à ce qu’affirme l’appelant, le ministre a bel et bien répondu à sa lettre de mai 2018. Il n’a tout simplement pas répondu de la manière souhaitée par l’appelant.

[79] Le 25 mai 2018, l’une des agentes du ministre a envoyé à l’appelant un courriel accusant réception de sa demande de révision. L’agente a invité l’appelant à communiquer avec elle pour l’informer de ses disponibilités afin qu’elle puisse l’aiderNote de bas de page 57. Le ministre a de nouveau écrit à l’appelant en septembre 2018 et, dans cette lettre, l’agent a expliqué qu’aucune décision formelle n’avait encore été rendue et qu’il n’y avait donc aucune décision dont l’appelant pouvait demander la révisionNote de bas de page 58.

[80] Peu de temps après, en octobre 2018, le ministre a rendu une décision officielle confirmant la suspension des prestations de l’appelant et lui donnant le droit de demander une révisionNote de bas de page 59.

[81] Un certain temps s’est écoulé, puis l’appelant a envoyé une lettre au ministre le 4 décembre 2019 pour demander la tenue d’une conférence de règlement afin de régler un certain nombre de questions, y compris la question de ses prestations de la Sécurité de la vieillesseNote de bas de page 60. Bien que l’appelant ait rédigé cette lettre des mois après l’expiration du délai de 90 jours dont il disposait pour faire appel et qu’il n’ait pas expressément demandé une révision, le ministre a considéré sa lettre comme étant une demande de révision. Après tout, l’appelant a soulevé dans cette lettre des arguments au sujet de sa résidence au Canada.

[82] Bien que l’appelant affirme que sa lettre du 4 décembre 2019 ne constituait pas une demande de révision, je n’ai pas de recours à lui offrir. Je ne comprends pas non plus pourquoi il veut une révision.

[83] Je n’ai aucun rôle à jouer à l’étape de la révision du processus d’appel. Les révisions relèvent de la compétence exclusive du ministreNote de bas de page 61. L’appelant pense que les articles 54(1) et 64(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social me permettent de rendre la décision que le ministre aurait dû rendre. Ce n’est pas le cas. Encore une fois, seul le ministre a le pouvoir de rendre des décisions de révisionNote de bas de page 62. Les articles 54(1) et 64(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social doivent être lus conjointement avec l’article 28 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Ensemble, ces dispositions énoncent simplement les pouvoirs du Tribunal et ce qu’il peut décider après qu’un appel a été dûment déposé devant lui.

La résidence de l’appelant

[84] J’en viens maintenant à l’objet réel de cet appel. Il s’agit de savoir si l’appelant réside au Canada depuis juillet 2015. La question n’est pas plus compliquée que cela.

[85] Malgré la simplicité de la question qui sous-tend cet appel, l’appelant a, à chaque fois ou presque, tenté de transformer cette question simple de sa résidence en un fouillis procédural inutile et compliqué.

[86] C’est décevant parce qu’il y a toujours eu une solution facile à la question en litige. L’appelant n’a jamais eu qu’à fournir les renseignements qui lui étaient demandés. La Cour fédérale le lui a expliqué en 2019 en ces termesNote de bas de page 63 :

[…] il semble qu’il y ait une façon facile de se sortir de l’impasse procédurale que R. P. a créée et continue à exacerber dans les diverses tribunes. Si R. P. avait simplement fourni les renseignements requis pour la détermination de son admissibilité aux prestations (notamment son adresse résidentielle), il aurait fort bien pu déjà les recevoir. Or, R. P. refuse de fournir les renseignements élémentaires dont le gouvernement a besoin, malgré tous les efforts déployés par de nombreux employés pour l’aider et le diriger dans la bonne direction.

Ce que signifie résider au Canada

[87] Il y a une différence entre résider au Canada et être présent au Canada. Une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du CanadaNote de bas de page 64. Une personne est présente au Canada si elle se trouve physiquement dans une région du CanadaNote de bas de page 65.

[88] Pour décider si l’appelant a établi sa demeure et vivait ordinairement au Canada, je dois examiner la « situation d’ensemble » et prendre en considération des éléments tels que :

  • où il possède des biens personnels, comme des maisons, des meubles, des comptes bancaires et des intérêts commerciaux;
  • où il a des liens sociaux, comme des amis, des parents et son adhésion à des groupes religieux, à des clubs ou à des organisations professionnelles;
  • où il a d’autres liens tels qu’une assurance médicale, des ententes de location, des hypothèques ou des prêts;
  • où il produit des déclarations de revenus;
  • les liens qu’il a dans un autre pays;
  • combien de temps il passé au Canada;
  • la fréquence de ses absences du Canada, les lieux où il se rend et le temps qu’il y passe;
  • son mode de vie au Canada;
  • ses intentionsNote de bas de page 66.

[89] Cette liste n’est pas exhaustive. D’autres éléments peuvent être importants dans un cas particulier. Je dois prendre en compte l’ensemble des circonstances de l’appelantNote de bas de page 67.

[90] Le ministre n’a pas à prouver que l’appelant ne résidait pas au Canada. L’appelant doit le prouver selon la prépondérance des probabilités (c’est-à-dire que cela est plus probable qu’improbable)Note de bas de page 68.

La période de juillet 2015 au 31 août 2017

[91] L’avocat du ministre affirme que son client a des doutes sur le fait que l’appelant a résidé au Canada de juillet 2015 au 31 août 2017.

[92] Il n’est pas difficile de voir pourquoi le ministre a des doutes. Voici quelques raisons qui expliquent cela :

  • L’appelant a refusé de donner son adresse. Nous ne savons donc pas où il passe ses nuitsNote de bas de page 69.
  • L’appelant a refusé de se conformer aux demandes du ministre de fournir des renseignements qui aideraient à déterminer sa résidence.
  • L’appelant a parfois fourni des réponses vagues, voire ridicules, aux questions qui lui ont été posées. Par exemple, en réponse à une question lui demandant de décrire ses conditions de logement au Canada, l’appelant a écrit [traduction] « je ne peux pas répondreNote de bas de page 70 ». Autre exemple, lorsqu’on lui a demandé d’expliquer comment il subvenait à ses besoins financiers pendant les années où il a déclaré n’avoir aucun revenu, l’appelant a écrit [traduction] « Je n’ai pas à répondre à cette question selon Mme TriggsNote de bas de page 71 ». Ici, il semble faire référence à une lettre antérieure qu’il a écrite à Mme Triggs, sous-ministre adjointe, dans laquelle il disait qu’à moins qu’elle lui fournisse certains renseignements, il supposerait qu’elle était d’accord pour qu’il ne réponde pas à la question du questionnaireNote de bas de page 72.
  • L’appelant a choisi de ne pas faire assister aucun de ses trois déposants à l’audience, de sorte que l’on n’a pas pu vérifier leur témoignageNote de bas de page 73. Et ce, malgré ma lettre du 22 juillet 2022, dans laquelle je l’encourageais à faire en sorte que ses déposants assistent à l’audience afin qu’on puisse leur poser des questions. En même temps, j’ai averti l’appelant que les affidavits pourraient n’avoir qu’un poids minimum si ses déposants n’assistaient pas à l’audience et n’étaient pas disponibles pour répondre aux questionsNote de bas de page 74.
  • L’appelant a choisi de ne pas témoigner à l’audience et de ne pas répondre aux questions de l’avocat du ministre ou à mes questions.

[93] Pour compliquer davantage les choses, il semble y avoir eu des changements importants dans la vie de l’appelant en 2014 et en 2015. Cette période est importante parce que comme je l’ai expliqué plus tôt, l’appelant a d’abord été jugé admissible au Supplément de revenu garanti à compter de juillet 2015, soit le mois suivant son 65e anniversaire.

[94] Quels sont donc ces changements importants?

[95] Premièrement, l’appelant semble avoir pris sa retraite à peu près à cette époque. Je dis cela parce qu’il a déposé une déclaration de revenu estimatif et que, dans ce document, il a indiqué que sa date de retraite était le 20 juin 2014Note de bas de page 75. De plus, une décision rendue par la section de l’assurance-emploi du Tribunal indique que l’appelant a demandé des prestations d’assurance-emploi en juin 2014 et que dans sa demande, il a déclaré avoir travaillé pour la dernière fois le 20 juin 2014, en raison d’un manque de travail comme technicien en informatiqueNote de bas de page 76. De plus, selon le ministre, l’appelant a cotisé pour la dernière au Régime de pensions du Canada en 2015Note de bas de page 77. Enfin, l’appelant a soutenu à maintes reprises que la décision du ministre de mettre fin à ses prestations l’a obligé à vivre avec quelques centaines de dollars par mois, ce qui laisse supposer qu’il n’a guère d’autres revenus.

[96] Deuxièmement, l’appelant semble avoir changé d’adresse à cette époque. Son dossier montre qu’à un moment donné, il possédait une propriété sur l’avenue X à Windsor. Cette information est étayée par un relevé de compte de la Ville de Windsor daté du 31 juillet 2013 qui identifie l’appelant comme étant le propriétaire inscrit de cette propriétéNote de bas de page 78. En février 2021, l’appelant a écrit une lettre dans laquelle il a entre autres déclaré qu’il avait vécu sur l’avenue X de 1985 à [traduction] « environ 2015Note de bas de page 79 ». Enfin, l’avocat du ministre a porté à mon attention une décision de la Cour d’appel de l’Ontario concernant une propriété que l’appelant possédait à WindsorNote de bas de page 80. Plus précisément, la décision concerne un bref de mise en possession qui a été accordé au créancier hypothécaire de l’appelant en mars 2015Note de bas de page 81. La décision ne précise pas l’adresse de la propriété hypothéquée en question, mais elle fournit un historique de l’hypothèque remontant à 2005. Il est raisonnable de cette décision, de la déclaration de 2013 de la Ville de Windsor et de la lettre de février 2021 de l’appelant que la propriété en question est la propriété X.

[97] Je ne sais pas où l’appelant a emménagé après avoir quitté la maison située sur l’avenue X. Il est possible qu’il n’ait pas eu de domicile. Mais si c’est le cas, tout ce qu’il avait à faire était de le dire. La résidence au Canada d’une personne ne dépend pas du fait qu’elle ait une adresse fixe au Canada.

[98] Les raisons pour lesquelles l’appelant n’a pas fourni son adresse comprennent des préoccupations liées à la protection de la vie privée et le fait qu’aucune exigence légale ne l’oblige à le faire. Sur ce dernier point, l’appelant soutient que l’article 25(2) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse, qui est une disposition citée dans certaines lettres du ministre, exige seulement qu’il fournisse l’adresse où ses prestations doivent être envoyéesNote de bas de page 82. Il dit s’être conformé à cette disposition parce qu’il a fourni son adresse de boîte postale.

[99] Je n’ai pas besoin de me lancer dans un exercice d’interprétation de l’article 25(2) parce que même si ce que dit l’appelant est vrai – à savoir que la disposition exige seulement qu’il fournisse l’adresse où ses prestations doivent être envoyées – la loi exige quand même qu’il prouve sa résidence au Canada. Le point de départ évident de toute demande de résidence est d’indiquer l’adresse où l’on a élu domicile.

J’ai décidé de n’accorder aucune importance aux affidavits au dossier

[100] À l’appui de son appel, l’appelant a déposé de courts affidavits, rédigés par lui‑même (janvier 2017 et mai 2020), ses deux filles (mai 2020 et septembre 2022) et une amie (mai 2020)Note de bas de page 83.

[101] Aucun des déposants n’a déclaré être disponible pour témoigner et être contre‑interrogé à l’audience.

[102] L’avocat du ministre soutient que comme je n’ai pas vérifié le témoignage des déposants et que je ne peux présumer de la véracité de leurs déclarations, je dois ignorer les affidavits et les nouveaux éléments de preuve présentés dans le mémoire de l’appelant et ne pas leur accorder d’importance. L’avocat du ministre soutient également que je devrais tirer une inférence défavorable du fait que l’appelant n’a pas expliqué son refus et que ses témoins n’ont pas témoignéNote de bas de page 84.

[103] Je suis d’accord avec la position du ministre. L’appelant n’a donné aucune raison rationnelle pour expliquer pourquoi ni lui ni ses déposants ne pouvaient témoigner et être contre-interrogés à l’audience. Et ce, malgré le fait que je l’avais déjà averti de ce qui pourrait arriver si ses déposants ne témoignaient pas à l’audienceNote de bas de page 85. Par la suite, le ministre a déposé une lettre indiquant, entre autres, qu’il n’accepterait aucun affidavit non contesté de l’appelant comme preuve de résidenceNote de bas de page 86.

[104] Par conséquent, je n’ai accordé aucune importance aux affidavits. Je vais aborder sous peu l’argument du ministre au sujet de l’inférence défavorable.

L’appelant a probablement résidé au Canada de juillet 2015 au 31 août 2017

[105] Malgré le scepticisme que l’approche de l’appelant à l’égard de son appel a suscité, il y a des éléments de preuve qui appuient son affirmation selon laquelle il a vécu au Canada toute sa vie.

[106] Tout d’abord, et ce point est peut-être le plus important, l’appelant a fourni un historique de ses demandes de règlement au ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario. L’historique couvre la période du 1er janvier 2014 au 21 avril 2021. Ce document montre que l’appelant a soumis régulièrement des demandes de règlement à partir de juillet 2015 (la période sur laquelle je dois me concentrer).

[107] Par exemple, de juillet 2015 au 31 août 2017, l’appelant a soumis des demandes au cours des mois suivantsNote de bas de page 87 :

  2015 2016 2017
Janvier     √ (1 date)
Février   √ (6 dates) √ (3 dates)
Mars   √ (2 dates) √ (1 date)
Avril   √ (1 date) √ (2 dates)
Mai     √ (1 date)
Juin     √ (2 dates)
Jullet √ (1 date)   √ (3 dates)
Août √ (1 date)   √ (1 date)
Septembre √ (2 dates) √ (1 date)  
Octobre √ (3 dates)    
Novembre √ (1 date) √ (3 dates)  
Décembre   √ (1 date)  

[108] Deuxièmement, l’avocat du ministre a déposé une décision du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario dans laquelle l’appelant alléguait avoir été victime de discrimination dans une affaire concernant sa demande de logement à loyer indexé sur le revenu présentée auprès d’une société sans but lucratif de l’OntarioNote de bas de page 88. La décision indique que l’appelant a été inscrit sur une liste d’attente pour un logement. Elle ne précise pas quand l’appelant a fait sa demande de logement, mais il semble que ce soit avant qu’il n’atteigne l’âge de 65 ans en juin 2015. Je sais d’après une décision plus récente du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario que l’appelant était toujours sur une liste d’attente pour un appartement subventionné pour personnes âgées de X Apartments en mai 2017Note de bas de page 89. Évidemment, il ne s’agit pas d’une preuve de résidence réelle au Canada. Toutefois, le fait que l’appelant ait tenté d’obtenir un logement en Ontario de 2015 jusqu’au milieu de 2017 appuie le fait qu’il avait l’intention de continuer à résider au Canada.

[109] Troisièmement, selon le ministre, l’appelant a versé des cotisations au Régime de pensions du Canada en 2015 et a touché des revenus en 2016Note de bas de page 90. Les cotisations sont versées sur les revenus d’emploi, ce qui m’indique que l’appelant a exercé une certaine activité professionnelle au Canada en 2015 et en 2016. Je ne sais pas combien l’appelant a gagné au cours de ces années, parce que le seul relevé de cotisations dont je dispose indique des revenus jusqu’en 2014Note de bas de page 91. Néanmoins, je ne peux pas ignorer le fait qu’il semble avoir exercé une certaine activité professionnelle au Canada en 2015 et en 2016.

[110] Quatrièmement, l’appelant a depuis un certain temps une boîte postale au Canada.

[111] Je sais qu’un des enquêteurs du ministre a fait des recherches sur Internet et aurait trouvé des éléments de preuve montrant que l’appelant avait une entreprise de transport enregistrée en Ontario. Ce fait, ainsi que l’utilisation par l’appelant d’un numéro de téléphone américain, soulève des questions quant à savoir s’il exploitait son entreprise à partir du MichiganNote de bas de page 92.

[112] Je peux comprendre pourquoi cela soulève des questions pour le ministre. Toutefois, on ne m’a pas fourni d’éléments de preuve des recherches effectuées sur Internet et il m’est donc difficile d’évaluer cette préoccupation de façon significative. De plus, je note que l’enquêteur a déclaré que les recherches sur Internet avaient révélé que l’entreprise de l’appelant avait été dissoute pour non-conformité en juin 2007, soit bien avant la date de juillet 2015 sur laquelle je dois me concentrer.

[113] Le ministre se demande si l’appelant peut avoir vécu au Michigan et simplement avoir traversé la frontière pour se rendre au Canada pour des rendez-vous médicaux et des renouvellements d’ordonnances. Je reconnais cette possibilité. De plus, comme l’a souligné l’avocat du ministre, il aurait été vraiment utile que l’appelant se rende disponible pour répondre aux questions afin qu’il puisse répondre à cette préoccupation.

[114] J’ai certainement des doutes quant à l’endroit où l’appelant vivait de juillet 2015 au 31 août 2017. Toutefois, je n’ai pas besoin d’être convaincue hors de tout doute raisonnable de sa résidence au Canada. Je dois seulement être persuadée qu’il est plus probable qu’improbable qu’il résidait au Canada. Que signifie ce fardeau? Ramené à son seuil le plus bas, il signifie 50 % plus le poids d’une plume.

[115] L’appelant s’est acquitté de ce fardeau. Ses antécédents médicaux et ses efforts pour trouver un logement en Ontario après avoir perdu sa maison sur l’avenue X montrent qu’il a probablement résidé au Canada jusqu’à la fin du mois d’août 2017. Le contexte est important ici, et le contexte qui importe est que l’appelant a vécu depuis longtemps à Windsor, en Ontario, avant juillet 2015. Il ne s’agit pas, par exemple, du cas d’une partie appelante née à l’étranger, qui a des liens profonds avec un autre pays pendant des années et qui tente ensuite d’établir sa résidence au Canada pour la première fois en 2015.

L’appelant a probablement continué de résider au Canada après le 31 août 2017

[116] Le ministre affirme qu’il pourrait y avoir suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que l’appelant a résidé au Canada de septembre 2017 à au moins juin 2022. Cela est dû en grande partie aux récentes conclusions factuelles d’autres tribunaux et cours, à savoir le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario et la Cour divisionnaire de la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

[117] Je conviens que ces éléments de preuve appuient la conclusion selon laquelle l’appelant réside au Canada depuis le 1er septembre 2017.

[118] Selon la décision de 2020 du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, l’appelant vit dans un appartement subventionné pour personnes âgées de X Apartments depuis le 1er septembre 2017Note de bas de page 93.

[119] La décision de 2022 rendue par la Cour supérieure de justice concernait une requête présentée par l’appelant au sujet d’une décision rendue par la Commission de la location immobilière. Ce qui est important ici, cependant, c’est que la décision indique que les documents déposés dans cette instance montrent que l’appelant est locataire de la coopérative d’habitation sans but lucratif X à Windsor, en OntarioNote de bas de page 94.

[120] Comme l’a souligné l’avocat du ministre, la coopérative d’habitation sans but lucratif X est affiliée à X, qui est située sur la rue X à Windsor, en OntarioNote de bas de page 95.

[121] Je n’ai évidemment pas accès aux documents déposés dans le cadre de l’instance du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario ou de la procédure judiciaire. Cependant, je pense qu’il est raisonnable de s’appuyer sur les conclusions de ces décisions en ce qui concerne la résidence de l’appelant, d’autant plus que le contrat de location de l’appelant a été déterminant dans chacune de ces décisions.

[122] En plus des décisions judiciaires mentionnées ci-dessus, je dispose également de l’historique des demandes de règlement pour services médicaux de l’appelant, qui fait état de demandes régulières en Ontario jusqu’en avril 2021 (soit la dernière période couverte par le rapport).

[123] L’appelant a présenté les demandes de règlement pour services médicaux suivantes :Note de bas de page 96

  2017 2018 2019 2020 2021
Janvier   √ (1 date) √ (7 dates) √ (2 dates) √ (1 date)
Février   √ (2 dates) √ (4 dates)   √ (1 date)
Mars   √ (2 dates) √ (1 date) √ (2 dates) √ (4 dates)
Avril   √ (2 dates) √ (2 dates)   √ (1 date)
Mai   √ (1 date)      
Juin   √ (2 dates) √ (1 date) √ (3 dates)  
Jullet     √ (1 date) √ (1 date)  
Août     √ (2 dates) √ (2 dates)  
Septembre √ (4 dates) √ (1 date) √ (2 dates) √ (3 dates)  
Octobre √ (8 dates) √ (5 dates) √ (1 date)    
Novembre √ (8 dates) √ (2 dates) √ (1 date)    
Décembre √ (2 dates)   √ (1 date) √ (5 dates)  

[124] Dans l’ensemble, les conclusions des décisions judiciaires et l’historique des demandes de règlement pour services médicaux de l’appelant montrent que celui-ci a probablement continué à résider au Canada depuis le 1er septembre 2017.

[125] Je sais que la décision de la Cour supérieure de justice est datée de juin 2022 et qu’il y a un donc techniquement un petit délai qui demeure inexpliqué entre juin 2022 et l’audience du 27 septembre 2022. Cependant, je doute fort que l’appelant ait quitté le Canada au cours de cette courte période. Je crois qu’il a vécu au Canada pendant toute la période en litige. Il a simplement essayé de nous entraîner tous sur un chemin tortueux, au mépris total de la pression que cela a exercé sur des ressources limitées. Pour cette raison, je ne tire pas de conclusion défavorable concernant les renseignements non divulgués.

L’appelant ne s’est pas absenté plus de six mois

[126] Si une personne est absente du Canada (même si elle n’a pas cessé d’y résider), elle n’a droit au Supplément de revenu garanti que pendant les six mois qui suivent le mois du départNote de bas de page 97. Il n’y a pas d’exception à cette règle.

[127] L’historique des demandes de règlement pour frais médicaux de l’appelant montre qu’il n’a jamais été absent du Canada pendant plus de six mois entre juillet 2015 et avril 2021. Le rapport sur cet historique ne couvre aucune période postérieure à avril 2021 et je ne peux donc pas affirmer avec certitude que l’appelant n’a pas été absent pendant plus de six mois depuis cette date. Cependant, étant donné sa tendance d’avril 2015 à avril 2021, il est raisonnable de supposer que rien n’a changé depuis avril 2021.

Autres questions

Erreur du ministère

[128] L’appelant me demande d’ordonner au ministre, conformément à l’article 32 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, de prendre des mesures correctives pour le placer dans la situation où il se trouverait si ses prestations n’avaient pas été interrompues à partir de janvier 2018Note de bas de page 98.

[129] Je rejette la demande de l’appelant. L’article 32 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse traite des erreurs du ministère. La jurisprudence est claire : je n’ai pas le pouvoir de tirer des conclusions au titre de l’article 32 de la LoiNote de bas de page 99.

Pénalités monétaires

[130] L’appelant affirme que conformément à l’article 44.1(1)(a) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, je devrais ordonner au ministre de lui verser une pénalité administrative de 30 000 $ et ordonner à certains employés de Service Canada de lui verser une pénalité monétaire administrative de 20 $Note de bas de page 100.

[131] Je n’ai pas le pouvoir d’ordonner au ministre ou à tout employé de Service Canada de payer des pénalités administrativesNote de bas de page 101. L’article 44.1(1)(a) permet au ministre (et non au Tribunal) d’imposer une pénalité à une personne (et non au ministre) si celle-ci a, à l’occasion notamment d’une demande, fait une déclaration qu’elle sait être fausse ou trompeuse.

[132] Même si j’avais le pouvoir d’imposer des pénalités, je ne le ferais pas. Il n’y a tout simplement aucune preuve dans cet appel d’une conduite de la part du ministre ou d’un employé de Service Canada qui serait même près de justifier une pénalité.

Accès aux dossiers et aux documents du Tribunal

[133] L’appelant affirme avoir été désavantagé parce que le ministre et ses représentants ont accès aux décisions du Tribunal ainsi qu’aux documents auxquels il est fait référence dans ces décisions. Il estime qu’il aurait dû avoir accès aux mêmes documentsNote de bas de page 102.

[134] Le ministre est partie à l’instance du Tribunal en sécurité du revenu. Il a droit aux documents d’appel et aux décisions dans les dossiers auxquels il est partie.

[135] Contrairement au ministre, l’appelant n’est pas partie à toutes les instances en sécurité du revenu. De ce fait, les renseignements dont il dispose sont plus limités.

Le téléversement de documents dans le dossier de l’appelant

[136] L’appelant a soulevé des préoccupations concernant le temps qu’il a fallu au greffe du Tribunal pour téléverser des documents dans son dossier et les transmettre. Il a soutenu que le Tribunal n’a pas respecté l’exigence de fournir « sans délai » tout document déposé par une partie aux autres parties à l’instance prévue à l’article 5(2) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, maintenant abrogé.

[137] Je reconnais que les documents de l’appelant (et peut-être même les documents du ministre) n’ont pas toujours été téléversés dans le dossier aussi rapidement que l’appelant l’aurait souhaité. Et bien que je comprenne que cela ait été une source de frustration pour l’appelant, je ne vois pas d’élément de preuve montrant qu’il ait été désavantagé de quelque façon que ce soit par ces retards.

L’enregistrement de l’audience

[138] Après l’audience, l’appelant a écrit au Tribunal et a noté, entre autres, que l’enregistrement de l’audience s’était poursuivi alors qu’il se trouvait encore dans la salle d’audience du Centre Service Canada à Windsor.

[139] J’ai écouté l’enregistrement, et je reconnais qu’il s’est poursuivi. Je ne sais pas pourquoi cela s’est produit. C’est malheureux, mais ce détail n’est pas pertinent dans cette affaire. L’enregistrement ne s’est poursuivi que pendant environ une minute, et pendant ce temps, l’appelant semblait parler à quelqu’un qui travaille pour Service Canada. Je ne l’ai pas entendu parler du bien-fondé de son appel.

Conclusion

[140] L’appelant remplit les exigences de résidence Supplément de revenu garanti depuis juillet 2015.

[141] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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